POURQUOI C’EST CULTE ?, EP.3 : STARGATE DE ROLAND EMMERICH

En 1994, Roland Emmerich réalise une œuvre qui va marquer toute une génération et ouvrir la voie à une nouvelle ère de la science-fiction moderne : Stargate, la Porte des Étoiles. Une production ambitieuse, peut-être la plus ambitieuse de sa jeune carrière, né de deux films que lui et son ami Dean Devlin ont imaginés séparément : Necropolis : City of the Dead, écrit par l’auteur de Moon 44 durant ses études de cinéma à Munich en 1978 – dont l’intrigue était centrée sur un vaisseau spatial enterré sous la grande pyramide de Gizeh -, et le film imaginé par le scénariste Dean Devlin, qui devait être un « Lawrence d’Arabie sur une autre planète ». Ensemble, ils donnent naissance à Stargate, long-métrage qui propulsera leur carrière auprès du grand public. Un succès (surtout financier plus que critique) duquel découlera en 1999 une série culte, Stargate SG-1, ainsi que l’apparition d’une communauté de fans, toujours active aujourd’hui malgré l’arrêt de nombreux projets Stargate.

Un film sur le langage et la communication

Plus qu’un film de science-fiction classique, Stargate est avant tout un film sur l’importance du langage et de la communication. À différents niveaux, Roland Emmerich se sert du langage et de la communication pour donner une dimension littéraire à une œuvre cinématographique, où les jargons scientifiques, pourtant, devraient prédominer. Si vous tendez l’oreille, vous n’entendrez quasiment jamais de discours ou d’éléments liés aux mathématiques, à la physique ou à l’astrophysique (ce que le personnage de Samantha Carter viendra ajouter dans la série). Tandis que l’Histoire, les symboles, les mots, leurs sens et la manière de les appréhender, sont eux, omniprésents. Une façon également pour le réalisateur d’aborder et d’exploiter des thèmes qui lui sont chers : le langage universel de l’amour et de la paternité.
Toutefois, les mathématiques et plus particulièrement la géométrie ne sont pas totalement oubliés. La mise en scène de Roland Emmerich use, en effet, de plusieurs plans symétriques et certains décors possèdent des structures géométriques précises, notamment pour mettre en lumière la puissance et l’intelligence des êtres supérieurs. Finalement, la littérature vient compléter la science et inversement. Mais, nous reviendrons sur la réalisation du film, un peu plus tard, si vous le voulez bien.

. Les sous-titres

Lorsque le Colonel O’Neil et le Docteur Jackson rencontrent pour la première fois le peuple d’Abydos, vous avez sans doute noter l’absence de sous-titres. À la sortie du film, les critiques avaient peu apprécié ce parti pris. Et, effectivement, ce choix est troublant. Néanmoins, il est justifié. En effet, cette absence permet au cinéaste de plonger le spectateur directement au cœur de l’inconnu, de le déboussoler, à l’image des personnages terriens qui le sont tout autant, et qui, comme nous, ne comprennent que les gestes du peuple autochtone (offrande, invitation…).

Les sous-titres feront leurs apparitions, après que le Docteur Jackson a déchiffré la phonétique de leur langage : « […] Une fois que l’on connaît les voyelles… » (cf. scène de la grotte avec Sha’uri). Dès lors, même les interactions entre les habitants d’Abydos nous sont traduits à l’écran, comme si le spectateur devenait à son tour capable de traduire cette ancienne langue égyptienne, à l’instar de Daniel Jackson.
Cette séquence, au sein de la grotte, est aussi évocatrice de l’importance capitale de l’écriture (hiéroglyphique ou non) et de la lecture

. Écriture & lecture, symboles de la vérité

« Râ mis la lecture et l’écriture hors-la loi. Il ne voulait pas qu’on apprenne la vérité. » – Daniel Jackson.

C’est par cette phrase que l’on comprend pourquoi les habitants d’Abydos ont interdiction d’écrire et de lire. Un contrôle totalitaire imposé par Râ et nous questionne ainsi sur le rôle fondamental de l’écriture et de la lecture dans un monde où, elles sont considérées comme des armes.
Dans le livre Hypothèses (Editions de La Sorbonne), l’auteure Arlette Fage nous dit : « L’écriture de l’histoire se place du côté du pouvoir ; elle a un pouvoir. ». Une citation qui n’aura jamais été aussi vraie que dans Stargate. En effet, c’est par le décryptage de dessins picturaux et de hiéroglyphes, que Shau’ri et le peuple d’Abydos se voient offrir une alternative à leur vie, celle de la rébellion et, par conséquent, la possibilité d’une victoire contre un pouvoir dictatorial.

« Le savoir, c’est le pouvoir » écrivait Dan Abnett dans Titanicus.
Savoir lire.
Savoir écrire.
Ce sont des pouvoirs immenses.
Que ce soit dans À la Croisée des Mondes de Philip Pullman ou 1984 de George Orwell, pour ne citer que deux exemples concrets, on constate la manière dont les dictatures s’installent. Avec un processus souvent identique. Les pensées politiques/religieuses, les pensées historiques ou les pensées littéraires et scientifiques sont contrôlées par des régimes qui ont bien compris que le savoir, sous toutes ses formes, sont des armes puissantes de rébellion. Ainsi, en cloisonnant la pensée, en contrôlant ce que les gens lisent et regardent, ils s’octroient un pouvoir bien plus grand que les armes. À l’inverse, les puissants, eux, utilisent des éléments de langage (et de communication) redoutables, infantilisants, afin de persuader les populations qu’elles sont médiocres, incapables de résoudre des problèmes complexes et prouver qu’ils sont intellectuellement supérieurs et, en capacité de régner.
À sa manière, Roland Emmerich dévoile donc aussi sa vision de la dictature et la façon dont elle pourrait être renversée. En comprenant comment leurs ancêtres sur Terre se sont rebellés contre le pouvoir de Râ, Shau’ri prend conscience que les Dieux ne sont pas invincibles, qu’une puissance divine peut vaciller et chuter. Grâce à l’écriture et la retranscription de l’Histoire par leurs ancêtres et la lecture, la vérité éclate. L’ignorance laisse place à la prise de conscience. Le mensonge à l’esprit de vengeance.

Retranscrire l’Histoire pour ne pas oublier et commettre les mêmes erreurs du passé, voilà ce que nous enseigne Roland Emmerich, à travers Stargate. L’écriture et tout ce qui la compose (la richesse du vocabulaire, l’orthographe, la grammaire, la syntaxe), c’est l’assurance, la garantie d’être en mesure de rivaliser avec les puissants et mieux cerner ce qu’ils redoutent le plus, leurs points faibles et la manière de les vaincre.

Le geste et l’attitude comportementale, un langage universel ?

Durant près d’une heure, la communication entre les personnages terriens et le peuple d’Abydos passera, exclusivement, par les gestes. Les gestes vont être source de quiproquo et délivrer alors des scènes cocasses (cf. la scène entre Jackson et Shau’ri dans la tente), comiques (cf. Jackson imitant la poule) ou offrir des moments d’intimité, d’une profonde sincérité (cf. Le regard de Shau’ri sur Jackson ou la séquence entre O’Neil et Skaara). Il est d’ailleurs intéressant de noter que, lorsque Daniel Jackson imite la poule, personne ne saisit qu’il imite la volaille. Sur Terre, dans n’importe quel pays, tout le monde aurait deviné l’imitation. Sur une autre planète, les différences sont de taille. Cependant, cet élément comique, a priori banal, et qui sera désormais attribué à Daniel Jackson, permettra au Colonel O’Neil, incapable de communiquer convenablement avec les habitants d’Abydos, de retrouver ce bon vieux Docteur.

La scène où Kasuff, le chef du village, invite par un geste nos héros à le suivre est, lui, significatif de ce langage universel. On s’amusera de la réplique d’un des soldats qui demande à Daniel Jackson : « Qu’est-ce que vous en savez ? » (qu’il faut les suivre). Ce dernier répond alors, ironiquement, en reproduisant le geste de Kasuff, un mouvement des deux bras qui est le même sur Terre, celui de l’invitation.

. Le langage universel de l’amour

La tendresse d’un regard, la beauté d’un sourire, autant de gestes qui sont de l’ordre du langage comportemental. Avec Stargate, Roland Emmerich va puiser dans ce langage pour faire transmettre indirectement des messages aux spectateurs – qui ne peut comprendre le langage parlé d’Abydos, malgré des intonations de voix parfois compréhensibles (énervement, supplication…) -. Les nombreux regards lancés par Sha’uri en direction de Jackson et inversement laissent, par exemple, sous entendre qu’une idylle est en train de naître mais, également, que la relation entre ces deux personnages sera un vecteur dramatique, qui apportera, de surcroît, une certaine tension dramaturgique à l’histoire (cf. la scène de la mort et de la résurrection de Sha’uri).

Ce langage universel de l’amour, que l’on peut donc lire dans un regard, un geste ou une attitude, on le retrouve aussi entre Jack O’Neil et Skaara.

. L’instinct paternel

Entre le Colonel O’Neil et Skaara, une complicité naît immédiatement. Elle naît dès leur première rencontre, lorsque Jack O’Neil tend sa main à Skaara, à genoux devant ces nouveaux arrivants, pour lui bonjour. Un geste commun, toutefois, pour le jeune homme, ce geste d’affection dont il ne connaît pas clairement la signification, lui laisse penser que ce Dieu venu d’un autre monde est en train de lui décerner un intérêt particulier. Malgré sa peur (il fuit après qu’O’Neil lui a serré la main), il reviendra, plus tard, à la tente de Jack, intrigué par cet homme qui a osé le considérer, lui, simple mortel.

Cette relation est assez particulière. O’Neil, qui, rappelons-le, a perdu son fils dans un tragique accident, se lie avec ce jeune homme, au travers lequel il voit l’incarnation adolescente de son fils. De l’autre côté, Skaara, qui semble ne plus avoir de parent, voit chez Jack O’Neil, le parent idéal, celui qu’il n’a peut-être jamais eu. Cette relation père-fils, si on peut dire, prend un tournant lorsque dans un moment d’intimité Skaara rejoint O’Neil durant la nuit tombée. O’Neil parle dans le vide. Mais c’est surtout son attitude, sa posture, qui vont être copiées. Lorsque le père est absent, durant l’adolescence, on se cherche des héros. Et, inconsciemment, on adopte la même démarche, la même façon de s’habiller, les mêmes petits gestes, mimiques ou attitudes des héros que l’on voit à l’écran ou non.

Dans cette scène (voir image à droite), on ressent l’absence du père et du fils. C’est pourquoi, sans dire un mot, Skaara se rapproche, rentre en communication avec O’Neil et se met à adopter/reproduire les faits et gestes de ce dernier, à l’identique (cf. la cigarette, la posture assise et celles des mains). Quant à O’Neil, la tendresse de ces gestes envers Skaara, rappelle la blessure de l’enfant perdu mais, aussi, la colère liée à sa perte. La violence de son geste, lorsque Skaara tente de prendre l’arme à feu d’O’Neil en dit long (jusqu’à la fin, il refusera d’ailleurs que les enfants prennent les armes). Une scène très forte entre deux âmes brisées qui, finalement, ont besoin l’un de l’autre, pour se reconstruire. Cette relation se poursuivra durant tout le reste du film et, au fur et à mesure, un respect mutuel s’installera entre eux, jusqu’à cette séquence finale.

Sur le parvis du temple d’Abydos (voir image à droite), après la victoire contre Râ, au loin, Skaara se postera devant O’Neil, et lui lancera un salut militaire qu’O’Neil lui rendra. Par ce geste, sans un mot, Skaara et O’Neil scellent une relation intime dont chacun ressort grandit . Skaara a trouvé le héros dont il avait besoin pour grandir, O’Neil, une raison de se battre pour retrouver la paix intérieure.

Une relation importante pour Emmerich, qu’il poursuivra dans la première saison de Stargate SG-1. Et au-delà…

Stargate by Roland Emmmerich

Si Stargate a aujourd’hui un statut de film culte, c’est aussi pour la qualité de réalisation de Roland Emmerich et celle de ces décors impressionnants. Au début de mon article, j’évoquais l’aspect géométrique de la réalisation, de la mise en scène et des décors du film. Cette excellence géométrique dans certains cadres, définit à la fois la supériorité majestueuse des extra-terrestres ainsi que la complexité de l’univers, qui le fascine. On parlait de langage, celui des mathématiques semble aussi universel. La perfection de la pyramide, des obélisques, du temple d’Abydos, du vaisseau de Râ et de son intérieur, sont d’une précision remarquable et, si le film ne possède que peu de blablas scientifiques, on retrouve la science (sous forme géométrique) dans la réalisation de Roland Emmerich ainsi que dans ses décors.

Dans ce plan (voir image à gauche), on se rend compte à la fois que le terrien est un être minuscule face aux Dieux, physiquement et intellectuellement et que sa place dans l’univers est insignifiante. Roland Emmerich insiste souvent sur ces éléments-là, des éléments qui parcourent la plupart des longs-métrages de sa filmographie. Sur le fait que l’Homme n’est qu’un insecte, tombé dans un monde inconnu, bien plus grand et plus vaste, dans lequel il ne maîtrise rien. Que ce soit dans la manière de filmer le temple, la pyramide et le village d’Abydos, la puissance dévastatrice de la tempête de sable, les Goa’ulds ou l’attaque des Ha’Tak, Roland Emmerich filme souvent en contre-plongée, en gros plan (parfois, les deux en même temps) ou avec du recul, afin de donner de la force à ce milieu hostile, une sensation vertigineuse des environnements/décors et, ainsi, montrer à quel point les personnages subissent l’action.

. Stargate : Un film d’horreur ?

Je parlais, à l’instant, de la manière dont Emmerich filmait ses personnages. Une scène particulière a retenu mon attention, celle où l’on découvre pour la première fois les Goa’ulds. La scène se déroule pendant une de leurs attaques. Invisible au départ, tapi dans l’obscurité, c’est lorsque le dernier soldat vivant, allongé au sol, que nous découvrons enfin le visage des Goa’ulds. La caméra se positionne à la place du soldat, comme si nous regardions à travers ses yeux. Dans une lente contre-plongée, se dessine alors l’aspect du Goa’Ulds, terrifiant.
Cette séquence où les soldats sont attaqués au sein du temple d’Abydos, révèle aussi le caractère horrifique de Stargate et la manière dont Roland Emmerich jongle habilement avec les genres. Original dans la science-fiction, émouvant dans le drame, haletant dans l’horreur, Roland Emmerich parvient à inonder son film d’une multitude de genres, tout en subtilité et, avec un certain talent, à la fois dans la mise en scène et l’écriture.

Et si on prend le mot horreur à sa définition d’origine, Stargate est également un film sur l’horreur de l’esclavage, l’horreur de la tyrannie, l’horreur de l’endoctrinement (cf. la scène où les enfants protègent Râ) et l’horreur de la guerre.

Conclusion

Stargate, monument de la science-fiction moderne pré-2000. Encore aujourd’hui, y’a-t-il un blockbuster de science-fiction capable de rivaliser avec l’intelligence et l’originalité d’un tel projet ? Depuis, 1994, les films de SF s’enchaînent et, mis à part quelques rares pépites telles que Gravity et Premier Contact (qui ne sont, à mon sens pas réellement des blockbusters), le genre reste cloîtré dans une succession de séquences artificielles, aux explosions bruyantes et aux personnages creux et sans âme (coucou Alien : Convenant, coucou Prometheus).
Stargate est notamment intéressant pour son point de vue sur la science-fiction donc, mais également pour la place qu’il offre à des thèmes philosophiques, au détriment de l’action. En effet, le film de Roldand Emmerich n’est jamais bruyant, il est silencieux, laisse exister/évoluer ses personnages, sans chercher à soumettre une action brutale aux spectateurs.
Stargate, c’est une découverte, de l’aventure avec un grand A, rythmée par la musique entraînante de David Arnold, une prise de conscience et un amour indéfectible pour les légendes et mythes égyptiens. Tout cela, fait de Stargate : la Porte des Étoiles, une œuvre culte, une œuvre majeure de la science-fiction…

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