LA MULE : UN NOUVEAU PAS VERS LA REDEMPTION

LE CAPITAINE CINEMAXX A VU – LA MULE * SPOILERS *

Après la déception le 15h17 pour Paris, peut-être le premier (et dernier ?) faux pas du Clint Eastwood, le cinéaste de 88 ans est de retour devant et derrière la caméra avec La Mule, un film inspiré par un article de presse paru dans The New York Times Magazine, qui relatait la vie de Leo Sharp, un ancien vétéran de guerre ayant travaillé pour le Cartel de Sinaloa, après que son entreprise d’horticulture est faite faillite.
Immédiatement, le nouveau long-métrage de Clint Eastwood se démarque, une fois n’est pas coutume, par une écriture diaboliquement efficace et une réalisation, dont la simplicité se veut être à l’image de son propos : sincère.

L’écriture.
Drôles, impétueux, sarcastiques, tantôt poétiques, tantôt dramatiques, les dialogues de La Mule sont des véritables trésors, regorgeant de petites phrases à la fois hilarantes (« Ça me fait plaisir d’aider des noirs. ») et émouvantes (« Je t’aime plus qu’hier et bien moins que demain. »).
Tous ces adjectifs reflètent également l’attitude et ce que peut dégager le personnage incarné par Clint Eastwood, Earl Stone, charmant, séducteur, irrévérencieux, aimant, mais aussi égoïste, borné et incontrôlable.
Un nouveau rôle attachant pour le « papi » du cinéma hollywoodien, où la nostalgie se mêle aux regrets, où les regrets se mêlent au pardon et le pardon à la rédemption.

Iris, ma précieuse

« Tu es comme tes fleurs, tu t’ouvres sur le tard. »

La plupart des films de Clint Eastwood sont toujours teintés de ces regrets paternels, comme si le cinéaste confiait ne pas avoir été un bon père et, à travers ses histoires, demandait pardon à ses propres enfants d’avoir eu des longues absences, d’avoir été trop souvent « sur la route ».
Les artistes sont ainsi, ils chantent leurs désespoirs, écrivent leurs déclarations les plus intimes, mettent en scène leurs tourments. Chacun d’entre eux exprime ses sentiments, de manière différente, mais le résultat est le même : se mettre à nu aux yeux du monde, pour ouvrir son cœur, afin d’expier ses fautes. Avec La Mule, le réalisateur de Million Dollar Baby, s’offre lui, une ultime rédemption, concède ses échecs, admet ses erreurs, avoue que la « famille doit passer avant le travail » à son cadet/successeur Bradley Cooper comme un message, un aveu ouvert à ses enfants qui, comme je le disais à l’instant, a passé tant de temps sur les routes à jouer des rôles, plutôt que SON Rôle.

Le choix de casting est aussi important. Alison Eastwood (Iris) n’est en effet pas là par hasard. Lorsque Earl Stone et Iris Stone se réconcilient, ce n’est plus deux personnages fictifs qui se parlent dans un de ces dialogues superficiels, mais bel et bien Clint Eastwood et Alison Eastwood. Les faux semblants disparaissent, les deux acteurs tombent le masque, une mise en scène du pardon, où Earl Stone n’est alors plus qu’une allégorie, une représentation, puisque c’est l’homme, Clint Eastwood, qui se dresse devant nous et fait amant d’honorable, devant une femme, sa fille, réellement émue par la rédemption de son père. Et en acceptant cette rédemption, elle concède que son père est une fleur, un être complexe et faillible, qui se replie parfois sur elle-même, avant d’éclore, et de dévoiler à la Terre entière, ce qu’elle a de plus beau en elle. 
Un « changement d’identité » qu’on retrouve également dans une autre séquence. Symboliquement, lorsque Earl plaide coupable de tous les chefs d’accusation, alors qu’il aurait très certainement pu s’en sortir indemne, c’est en réalité Clint Eastwood qui accepte cette peine, sereinement, afin de purger ses péchés, à l’instar d’un Jugement Dernier.

Le thème de la paternité parcourt le film. Toutefois, ce thème n’est pas uniquement visible dans la relation entre Earl ou Iris, il est aussi apparent envers certains objets ou protagonistes secondaires. 
. Avec ses fleurs, dont il prend soin plus que sa famille, un reproche que lui fera par ailleurs son ex-femme, lors du mariage de leur petite-fille.
. Avec Bradley Cooper, comme je l’évoquais un peu plus haut, lorsque ce dernier lui donne quelques conseils sur la vie amoureuse/familiale ou la tendresse, qui se dégage de leur échange, suite à l’arrestation de Earl. Tendre. 
. Avec sa petite-fille, pour laquelle il est réellement présent.
. Avec sa communauté, qu’il aide sans compter.
Ou encore avec le personnage de Julio Guiterez (Ignacio Serricchio).
Membre du Cartel de la drogue mexicain, Julio sera en charge de superviser Earl dans ses « courses ». D’abord réticent, puis agacé par les humeurs de Earl, entêté et exaspérant, le jeune homme va trouver en Earl le père qu’il aurait sûrement aimé avoir dans sa jeunesse. Entre les deux hommes, une complicité née, un lien paternaliste se noue, rythmé par les premiers rires, les premiers partages et les premières leçons de morale (« Tu devrais quitter tout ça, changer de vie. »), jusqu’à un malheureux évènement, où Julio rejettera le « mi hijo » de Earl, par obligation, plus que par choix personnel. Clint Eastwood est rejeté et, connaît, à son tour, la douleur destructrice d’un abandon.

. Le rêve américain

Earl, c’est l’archétype du rêve américain. Entrepreneur à la tête d’une pépinière, enchaînant les succès et les prix, Earl Stone symbolise la réussite professionnelle. Mais les rêves ne durent qu’un temps et l’arrivée d’Internet va bouleverser sa vie, au point qu’il doit fermer boutique. À la rue à 88 ans, il fait le choix naïf d’accepter un rôle de chauffeur, pour le Cartel de la drogue mexicain.
Clint Eastwood dépeint ici plus qu’une simple caricature des films de drogue, mais une histoire aux thèmes sociétaux forts. L’arrivée d’Internet donc, annihilateurs d’emplois, la place des vétérans aux Etats-Unis, l’acceptation des différences (« les gouines », « les noirs »), la politique des chiffres et la pression des agents de police, etc., même si plusieurs thèmes ne sont qu’effleurés, sans jamais être développés, un point qu’on pourra regretter.

Réalisation

Enfin, la réalisation de Clint Eastwood a pour elle d’être à la fois simple mais purement authentique et met en lumière la franchise de ses propros. Pas d’esbroufes, pas d’explosions, de tirs à tout-va ou de mises en scène grandiloquentes, la simplicité de sa réalisation reflète son désir de sincérité. Ces films ont toujours été ainsi et c’est ce qui fait de lui un cinéaste à part, dans le paysage cinématographique hollywoodien. Ces images sont là pour mettre en avant les douleurs, les envies, les espoirs perdus, confronter le spectateur au réel et, sa caméra, lente et descriptive, caractérise cette notion du temps qui passe et les regrets qui naissent sur le visage d’un homme.

Poétique et dramatique, La Mule à cette beauté fragile des grands films. Une nouvelle production où Clint Eastwood se livre, pour la toute dernière fois, à ses enfants. Un pas de plus vers la rédemption à laquelle il aspire et qu’il a certainement obtenu, après une vie de folie, à enchaîner les rôles au cinéma, les succès et les histoires d’amour. Une vie trépidante à l’image de celle de Earl Stone, un personnage haut-en-couleur, qui sciait parfaitement à Clint Eastwood. 
On comprend désormais pourquoi ce dernier a voulu conclure sur cette image, symbole de réussite, d’échec et de renouveau. 

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