Lors du 72ème Festival de Cannes, j’ai eu l’occasion de rencontrer le cinéaste Mathieu Turi, une rencontre passionnante, où nous avons discuté de son premier long-métrage, Hostile, dont la sortie en DVD/Blu-Ray est attendue pour le 4 juin.
Une interview dans laquelle il nous parle aussi de son travail en tant qu’assistant sur Inglourious Basterds de Quentin Tarantino et Sherlock Holmes : Jeu d’Ombres de Guy Ritchie mais également de son regard sur le cinéma d’aujourd’hui, la série Game of Thrones et le problème des haters et où il évoque son prochain film, Méandre.
Comment t’est venue l’histoire d’Hostile ?
Alors, c’est un petit peu particulier. J’ai commencé avec un court-métrage qui s’appelait Sons of Chaos, un court-métrage SF post-apocalyptique, très jeu vidéo, très bateau où l’idée c’était de réaliser quelque chose de costaud, visuellement. C’était donc du post-apo et, quand je l’ai présenté, on a eu des retours ultra-positifs néanmoins, il manquait de la direction d’acteurs, un peu de profondeur dans le scénario – je le savais – et on m’a dit : « Voilà, pour passer au long-métrage, ça serait bien d’avoir un équilibre ». J’ai fait un nouveau court-métrage, Broken, qui était à l’opposé du premier. Ici, c’était deux personnes ne parlant pas la même langue et qui se retrouve coincées 24h dans un ascenseur. L’opposé extrême car là, il s’agissait uniquement de direction d’acteurs et, bizarrement, on retrouve ces deux mélanges dans Hostile. Je pense que Broken a eu une grosse influence quand j’ai écrit Hostile. J’ai mélangé deux univers que je connaissais et que j’aimais beaucoup mais, ça ne s’est pas fait naturellement au début. J’avais, en effet, écrit une première version où il n’y avait aucun flashback – notamment pour développer le côté série B assumée post-apo/zombie -, le héros de l’histoire était un homme et non une femme puis, j’ai changé les personnages quand j’ai eu l’idée du twist. C’est à partir de ce moment-là que j’ai voulu intégrer tous les flashbacks. Et là où 20% des flashbacks du métrage auraient pu raconter les conséquences de l’accident ayant provoqué la fin du monde, je me suis dit que j’allais plutôt tenter de me concentrer uniquement sur les personnages, de ne pas évoquer ce qu’il s’était passé, comment l’Apocalypse est survenue, mais rester concentré sur l’histoire des deux héros et essayer de faire un 50/50, de passer de l’un à l’autre, que ce soit deux films en un. D’ailleurs, c’est le problème des premiers films, on a tendance à vouloir tout mettre et, c’est sûrement le défaut de celui-là aussi. Toutefois, je voulais garder l’originalité de cette structure. Finalement, ça a beaucoup plu aux producteurs, à ceux qui se sont engagés dans le projet et j’ai donc gardé mon idée jusqu’au montage.
Personnellement, j’ai trouvé qu’il y a un vrai équilibre entre les flashbacks et l’intrigue principale dans le présent, le tout s’enchaîne avec fluidité. Je n’ai pas trouvé que c’était un défaut de vouloir « tout mettre » comme tu disais, mais plutôt une qualité.
C’est très gentil, merci. Pour info – on le montre dans le making-of du Blu-Ray -, il y a une scène de flashback coupée au montage, qui ralentissait la séquence en question et cassait un effet de surprise pour le flashback suivant. En plein milieu de leur histoire, on retrouvait Juliette, l’héroïne, junkie, complètement défoncée dans les rues de New-York, en plein jour, à côté de Times Square. Jack passe à côté d’elle, la remarque. Il est avec des gens, il ne peut pas s’arrêter parce que pour lui, socialement, c’était délicat et, ce discours-là était intéressant. Visuellement, c’était aussi intéressant. On était en plein Times Square, il y avait énormément de monde donc, quand on a coupé la scène c’était un peu dur (rire), mais c’est souvent le cas. De plus, on a galéré à la tourner. Elle a été filmée à plusieurs endroits, on avait dû raccorder les plans et finalement, nous l’avons coupé, surtout pour des questions de rythme et d’équilibre.
Une grande partie du film se déroule en huis-clos, mettant en scène Brittany Ashworth (Juliette) piégée dans une voiture accidentée. Est-ce que c’était une volonté, dès le départ, de réaliser un huis-clos ou était-ce une question de budget, vous n’aviez pas les moyens de faire un film 100% post-apocalyptique ?
C’est un mélange des deux. L’idée de base, elle vient du fait que Xavier Gens, qui, avant que je rencontre les autres producteurs, m’avait dit : « J’ai peut-être des plans pour faire un film avec un budget de 1-1 million et demi. Trouve des sujets pas chers, qui soient attrayants visuellement et on va essayer de les développer ». Donc, l’idée de départ d’Hostile vient de là, un huis-clos dans une voiture. Moi j’aimais énormément le post-apo et quand on a développé le film, qu’il a commencé à prendre un peu d’ampleur, on a commencé à ouvrir sur les flashbacks, les tournages à New-York, au Maroc, avec des décors naturels, très post-apo, où Juliette traverse le désert, une station-service, tout ça pour montrer que même si nous n’avions pas des millions de dollars, ce n’était pas simplement une question d’argent, mais aussi une question narrative. Après, bien-sûr, l’impulsion de faire un huis-clos vient de là, comme beaucoup de huis-clos, qui permettent de faire un film costaud avec des moyens assez réduits.
Le post-apo est un genre que tu adores, tu le dis très souvent. Est-ce que tu as des influences, des références en matière de post-apo ?
Oui. C’est assez marrant car ce sont peu de références cinématographiques – même si certains films sont excellents, j’ai davantage de références liées à la littérature. Mes deux livres préférés sont I am Legend de Richard Matheson d’ailleurs, aucune adaptation n’a réussi à être fidèle à 100% au bouquin pourtant, c’est un chef-d’œuvre – je sais que Del Toro a essayé et, sa vision, a ensuite emmené aux vampires de Blade II -, et la fin, qui est un chef d’œuvre de littérature puis, La Route de Cormac McCarthy, qui est exceptionnel. Même dans sa façon d’écriture avec des phrases très très courtes et où on met du temps à rentrer dedans, c’est très cru et ça participe à l’univers. Quand les personnages trouvent une boîte de conserve on est content, on est avec les protagonistes, tout est brillant. Voilà, ce sont mes deux histoires qui m’influencent au quotidien et le dernier, c’est un jeu vidéo, The Last of Us. Je l’appelle, comme beaucoup de journalistes à l’époque, le Citizen Kane du jeu vidéo. Je suis un gros fan, regarde, je me suis même fait le tatouage du 2. Au-delà du jeu vidéo, c’est vraiment une œuvre hyper importante pour moi, qui m’inspire et qui continue à m’inspirer.
Un petit mot sur le casting. Il y a un français, Grégory Fitoussi et une britannique, Britanny Ashworth. Qu’est-ce qui a motivé ces deux choix ? Pourquoi deux nationalités différentes ?
Je trouvais ça intéressant de mélanger les accents. Grégory avait une coach pour avoir un accent américain mais on a conservé ce côté français, en essayant de garder à l’esprit qu’il est là depuis 10 ans, qu’il a des habitudes et donc, malgré tout, un petit accent américain.
Britanny elle, est anglaise et, pareil, elle a eu la même coach pour la rendre à l’américaine.
Après, c’était une envie de travailler avec Grégory depuis longtemps, on avait des amis en commun, on se connaissait et je voulais vraiment qu’on bosse ensemble. Il a adoré le script.
Je voulais également jouer sur le cliché du français, amateur d’art, j’aimais cette idée. Hostile, c’est un film qui joue sur les clichés, sur les deux parties. Dans les séquences post-apo, on est dans le cliché de ce que l’on connaît, du film de créatures, un peu jump-scare, etc et, sur les autres scènes (les flashbacks), on joue sur le cliché de la comédie romantique. C’est vraiment voulu, assumé.
Et Britanny a tout de suite accepté le rôle ou elle a eu des doutes ?
En fait, les trois rôles principaux, je rajouterai Javier Botet (la créature), n’ont pas été castés. Javier, je me souviens lui avoir envoyé un mail à l’époque de Mama, j’avais trouvé son adresse sur un blog. Je lui avais confié avoir un scénario, en cours d’écriture, ne pas avoir de producteurs néanmoins, que je voulais absolument collaborer avec lui.
Il a aimé, m’a dit qu’il serait ravi de travailler avec moi, que je devais le recontacter quand j’aurai tout et qu’il viendrait faire le film quoi qu’il arrive. 5 ans après, il était là. Alors qu’entre temps, c’était devenu une star des monstres. Il est venu sur notre tournage entre La Momie, Insidious 4 et Ça, sur lesquels il travaillait. Il a même avoué qu’Hostile avait été son tournage le plus compliqué, puisqu’avec nous il devait jouer de nuit, dans le désert, en altitude, d’autant qu’il a une santé particulière et il faut y faire attention.
Donc voilà, pas de casting pour Javier, j’ai eu l’acteur dont je rêvais.
Grégory, comme je te le disais, c’était une connaissance d’un des producteurs, il avait adoré le script et ce que le film pouvait dégager et Britanny m’a été suggérée par Xavier Gens. J’allais partir en casting pour le rôle de Juliette et Xavier, qui réalisait The Crucifixion, m’a assuré avoir trouvé une actrice qui pouvait correspondre à mes attentes. J’ai pris un billet Eurostar pour Londres, je l’ai tout de suite rencontré, ça a matché direct. Elle voulait absolument le faire. Il y avait une évidence, c’était elle. Donc, coup de chance pour les 3 (rire).
Tu as évoqué rapidement le tournage au Maroc, qu’elles ont été les difficultés rencontrées sur le tournage ?
La difficulté principale, c’est le tournage de nuit. 9 nuits de tournage à la suite. C’est jamais simple comme condition pour une équipe. Il y a des scorpions gros comme ma main, il fait super froid.
On a également pris un peu de retard à un moment, qu’on a rattrapé. Toute la séquence du cannibale, nous avons dû la shooter en moins de deux heures, combats et explosions de tête compris. J’ai pas eu tous les plans que je souhaitais. Mais la scène la plus dure à réaliser, c’est celle de l’accident. Au départ, je me disais que les cascadeurs allaient gérer, aucun stress à avoir, je n’ai qu’à regarder la voiture voler et la voiture ne s’est pas envolée (rire). On a refait la cascade deux fois, on l’a décalée. C’est la seconde équipe qui s’en est finalement chargée, je n’étais même pas là. Ils ont alors tiré la voiture avec un câble pour qu’elle fasse les tonneaux et au montage, on a tout triché et ça marche parfaitement. A la base, j’avais imaginé la cascade en plan séquence et on en est très loin (rire).
J’ai vu dans le making-of que vous aviez eu un autre contre-temps. Lorsqu’il a plu une nuit et que toutes les prothèses pour Javier avaient été en partie détruites par la pluie.
Il a plu l’équivalent de trois mois de pluie là-bas en une seule nuit. On a quand même eu du bol parce que quand c’est arrivé, c’était pendant notre journée-off. Toutes les équipes ont sacrifié leur jour de repos pour aller nettoyer le décor et essayer de sauver ce qui pouvait être sauvé mais oui, on a perdu effectivement, toutes les prothèses de Javier. Avec la pluie les bâches se sont collés dessus. Heureusement, Jean-Christophe Spadaccini, qui est un génie et avec qui je voulais travailler depuis des années, a pu tout refaire, en 24h ! Il a rapatrié du matériel d’urgence depuis la France, car même l’équipement de secours est gâché en fait. Je le remercie beaucoup.
Il y a toujours des problèmes heureusement, il y a toujours des solutions pour contrer tout ça. J’étais très bien entouré, donc du stress de courte durée.
Tu as collaboré sur de nombreuses productions hollywoodiennes, est-ce que ces expériences accumulées t’ont aidé pour ton premier long-métrage ?
J’ai commencé en bas de l’échelle et monté les échelons. J’ai débuté en bloquant des portes et j’ai grimpé jusqu’à second assistant. J’ai travaillé sur Inglourious Basterds de Tarantino, G.I Joe, Sherlock Holmes 2, sur des gros trucs.
Hostile, c’est peut-être le premier film, où j’avais à gérer une équipe aussi petite, une centaine de personnes. Ce n’est pas prétentieux de ma part. C’est juste qu’en terme d’ampleur, je n’étais pas effrayé. Même si là j’étais à la barre, puisque je réalise, j’ai l’habitude d’avoir énormément de monde à gérer. Ce sont des expériences qui m’ont servi, oui.
Comme assistant, j’ai fait beaucoup de films à cascades donc, tout ce qui était scènes d’action, découpage, etc, j’ai pu apprendre des meilleurs. C’est pratique de voir des mecs comme Quentin Tarantino travailler. On apprend très vite, c’est la meilleure école de cinéma. C’est ce genre d’efficacité que j’ai apprise.
Est-ce qu’il y a un souvenir qui t’a particulièrement marqué sur le tournage d’un film hollywoodien ?
J’en ai plein. Mais on va dire que le souvenir qui m’a le plus marqué c’est celui sur le tournage de Tarantino. J’ai harcelé la personne responsable, pendant des mois, afin de travailler sur Inglourious Basterds. Quand on m’a annoncé que c’était bon – la veille, parce qu’il y avait eu un désistement -, j’étais heureux. Fait amusant, sur le tournage d’un Tarantino, les portables sont interdits. On doit laisser nos téléphones dans des petites pochettes et, ce n’est pas par peur qu’on puisse prendre des photos, mais pour qu’on puisse tous communiquer ensemble, qu’on soit entre-nous. A midi, on ne les récupère pas forcément. Il y a une envie d’installer une ambiance assez old-school, entre guillemets, on se parlait tous, alors qu’on ne se connaissait pas vraiment.
Voilà, j’ai plein de souvenirs comme ça. Je me souviens aussi que je venais une heure avant le tournage, le matin, pour voir les décorateurs effacer les passages piétons. Quand on tournait au café La Renaissance, pour la séquence où Mélanie Laurent et Daniel Bruhl se rencontrent pour la seconde fois, ils « brûlaient » les passages piétons et le soir, ils les redessinaient. Là je me disais, on est quand même sur du gros film (rire).
Des expériences comme aller chercher Bruce Willis dans sa loge (rire). Quand tu vas chercher Bruce et que tu es fan, c’est vraiment cool mais impressionnant. Et qui est, contrairement à ce que j’entends parfois, extrêmement sympathique. C’était sur le tournage de Red 2.
Puis, Sherlock Holmes 2, qui restera pour moi le tournage le plus impressionnant que j’ai fait. Equipe de 250-300 figurants.
J’ai travaillé sur la séquence du début, l’attentat à Strasbourg. Au montage, ils ont simplement gardé l’explosion mais, nous avions tourné une séquence de 7/8 minutes montées, qui était incroyable. On avait un personnage, lequel passait au milieu de la foule et allait placer une bombe dans une calèche – un hommage à La Soif du Mal je pense -. La calèche allait ensuite se positionner devant une estrade, où il y avait le maire et tous les politiques du coin, qui faisaient une déclaration. Un attentat pour tuer à la fois les politiques mais aussi l’homme dans la calèche. La calèche explose, l’homme survit et un sniper finit par l’abattre, le tout avec un dommage collatéral, le personnage incarné par Rachel McAdams. Ils l’ont donc coupé, car ils voulaient décaler la mort de Rachel et la faire tuer par Moriarty. On a gardé l’explosion, explosion qu’on a refait 5-6 fois, au pied de la cathédrale de Strasbourg. Tout était refait d’époque, toutes les vitres des bâtiments étaient en sucre pour pouvoir exploser. A la fin, je m’en rappellerai toute ma vie, le chef déco avait pris une brouette, mis tout le sucre glace dedans et partait voir tout le public strasbourgeois qui attendait depuis des heures et des heures, afin de leur donner en souvenir, des morceaux des vitres. Je trouvais ça génial !
Voilà, cette scène n’existe nulle part, j’ai pu la voir. Un coup de bol.
Avant de conclure cette interview, depuis le début de l’année 2019, as-tu eu des coups de cœur au cinéma ?
Alors, comme beaucoup de réalisateurs, j’ai de moins en moins de temps pour aller au cinéma. Et des claques, j’en ai également de moins en moins et, ça me fait de la peine. Peut-être parce que mes goûts changent, ce n’est pas forcément que les films sont moins bons hein, mais une claque au cinéma, ce n’est pas forcément évident de nos jours.
J’ai pris le temps d’aller voir Green Book. Vraiment ciblé pour les oscars mais extraordinaire et, que ce soit Viggo Mortensen ou Mahershala Ali, les deux sont exceptionnels. C’est ce genre d’œuvres qu’on voyait beaucoup il y a 10 ans, et qui sont plus rares aujourd’hui.
J’ai pris une autre claque avec First Man, que pas grand monde aime. Je n’ai pas trop compris pourquoi. J’avais eu plus de mal, par exemple, avec La La Land. Même si je trouve ça génial, je n’ai pas pris la claque que tout le monde avait reçu. Moi, ça a été davantage sur Whiplash.
Dans le domaine sériel, je vois beaucoup plus de choses intéressantes. On a cette libération des scénaristes même si maintenant, on fait des pétitions pour réécrire une saison complète.
On parle bien de Game of Thrones là ? (rire)
Oui (rire). C’est un peu le problème des réseaux sociaux et des attentes du publics. Moi, j’ai littéralement adoré la saison 8 de Game of Thrones. Je suis d’accord sur le fait que la dernière saison va un peu vite et, j’aurais peut-être préféré 10 épisodes avec une structure plus progressive mais, au final, je m’en fous, ça m’a mis à l’envers ! Je trouve que les choix sont des choix de scénaristes. Ça ne se discute pas les choix de scénaristes, en tout cas, on peut ne pas aimer, dire que l’on n’a pas adhéré mais dire, il faut la refaire, dire qu’ils sont nuls [les scénaristes], quand on voit le travail qu’ils ont fait et la qualité du travail de ces mecs, je trouve ça un peu limite de faire une pétition, avec une arrogance folle, et aller donner des conseils sur la manière d’écrire. J’ai vu passer ce tweet qui est génial : « Aujourd’hui, tout le monde a deux métiers, le sien et scénariste de Game of Thrones. ». Et c’est vraiment ce qu’on vit actuellement. C’est assez dramatique de vouloir tout le temps réécrire l’histoire et le pire, c’est que ça touche aussi le cinéma. On a des suites qui annulent les histoires qu’il y a eu entre temps et, même si j’attends comme un ouf le prochain Terminator, ça m’embête qu’ils aient annulé tout ce qui avait été proposé après Le Jugement Dernier, même si c’était très mauvais. Ce côté révisionniste me fait peur ou alors, il faut revisiter intelligemment l’histoire comme avec Mad Max : Fury Road. C’est-à-dire que Fury Road, là où c’est brillant et, pourtant, Dieu sait que j’aurais voulu voir Mel Gibson vieillissant dans Mad Max : Fury Road, pour moi, on n’est ni dans le remake, ni dans le reboot, un peu comme avec Zelda (jeu vidéo), on est dans la réinterprétation d’une légende. Donc, lorsqu’on voit Mad Max : Fury Road, ce n’est pas la suite de Mad Max, c’est pas non plus un reboot, c’est la même histoire, raconter différemment, à une époque différente, qui englobe ce qu’est aujourd’hui le cinéma. C’est très particulier mais, c’est peut-être plus respectueux. Ou alors, le faire à la Jurassic World. On réalise une vraie suite qui fait que, si on n’a jamais vu les anciens, ça peut marcher pour un nouveau public. Néanmoins, cela n’atteindra jamais un centième de ce qu’était Jurassic Park mais, ils le savent, et je trouve ça sain. Quand on regarde le film, on voit bien qu’ils savent pertinemment qu’ils ne feront jamais mieux et le problème du fan-service vient de là d’ailleurs. J’ai hâte de voir l’épisode 9 de Star Wars pour ça, voir comment J.J Abrams va terminer ce qu’il a commencé.
En parlant de Games of Thrones et de Star Wars, on a récemment appris que David Benioff et D.B. Weiss scénariseraient un épisode de la franchise. C’est une nouvelle qui te réjouit ?
Je suis aux anges ! Ils ont envie, ça se sent, de s’attaquer aux longs-métrages. De ce que j’ai compris aussi, c’est qu’ils voudraient utiliser l’univers de Knights of the Old Republic donc ça, c’est super. Et puis, ça les libère d’énormément de problèmes. Ils n’auront pas à faire du fan-service et je pense qu’ils n’en feront pas. Techniquement, on pourrait avoir le premier Star Wars qui n’aura rien à voir avec les autres films de la franchise. J’espère qu’ils prendront cette direction. C’est ce qu’il faudrait faire à partir de maintenant, avancer. On ne fera jamais mieux, terminons, arrêtons de comparer et comparons surtout ce qui est comparable. Quand Star Wars est sorti, Star Wars n’existait pas, c’est donc normal de se prendre une claque quand c’est aussi bien fait, aussi génial, aussi culte et aussi universel. Moi, ce qu’a fait Lucas avec la prélogie, j’ai toujours ça moins bien que la trilogie originelle, mais c’est autre chose. Le mec a voulu raconter une histoire plus politique, tout en racontant la jeunesse d’un jeune garçon, lequel allait devenir le plus grand dictateur de l’histoire. C’est une autre proposition. Ce que fait Disney est plus compliqué, car les épisodes 7,8,9 sont une suite directe aux épisodes 4,5,6, même dans l’intention. J’ai beau avoir aimé le 7 plus que le 8, pour des raisons personnelles, je suis outré quand je vois le déferlement de haine qu’il y a eu sur Rian Johnson.
Pour répondre à ta question de manière plus directe, j’attends avec impatience de voir ce que David Benioff et D.B. Weiss feront sur Star Wars. Ce sont deux personnes, lorsque l’on voit leur rigueur d’écriture, n’en déplaisent à certains, qui ont fourni une série de grande qualité. Bien-sûr, pour en revenir à GOT, la série s’accélère dès la saison 7, mais ça s’appelle un climax les gars ! Dans une structure, c’est normal. Après, peut-être que certaines intrigues vont un peu vite mais, personnellement, sans spoiler, le dernier épisode de la saison 8 m’a surpris. Et c’est le souci aujourd’hui. Les gens ne veulent plus être surpris. Lorsqu’ils vont voir Avengers : Endgame, ils veulent voir Iron Man se sacrifier, Thanos perdre et les gentils gagner. Evidemment, il fallait ça. Toutefois, là où Avengers : Infinity War avait plu à tout le monde, c’est qu’il a surpris tout le monde. Endgame, qui a beaucoup de qualité, ne surprends pas. On ressort ravis, mais pas surpris. Les gens ne sont plus habitués à ça. Et la qualité de Game of Thrones réside justement là.
Mais est-ce que ce n’est pas difficile de surprendre, à l’heure des réseaux sociaux, où chaque fan à sa propre théorie, son propre dénouement en tête, réfléchit et ne se laisse plus aller ?
C’est exactement ça. Cependant, ça part d’un bon sentiment. Les fans – ce qu’on appelle les fans ça ne veut rien dire, c’est un mot qui n’a plus vraiment de sens parce qu’on a les fans hardcore, les fans qui vont aimer au-delà des défauts -, mais ces gens-là qui, par la suite, vont théoriser puis, assassiner une œuvre parce qu’elle ne correspond pas à leurs attentes, ça part d’un bon sentiment. Ils aiment tellement cet univers qu’ils sont incapables d’attendre le résultat, ils veulent anticiper. Ça prend une telle ampleur parfois, que les scénaristes sont obligés de se protéger, ne pas lire ce genre de choses. Vouloir aller dans le sens du public, c’est terrible, il faut rester fidèle à ce que l’on a envie de dire. Si les scénaristes de GOT avaient envie de donner cette conclusion à leur série, alors c’est une décision louable d’avoir été jusqu’au bout, d’avoir gardé le cap. Et j’y repense, si le rythme de la série s’accélère, c’est aussi parce que, lorsque le phénomène de la série a pris de l’ampleur, plusieurs personnes ne sont plaintes que la série était lente (saison 3 et 4) alors que c’était justement la qualité de la série, de prendre son temps.
Il faut respecter la vision des créateurs, que ça nous plaise ou non. On n’ira jamais dire à Picasso : « franchement, le jaune, ça équilibre mal ton tableau, j’aurais mis du bleu. Faisons une pétition pour repeindre le tableau en bleu. ». On est dans ce genre de débat, malsain, et très dangereux pour l’art, et même pour l’économie du cinéma. Si on va au cinéma pour voir des films que l’on a déjà vu mille fois, qui nous emmènent là où on veut, pour nous rassurer, on perd l’essence de ce qu’est censé être le cinéma.
On va parler de ton prochain film, tu peux nous en dire un peu plus ?
Un peu, pas trop (rire). Mon prochain film s’appelle Méandre, dont le tournage débutera au mois d’août. C’est un film très concept, avec Bérénice Marlohe, qu’on avait vue dans James Bond : Skyfall. Le début du film sera un mélange entre Cube et Saw, sans me comparer à ces films, qui sont des piliers, mais on est dans cette veine-là, et ça va ailleurs. Méandre est plus frontal et direct qu’Hostile, c’est une grosse prise de risque pour moi en termes de mise en scène et d’histoire. Je suis très content car c’est que je voulais pour mon deuxième film, me mettre en difficulté. Le budget est plus gros aussi.
Je peux juste dire que ça se passe dans un tuyau.
C’est le succès d’Hostile qui t’as permis d’avoir un plus gros budget pour Méandre ?
Hostile s’est vendu dans une soixantaine de pays. En Russie on avait 500 copies. Ça a très très bien marché au Japon. J’ai eu la chance que le Maître Hideo Kojima voie le film, l’adore et depuis on se parle, juste pour ça, ça valait le coup (rire).
On a un remake qui est prévu en Corée, le film prend une ampleur inattendue pourtant, ce n’est pas le méga succès, on n’en parle pas partout, mais à son échelle, il a son petit succès. Il est également disponible sur Amazon Prime aux États-Unis et en Allemagne. Du coup, oui, ça a permis que pour le second, ça aille plus vite. On a des partenaires géniaux. Le film a un budget de 2-3 millions.
Ma critique du film Hostile : http://capitainecinemaxx.fr/2018/11/02/hostile-de-mathieu-turi-le-savoir-faire-a-la-francaise/
Pour acheter le DVD/Blu-Ray d’Hostile, c’est par ici.
Merci encore à Mathieu Turis pour cette interview enrichissante. J’espère que vous apprendrez également plein de choses et n’hésitez pas à voir Hostile, qui mérite d’être soutenu. C’est ce genre d’œuvre dont le cinéma français à besoin !