L’AVENTURE DES MARGUERITE : DANS LES COULISSES DU FILM AVEC LE RÉALISATEUR PIERRE CORÉ

Actuellement au cinéma avec L’Aventure des Marguerite, le réalisateur du film, Pierre Coré, me fait l’honneur d’une interview.
Naissance du projet, adaptation, tournage, coulisse, trucages, anecdotes, thèmes abordés par le long-métrage, on évoque TOUT !

Qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir adapter le Temps des Marguerite de Vincent Cuvellier ?

Plusieurs choses. C’est ma sœur qui m’a fait découvrir ce livre et, j’ai tout de suite été charmé par la proposition, son histoire, mais aussi par la manière dont elle était mise en page. C’était à la fois intelligent et ludique. La BD a une frise tout en haut de 1910 et, une autre en bas, qui fait tout 2020. On a un sens de lecture, où l’on peut choisir de lire en premier tout le bandeau du haut ou tout le bandeau du bas ou, au contraire, d’alterner le regard. Il y avait déjà là une idée de montage, de découpage, proposée. Cinématographiquement, cette façon de procéder m’a instinctivement parlé.
Ensuite, même si ce sujet de comédie a été vu et revu, le voyage dans le temps permet de placer un candide, un poisson hors de l’eau, poser un regard sur une époque. Je trouvais ça vraiment intéressant. Ce que j’aime, c’est pouvoir parler à la jeunesse tout en incluant les parents et, avec Le Temps des Marguerite, on a un récit intergénérationnel déjà posé puisque c’est le regard des enfants sur la société, c’est celle des parents, des grands-parents. Il y a des thèmes très puissants, qui me parle beaucoup. Sur cette base-là, je me suis dit qu’on pouvait faire une comédie d’aventure, rajouter des antagonistes – j’ai déplacé le récit dans une période de guerre pour ajouter du danger – et, j’avais envie aussi de travailler plus spécifiquement sur le prisme des relations père/fille. En travaillant sur cet aspect, j’ai pu faire de cette relation père/fille une sorte de thérapie familiale sur deux époques : la petite fille de 2020, avec son côté énervé des ados d’aujourd’hui, son culot, son caractère sans scrupule, ou tout lui est dû, va pouvoir bouleverser des montagnes en 1942 et, inversement, la jeune fille de 1942 qui est plus discrète, plus polie, plus posée, plus lente, plus naïve, va permettre d’adoucir les mœurs en 2020. Ainsi, je résolvais deux conflits à 70 ans d’écart.

La BD se déroule en 1910, vous le disiez. Vous aviez d’autres raisons pour placer votre récit en 1942 ?

Il me fallait une période de guerre. Donc, soit c’était la guerre de 14-18, soit celle de 39-45. L’avantage de la Seconde Guerre Mondiale était émotionnel. Avec seulement 70 ans d’écart, je pouvais faire en sorte que Margot recroise des gens qui sont potentiellement vivants sur les deux périodes. J’avais envie qu’il y ait cette émotion.

Et puis, ça tombe à pic puisqu’on vient de fêter les 80 ans de l’Appel du 18 juin…

Oui, c’est vrai. Même si le film ne parle pas beaucoup d’Histoire, il traite néanmoins de la Mémoire, met en scène des gens qui ont vécu cette guerre et, qui sont encore en vie en 2020. Ça m’intéressait, effectivement.

Pourquoi avoir rebaptisé le film, L’Aventure des Marguerite ?

C’est un déplacement de date qui a provoqué ce changement de titre. On était sur « Le Temps des Marguerite » pendant très longtemps, j’étais très à l’aise avec ce titre que je trouvais beau. Dans le mot « Temps », il y avait l’idée du voyage dans le temps et ce côté nostalgique qui marchait parfaitement avec ce titre-là, mais peut-être trop poétique. En déplaçant la date – le film devait sortir mi-août et, nous avions donc un mois de moins pour faire connaître le film -, le distributeur a souhaité un titre plus simple, plus immédiat, que les gens comprennent tout de suite l’aventure. Quelques jours avant sa sortie en salles, nous avons alors choisis : L’Aventure des Marguerite.

C’était assez précipité comme décision…

Oui. Mais il valait mieux sortir le film maintenant que d’attendre. L’absence de concurrence, entre guillemets – les gros films américains étant partis -, nous a poussé à avancer L’Aventure des Marguerite d’un mois. Et, nous sentions une envie des exploitants ainsi que du public de voir des longs-métrages frais. Les enfants également, étaient privés des Minions d’Universal, nous nous sommes donc positionnés pour être présents.

Et puis, le mot « Aventure », pour revenir au titre, est extrêmement bien choisi puisque le film EST une aventure, une aventure humaine, notamment…

Oui, c’est une comédie d’aventure. Il y a deux road-movie dans le film : celui de 1942, où l’on va franchir la zone libre, en zone occupée, en zone interdite, braver les barrages de la SS et, celui en 2020, avec une Marguerite qui cherche partout, qui est poursuivie par le beau-père de Margot, prend des coups, vole une voiture, se perd dans des forêts donc, ce côté aventure à fond qui fait partie du film. Et ça, c’est pour le côté physique. Mais évidemment, c’est une aventure humaine, chacune traverse l’histoire de l’autre et font faire grandir tous les gens qui sont autour d’elles. Margaux permet à Tante Alice de s’émanciper, de devenir une vraie femme, de se libérer du carcan dans lequel elle est et, Marguerite, elle, fait grandir Laurent. Il devient un adulte qui prend soin des choses, qui est capable d’endosser, de prendre des responsabilités, de pardonner, ainsi que Nathan, en tant que jeune homme en lui octroyant le baiser qu’il attend depuis longtemps.

D’ailleurs, dans le film, Margot dit au père de Marguerite qu’être père ce n’est pas qu’une question de sang, c’est aussi une question de responsabilités, de courage et d’amour… C’est une vraie belle morale.

Tout à fait. Ce sont des valeurs du film que je défends. C’est ce qu’apprend Marguerite à Laurent finalement, il doit être dans l’écoute, dans le pardon, être là, aimant, même lorsque ça déconne. C’est le message du film.

Y-a-t-il d’autres différences entre la BD et le film, pour ceux qui comme moi n’aurait pas lu l’œuvre de Vincent Cuvellier ? Et, comment fait-on ces choix scénaristiques ?

La bande-dessinée s’intéresse à des éléments plus sociétaux comme le rapport à la foi, à la prière, à l’Église, à des choses très présentes en 1910 et beaucoup moins en 2010. Elle s’intéresse aussi à la mixité sociale. La petite Marguerite, quand elle déboule en 2010, elle est surprise de voir autant de diversités, elle est encore dans des pensées très colonialistes. Tandis que Margot est totalement débarrassée de ça. Elle s’offusque lorsqu’elle voit des Africains en cage, par exemple. Elle y voit des villages reconstitués avec des gens qui miment des Africains, etc… Elle est abasourdie. Il y a ce rapport à la société dont moi je ne me suis pas tellement occupé. Je voulais jouer sur d’autres choses. Dans la BD, il n’y a pas non plus cette quête du père. Comment on fait ces choix-là ? Eh bien, c’est lorsqu’on se dit qu’il faut tordre tout ça, qu’on doit ajouter du conflit, de la tension, que mes personnages évoluent, ce qui n’est pas le cas de la BD où les protagonistes restent à la même hauteur. Dès lors, ça implique des choix, des nouvelles scènes…

Et l’idée du père, elle est arrivée rapidement dans l’écriture ?

Dès le début. J’avais envie d’exploiter une relation père/fille et comment elle allait évoluer en 100 ans, en 70 ans, comment on passe d’une relation très autoritaire à un rapport inversé où les enfants ont une place très importante dans notre société, où ils la prennent même parfois de façon tyrannique. Le rapport de force va changer, je voulais le montrer et que ce soit une conversation possible qui s’ouvre avec les parents.

Margot cite La Grande Vadrouille, est-ce que cette comédie culte a été une de vos influences, notamment pour créer ce personnage de méchant Nazi, un peu caricaturé, un peu grossier ?

Pas vraiment. Je n’ai pas revu La Grande Vadrouille depuis un moment, je l’ai beaucoup vu plus jeune. Cela m’a sûrement influencé, mais je ne me suis jamais dit qu’on allait imiter. Je ne pouvais pas faire un SS trop violent, trop sadique, nous sommes dans un film familial, il fallait alors synthétiser l’image du méchant et ne pas aller dans des choses trop précises, trop flippantes. Je me suis certainement retrouvé à la hauteur de Gérard Oury dans cette façon de dépeindre les Nazis. Et puis, j’aimais bien l’idée – même si c’est pour la vanne – que La Grande Vadrouille soit la référence lorsqu’une jeune fille d’aujourd’hui évoque la Seconde Guerre Mondiale. Quand on lui demande un cours d’histoire, elle sort trois généralités et un film à succès, c’est amusant pour son interlocuteur qui, lui, ne comprend absolument rien.

Dans L’Aventure des Marguerite, vous évoquez de nombreux thèmes tels que l’indépendance et la liberté pour les femmes. C’est une cause que vous souhaitiez défendre à travers votre film ?

Oui. Je trouvais joli qu’une ado de 2020, avec tout ce qu’elle a d’acquis aujourd’hui et, forte de tous les combats menés depuis les années 50/60 (il en reste encore beaucoup), puisse permettre à une jeune femme de 1942 de gagner du temps, de la brusquer, de la mettre face à ses contradictions, à son carcan, à ses obligations. Ainsi, en la brusquant, lui permettre de s’émanciper. Je pensais intéressant le fait qu’il y ait comme un accélérateur temps avec Margot. C’est également ce qu’il se passe avec Hemingway, lorsque Margot lui dénoue Le vieil homme et la Mer. Elle fait de même avec Tante Alice. Elle lui signifie que les femmes n’ont pas besoin d’être dans l’ombre d’un homme, d’attendre le Prince Charmant, que ça n’existe pas, ou d’attendre la validation d’un père pour accomplir des choses. Bouge ! lui dit-elle. Margot agit comme une pile électrique, forte de toutes ces années de lutte, et qui devient un catalyseur.

Dire que le film est ancré sur ce thème-là, non, mais c’est quelque chose qui peut parler aux enfants et aux plus grands, lesquels verront que la place des femmes a bien évolué en 70 ans, malgré qu’il y ait encore du travail.

Comment a été planifié le tournage ? Vous avez d’abord tourné les scènes en 1942, puis les séquences de 2020 ? Inversement ? Ou les deux en même temps ?

On était sur un tout en même temps. Notre plan de travail – comme le budget – ne permettait pas de tourner en premier 1942 et, ensuite, les scènes de 2020. Cela aurait été plus simple, notamment pour le jeu de Lila de pouvoir se poser dans un personnage, de le tenir sur quatre semaines et recommencer sur quatre autres semaines avec le second personnage. Nous n’arrêtions pas de changer de décor. Nous avons fait davantage en fonction d’une logistique. Un jour nous pouvions tourner les scènes de 1942 et le lendemain celles de 2020 ou le matin, une séquence de 2020 et l’après-midi, une scène de 1942.

J’aime bien connaître la fabrication de certaines scènes. La séquence en avion, comment a-t-elle été tournée ? Et, avez-vous avez loué un vrai avion de guerre ?

C’est un véritable avion de guerre de 39-45. Il servait à l’espionnage. C’est un avion qui vole lentement et peut passer au-dessus des lignes, photographier le nombre de chars présents, photographier la place d’un canon, etc. Un avion espion allemand donc, c’est aussi pour cette raison qu’il est très vitré, mais qui avait la capacité, également, de transporter des officiers.
Il décolle en soixante mètres, il n’a pas besoin d’une grande piste d’atterrissage, ni de décollage, il s’envole comme un cerf-volant. On l’a choisit pour toutes ses raisons : on est dans un camp de travail, il y a des officiers qui peuvent rendre visite, prenons cet avion qui n’est pas un avion de combat mais un avion pouvant transporter des officiers, si besoin.

Ensuite, on le fait décoller au plus près de l’acteur qui incarne l’officier allemand, afin de donner ce côté spectaculaire à la scène.
Pour les séquences avec les comédiens, nous sommes toujours sur la piste d’aviation mais, nous avons disposé des fonds verts tout autour. Toutefois, ils ne décollent pas. Ils sont secoués par des machines pour simuler le vol et l’accident qui survient. Puis, nous incrustons par la suite des mouvements de décollage et d’atterrissage, de décors qui bougent, que nous avons tourné à part.

Il y a une séquence qui m’a interpellé, c’est celle où Marguerite sort précipitamment de la voiture de Nathan pour « admirer » nos éoliennes. Moi j’étais là et je me disais : « Mon Dieu que c’est laid, elles dénaturent tellement nos paysages, malgré leur nécessité ». C’était l’effet voulu ?

(rire). Je sais qu’il y a beaucoup de gens qui détestent les éoliennes, moi je trouve qu’il y a un côté futuriste, un côté science-fiction à ses grands moulins à vent. J’ai encore du mal à me persuader que c’est de notre époque.
Quand une fille de 1942 voit ça, elle doit essayer de comprendre ce que c’est. Ce qui est amusant, c’est que Marguerite contamine Nathan, elle l’oblige à se poser, à regarder lui-même, à s’interroger sur ces objets. Marguerite offre à Nathan, la possibilité d’avoir un regard sur le monde.

J’ai envie de terminer cette entretien en parlant de Lila Gueneau, incroyable dans le film. Elle passe avec aisance d’un style à l’autre et jongle parfaitement entre langage soutenu et langage familier. C’était déboussolant de passer d’un personnage à l’autre, sachant que vous tourniez parfois deux époques différentes sur une seule journée ?

Ce fut un vrai travail avec elle. On a deux personnages qui sont portés par les mêmes forces, ce sont deux jeunes femmes libres, obstinées, avec du caractère, elles ont des points communs. Je lui disais de ne pas oublier que Marguerite est aussi déterminée, c’est elle qui a initié le vœu, c’est elle qui s’est mise dans la malle, c’est elle qui a lancé l’aventure, c’est elle qui veut retrouver son père, quelque part, Marguerite ne subit pas, elle est le moteur de toute l’histoire, le démarreur. Je lui indiquait donc de donner de la force à Marguerite et qu’en 1942, il existait des jeunes filles animées de passion, de désir, de volonté. Cela l’a aidé pour inventer Marguerite.

Lila avait une coach Amour Rawyler, qui travaille beaucoup avec les enfants et sait leur permettre de réfléchir, de se poser, de se glisser dans les émotions. Pour Marguerite, on travaillait davantage sur la posture. Marguerite se tient plus droite, a les épaules plus dégagées, plus de lenteur dans le langage, elle parle moins vite, elle pose les négations, elle articule, elle dit toutes les syllabes, tout ce que Margot ne fait plus. Margot est dans un rythme beaucoup plus dense, elle se tient mal. Tous ces détails lui ont permis de travailler sur les personnages. Ensuite, les costumes, la coiffure, permettent d’habiter un personnage. […] Je suis vraiment content de sa prestation. C’est une actrice pleine de devenir. Lila ne calcule rien, elle est tout de suite très intense dans le jeu. Même durant les répétitions, elle ne savait pas s’économiser, elle était déjà à fond. Il y a aussi énormément de sincérité dans son jeu. Les comédiens confirmés comme Clovis ou Alice devaient se mettre à son niveau (rire).

Dernière question, les scènes où Marguerite et Margot se font face dans la malle, sont-elles tournées séparément puis remontées en post-prod ou, y-a-t-il une doublure ?

Il y a effectivement une doublure qui joue à tour de rôle, soit Margot, soit Marguerite, pour permettre la direction de regard. En plus, nous sommes sur des scènes assez compliquées, où il y a assez peu de dialogues donc, c’est bien d’avoir un acteur en face pour aider sur les émotions : surprise, stupeur ou le plaisir de se retrouver. […] À la base, dans le scénario de départ, que nous avions écrit, nous devions retrouver les filles dans un grand toboggan, un parti pris visuel un peu à la Chapeau Melon et Bottes de Cuir. Il y avait toute une pièce avec des aiguillages et un tourniquet qui permettait de rebasculer les filles dans chaque époque. Pour des raisons budgétaires, nous n’avons pas pu tourner ces scènes-là. Finalement, c’est juste un fond noir. On ouvre la malle et on la referme.

Merci à Pierre Coré pour cet entretien passionnant et sa gentillesse.
Ma critique de L’Aventure des Marguerite est à retrouver ICI.

Crédit photo : Le Républicain Lorrain

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