HOSTILE DE MATHIEU TURI : LE SAVOIR-FAIRE À LA FRANÇAISE

 * SPOILERS *

Article réécrit en mars 2021. 

L’histoire : Dans un monde en ruine après une catastrophe inconnue, l’espèce humaine tente de se reconstruire. Les survivants ne sortent que la journée car la nuit venue d’étranges créatures sortent pour chasser. Juliette est la seule à oser s’aventurer près des villes. Un jour, sur le chemin du retour, elle perd le contrôle de sa voiture. Lorsqu’elle reprend connaissance, elle est blessée, coincée dans son véhicule, et… IL FAIT NUIT.

Le cinéma de genre « à la française » s’impose chaque année un peu plus dans le paysage cinématographique français, malgré une certaine réticence du public à s’aventurer dans ces contrées sinueuses, pourtant si belles. Et si les productions de ce type sont généralement complexe à mettre en œuvre (financement, producteurs hésitants…), les plus cinéphiles d’entre nous sont toujours heureux de constater que notre pays peut compter sur des auteurs de qualité, avec un vrai savoir-faire, qui osent, prennent des risques, pour proposer autre chose que des comédies sans âmes et moralisatrices. C’est le cas avec Hostile de Mathieu Turi, œuvre post-apocalyptique qui oscille entre drame SF et drame romantique.

Romance post-apocalyptique

Le film s’ouvre sur un découpage alternant entre plans aériens sur un désert inhospitalier, où l’humanité semble y être absente, et séquences rapprochées mettant en scène Juliette au sein de ce nouvel environnement. Des plans aériens, des plans plus serrés, pour confronter aussi le spectateur à la solitude dont fait face l’héroïne.
Juliette voyage seule, affronte les dangers seule et la petite voix qui lui sert de guide n’est finalement qu’un murmure, un figurant vocal extrêmement lointain. D’ailleurs, la solitude des premières scènes fera écho à la suite du film. Piégée dans sa Jeep après un accident, Juliette va se retrouver isolée, détenue dans son propre véhicule et de son passé, dont les souvenirs vont resurgir durant cette nuit infernale. Là, le réalisateur use d’un tour de force incroyable.

La structure narrative d’Hostile se révèle plus intimiste puisqu’on assiste à la fois à un survival post-apocalyptique et une romance, au travers de nombreux flashbacks. Ils évoquent les moment les plus forts de la relation entre Juliette et Jack. Un drama équilibré qui oscille donc intelligemment entre love-story et présent chaotique. En effet, chaque flashback vient traduire une émotion, une situation dans laquelle Juliette est prisonnière et dont elle doit se libérer.

Leur rencontre, leur vie de couple, jusqu’au début de l’apocalypse, tout est alors abordé à travers ces flashbacks, avec humour, tendresse et, parfois même, une rare poésie où tout le talent de Mathieu Turi s’exprime. Une écriture qui va jusque dans le traitement des personnages, qui ne tombent jamais dans le cliché, même si on retrouve des éléments dramaturgiques assez communs aux comédies dramatiques/sentimentales. Néanmoins, c’est la façon globale dont Mathieu Turi traite l’ensemble de son idylle, qui lui donne cet aspect lyrique (ainsi que les touchantes interprétations des deux acteurs, Brittany Ashworth et Grégory Fitoussi).

Une créature inhumaine ?

Piégée, Juliette fera face à un des monstres qui habitent ce nouveau monde. Jusque-là, Mathieu Turi n’avait jamais montré leur aspect. Il avait simplement suggéré leur présence avec des sons ou des affrontements invisibles pour le spectateur (cf. la scène dans la caravane). Un moyen pour le cinéaste de jouer sur les peurs et la fragilité des survivants. Et puis, une créature nous apparaît. Ils sont comme nous les imaginions, à l’image du chaos extérieur : laids, brutaux et sanguinaires. Mais pas que… Car dans le chaos règne toujours un peu d’espoir. Cette bête qui rôdera autour de Juliette est une allégorie du monde, pleine de contradiction. Parce qu’on y découvre qu’il ne souhaite pas dévorer Juliette mais lui délivrer un message, la délivrer de sa souffrance.

Le monstre, c’est Jack.
Tout le film repose alors sur cette séquence finale (voir image à droite).
Hostile nous amène ici, à cette scène, à ce dénouement troublant, émouvant, violent. Un suicide commun, de deux âmes sœurs, dont la séparation quelques années plus tôt fut un drame terni de rancœur. L’un l’autre se pardonnent enfin, dans un ultime tête à tête déchirant.

. La beauté de l’humanité

La première rencontre entre Jack et Juliette se fait dans une galerie d’art, tenue par ce dernier. Il y expose plusieurs œuvres et une discussion s’engage entre les deux futurs amants autour d’une peinture de Francis Bacon, « Portrait de Michel Leiris » (voir image à gauche).

« Regardez-le, jusqu’à y trouver de la beauté. Ouvrez-vos yeux », c’est ainsi que Jack ordonne à Juliette de noyer son regard dans le tableau de Bacon. Si la dernière phrase permet une transition avec le présent (inconsciente, Juliette va ouvrir les yeux), elle fait aussi résonance à la fin du film. Lorsque Juliette prend le visage du Jack-monstre entre ses mains, elle noie son regard dans celui-ci. Et elle n’y voit plus de la laideur, elle y voit de l’espoir, de l’amour, de la beauté et une issue heureuse à leur histoire.

Huis-clos sous haute-tension

Mathieu Turi a indéniablement le sens du cadre et un goût prononcé pour la mise en scène. On le voit dès les premières minutes du film, tandis qu’on alterne, comme précisé plus haut, entre des sublimes plans aériens et des plans plus originaux, davantage suggérés, qui ajoute un caractère à la fois effroyable et mystérieux au déroulement d’une action.
Mais Mathieu Turi assume également une réalisation en huis-clos (cf. les scènes où Juliette est prisonnière de son véhicule accidenté) – un parti pris risqué pour un film post-apocalyptique – offrant une œuvre où règne une tension permanente, anxiogène, appuyée par un scénario à l’issue incertaine et souvent brutale. Une réalisation qui n’a sûrement pas été choisie au hasard, puisqu’elle nous cloisonne aussi dans ce véhicule. Par conséquent, le spectateur ressent les mêmes angoisses, les mêmes craintes, les mêmes doutes qui peuvent habiter Juliette.
En choisissant une mise en scène minimaliste avec une narration en flashback, on s’aperçoit aussi que Juliette était captive d’un passé qui l’a amenée jusqu’à ce moment précis de sa vie, d’une histoire d’amour dont elle peinait véritablement à se défaire, faite de regrets, et d’un futur sans avenir, où la survie et l’individualisme a remplacé la compassion et l’amour. Jusqu’à ce dénouement final, inattendu, où l’obscurité laisse place à la lumière d’un monde plus serein.

Drame intimiste et poétique, Hostile est une production qui propose un nouveau regard sur le genre post-apocalyptique au cinéma. Là où tant d’autres iront sur une structure scénaristique classique avec des scènes de courses-poursuites entre humains et « zombies » dans des décors post-apo en CGI, Mathieu Turi fait le choix de la réserve, de la retenue, pour livrer une œuvre sentimentale, humaine et sincère dans sa démarche.