RENAISSANCE : INTERVIEW DU RÉALISATEUR CHRISTIAN VOLCKMAN

Article qui devait apparaître dans FOCUS #2, numéro consacré au cinéma de genre français.

Sorti en 2006, Renaissance est un film d’animation ambitieux réalisé par Christian Volckman. Né d’une collaboration entre la France, Le Royaume-Uni et le Luxembourg, Renaissance est un mélange de plusieurs influences allant de Sin City à Blade Runner, en passant par Ghost in the Shell et des films en noirs et blancs plus classiques.
Véritable imaginaire au cœur d’un Paris transformé, le film de Christian Volckman suscite un intérêt grâce à sa vision futuriste de la capitale mais aussi par son incroyable tournage en capture de mouvement. Un tour de force qui vaudra au cinéaste de remporter le Cristal du long métrage au Festival international du film d’animation d’Annecy en 2006. L’année suivante, il remporte également le Grand prix en argent du film de fantasy européen au Festival Fantasporto au Portugal, avant d’être présélectionné aux Oscars 2007.

Pour capitainecinemaxx.fr, le réalisateur Christian Volckman est revenu sur la conception artistique et visuelle de Renaissance. Afin de ne pas spoiler les éventuels spectateurs qui souhaiteraient découvrir le film après l’interview, nous ne rentrerons pas dans les détails du récit, ni du scénario.

L’histoire :
2054. Dans un Paris labyrinthique où chaque fait et geste est contrôlé et filmé, Ilona Tasuiev, une jeune scientifique jalousée par tous pour sa beauté et son intelligence, est kidnappée. Avalon, l’entreprise qui emploie Ilona, fait pression sur Karas, un policier controversé, spécialisé dans les affaires d’enlèvement, pour retrouver au plus vite la disparue.
Karas sent rapidement une présence dans son sillage. Il n’est pas seul sur les traces d’Ilona et ses poursuivants semblent prêts à tout pour le devancer.
Retrouver Ilona devient vital : la jeune femme est l’enjeu d’une guerre occulte qui la dépasse. Elle est la clef d’un protocole mettant en cause le futur du genre humain. Le protocole Renaissance…

Pourquoi avoir choisi une animation en noir & blanc ?

Concernant le choix du noir et blanc, j’ai puisé mon désir dans le cinéma de Eisenstein, et Fritz Lang, notamment avec Ivan le terrible et Metropolis qui sont deux chefs-d’œuvre que je conseille à tout le monde de voir ou de revoir. J’ai également été marqué par le cinéma de genre « noir » américain avec La soif du mal d’Orson Wells ou encore Le 3ème homme de Carol Reed. Dans ces films le noir et blanc est très contrasté. Les cinéastes et les chef-opérateur utilisent la lumière comme un outil de mise en espace, ils sculptent littéralement l’image pour traduire l’état d’âme des personnages. En abordant le noir et blanc à travers les nouvelles technologies, il me semblait qu’il y avait un moyen d’actualiser cette esthétique expressionniste, et d’aller à l’encontre de cette obsession de l’ultra-réalisme qu’on retrouve souvent dans le cinéma d’animation actuel.
Je me suis également inspiré de l’univers de la BD, avec Sin City de Frank Miller ou bien Mort Cinder d’Alberto Breccia.

Ce que j’ai tout particulièrement apprécié avec l’expérience de Renaissance, et ce qui nous manque un peu dans le cinéma d’animation en général, c’est cette approche pour adulte, une approche un peu plus débridée. On est moins contraints par des codes qu’il faut absolument appliquer au cinéma d’animation familial… Dès qu’on aborde des sujets plus adultes en animation, une porte s’ouvre, on sent souffler un vent de liberté. L’animation reste un moyen d’explorer des univers sans aucune limite et sans se ruiner. La science- fiction en prise de vue réelle est encore une spécialité américaine, non pas que l’imagination manque chez les auteurs français mais c’est encore un rêve inaccessible, que l’on s’empêche de désirer, comme si ce chemin menait à une forme d’échec assuré. Certains ont essayé comme Luc Besson, mais c’est toujours une prise de risque effrayante qui la plupart du temps finit par ruiner les producteurs. L’avantage de l’animation, c’est que l’on peut fabriquer des univers ambitieux qui peuvent concurrencer les américains sans risquer d’y laisser sa peau.

Il s’agit certes d’un film d’animation, mais vous avez utilisé la capture de mouvement (motion capture). C’était important pour vous de pouvoir faire participer des acteurs à votre projet ?

L’avantage de la capture de mouvement c’est que l’on récupère le jeu de l’acteur de façon subtile et intégral. Dans le cas de Renaissance qui est très réaliste, tout l’inverse du style cartoon, j’avais le désir de récupérer à 100% le jeu de l’acteur. Avec cette technique, tout dans le corps d’un acteur trahit/révèle ses émotions, ses hésitations, et ses peurs. Plus l’acteur est bon, plus la capture de mouvement va être fine.

Lorsque les mouvements du comédien on été extraits de sa performance et plaqués sur des personnages en volume créés au sein de la machine, ces doubles virtuels prennent vie, et font apparaître les états d’âme de l’acteur original. Cette technique de capture de mouvement est comme un tour de magie qui reste toujours aussi fascinant.

La technologie a beaucoup évolué en 14 ans. J’imagine que cela aurait été plus facile de faire un film comme Renaissance aujourd’hui ?

Sur le fond rien n’a changé. C’est un processus complexe. Quand on imagine quelque chose, il faut offrir une réponse concrète à cette imaginaire. Il faut que les idées visuelles puissent s’intégrer au scénario, et que le tout soit organique.
Ce sont de longues heures passées à instaurer un dialogue entre le dessin et la 3D, le tournage, le cadrage, le rendu et le montage. La fabrication d’un film d’animation est chronophage. Ce qui implique un travail d’équipe. J’ai travaillé avec des designers, des architectes, qui ont chacun apporté une pierre à l’édifice.

La modélisation, l’animation, et la 3D en générale, sont des savoir-faire qui restent particulièrement difficile à maîtriser, mais dont les processus techniques s’allègent avec le temps. Tous les outils à notre disposition se sont améliorés, et sont plus faciles à utiliser. Ils permettent une plus grande flexibilité. Il suffit de voir les bonds de géant qu’a fait le jeu-vidéo ces dernières années pour s’en rendre compte.

On remarque énormément de références dans votre film de Blade Runner en passant par Ghost in the Shell que ce soit dans la conception de la ville de Paris que dans le scénario, c’est assez rare qu’en France on puisse réaliser de tels projets avec des références si marquées. Est-ce que vous aviez peur à l’époque que le public français n’adhère pas à votre film, certains sont assez frileux lorsqu’un long-métrage français ose la SF ou le fantastique ?

Toute l’équipe (producteurs, distributeurs, scénaristes…) était dans une forme d’ignorance positive. C’est-à-dire qu’on ne se posait pas ces questions-là. Toute la dimension marketing du film (la cible, le genre, etc…) est venue bien plus tard. Aujourd’hui les producteurs singent le marché américain, toutes les conversations ne tournent qu’autour de ce terme étrange : le marketing. C’est comme si l’Europe n’avait pas assez confiance dans sa propre culture pour s’affirmer. Les américains donnent le la, et nous suivons avec ce goût amer d’être toujours à la traine. J’ai le sentiment que le milieu du cinéma s’est éloigné de cette excitation que donne l’envie de repousser les limites, d’explorer des univers parallèles, et de prendre des risques.

À l’époque de Renaissance, nous étions encore au temps où Enki Bilal pouvait faire des films complètement délirants, il y avait des tentatives cinématographiques absolument libres. Les deux grandes difficultés auxquelles nous faisons face sont le profit et le management à l’américaine qui homogénéise l’esprit. On enferme les productions dans des cadres extrêmement réducteurs : on pèse les risques, on optimise le scénario en fonction des cibles, on investit dans ce qui a déjà fonctionné. On produit à l’infini des comédies, ou des films d’action qui se ressemblent tous. Le graal c’est la formule, et ce sont les scripts-doctors américains qui la détiennent. Quand on passe son temps à analyser le marché on finit par détruire l’essence de la création, et saboter ce qui a généré notre élan, l’idée de risque devient synonyme de danger. L’autocensure est un virus. Même les auteurs parlent désormais de « marché » avant même d’avoir écrit trois lignes.

Heureusement nous sommes tous résilients et l’esprit tente toujours de renaître de ces cendres. Dans ce supermarché universel de l’offre cinématographique formatée, il y a toujours des créateurs qui par miracle s’immiscent dans la Matrix, le glitch est toujours possible, il suffit de penser à contre-courant.

Je parlais de la conception de la ville de Paris, justement, comment avez-vous imaginé cette « nouvelle » capitale ? C’est un travail monstrueux que vous avez fait…

Dans l’inconscient collectif Paris, est considérée comme une ville romantique, une ville musée, en somme une ville morte. C’est une capitale que l’on vient visiter pour obtenir une expérience que l’on a déjà prémédité. Le touriste veut sentir ce qu’on lui a vendu, Paris est romantique, point. Le touriste se doit de poser son cadenas sur les rambardes du Pont des Arts, avant de passer par la Tour Eiffel pour un selfie. Cette attitude est parfaitement répétée par les japonais ou les américains, qui ne cherchent même pas à sortir des sentiers battus. Le centre de Paris est figé.

Mais il existe une 2ème ville, plus mystérieuse, voire plus dangereuse. On souhaitait reprendre les codes d’architecture qui font la renommée et l’identité de Paris, comme les façades haussmanniennes, le style Eiffel, l’Art Nouveau, l’Art Spaghetti des années 20-30, et utiliser cela comme une base esthétique que l’on pourrait développer à des échelles bien plus grandes afin de transformer le romantique Parisien en labyrinthe inquiétant.

L’idée d’un futur du tout transparent s’est également imposée. Une ville étouffante est née de ce mélange où l’on peut tout observer, filmer, disséquer, mais également se perdre dans les bas-fonds afin de retrouver une liberté que la technologie nous a volée.

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