NIGHT FARE : UN THRILLER HUMANISTE ?

Analyse qui devait initialement être publiée dans le magazine FOCUS #2.

L’histoire
Luc et Chris, son ami anglais, montent dans un taxi pour rentrer chez eux après une soirée parisienne bien arrosée. Arrivés à destination, ils s’enfuient sans payer la course. Mais ils sont tombés sur le mauvais chauffeur… Le taxi va se mettre en chasse toute la nuit. Mais est-ce vraiment l’argent qui l’intéresse ?

Sorti en 2016, Night Fare est un projet né de la volonté du cinéaste Julien Seri et de son équipe. Leur objectif était de réaliser un thriller au concept simple mais novateur dans sa forme.
Loin des grands majors, néanmoins suivi par deux producteurs talentueux, Pascal Sid et Paul Mignot, Night Fare se lance dans l’aventure du financement participatif. 50000 euros seront récoltés pendant cette campagne pour mettre en boîte des scènes supplémentaires et notamment des cascades spectaculaires. Le tournage de Night Fare peut alors démarrer…

Un taxi, un chauffeur, et une nuit cauchemardesque

Le film s’ouvre sur une jeunesse insouciante.
Trois amis se retrouvent et filent à une soirée branchée dans un quartier huppé de la capitale. À cette heure-ci, rien ne laisse supposer que quelque part, un chauffeur de taxi déterminé rôde et traque une proie. Pourtant, lorsque Luc et Chris décident de quitter la fête, un road-trip mortel dans tout Paris s’engage entre eux et le chauffeur. Une course-poursuite qui va remettre en perspective l’avenir des deux jeunes hommes.
Avant que tout ne bascule, Julien Seri filme entre deux scènes festives, un plan important, un plan marquant pour imposer dans l’esprit des spectateurs, l’ambiance à venir, c’est-à-dire : oppressante, anxiogène, brutale. Ce plan, c’est celui où le chauffeur de taxi rentre dans son hangar pour récupérer sa voiture « de fonction ».

Une scène intronisant le « méchant du film », laquelle mettra en lumière sa stature massive, présage des futures violences cinglantes. Elle permettra également de rendre son véhicule iconique, à la manière d’une Christine de John Carpenter.
Le réalisateur donne littéralement vie à sa Chrysler C300. Julien Seri ne se contente pas de la filmer bêtement, il la filme de trois allures différentes afin de conserver l’atmosphère inquiétante et menaçante de son
sujet principal.

  • Au moyen de plans rapprochés, serrés, où toute la puissance monstrueuse du véhicule se dégage.
  • De façon éloignée, souvent en plans aériens, pour dévoiler toute sa furie, sa rapidité et sa détermination.
  • Dans un montage sauvage qui offre la possibilité à la voiture d’apparaître et de disparaître, créant un sentiment d’insécurité,
    comme s’il n’y avait aucune échappatoire envisageable.

Pour rythmer sa course poursuite et la rendre aussi palpitante que possible, l’auteur de Yamakazi use de trouvailles scénaristiques astucieuses. Il donne tout d’abord à son chauffeur, un caractère mystérieux, presque fantasmagorique, le filme parfois en clair/obscur, où son visage est caché par la pénombre des lieux. De plus, ce dernier ne prononce jamais un mot et se permet de sortir pour affronter directement les obstacles (policiers, mafieux…) dans des scènes d’une violence extrême, à la limite du gore. Là, Julien Seri révèle une nouvelle dimension à son énigmatique antagoniste, une dimension sombre, une cruauté sans concession.

Puis, il se servira de nombreux rebondissements pour alimenter son récit, (triangle amoureux, kidnapping, tensions… ). Autant d’éléments
pour faire basculer les personnages dans la folie. Les deux héros perdent pied jusqu’à abdiquer…

Julien Seri traverse Paris, et nous révèle également les secrets cachés de la capitale. Au milieu de cette course-poursuite effrénée, le réalisateur dresse un portrait noir de Paris.
Le spectateur navigue alors entre quartiers chics et banlieues délaissées où se côtoient de loin une jeunesse débridée, des flics corrompus et des mafieux terrifiants. Une sorte de Gotham City dans laquelle Julien Seri tente d’imposer une figure héroïque, celle d’un vigilant aux méthodes peu scrupuleuses. Car oui, si le film commence comme un Duel à la Steven Spielberg, Night Fare se poursuit comme une œuvre plus subtile, diaboliquement humaniste.
Le chauffeur de taxi est en vérité la personnification d’un bien fondateur ou d’un mal nécessaire, un anti-héros violent, un justicier ténébreux qui a pour mission de réparer les tourments de notre société par le biais d’une justice expéditive. C’est là que nous apprenons l’histoire des Drivers : des hommes ayant commis des crimes, auxquels seront transmises les valeurs de respect, de persévérance et d’honneur, des « valeurs que nous avons oublié aujourd’hui ». Leurs buts : redresser les torts, éradiquer les maux de notre société et transmettre ces valeurs à ceux qui le méritent. Dans Night Fare, ça sera Luc.

Le sport comme arme de rédemption

On comprend que depuis des siècles, chaque Driver a reçu la formation d’un autre Driver, ayant lui-même commis un acte répréhensible. Dès lors, ils doivent apprendre à devenir une meilleure version d’eux-mêmes avant de passer le flambeau à un successeur.
Enfermé nu dans une prison souterraine par le chauffeur de taxi, Luc sera confronté à ses propres démons, sa propre culpabilité, son propre égoïsme.

Prisonnier et sans aide extérieure possible, c’est par le sport qu’il retrouvera d’abord une liberté : sa liberté mentale.
La rédemption par le sport. C’est ainsi que Julien Seri conçoit sa vision du monde. Que ce soit avec Scorpion ou Yamakazi, le sport a symbole d’expiation. Il est valeur d’altruisme.
Il permet aux personnages de s’émanciper, de se sauver soi-même mais aussi d’aider les autres, voire l’humanité. Le sport comme discipline humaniste. La rigueur, la discipline, l’acceptation comme valeurs humanistes.

Thriller palpitant au sein d’un Paris vicieux et tourmenté, Julien Seri signe ici une course-poursuite éreintante où le chemin vers la rédemption semble être l’ultime issue à cette nuit inhumaine.
Un film puissant, organique, qui bascule dans un dernier tiers haletant, aux rebondissements inattendus et surprenants. Magistral !

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