ANNA : ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR BRITANNIQUE, DEKEL BERENSON

Le cinéaste Dekel Berenson fait de nouveau sensation avec son troisième court-métrage : Anna. La production, qui devait être présentée au 72ème Festival de Cannes, se retrouve aujourd’hui en lice pour les Oscars 2021.
Rencontre avec Dekel Berenson, metteur en scène brillant…

L’Histoire
Anna, une mère célibataire d’âge moyen, vit dans une petite ville industrielle de l’est de l’Ukraine déchirée par la guerre. Elle travaille dans une usine de transformation de la viande, vit dans un appartement en déclin et rêve d’une vie meilleure pour elle-même et sa fille de 16 ans, Alina. Elle entend une publicité à la radio à propos d’une fête organisée pour les hommes étrangers qui sillonnent le pays à la recherche de l’amour. Désespérée de changer, elle va à la fête bien qu’elle ne soit pas sortie depuis des années. Lors de la soirée, Anna est confrontée aux réalités de la vieillesse, aux vraies intentions des hommes américains et enfin à sa fille qui assiste elle-même à l’événement.

Le film met en scène le personnage d’Anna, mère célibataire qui rêve d’une vie meilleure. Elle décide de participer à une soirée où des hommes étrangers sillonnent le pays à la recherche de l’amour. D’où est né le désir de raconter cette histoire de dating ?

Il y a neuf ans, j’ai voyagé en Ukraine pendant plus d’un mois en passant quelques jours dans chaque région. J’ai appris à connaître le pays, son peuple et son histoire. En Ukraine, ces fêtes sont assez connues car elles sont organisées depuis les années 1990. Quatre ans plus tard, quand j’ai commencé à faire des courts métrages, j’ai écrit des dizaines d’idées et j’ai ensuite développé plusieurs d’entre eux en scénarios. J’ai alors réalisé que mes meilleures idées avaient des thèmes en commun. J’ai donc décidé de faire cinq courts métrages sur cinq femmes de milieux et d’âges différents, chacune venant d’une partie différente du monde. Le plan était d’en faire un, d’être projeté dans les festivals, puis d’en faire un autre et un autre… jusqu’à ce que finalement j’en aie cinq qui puissent être visionnés comme un long métrage. Le premier segment s’appelle Ashmina et raconte l’histoire d’une fille de 12 ans qui emballe les parapentes de pilotes étrangers au Népal. Il est basé sur mes expériences de voyage dans le pays (je suis pilote de parapente…). Dès que j’ai terminé Ashmina, je me suis envolé pour l’Ukraine et j’ai commencé à travailler sur Anna. Je suis maintenant occupé à transformer la 3ème partie du projet (qui devait être aussi un court métrage) en un long métrage. J’ai eu beaucoup de chance qu’ils soient projetés et remarqués… mais c’était aussi une tonne de travail fou, vivre avec un sac à dos pendant des années, et une lutte constante.

Ce phénomène que vous évoquez dans Anna, d’hommes qui partent chercher une femme à l’étranger est assez courant. Dans votre court-métrage, ce sont des américains. Comment expliquez-vous que ces hommes soient obligés de partir dans d’autres pays (souvent de l’Est) pour espérer trouver l’amour ?

Je ne pense pas qu’ils soient « forcés » de faire quoi que ce soit. Ils peuvent rencontrer quelqu’un sur place… mais dans leurs esprits, ils obtiendront un bien meilleur « parti » s’ils prennent l’avion pour l’Ukraine et rencontrent quelqu’un qui veut désespérément quitter le pays et s’installer aux États-Unis. Parce que dans leurs esprits, ces femmes seraient « désespérées », elles pensent qu’elles obtiendront un meilleur « parti » (tout comme Donald Trump….) ou quelqu’un de plus attirant et peut-être plus obéissant que si elles sortaient avec quelqu’un de leur pays. En s’envolant pour l’Ukraine, ils acquièrent un « avantage social » qu’ils n’auraient pas au niveau local.

Certains essaient d’en profiter. C’est ce que dénonce aussi votre court-métrage. Cela va également dans les deux sens, les femmes aussi tentent d’en tirer profit ?

Les femmes n’essaient pas de profiter de qui que ce soit mais plutôt d’utiliser la situation. Elles voient une opportunité d’améliorer leur vie et espèrent rencontrer quelqu’un qui serait à la fois une personne gentille et décente ET qui leur offrirait une chance pour un avenir.

Le personnage d’Anna, lors de cet événement, fait aussi face au temps qui passe, aux vieillissements de son propre corps. C’était aussi une volonté d’aborder ces thèmes-là dans votre court-métrage ?

Oui, bien sûr. C’est un thème supplémentaire dans le film. Anna est très différente des autres femmes que nous voyons dans la fête. Elle est plus âgée et moins attirante en termes traditionnels. Mais, bien sûr, les personnes plus âgées et moins attirantes ont des rêves, des souhaits et des besoins comme tout le monde. Je voulais mettre en lumière ce problème. Je voulais aussi montrer à Anna, malgré son âge avancé et son aspect moins attirant, qu’elle est aussi belle que les autres, et je pense que nous y sommes parvenus. Par exemple, dans la scène où elle danse seule, et où elle se prépare à sortir pour la fête, assise en sous-vêtements, cela lui inspire une belle peinture. Il y a quelque chose de beau chez Anna, je pense que personne ne peut le nier. Anna rayonne de bon cœur et de positivité, j’espère que j’ai pu faire passer ce message.

Toute à l’heure, j’évoquais les pays de l’Est. Il n’y a pas que l’Ukraine qui organise ces « petits arrangements ». Pourquoi avoir choisi l’Ukraine pour dérouler l’action d’Anna ?

Ces fêtes ont lieu dans de nombreux pays, mais je pense qu’elles sont surtout connues dans le monde entier comme ayant lieu en Ukraine. Comme je l’ai dit plus haut, j’y ai aussi voyagé et j’ai des racines ukrainiennes, c’était un choix classique et je pense que ça a marché.

L’actrice Svetlana Barandich est très touchante. Qu’est-ce qui vous a séduit chez elle, au point de lui confier le rôle d’Anna ?

Quand j’ai écrit le scénario, j’avais une idée de qui je cherchais, et dès que j’ai rencontré Svetlana, j’ai su qu’elle était la bonne personne pour ça. Nous avions auditionné des actrices plus expérimentées, mais peu importe, j’avais cherché quelque chose de précis et Svetlana l’incarnait parfaitement.

Anna devait être en compétition au 72ème Festival de Cannes, l’année dernière. J’imagine qu’être sélectionné doit être une grande fierté ?

Oui, c’est un peu triste mais la vérité est que sans être sélectionné dans un grand festival comme Cannes, il est presque impossible de se faire remarquer, à moins d’être né dans une famille avec beaucoup de relations, ou de connaître les bonnes personnes, ce que je n’ai pas. Ma seule chance de me faire remarquer était d’être sélectionné dans un tel festival, et j’étais prêt à faire 10 à 15 courts métrages en attendant que cela arrive. Le jour où j’ai reçu le mail de Cannes annonçant la sélection d’Anna – je travaillais déjà sur mon prochain court métrage. J’étais assis dans un café à attendre quelqu’un qui serait producteur sur le projet, et c’était notre deuxième réunion de production. J’étais tout à fait prêt à redoubler d’efforts et à faire 2 ou 3 courts métrages par an si nécessaire. Mon deuxième court métrage, Ashmina, avait été sélectionné à Cannes, Venise et Sundance. Je savais donc que j’étais très proche et que c’était possible, malgré les chances incroyablement faibles. Je voyageais aussi pendant que je faisais ces films, j’apprenais le processus, j’apprenais à faire des films… je rencontrais des gens et je me faisais de nouveaux amis. Je passais les meilleurs moments de ma vie, malgré (ou peut-être à cause ?) des difficultés et des épreuves, donc cela ne me dérangeait pas et j’avais hâte de continuer.

Le court-métrage est aussi éligible aux Oscars de 2021. Vous avez eu des nouvelles ? Sera-t-il finalement en lice ?

Je suis membre de l’Académie, donc je peux voter pour les Oscars… Le vote commence le 1er février et, si je me souviens bien, les présélections sont annoncées le 9 ou quelque chose comme ça, donc nous saurons bientôt si nous passerons à l’étape suivante.

Vous êtes actuellement sur deux autres projets « Abel » et « David ». J’ai remarqué que certains de vos films ne portaient simplement que des prénoms. Est-ce que ces noms ont-ils une signification particulière pour vous ?

Oui, David est mon deuxième prénom. Ce court métrage est semi autobiographique, car il parle d’un randonneur « perdu » (en quelque sorte), ce que je n’ai jamais vraiment ressenti moi-même mais qui fait partie de l’expérience globale du voyage. J’ai été un routard pendant des années et ce court-métrage essaie de capturer cette expérience. Il a en fait été tourné il y a trois ans, en préparation du tournage d’Ashmina, et j’ai attendu de le terminer pour différentes raisons.
Abel est également significatif parce qu’il sonne comme « capable ». Il faudrait regarder le court-métrage pour le comprendre.

Traduction anglais/français : Trystan Doré

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