L’EMPEREUR DE PARIS : L’AMBITION FRANCAISE

LE CAPITAINE CINEMAXX A VU – L’EMPEREUR DE PARIS * SPOILERS *

Les productions françaises ambitieuses telles que L’Empereur de Paris sont assez rares. En 2018, deux films sont d’ores et déjà parvenus à se hisser à la stature de longs-métrages américains : Dans la brume de Daniel Roby (ma critique ici), Hostile de Mathieu Turi (ma critique ici), deux œuvres post-apocalyptiques intimistes, à la réalisation pointilleuse, parfois lyrique, mettant en scène des héros humains, presque chevaleresques avec un même objectif : survivre. Le troisième, c’est L’Empereur de Paris. Dans cette fabuleuse histoire, on retrouve tous ces thèmes, au travers une fresque romanesque, noble, où le cinéaste Jean-François Richet nous livre donc une version du personnage historique de Vidocq, profonde et humaine.

SYNOPSIS : Sous le règne de Napoléon, Eugène-François Vidocq, seul homme à s’être échappé des plus grands bagnes du pays, est une légende des bas-fonds parisiens. Laissé pour mort après sa dernière évasion spectaculaire, l’ex-bagnard essaye de se faire oublier sous les traits d’un commerçant. Son passé le rattrape pourtant, et, après avoir été accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis, il propose un marché au chef de la sûreté : il rejoint la police pour combattre la pègre, en échange de sa liberté. Malgré des résultats exceptionnels, il provoque l’hostilité de ses confrères policiers et la fureur de la pègre qui a mis sa tête à prix…

Jean-François Richet, l’ambitieux

L’Empereur de Paris, c’est une remarquable réalisation ainsi qu’une délicieuse mise en scène, à la fois poétique et sanglante, un sens du détail au service de l’histoire, des héros, toujours dans le souci de la cohérence. En effet, l’auteur de Blood Father n’utilise jamais sa caméra bêtement lorsqu’il s’agit de dévoiler Paris en plan aérien (la reconstruction de la capitale est saisissante) ou montrer ses personnages en action (marcher, scènes de combat, scènes de tir, joutes verbales, face à face…). En exemple, je prendrais la scène où Vidocq affronte le corps sans vie de sa bien-aimée, allongé sur un lit d’hôpital. Cassel est debout, de profil au spectateur, tête baissée, l’air grave, la caméra recule, s’éloigne de lui, et on ressent alors toute la douleur qui habite Vidocq à ce moment précis, la rage intérieure qui l’anime. Cette séquence ne dure que quelques secondes, toutefois, elle démontre toute la maîtrise et le savoir-faire de Jean-François Richet à installer une ambiance émotionnelle poignante, sans artifices, sans cris, sans mots, sans larmes. Et puis, ce baiser, avant cela, et ce focus sur les lèvres de Vidocq et Annette, filmé en toute sobriété. Poignant ! 
Des exemples de ce type, il y en a à foison dans L’Empereur de Paris. Les travellings lorsque Annette est poursuivie dans les rues de Paris sont d’une précision incroyable, plongeant le spectateur dans une tension palpable. Les changements d’angle, fluides, venant accentuer ce suspens.

Le réalisateur s’aide également d’objet pour optimiser sa mise en scène. Une première fois, lorsque la Baronne de Giverny et Maillard se disputent, Jean-François Richet se sert du miroir pour orchestrer la conversation, révélant au passage la face cachée de la Baronne. Froide et manipulatrice. Ainsi, le miroir ne devient plus un simple objet de décoration, mais la personnification de la Vérité (vous avez dit Blanche-Neige ?).
Une seconde fois, tandis qu’Annette se fait maltraiter par un des hommes de Nathanaël. La caméra capte alors un moment de cette violence, au travers une boule transparente posée sur une table. Ici, l’objet devient spectateur de l’action, au même titre que le public. 

On notera également, la place offerte aux figurants dans les scènes extérieures. Pour prendre un exemple concret qui parlera au plus grand nombre, cette année est sortie Black Panther et contrairement à Jean-François Richet, dans les deux seules séquences où T’Challa descend dans les rues du Wakanda, on ne voit jamais les rues marchandes, ni les habitants censés les animer, Ryan Coogler préférant filmer en gros plans le visage du héros, pendant qu’il déambule et parle avec une des Dora Milaje (me semble-t-il). Richet, lui, a pris le pari de rendre ses rues vivantes, en mettant réellement en lumière les figurants, en leur confiant des tâches à réaliser. Ainsi, le spectateur est plongé dans ce Paris Napoléonien, comme s’il y était, les décors très réalistes de l’époque venant intensifier cette immersion.

Vincent Cassel, l’imperturbable

Si les critiques sont mitigés sur l’interprétation de Vincent Cassel pour ma part, je suis totalement conquis. Froid, distant, sarcastique, attachant, aimant, déterminé, violent, Cassel arrive à transmettre pléthores de sentiments différents et à offrir une multitude d’états émotionnels à Vidocq, donnant au film ce caractère humain et extrêmement profond, que j’évoquais peu plus haut.
Jean-François Richet a également compris tous les codes qui font d’un personnage, l’anti-héros parfait. Ce dernier utilise une narration bien définie, en y ajoutant sa petite touche personnelle.
Le background du protagoniste principal.
La reconversion (marchand).
L’élément perturbateur (les deux inconnus ayant reconnu Vidocq).
La Mission (traquer les pires criminels pour récupérer sa liberté et de paire se construire une vie normale).
L’histoire d’amour, qui dévoile une autre facette de la personnalité de l’anti-héros.
On s’identifie alors davantage à lui, puisque son caractère évolue et démasque une nature bienveillante/altruiste.
Le premier « duel » entre le anti-héros et son Némésis.

La perte de l’être aimé.
La vengeance et l’affrontement final, sorte de rédemption, qui l’amènera cependant à renouer avec la solitude. Affrontement dans un lieu symbolique, pour rappeler les enjeux du personnage principal.
À travers cela, on y voit les caractéristiques de l’anti-héros :
solitaire, torturé, charismatique, loyal, capable de tendresse et d’amour, dédaigneux et violent quand les circonstances l’exigent. L’humain dans tout ce qu’il a de plus bon ou de mauvais, dans toute sa complexité et sa splendeur.

Napoléon v Vidocq

Si Napoléon est l’Empereur d’un Empire, Vidocq, lui, est l’Empereur de Paris, capitale d’un des pays les plus estimés au monde. Il est l’incarnation de ce que représente cet Empire avec ses qualités et ses défauts, constitué de nobles et de pauvres, de gens de biens et de meurtriers, d’hommes loyaux et de traîtres ou de femmes aimantes et manipulatrices. Vidocq est aussi tout cela à la fois. C’est un personnage qui se cherche. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que la première scène s’ouvre sur un Arc de Triomphe en construction (avant de voir Vidocq dans sa nouvelle vie de marchand, en pleine construction narrative) et se conclut sur un plan éloignée de la structure voulue par Napoléon. Vidocq est devenu un homme accompli, ayant bravé moult dangers et croiser mille visages différents, à l’image de notre Arc de Triomphe, symbole de réussite et de victoire.

Fabrice Luchini, le théâtral

Avant de conclure cette critique sur l’Empereur de Paris, j’avais envie d’évoquer la présence de Fabrice Luchini au casting. Bien que je ne sois pas fan du personnage Luchini, j’en reconnais néanmoins le talent, et il faut avouer que son interprétation de Joseph Fouché est magistrale.
Avec son phrasé, sa manière d’articuler et sa puissance vocale, l’homme pressé apporte une force tranquille à sa prestation, mais aussi un lyrisme, qui fait de ses apparitions à l’écran, des moments théâtralisés (avec cette sensation de ne plus regarder un film, mais une pièce de théâtre), des moments hors du temps, des moments suspendus.

D’ailleurs, la mise en scène de Fouché appuie ce côté « force tranquille », légendaire et divin de Luchini, de son personnage, qui tient le destin de Vidocq entre ses mains.

Conclusion

Jean-François Richet a su s’emparer de la légende Vidocq, la modeler à sa façon, afin de proposer sa vision personnelle d’un des personnages les plus passionnants de l’Histoire de France. Sa capacité à embarquer le spectateur avec une mise en scène immersive et explosive, révèle tout le talent d’un cinéaste aux influences diverses.

Petite remarque : Où sont les femmes ? Le film est, en effet, avare en personnages féminins. Malgré les présences fortes de Freya Mavor et Olga Kurylenko (qui auraient, cela dit, mérité plus d’épaisseur), l’absence d’autres protagonistes féminins se fait cruellement ressentir.

22 millions, c’est le budget accordé à L’Empereur de Paris et à quelques millions près celui d’Alad’2 (environ 19 millions), sortie un peu plus tôt dans l’année. La différence de niveau est telle, qu’on se demande encore pourquoi les producteurs n’accordent pas davantage d’importance à ce genre de projets, qui démontre un savoir-faire français à livrer des œuvres historiques (ou post-apocalyptiques pour référer à mon introduction) de grandes qualités. Alors, qu’attendons-nous ? Osons !

Mon interview du réalisateur Jean-François Richet à retrouver ici.

2 commentaires sur “L’EMPEREUR DE PARIS : L’AMBITION FRANCAISE

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