REVENGE : REVANCHE FÉMINISTE

Article qui devait apparaître dans le second numéro de FOCUS.

L’histoire :
Trois riches chefs d’entreprise quarantenaires, mariés et bons pères de famille, se retrouvent pour leur partie de chasse annuelle dans une zone désertique. Un moyen pour eux d’évacuer leur stress et d’affirmer leur virilité armes à la main. Cette fois, l’un d’eux est venu avec sa jeune maîtresse, une lolita ultra sexy qui attise rapidement la convoitise des deux autres. Les choses dérapent. Dans l’enfer du désert, la jeune femme laissée pour morte reprend vie…

Revenge est le premier film de la réalisatrice Coralie Fargeat, auteure de deux courts-métrages sortis quelques années plus tôt : Le Télégramme et Réality +.
Avec Revenge, elle dénonce sans concession les violences faites aux femmes et impose un récit qui brise certains clichés du genre. Un rape and revenge gore entre un décor Max Maxien âpre et la badassitude d’une Lara Croft.

Du rose… au noir

Coralie Fargeat présente son héroïne de manière superficielle : le cliché de la blonde provocatrice, aux courbes envoûtantes, un peu potiche et innocente.
Vêtue de rose ou de couleurs flashy, à l’image de sa personnalité pétillante et insouciante, la jeune femme bascule dans l’horreur lorsqu’elle est sauvagement violée puis balancée du haut d’une falaise par son « compagnon ». Lorsqu’elle se réveille, embrochée par la branche d’un arbre, l’instinct de survie prend alors le dessus et un changement d’attitude s’opère aussi brutalement que son scénario ne bascule.
De la midinette sexy, le spectateur fait désormais face à une femme ingénieuse, déterminée à rester en vie : qui aurait imaginé pouvoir se servir d’un briquet pour allumer un feu et brûler l’arbre afin de se faire tomber au sol ?
Ce changement dévoile deux choses : premièrement, qu’il ne faut pas se fier aux apparences. Et deuxièmement, que la volonté de survivre et de se venger surpasse l’envie d’abandonner et la douleur physique.

Le changement d’attitude est aussi accompagné d’un changement vestimentaire. Après avoir tué de sang froid l’un des trois amis – là aussi de façon assez astucieuse -, Jennifer renonce aux couleurs vives. Place au noir. Elle adopte un look guerrier. Une dégaine vengeresse avec cartouches en bandoulière, couteau de chasse à la ceinture et fusil à longue portée au poing, qui n’est pas sans rappeler celui de Sylvester Stallone dans Rambo.

Dès lors, l’héroïne n’est plus la proie mais la chasseresse. Ce choix permet à la cinéaste de renverser les codes : on y voit un des hommes être faible, chouiner après s’être entaillé le pied. Un autre être pourchassé, nu.
La femme n’est alors plus l’objet fragile, la pleurnicheuse qui subit l’action jusqu’à trouver une ouverture mais bien celle aux commandes d’un scénario sanglant. La scène finale en est la preuve. Alors que Jennifer braconne son ex-amant, un « télé-achat féminin » passe à la télévision. Un contraste pour dévoiler que le monde a changé : les femmes ne sont désormais plus devant leur écran à consommer bêtement en attendant le retour du mari. Elles agissent.
Elles travaillent.
Font face aux problèmes si nécessaire.

Ce ne sont plus des consommatrices qui répondent à l’appel du capitalisme, ce sont des femmes indépendantes qui n’ont plus besoin de ressembler aux deux présentatrices qui sont en somme, des poupées uniformes. Aujourd’hui, les femmes sont libres d’être qui elles veulent et non plus comme la société l’impose. Voilà le message de Revenge.

Les trois hommes, eux, sont d’ailleurs souvent représentés par des images d’animaux ou filmés comme tels. La réalisatrice appuie alors sa vision : les hommes machos, pervers, violeurs ou commettant des actes répréhensibles envers les femmes ne sont pas des humains. Ils sont de simples animaux n’ayant jamais évolué.

Les symboles

Le film de Coralie Fargeat enchaîne aussi les symboliques bibliques, à commencer par celle de la pomme. Depuis la nuit des temps, la pomme est considérée comme le fruit du péché, le fruit défendu. La faute, dira-t-on, à Eve, qui n’aurait pas su écouter la parole de l’Homme. Ainsi, lorsque Jennifer croque dans une pomme, les ennuis de ne tardent pas à arriver puisqu’une bouchée aura suffit pour voir apparaître les deux « serpents », les deux hommes à l’origine de son cauchemar. L’un des deux, Stanley, ramassera cette même pomme le plan suivant, et la fixera d’une manière presque perverse. Une façon de transposer son regard sur Jennifer. À ce moment précis, on sait que le fruit défendu sera incarné par cette dernière. Elle devient un objet de convoitise auquel il ne faut pas toucher sous peine d’en subir les conséquences. Une inversion maligne pour exposer une vision féministe contemporaine à laquelle nous adhérons volontiers.

On retrouve également la symbolique de la crucifixion, de la résurrection et celle de la traversée du désert, période où l’être humain connaît des difficultés et des échecs.

Au-delà de la vision romantique que l’on peut avoir du désert, c’est un lieu ingrat, stérile, chaotique, repaire de bêtes sauvages et de démons. Ici, les personnages sont à l’image de cette étendue désertique : dépourvus de toute humanité, secs, cruels. Cela, Coralie Fargeat le met en scène avec brio en associant survival et revenge dans une valse violente et féroce.

Un environnement oppressant

Le désert était un choix judicieux pour dérouler l’action de Revenge. Coralie Fargeat peut ainsi accentuer le côté anxiogène de sa production et plonger le spectateur dans une chaleur revancharde. La photographie ardente de Revenge offre aussi un caractère écrasant, qui enveloppe les protagonistes dans une souffrance permanente. Ce rythme dense est un des atouts principaux du film. Le suspense est d’une maîtrise saisissante grâce à une structure narrative intelligente et modeste qui va à l’essentiel au travers une barbarie effroyable. La réalisatrice ne s’embarrasse jamais de détails et épure sa mise en scène de tout élément bénin afin de construire une composition scénique intense, haletante et brutale.

Une mise en scène cuisante dans laquelle les protagonistes sont étouffés par leurs propres colères intérieures, leurs envies de riposter ou de châtier.

La Villa est également un univers suffocant. Avec sa photographie chaude et ses couleurs vives où les personnages sont parfois teintés par des filtres qui révèlent leurs médiocrités (cf. la scènes où les deux amis apparaissent derrière les vitres bleue turquoise et rose) et leurs plus bas instincts, Coralie Fargeat parvient à créer une ambiance particulière, malsaine. Ce final meurtrier dans la Villa capte cette chaleur épuisante, cette atmosphère jaunâtre putride, pour délivrer un retour à la case départ perturbant et furieux.

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