POURQUOI C’EST CULTE ?, EP.4 : SPEED DE JAN DE BONT

Die Hard : Piège de Cristal a eu une incontestable influence sur le cinéma d’action des années 90, en opposition à celui des années 80 et ses héros à la carrure presque surhumaine. Le film de John McTiernan va, en effet, révolutionner la manière de mettre en scène l’action avec des héros sensiblement plus humains, faillibles, qui vont se servir davantage de leur imagination et de leur intellect plutôt que de leurs muscles pour vaincre leurs ennemis. Speed, s’il emprunte des influences à Die Hard, a cependant su se démarquer de ses racines, prendre le contre-pied d’une tendance et ainsi proposer sa propre version du genre. Par quels moyens? C’est ce que nous allons voir ensemble.

Speed, c’est l’histoire de Jack Traven, un jeune policier aux prises avec un maître chanteur, artificier à la retraite, qui menace de faire sauter un autobus dans lequel il a placé une bombe. Les règles sont simples : si quelqu’un descend du bus ou si la vitesse de celui-ci passe sous la barre des 50 miles à l’heure, le véhicule explose.

Un concept nouveau

Speed, c’est un concept unique mais assez casse-gueule, celui du film d’action en huit-clos.
La difficulté majeure d’un huis-clos – qui plus est dans un bus – est d’alimenter suffisamment son récit afin d’éviter au spectateur de passer deux heures à roupiller sur son siège. Le public est exigeant, notamment sur ce genre de productions, le moindre petit bâillement et c’est la mort critique de votre film. D’autant que Jan de Bont va prendre une décision radicale : évincer pratiquement toutes formes d’actions de son long-métrage. Les bagarres, fusillades et les traditionnelles courses-poursuites en voiture : tout cela va disparaître, huis-clos oblige. Alors, comment créer assez d’attrait pour faire fonctionner un film d’action, sans action ? Jan de Bont va se reposer sur deux choses : le suspense et la musique de Mark Mancina.

Pour créer une tension palpable et permanente, Jan de Bont va user d’artifices ingénieux : une succession de rebondissements aussi maligne qu’insoutenable, qui fait rapidement oublier que le long-métrage ne possède pratiquement aucune scène d’action. Une ambiance étouffante donc, à la fois intérieure, mais aussi extérieure.

Premièrement, au sein du bus. Le réalisateur va créer une dynamique de groupe et provoquer une multitude de rebondissements internes (le chauffeur de bus blessé, la femme en pleine crise de panique qui tente de s’échapper du bus, le stress des personnages qui va infecter les autres personnages, etc…) qui vont renforcer ce sentiment d’insécurité chez le spectateur. Deuxièmement, extérieure. Jan de Bont va semer d’embûches le chemin de son car et le malmener (embouteillages, autoroute en travaux, pneus crevés, essence…), ajoutant une couche supplémentaire à cette tension anxiogène, tandis que l’enquête en parallèle pour retrouver le machiavélique Payne sera une conséquence de plus à une pression déjà bien omniprésente. De plus, le récit infernal de Speed ne semble jamais prendre fin. Plusieurs fois, le spectateur croit que la conclusion du film est imminente. Que nenni ! Jan de Bont met nos nerfs à rude épreuve puisque le piège se referme, à chaque fois, sur les personnages et sur nous-mêmes.

Speed est un film inconfortable, au rythmé effréné, où la caméra, au plus proche des personnages, contribue à enfermer le public dans ce bus à la destination inconnue. Une technique sur laquelle nous reviendrons un peu plus tard. Et la musique. Véritable atout du film, la musique de Mark Mancina va venir offrir un côté immersif à Speed. Au travers de notes parfois saccadées et d’une symphonie appuyée, elle va accroître la tension du film, lui donner une force brute qui se distillera comme un venin pour soumettre émotionnellement et psychologiquement le spectateur ou, au contraire, un élan héroïque pour surmonter les obstacles, comme devront le faire les passagers du bus.

Cependant, il n’y pas que pour ses deux raisons-là que Speed est devenu culte. Quatre autres éléments, non-négligeables, ont contribué à son succès depuis plus de 15 ans.

1. Son héros

Jack Traven, incarné par Keanu Reeves, est un jeune policier novice, fougueux, courageux et pourtant, faillible, en proie aux doutes. Il était assez rare jusqu’à maintenant de voir un héros lâcher prise, pleurer et baisser les bras au point d’avouer ouvertement à tous les passagers : « on va tous mourir ». Une prise de position forte, assumée, qui permet également de faire douter le spectateur sur le dénouement final du film.
Déconstruire le mythe du héros tout puissant, pour laisser apparaître et exister l’homme, derrière le masque, de le mettre sur le même pied d’égalité que les personnes qu’il doit sauver. Une idée brillante pour se sentir émotionnellement plus investi dans l’avenir des héros et, l’interprétation sincère de Keanu Reeves, accentue cette empathie pour lui et les passagers du bus.

2. Le duo Reeves/Bullock

Un duo qui fonctionne à merveille et qui soulève aussi un point essentiel : la place de la femme dans les films d’actions. Là aussi, Jan de Bont va casser les codes du genre en donnant au personnage d’Annie un véritable rôle à jouer dans cette histoire, lui épargnant donc celui de la demoiselle en détresse. Si Annie manque parfois d’assurance, c’est elle qui tient la destinée d’une dizaine de passagers entre ses mains (au sens propre comme au figuré) puisqu’elle conduit le bus, du début à la fin du film, avec un certain aplomb. Elle aura également un rôle de soutien. C’est elle qui donne la force à Jack de poursuivre le combat, après l’annonce du décès de son ami Harry. Plus qu’une simple femme, plus qu’un simple élément comique, Annie est une véritable guerrière, une véritable altruiste, une véritable épaule. À contrario, Jack soutient à son tour Annie dans les moments de doutes ou de difficultés. Un duo qui se complète, où chacun ne prend jamais l’ascendant sur l’autre pour prouver une quelconque supériorité de l’homme sur la femme et inversement.

3. Son méchant

Howard Payne est un nouveau genre de méchant. Ce n’est ni un sérial Killer, ni même un terroriste, simplement un homme lambda abandonné par sa famille (la police) et son Gouvernement. Pour lui, ses services rendus n’ont jamais été reconnus, que ce soit médiatiquement ou financièrement. Cette absence de reconnaissance, il va la transformer en haine, au point de devenir ce qu’il combattait autrefois. Avec Rambo, on parlait des oubliés du Vietnam, avec Speed, des oubliés de la Police, ceux qui servent également leurs pays au quotidien. La politique menée, l’absence d’écoute, l’ignorance du terrain, autant d’éléments qui déforment l’esprit d’un homme, le broient, jusqu’à en faire le monstre de l’Histoire. C’est ce qu’une partie du film met en évidence, la violence d’un système qui impose la solitude, la folie. Si l’on est déjà psychologiquement fragile, on bascule aisément dans une spirale infernale, où les seules motivations restent les regrets et les ambitions vénales.

4. L’humour

Chez Speed, l’humour a deux visages. Subtil, ou ironique. Pour vous en rendre compte, deux répliques.

– Annie : On m’a retiré mon permis de conduire.
– Jack : Pour quel motif ?
– Annie : Excès de vitesse (alors qu’elle conduit un bus qui ne doit pas dépassé les 50 miles à l’heure).

– Payne : Je sais me servir de ma tête moi.
Il mourra avec la tête décapitée.

On reproche souvent aux films actuels un humour trop prononcé, dédramatisant. Jan de Bont lui, fait le choix du sérieux, pour ancrer son récit dans la réalité, une réalité brutale et violente, dans laquelle il n’y pas de place pour la comédie. Une façon pour lui de nous plonger dans la glacialité de son intrigue. Cela ne l’empêche pas, comme dévoilé ci-dessus, de se permettre quelques petites piques humoristiques. Néanmoins, elles ne viennent jamais compromettre la dramaturgie du scénario, afin de détendre le spectateur. Un choix louable car, si Jan de Bont avait usé de répliques comiques à tout va, tout le tissu dramatique installé depuis le début aurait perdu de son efficacité. La tension serait redescendue et le cinéaste aurait détruit le principal atout de son film.

Le bus #2525 : Melting-pot ethnique, reflet de l’Amérique

Un blanc et un noir sont dans un bus… Le début d’une mauvaise blague ?

Dans une ancienne interview, le réalisateur a confié qu’il souhaitait que « le public soit le passager du bus ». Pour cela, le cinéaste a donc employé deux méthodes bien précises. Outre la manière de filmer, au plus proche des protagonistes afin de capter les émotions de chacun et ainsi, ressentir ce au même moment ce que ressentent les passagers, il va également prendre une galerie de personnages aux origines raciales et sociétales diverses, reflétant toutes les catégories de population, notamment américaines. On retrouve ainsi l’ouvrier de la classe moyenne américaine, les personnages asiatiques, issus de l’immigration, les personnages noirs (le chauffeur de bus et les grands-parents) pour ne pas exclure une population souvent délaissée et opprimée aux Etats-Unis et le touriste étranger, certainement pour ne pas exclure le public « international ».
Le bus #2525, c’est l’Amérique, dans sa plus belle des diversités. Chacun est important mais surtout, aucun d’entre eux ne subit les événements. Les passagers se soutiennent, s’entraident, mettent la main à la patte si nécessaire, notamment pour aider Jack Traven lorsqu’il s’agit de piéger Payne ou de l’extirper du dessous du bus.

Les médias : Le revers de la médaille

« La télévision interactive, la voix du futur ». Payne ne croyait pas si bien dire lorsqu’il prononçait cette phrase pour la première fois en 1994. On se souvient de l’énorme gaffe de BFM TV lors de la prise d’otage de de Hyper Cacher, où un journaliste déclarait en direct qu’un otage était caché dans la chambre froide du magasin, alors que les terroristes étaient encore sur place et que les journalistes filmaient le déroulé des opérations.

15 ans plus tôt, notre méchant utilisait la même méthode pour surveiller le bus qu’il a piégé depuis le ciel, tandis que des hélicoptères diffusaient en direct l’avancée du bus au milieu de la ville de Los Angeles. Un direct qui lui permettra, d’ailleurs, de voir qu’une des passagères tente de quitter le bus, lors du rapatriement du chauffeur blessé. Une décision qui lui coûtera vie. Les médias, indirectement responsable d’un décès, continuent pourtant de poursuivre le bus à la recherche de la moindre petite information, le moindre petit scoop, sans se préoccuper des conséquences derrière cette quête futile et dangereuse.

Si Payne pense être malin, Jack Traven l’est encore plus puisque notre héros va se servir des médias pour le piéger. Avec le matériel des journalistes, il aura l’idée ingénieuse de diffuser une boucle de l’intérieur du bus (que Payne surveillait également) pendant que les policiers d’élite débarqueront les passagers, sans que Payne ne s’aperçoivent donc, de quoi que ce soit. Un joli pied de nez et une façon de démontrer comment le journaliste peut être utile à la police.

Pourquoi Speed 2 était-il voué à l’échec?

Succès retentissant avec pas moins de 350 millions de dollars récoltés à travers le monde, pour un budget de 30 millions de dollars, la Fox n’a pas tardé à lancer une suite : Speed 2. Mais le film était voué à l’échec, avant même son annonce. Pour deux raisons principales : l’absence de Graham Yost au scénario et de Keanu Reeves dans le rôle de Jack Traven.

C’est le scénariste Graham Yost qui avait eu l’idée de la bombe dans le bus, après avoir vu Runaway Train, de Andrei Konchalovski, où les héros ne pouvaient pas arrêter le train dans lequel il étaient pris au piège. Dans une interview , il confiera d’ailleurs d’avoir été « furieux » de ne pas avoir été sollicité pour Speed 2 et dans le même temps, soulagé puisque le second volet « n’apportait rien de passionnant au concept de base ». L’erreur majeur réside ici, dans l’incapacité d’Hollywood à se contenter d’un succès. Leur philosophie : « plus c’est gros, mieux c’est ». Pas toujours. Speed 2 en est la preuve. Le concept simple d’un bus piégé était suffisamment efficace, se suffisait à lui-même, l’idée du paquebot était tout simplement ridicule.

L’absence de Keanu Reeves, qui déclina l’offre, sera aussi fatale à Speed 2. Ce désagrément a, en effet, contraint l’équipe du film à intégrer au casting un nouvel acteur : Jason Patric. Toutefois, la dynamique entre lui et Sandra Bullock n’aura jamais la même profondeur, la même intensité, la même sensualité qu’avec Keanu Reeves, dont le charisme était aussi un des atouts majeurs de Speed.

On ne sait pourquoi Jan de Bont a poursuivi l’aventure, mais cela est assez navrant de constater que des acteurs aussi talentueux que Willem Dafoe soient réduit à l’état de caricature, lui qui généralement brille par la finesse de ses interprétations. Un faux pas déjà oublié, comme celui de Sandra Bullock, désormais deux stars mondiales récompensées et acclamés par les critiques et le grand public. Speed 2 est un lointain souvenir, Speed un souvenir agréable. On vous invite donc à revoir ce petit chef d’œuvre d’action, dans les plus bref délais.

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