L’indémodable Clovis Cornillac et la jeune réalisatrice Julie Manoukian étaient à La Rochelle ce mardi 12 novembre, afin de présenter en avant-première au public Rochelais leur première collaboration, Les Vétos. Un film dans lequel l’ex-interprète d’Astérix incarne Nico, un vétérinaire qui, suite au départ de son associé et mentor, Michel, se retrouve seul pour sauver ses patients. Inquiet de ne pas pouvoir tenir la cadence, Michel lui annonce avoir trouvé sa future remplaçante en la personne d’Alexandra, sa nièce. Le hic : Alexandra a été diplômée la veille, déteste le contact humain et ne compte pas revenir dans son petit village d’enfance.
Rencontre avec Clovis Cornillac et Julie Manoukian.
Clovis Cornillac
Qu’est-ce qui vous a convaincu d’accepter le rôle de Nico, un vétérinaire en milieu rural ?
Je pense qu’on accepte un film, avant d’accepter un rôle. En réalité, j’ai trouvé l’idée de faire un long-métrage sur les vétos excellente. C’était, on va dire, le point d’appel. Et puis, à la lecture du scénario, j’ai trouvé ça, non seulement extrêmement bien écrit, mais aussi très agréable à lire. J’avais envie de faire partie de l’aventure.
Ensuite, la rencontre avec Julie a été déterminante puisque notre métier, c’est avant tout un métier d’humains, il faut qu’il se passe quelque chose entre les gens. Donc, ça a été assez rapide pour moi de prendre la décision à partir du moment, où j’ai compris qu’elle voulait faire du cinéma, fabriquer du cinéma. Je ne le regrette pas parce qu’elle a vraiment réussi son film et ce n’est pas toujours le cas. Ça ne veut pas dire que les personnes ne sont pas talentueuses, mais que, de temps en temps, il arrive de rater. Là, c’est réussi.
Le milieu du soin animalier, c’est quelque chose que vous connaissiez avant de faire le film ou absolument pas ?
Je dirais comme tout le monde enfin, comme tout ceux qui ont des animaux. Moi, j’ai un chien, j’ai souvent eu des animaux. J’ai aussi fait beaucoup de films avec des animaux divers et variés, du singe au cerf, et j’ai beaucoup aimé ça. C’est un milieu qui m’attire. Après, le côté « médecin pour animaux » , je ne le connaissais qu’à travers mes propres animaux, mais je ne connaissais pas leur milieu, leur quotidien, leurs difficultés, en tout cas, à la campagne, dans ces coins dits reculés. Magnifiques au demeurant, malheureusement désertés depuis quelques années maintenant. Ils ont des vies totalement folles. On n’a pas idée de ce qu’ils vivent. Et ça, je l’ai découvert grâce au film de Julie. C’était passionnant.
Justement, vous avez travaillé en amont avec des vétérinaires pour préparer votre rôle, afin d’adopter les bons gestes, d’apprendre le vocabulaire technique, être le plus crédible possible ?
Oui. Mais d’une manière générale, lorsqu’on joue un métier au cinéma, on essaie toujours de travailler avec les gens en amont pour choper des choses, comprendre. Il n’était pas question que je devienne vétérinaire ou que je sache suturer un animal toutefois, donner l’illusion, que les gens se disent : « c’est un vétérinaire ! » .
C’était important pour moi, pour Julie, pour les acteurs, de ne pas abîmer une profession, la tourner en ridicule. Et c’était passionnant de travailler avec eux.
Beaucoup d’artistes militent aujourd’hui pour un Ministère de la Protection Animale. C’est une cause que je suppose, vous soutenez également ?
Bien sûr. Tout ce qui est vivant, on a envie de le protéger. Néanmoins, les histoires de ministères… Il y a quelque chose sur laquelle je m’interroge énormément, c’est ce besoin de vouloir tout légiférer, que ce soit dans l’éducation ou autre, cela m’angoisse un peu. J’ai surtout l’impression qu’on devrait écouter. Que l’on aime ou pas un chien, je peux le comprendre cependant, tu n’es pas obligé de lui mettre un coup de latte, comme tu n’es pas obligé de choisir les pesticides, s’il y a moyen de faire autrement. Ça doit être une prise de conscience. Je crois plus en l’Humain, que systématiquement dans les lois, même s’il en faut pour ordonner une société. Je suis pour la protection animale, mais je ne pense pas que rencontrerez quelqu’un qui vous dise le contraire. Ou c’est un sérial killer, qui a commencé ainsi d’ailleurs. Ils commencent petits puis, ils grandissent.
Je vois que vous êtes accompagné de votre chien. Il s’appelle comment ?
Orson.
Et il vous suit partout ?
Partout, même sur les tournages. Il est habitué. Il est pas chiant. Normalement, il ne devrait pas aboyer pendant l’interview (rire).
Il s’est bien amusé sur le tournage des Vétos ?
Il ne m’a rien dit, mais il n’avait pas l’air malheureux.
Votre plus beau souvenir sur le tournage, à vous ?
Dans tous les films que je fais, je n’ai jamais su hiérarchiser, isoler un moment, parce que cet instant, cette séquence, n’a de force que pour tous les autres moments qui l’entourent. Donc, je suis nul en anecdote (rire). Souvent, je prends en exemple un fou rire. Vous avez sûrement dû avoir un fou rire récemment. Et bien, quand tu dis que tu en as eu un, les gens te répondent automatiquement : « ah bon, c’était quoi ? », tu commences alors à raconter ce qui a provoqué ton fou rire et tu es très seul. Cela ne fait rire personne. Tu l’as vécu, tu sais à quel point c’était drôle, mais c’est irracontable. Des anecdotes, j’en ai mille. Autour d’un dîner, c’est rigolo parce que les choses viennent comme ça, naturellement, mais je n’arriverai pas à vous sortir quelque chose de particulier là, tout de suite. Le film en soit est un excellent souvenir, vraiment.
Julie Manoukian
Quelles ont été les principales motivations de votre participation au projet Les Vétos ?
Au départ, l’idée du film était celle du producteur, qui avait le désir de raconter une histoire sur les vétérinaires de campagne. Lorsqu’il m’en a parlé, j’ai commencé à faire des recherches et je me suis aperçue qu’il avait raison, pas parce que cela n’avait jamais été fait, mais parce que tout c’est que j’ai découvert m’a convaincu que c’était un métier héroïque et, que cela méritait qu’on en parle, qu’on leur rende hommage. Comme le disait Clovis, c’est un métier complètement fou dans le sacrifice que ça réclame.
On parle même de suicide dans le film, avec un pourcentage assez impressionnant – un chiffre que donne le personnage d’Alexandra (Noémie Schmidt). Personnellement, je ne pensais pas qu’il y avait autant de suicides chez les vétérinaires en milieu rural et je ne serais sûrement pas le seul à être surpris…
Effectivement, c’est quelque chose dont on parle très peu. Il faut s’intéresser au sujet pour rencontrer cette information. Pour l’instant, les vétérinaires qui nous suivent, et qui ont vu le film, ont l’air heureux qu’on ait partagé ça.
Les raisons du malaise, ce sont souvent ces horaires dingues, ces longs trajets ainsi que l’absence de sociabilité. Sans compter la difficulté pour organiser la relève. En effet, vétérinaire n’est plus le métier de notable qu’incarne la génération de Michel Jonasz dans le film – qui est celle ayant connu encore un peu les fastes de ce métier avec un rapport d’autorité naturelle que maintenant les clients remettent en question – et puis, une époque où les conditions financières étaient moins dures. C’était important pour moi qu’on ne trahisse pas cette réalité-là, même si Les Vétos se voulait joyeux, on ne pouvait pas passer à côté de tout ça.
Vous évoquiez la sociabilité, on le voit très bien dans le film. Le personnage de Nico a du mal à dégager du temps pour sa vie de couple, pour s’occuper de ses enfants, pour sa vie de famille en somme. Il consacre le plus clair de son temps aux animaux…
Absolument. D’ailleurs, les vétérinaires qui étaient consultants sur le plateau nous ont raconté que, lorsqu’ils étaient arrivés dans le Morvan, qu’ils ont voulu s’établir quelque part tous les deux – je n’ai pas les chiffres en tête, mais c’était incroyable -, ils avaient mis une annonce sur un site spécialisé et, ce sont des dizaines et des dizaines de propositions qu’ils ont reçu en une nuit… Ils m’ont confié qu’ils ont dû rappeler tous ces gens pour leur dire non, il y avait une vraie détresse au bout du fil et, des vétos qui leur disaient que s’ils ne trouvaient pas quelqu’un rapidement, leur famille s’effondrerait. Voilà la réalité en ce moment.
Le film est aussi une confrontation entre le monde rural, incarné par Clovis Cornillac et le monde urbain, incarné par Noémie, quels messages vous vouliez faire passer à travers cet « affrontement » ?
Pour moi, ce n’était pas tant une confrontation entre le monde urbain et le monde rural que pour Alex une confrontation entre la théorie et la pratique. Alex est un personnage qui s’est protégée des humains, qui a une blessure d’enfance enfouie et qu’elle doit apprendre à soigner. Quand l’histoire démarre, elle a fait tout ce qu’elle a pu pour s’éloigner le plus possible du contact des autres. C’était davantage cet état d’esprit-là qui m’intéressait et de fait, la confrontation avec la réalité du terrain, en plus de l’enfance car, Alex, est un personnage encore très enfantin, entre les théories, les rêves que l’on peut avoir et ce qu’il se passe quand on arrive sur le terrain.
Le film a été tourné dans le petit village de Mhere dans le Morvan, pourquoi avoir choisi cet endroit pour réaliser Les Vétos ?
Je cherchais un endroit un peu idyllique. Je voulais de la forêt, beaucoup de vert, de l’eau aussi. Il fallait également un endroit praticable pour notre dresseuse, qui nous a apporté pratiquement tous les animaux du film. À l’ancienne, nous avons ouvert un plan, on a regardé et on a repéré ce parc régional. Lors des repérages, nous savions qu’il y avait tout ce dont on avait besoin pour les plans extérieurs, mais c’est lorsque nous avons trouvé le village de Mhere, qu’on a décidé que ça serait ici qu’on tournerait le reste.
Comment les gens vous ont-ils accueilli là-bas ?
Ils nous ont très très bien accueillis. C’était très rigolo parce que nous avions plusieurs sites sur lesquels on se déplaçait et il y avait des gens qui nous suivaient. On s’est fait des copains. On a été accueilli royalement par tous ceux que l’on a pu croiser.
Il y a aussi une clinique à Mhere ?
Oui, il y a en plusieurs. Dont celle de nos consultants et une ou deux autres. On croise, pour la petite histoire, pas mal de médecins belges, polonais, hollandais comme dans le film, une réalité du terrain. Sinon, oui, il y a des cliniques néanmoins, pas assez pour le travail à accomplir.
Vous avez donc pu voir directement sur place, comment ils travaillaient ?
Les comédiens plus que moi. Moi, je me suis entretenue avec Maxime et Camille, les deux consultants toutefois, à la lecture du scénario, ils ont eu l’impression que ce qu’on racontait faisait partie de leur métier. Il y avait, dès lors, peu de modifications à apporter.
C’est votre premier film, vous l’avez également scénarisé et vous avez vous-même écrit les dialogues, c’est quoi le plus difficile entre les trois ?
L’écriture reste un exercice difficile et solitaire. Durant le tournage, j’ai été emportée par l’équipe et, même s’il y a eu des moments difficiles, la joie de tourner m’a beaucoup plus emporté, alors que la douleur de l’écriture reste.
Critique – Les Vétos
Premier film de Julie Manoukian, Les Vétos – au-delà d’être une banale comédie française – est avant tout un drama singulier, qui met en lumière les difficultés du métier de vétérinaire en milieu rural, profession et souffrance comprise, dont on ne parle que très peu dans les médias. Ainsi, Julie Manoukian dresse un portrait juste et sans fausse note de Nicolas (Clovis Cornillac), un vétérinaire qui, nuit et jour, se sacrifie corps et âme aux animaux de son village et ceux des alentours. À travers lui, va se dessiner les difficultés auxquelles les vétérinaires de campagne se confrontent : fatigue extrême – due à des semaines de travail surchargées -, épuisement psychologique – au point de mettre sa propre vie en danger -, et absence de sociabilité – la famille en pâtit sur les absences répétées du conjoint. À cela, s’ajoutent également les difficultés de trouver des successeurs, souvent plus attirés par la ville – où tout est à portée de main (cinéma, supermarché, divertissements en tout genre…) que la campagne.
Les Vétos est un film important, révèle une réalité brutale et ouvrira, espérons-le, quelques consciences. Mais le long-métrage de Julie Manoukian n’est pas qu’un simple hommage à une profession, c’est aussi pamphlet sur la maltraitance animale, le machisme ambiant, un hymne à l’amour des animaux et des relations humaines ainsi qu’une ode aux mondes agricoles, délaissés par la politique actuelle. Des sous-textes que la réalisatrice se sert avec intelligence pour donner du poids à son intrigue principale – sans pour autant s’éparpiller dans des sous-intrigues inutiles -, et offrir aux personnages principaux et secondaires des dilemmes moraux qui changeront leur façon de voir les choses et leur vie.
Quant aux acteurs, Clovis Cornillac est une nouvelle fois impeccable dans ce rôle de vétérinaire désabusé et, transmet avec une authentique sincérité, des émotions dramatiques, suffisamment poignantes, pour comprendre les enjeux de son personnage et sa détresse. Son duo avec Noémie Schimdt (Alexandra) fonctionne à merveille, ajoute un dynamisme comique indéniable à une œuvre pourtant dramatique, où il aurait été si aisé de tomber dans un pathos oppressant.
Merci au Méga CGR de la Rochelle et à Pamela Nicoli ainsi qu’à UGC Distribution pour avoir organisé la rencontre ainsi qu’à France Bleu La Rochelle pour nous prêter les locaux, à chaque rencontre, pour mener les interviews dans de bonnes conditions.
Crédits photos : Journal du Centre / UGC