L’EMPEREUR DE PARIS : 7 QUESTIONS À JEAN-FRANÇOIS RICHET, LE RÉALISATEUR DU FILM

Actuellement à l’affiche, L’Empereur de Paris est un des films français les plus ambitieux de cette année 2018. Pour le Capitaine Cinemaxx, le réalisateur Jean-François Richet a accepté de répondre à 7 questions autour de sa production, mettant en scène une des figures parisiennes les plus mythiques de l’ère napoléonienne, Vidocq.

* Attention, cet entretien contient des spoilers sur le film. *

Ce n’est pas la première fois que le personnage de Vidocq est porté à l’écran, que ce soit pour la télévision ou pour le cinéma, on ne compte pas loin d’une dizaine d’adaptations. En tant que réalisateur, quelle vision du personnage vouliez-vous apporter ?

Je voulais me rapprocher du personnage tel qu’il était décrit dans ses mémoires. Je voulais également l’ancrer socialement et marquer l’époque politiquement. Tous les changements de régime, les chamboulements de la grande histoire ne peuvent que transformer ceux qui l’ont vécu.
Le personnage de Vidocq est plus un « sanglier » qu’un félin comme on a pu le voir parfois, c’est un personnage pragmatique avec des motivations précises : survivre, retrouver sa liberté.

L’Empereur de Paris, c’est l’histoire de Vidocq, bagnard devenu homme au service de l’État. Un protagoniste à la personnalité complexe et finalement, est-ce que les anti-héros, puisque c‘en est un, ne sont pas les meilleurs personnages à adapter ? À l’heure où les héros de plus en plus lisses affluent au cinéma, est-ce que les anti-héros comme Vidocq finiront par les remplacer ?

Les personnages avec des zones de gris sont plus fascinants que les personnages trop lisses. La complexité d’un Othello est plus fascinante que la rectitude d’un Superman. Quant à savoir si les anti-héros finiront par remplacer les super-héros, on est bien loin du compte. Le monde actuel est plus moralisateur, plus binaire que durant les décennies précédentes. Je n’ai pas l’impression que la tendance s’inverse même s’il y a parfois des actes de résistance avec parfois des films surprenants.
Cette année, j’ai vu HOSTILES de Scott Cooper, j’ai trouvé cela grandiose dans l’approche du sujet et de la caractérisation des personnages. Il n’y a aucune bien-pensance liée à notre époque, les héros sont replacés dans le contexte historique sans aucun jugement moral. Il n’y a pas de méchants, pas de gentils, juste des êtres humains avec différents points de vues, qui essayent de survivre. Il y a parfois des pépites dans le paysage cinématographique actuel et ce film en est une.

Une des choses les plus flagrantes dans votre film, c’est la présence de nombreux figurants, dans les scènes extérieures. Pour prendre un exemple concret qui parlera à mes lecteurs, cette année est sortie le film Black Panther et contrairement à vous, dans les deux seules séquences où le Roi descend dans les rues du Wakanda, on ne voit jamais les rues marchandes, ni les « habitants » censés les animer, le cinéaste préférant des gros plans sur le visage du héros pendant qu’il déambule. Vous, vous avez pris le pari d’animer ses rues, en mettant réellement en scènes les figurants, en leur confiant des tâches à réaliser. Le spectateur est donc plongé dans ce Paris napoléonien, comme s’il y était. C’était un choix de votre part de faire des figurants, de vrais acteurs à part entière ?

Je souhaitais que le spectateur puisse être en immersion dans le Paris du début du XIXeme siècle. Je tenais particulièrement à montrer les quartiers des travailleurs, en l’occurrence la Bièvre qui était une rivière qui traversait Paris et où les tanneurs travaillaient sur les rives. Je dirige également les figurants, ils ont tous des tâches précises à effectuer. Avant de tourner la scène, je leur explique d’où leurs personnages viennent, j’expose le contexte politique. Je leur dis d’inventer une vie à leur personnage…

Quentin Tarantino adore faire des plans sur les pieds de ses actrices, dans L’Empereur de Paris, vous avez également un petit fétichisme : les lèvres. Il y a plusieurs petites scènes on l’on voit des plans très rapprochés sur les lèvres de Freya Mavor et Olga Kurylenko, c’est votre petit pêché mignon ? (rire).

Je n’ai jamais fait attention à ça, peut-être. Il y a le gros plan sur les lèvres de la baronne qui susurre dans l’oreille de Vidocq, puis sur les lèvres d’Annette pour le dernier baisé que Vidocq lui donne. Cela me semble assez justifié dans la narration. Comme ce sont de très belles actrices on a tendance à le remarquer (rires).

En parlant de mise en scène, vous utilisez à quelques reprises des focus sur un miroir, une boule transparente, etc. pour mettre en scène vos personnages d’une manière plus originale, est-ce que ce sont des techniques liées à des références à d’autres films ?

J’avais déjà utilisé cette grammaire dans mes films précédents et beaucoup d’autres cinéastes l’ont déjà fait. Si j’ai bonne mémoire Sam Peckinpah dans Getaway, il me semble, que toute une scène est filmée dans un miroir d’armoire alors que les protagonistes sont de dos assis dans un lit. Joseph Losey utilise beaucoup ce procédé aussi. Mais les réponses sont beaucoup plus pragmatiques que référentielles. Par exemple la scène des miroirs entre la baronne et Maillard, je souhaitais que la vérité ne soit pas telle que nous l’imaginions donc j’ai utilisé un miroir déformant pour commencer la scène et une fois que la vérité est rétablie le miroir ne soit plus déformant à la fin.
Je souhaitais également que le rapport de force entre les personnages change durant la scène et que les deux personnages soient séparés à jamais avec le dernier plan, c’est la raison pour laquelle j’utilise le miroir à plusieurs facettes à la fin de cette scène. La baronne a commencé dominée, elle finit dominante. C’est toujours la mise en scène qui me fait utiliser ou pas ce genre de procédé.
En ce qui concerne la scène d’Annette j‘ai choisi de la filmer à travers la boule, car cela ne m’amuse pas de filmer une femme qui se fait violenter et que le fait que le spectateur ressente la violence sans la voir, ou qu’il la voit de façon déformé était amplement suffisant.

Fabrice Luchini est présent au casting, il y incarne Joseph Fouché et livre une fois encore, une performance d’acteur incroyable. Avec son phrasé, son articulation, il apporte une force indéniable à sa prestation, mais aussi une poésie qui fait de ces moments, des moments très théâtraux et par conséquent des moments hors du temps, des moments suspendus, notamment lors de sa première rencontre avec Vidocq et la dernière. Vous avez écrit ces quelques dialogues expressément pour lui ?

Avec Eric Besnard, le scénariste, nous rêvions d’avoir Fabrice Luchini pour interpréter Fouché. On a écrit en l’ayant toujours en tête.

Joseph Fouché a d’ailleurs une réplique dans le film : « La Légion d’honneur, on finira par la donner à n’importe qui ? », c’est ce que vous pensez vous aussi ?

Force est de constater qu’il fallait être grandiose pour avoir la Légion d’honneur sous l’Empire et que ce n’est pas forcément le cas aujourd’hui. Mais c’est normal, nous sommes loin du contexte historique où nous étions en guerre contre toutes les monarchies européennes. Pour moi, la Légion d’honneur ne se refuse pas, c’est un honneur.

Mon analyse complète de L’Empereur de Paris est à retrouver ici.

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