LE CAPITAINE CINEMAXX A VU DES ZOMBIES – Exceptionnellement, article contenant quelques spoilers. Étant donné que plusieurs cinémas ont diffusé le film en France, en avant-première, mardi 14 mai, je me permets d’y faire une analyse détaillée que je ne ferais pas sur les prochaines productions en compétition.
Ma première fois avec Jim Jarmusch, dont le travail m’était jusque-là inconnu (olala, ce n’est pas un vrai cinéphile !). Et il aura donc fallu attendre la 72ème édition du Festival de Cannes pour rencontrer ce réalisateur, lequel m’a littéralement enthousiasmé avec son The Death Don’t Die, présenté à la Cérémonie d’Ouverture et en Compétition Officielle.
SYNOSPSIS : Dans la petite ville paisible de campagne de Centerville, les habitants sont attaqués par des zombies. Trois policiers et une mystérieuse écossaise vont faire équipe pour tenter de les vaincre.
L’Amérique n’a plus de héros
Il est loin le temps où les Etats-Unis avaient ses héros porteurs d’espoir et malheureusement, ni Barack Obama, ni Les Avengers et ni Brad Pitt ne sauveront l’Amérique et le monde.
En réalité, qui aujourd’hui en serait capable ? Personne. L’individualisme, le capitalisme, le consumérisme, l’Humanité est touchée par ces fléaux et rongée par les idéaux de dirigeants incapables de prendre des solutions radicales pour sauver notre planète. Et alors même qu’on toucherait le fond, aucun d’entre eux ne lèverait le petit doigt, comme si tout allait naturellement se tasser. C’est le message de The Dead Don’t Die, au travers de sa caricature de Donald Trump (pas si caricatural), lequel annonce ouvertement que le changement d’axe de la rotation de la Terre a créé des emplois tandis que le monde sombre dans le chaos. Un moment à l’image du 45ème Président des Etats-Unis d’Amérique, absurde. Néanmoins, devant tant d’absurdité, on ne peut s’empêcher de rire.
Le discours politique du film apparaît alors lisse, convenu même, au détriment d’une avalanche de vannes, mais cela n’entache en rien la qualité du message, selon moi. The Dead Don’t Die reste avant tout une comédie et il n’est pas nécessaire de s’attarder de manière insistante sur un message politique et/ou écologique ou décrédibiliser quelqu’un aux yeux du monde entier. La finesse d’écriture de Jim Jarmusch permet, subtilement, de confronter le spectateur à ces choix primaires et confortables, tout en leur accordant la joie de s’esclaffer. Et ça, ça s’appelle le talent Mesdames et Messieurs.
The Dead Don’t Die a également un autre parti-pris intéressant, celui de ne jamais mettre en scène de héros. Les protagonistes vagabondent au sein de Centerville, errent parfois sans but, subissent ce « Nouvel Ordre Mondial », sans chercher à sauver quiconque (Cliff et Ronald ne prennent même pas la peine d’aller sauver Hank et Bobby enfermés dans le magasin de bricolage). Avec audace, Jim Jarmusch va même jusqu’à sacrifier ce qui pourtant s’apparentait aux héros du film, le duo incarné par Murray/Driver.
La représentation du zombie
Je disais à l’instant que les personnages erraient parfois sans but, ce qui n’est pas le cas des zombies. En effet, ils sont l’allégorie vivante d’une nature, laquelle se réveille donc, afin de bannir les Hommes, qui ont trop longtemps négligé sa présence. Une punition en somme, pour leurs crimes, où tous les humains sont mis à la même échelle. Pas de héros, pas d’issues. Juste la mort.
On pourrait également voir les zombies comme un miroir, un reflet de nos erreurs, de nos péchés. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’ils sont mis en scène dans des désirs très humains (boire du café) ou des envies parfois stériles, superflues, à l’instar d’une société en pleine décadence, telle que l’égocentricité des hommes via leur smartphone, sorte d’exutoire pour la survie de l’espèce, alors que celle-ci réside dans le partage, la solidarité, la tolérance et l’amour.
Une histoire qui n’est pas sans rappeler celle de Le Jour où la Terre s’arrêtera, où l’Humanité est condamnée, sans retour en arrière possible (même si dans l’adaptation de Keanu Reeves, quelques enfants sont sauvés).
Je ne suis pas un adepte inconditionnel du film de zombie, mais il me semble que Jim Jarmusch propose une vision du zombie plutôt originale, une nouvelle littérature à ces monstres désormais légendaires du 7ème art.
En effet, ses zombies parlent, boivent du café ou tentent de se connecter sur internet. Il n’est pas non plus aisé de les décapiter, plusieurs coups de machette sont parfois nécessaires et une étrange enveloppe/fumée noire s’échappe de leurs corps lorsqu’ils se font tuer. Tout cela, en plus de contribuer à donner un aspect comique au film/faire réfléchir le spectateur sur sa condition, offre à ces créatures des caractéristiques peu communes, du moins, que je n’avais encore jamais vu.
Humour & Acte Final
L’humour. C’est sûrement ce point précis qui ouvrira les débats les plus enflammés. Peu habitué à l’univers de Jarmusch, je ne vous cache pas mon hilarité devant The Dead Don’t Die.
Le film a un style lent, posé et l’humour reflète cette mise en scène sous antalgique. Un humour dépressif voire fataliste, comme l’est son histoire, dont certains personnages connaissent la fin, ayant « lu le script jusqu’au bout ». Personnellement, l’humour tranquille sous anesthésie où se mélangent conversation absurde (qui brise parfois le 4ème mur) et blagues méta (référencées au 7ème art et à la Pop Culture), j’en raffole.
Je regrette cependant un dernier acte bâclé, dont certains arcs narratifs sont totalement exempts d’une conclusion (que vont devenir les enfants ?) et une farce sur Tilda Swinton partant dans un vaisseau extra-terrestre, dont l’excentricité de la séquence laisse circonspect. Si on comprend la blague liée à son physique singulier, le personnage aurait mérité un réel background, afin d’avoir une explication sur cette scène aussi abracadabrante, que mal-amenée.
Pour en revenir aux enfants, leur intégration au récit était assez inattendue et leur parcours au cœur du film est délicat à analyser, puisque peu de scènes leur sont consacrées. Cependant, j’y vois une nouvelle génération, porteuse d’espoir, ouverte d’esprit, tolérante et aimante, capable d’insuffler à l’humanité, une manière de vivre différente. Un des enfants passe d’ailleurs son temps dans le dortoir des filles et, peut-être, est-ce la représentation d’un enfant qui assume sa différence face à des gardiens testostéronés, symbole de la virilité.
La conclusion du Capitaine Cinemaxx
The Dead Don’t Die ouvre parfaitement cette 72ème édition du Festival de Cannes, dans une ambiance post-apocalyptique extravagante où se succèdent des séquences aussi inconvenues, étranges que désopilantes.
Le travail d’écriture et de mise en scène (le travail sur le cadre et le montage est délicieux) de Jim Jarmusch est d’une rigueur incroyable. Le cinéaste s’amuse avec tous les clichés possibles du genre ou concernant les acteurs eux-mêmes (noms, physiques, attitudes, carrières…), pour en faire une vraie comédie horrifique délirante et loufoque, rythmée (si on peut dire) par le duo Murray/Driver, dont la dynamique nonchalante est d’une drôlerie absolue.
Ses messages politiques, écologiques et sociétales sont certainement évoqués de façon trop légères, mais un message subtile au sein d’une comédie engagée vaut mieux qu’un long discours ennuyeux.
Bien sûr, The Dead Don’t Die possède quelques facilités scénaristiques, que je concède. Et si certains de mes confrères sont plus mitigés sur cette œuvre, elle m’a toutefois convaincu de m’intéresser davantage à la filmographie de Jim Jarmusch et, n’est-ce pas la plus belle des victoires ?
Crédit photo : IndeWire
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