BIFFF 2021 – MÉANDRE : ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR MATHIEU TURI

Actuellement en compétition au Festival International du Film Fantastique de Bruxelles 2021 avec son nouveau long-métrage Méandre, le réalisateur Mathieu Turi revient sur la genèse ainsi que la construction narrative et visuelle de son projet.

Pouvez-vous nous raconter la genèse du projet Méandre, l’idée de cette jeune femme prisonnière dans un tunnel truffé de pièges et la manière dont vous avez composé le script du film ?
J’ai écrit Méandre quasiment en même temps que Hostile. Au départ, j’avais écrit 3 scripts qui auraient pu être potentiellement dans les premiers lots pour avoir plusieurs cordes à mon arc.
Concernant l’histoire de Méandre, une des idées m’est venue du film Aliens de James Cameron. Il y a une scène où Bishop rentre dans un tuyau et se promène à l’intérieur. J’étais terrifié quand j’ai découvert cette scène, mais en vrai il ne s’y passe rien (rire). Je m’étais dit « putain mais s’il y a un alien qui arrive devant y’a rien, c’est horrible, il ne peut pas se retourner, c’est terrible ». Alors que c’est un androïde, même lui il le dit : « Je suis peut-être synthétique mais je ne suis pas stupide ». C’était hyper inconfortable.
Et quand j’étais gamin, nous avions sous notre maison une espèce de soubassement de 50 centimètres de haut. Pour y aller, pour mettre des trucs qu’on stockait, mon père m’envoyait là-dedans. Je n’avais pas peur, mais je me disais que ce n’est vraiment pas naturel d’être ici, de ne pas pouvoir se relever. On n’est vraiment pas fait, physiquement, pour être dans cette position-là et vivre comme ça.
J’ai donc essayé de trouver un film concept, et cette idée m’est apparue. Ce que je désirais, plus que de réaliser un film concept, c’était d’aller au-delà du film concept. Dans un huis-clos, souvent nous sommes coincé. Là, elle est certes dans une position inconfortable, néanmoins elle est obligée de progresser, d’avancer tout le temps. J’aimais le côté terrier, le côté « avancer vers l’inconnu ». Je voulais réellement cette idée d’aller vers l’inconnu. Ensuite, j’ai intégré le sujet du deuil. Afin de ne pas rester bloqué dans le schéma classique du huis-clos. Ainsi, les épreuves physiques s’alliaient aux épreuves psychologiques. C’est comme ça qu’est née l’écriture de Méandre.

Il y a très peu de dialogues dans le film. Quand vous écriviez le scénario, est-ce que vous vous aidiez de storyboard pour pouvoir écrire justement les scènes où elle avance, quel est l’obstacle qu’elle va affronter, etc.… ?
Alors non, je n’ai pas utilisé de storyboard. Je dessine tous mes plans, mais plus tard. On prépare vraiment – je dessine aussi mal qu’un enfant de 5 ans (rire) -, mais au moins nous avons une espèce de mini board de tout le film. Ça permet de communiquer avec les équipes, et au-delà du plan de travail, montrer et développer ma mise en scène non pas sur l’instinct, mais vraiment de travailler ça.
Après, quand je pars sur des idées comme celle-ci, de script très près de l’os, il n’y a pas de gras. C’est basé sur de l’action, sur une progression physique. En même temps que j’écrivais, je découvrais Christopher Vogler puis Joseph Campbell. Pour ceux qui ne connaissent pas Campbell, c’est un mythologue qui a pris tous les mythes fondateurs, tous les mythes du monde entier et les a comparés pour définir en quoi ces histoires traversaient le temps, pourquoi ces histoires racontées autrefois au coin du feu sont encore là aujourd’hui. C’est parce qu’elles ont une logique de narration. Cette logique de narration, Vogler l’a utilisée pour les scénarios. Tu retrouves toutes ces thématiques : notamment la manière de faire évoluer le héros dans le récit. J’ai essayé d’appliquer ça. Ce sont eux qui m’ont aidé et dont je réutilise les travaux dans plein de projets. C’est plus une approche construction-narration que visuelle d’abord.

Je le disais, le concept du film est un huis-clos dans lequel l’héroïne évolue et fait face à différents pièges. Comment ce tunnel a-t-il été créé ? J’imagine que vous avez construit une structure qui a servi à plusieurs plans…
C’est très complexe d’imaginer le truc sans making-of. En gros, nous avions un studio qui faisait presque 1000 mètres carrés.
Nous avions un tube de 12 mètres, pour jouer les scènes « tranquilles », où Gaïa progresse. Mais toutes les séquences où il y a des pièges, ce sont des décors différents à chaque fois. On a tout ce qui est autour du décor, le second décor et les mécanismes. Tous les mécanismes sont à l’extérieur, forcément. Tout ça était surélevé. Tout était en hauteur, debout pour que nous puissions rentrer, nous hisser dans le tube. C’était assez particulier, je ne veux pas casser la magie pour l’instant, mais c’était très complexe. On a aussi créé de la machinerie pour le film. La caméra, par exemple, était dans un petit module : une Sony Vénice avec le système rialto qui nous permettait de détacher l’avant du corps-caméra et de nous retrouver juste avec un morceau. C’est la caméra qu’ils utilisent sur les prochains Avatars mais le système c’était pour Top Gun 2 qu’ils le développaient, et se servaient pour mettre dans les cockpits. Avec ça, on peut utiliser qu’un morceau de ta caméra, le reste est bloqué par un câble pour mettre, par exemple nous dans notre cas, dans une cage qu’on avait fabriquée avec des roulettes. C’est un peu comme le principe d’un four à pizza, c’est une cage, tenue par une très longue tige, et une fois que tu as mis ce système à l’intérieur du tube, tu peux aller et venir avec. C’est très impressionnant en fait, ça permet de faire des plans de fou. Ça, c’est juste pour ces plans-là, car chaque plan nécessitait de développer un système. Vraiment laboratoire.

Toutes les phases où l’on voit, comme dans la bande-annonce, le tunnel s’ouvrir pour laisser place à de l’acide, ou quand l’héroïne se protège dans un cube pour éviter le feu, ce sont donc des mécanismes que vous avez inventées ?
Tout est mécanique. C’est vraiment quelque chose que je voulais, que tout soit mécanique. On pouvait le faire avec de la 3D, mais on sent que ce n’est pas réel. Avec la mécanique tout est là.
Il y a quelques plans d’effacement dans le film en CGI. Il y a des petits rajouts, des petits trucs. Le feu, notamment, il y a un peu de VFX sur un ou deux plans, mais le film a plein de plans-feu 100% réels. C’est-à-dire que tous les plans-feu qu’on voit dans la bande annonce, je spoilerai pas, on y a mis vraiment le feu. Il faut savoir qu’on a pris les quelques secondes dont nous avions besoin parce que juste après, tout le décor derrière commençait à tomber en lambeaux. C’était hyper gratifiant. Le dernier jour, on a passé quasiment tout le décor en feu.

Lors de notre interview pour Hostile, vous m’aviez confié que le huis-clos avait été un moyen de réduire les coûts. Est-ce aussi le cas pour Méandre, ou y-a-t-il ici aussi une volonté de poursuivre votre travail débuté avec Hostile, en proposant un nouveau chemin émotionnel pour votre héroïne ?
C’est un peu des deux. Tu sais qu’on va rester autour de 2-3 millions de budget au mieux. Il y a de base quand tu réfléchis, un côté pratique, dans le sens premier du terme, que ce soit possible de le faire.
Ensuite, je ne souhaitais pas faire un film d’1h30 où il n’y a que des pièges et voir l’héroïne galérer. Je n’aurai pas été au bout du process. Donc, il y a une vraie démarche. Dans le 3e long-métrage que je suis en train de préparer, c’est un huis-clos toutefois, c’est beaucoup plus ouvert. Avec encore des thématiques qui se retrouveront.
Donc, effectivement, je pense que c’est vraiment un peu des deux.

Pour moi, le décor doit directement être relié au personnage. C’est trop facile si c’est juste « tient on a un entrepôt, ça coûte pas cher », et puis on fait un film là-dedans. Ou alors il faut s’appeler Tarantino, avoir le talent que je n’ai pas de créer Reservoir Dogs en premier film, et de faire des dialogues cultes avec des personnages incroyables.
Je pense que le décor a une logique par rapport à ce qu’on veut raconter, sinon très vite on risque de d’ennuyer le spectateur.

Méandre est un film ultra-immersif tant physiquement qu’au niveau sensoriel. Il y a eu un gros travail sur le son. Vous étiez vraiment exigeant sur cet aspect du film ?
Ça a été parfois compliqué parce que ce n’était pas un film simple. Il faut savoir qu’on a travaillé avec Gurwal Coïc-Gallas qui est monteur son notamment chez Dupontel, et a d’ailleurs était nommé aux Césars pour Adieu les Cons. Il est arrivé avec tout une démarche narrative. Pour donner un exemple tout bête, dès le réveil de Gaïa, il va y avoir certains sons, on va retrouver ces sons-là au fur et à mesure du film jusqu’à la fin. Ces sons vont à chaque fois aller vers un côté de plus en plus organique. C’est qu’un exemple, il en avait des milliers. Quand on a ce degré-là d’exigence de travail et qu’on se retrouve avec ça, on se retrouve aussi avec quelqu’un qui a une expérience de dingue et qui veut emmener tout ça.
Et puis sur la musique, c’est sa deuxième BO, puisqu’entre Hostile et Méandre il n’y a pas eu d’autre film, on retrouve avec un chemin différent qui est de dire que la musique va se confronter à ça. Et je pense que, sans jeter la pierre à qui que ce soit, c’est juste à moi de faire ces choix-là. En tant que réalisateur, je dois trancher. Donc, il y a des moments où j’ai enlevé la musique sur 2 ou 3 séquences. Et ce n’est pas que la musique était mauvaise, c’est qu’elle se confrontait à la narration du son. Et il a fallu faire un choix, et j’ai fait le choix du son sur ces séquences-là.

Le costume de l’héroïne a un rôle très important dans le film. On ne va pas en parler pour ne pas spoiler, j’aimerais simplement revenir sur sa conception. Comment avez-vous pensé son design et sa matière ?
C’était hyper important et en même temps compliqué de trouver le bon costume. Qu’est-ce que tu racontes avec ce costume ? Ce que je voulais, c’était éviter de faire un film voyeur et d’être sur le côté charnel. C’était pas du tout l’idée. Quand on présente une femme coincée dans un tunnel avec des pièges, tu peux très vite tomber dans une image putassière : regarder une nana bien foutue se balader en costume, en plus en position couchée, à la Fort Boyard. Je voulais l’opposé.

Avec la costumière, Rachel, on est parti sur cette idée de SF et de costume pratique. Également, d’avoir une évolution dans le costume. On voulait jouer sur les couleurs. Par exemple, en jouant sur le noir et blanc du costume, le blanc allait prendre la teinte du sang, de la poussière, etc… Ça crée un changement et une maîtrise. Ça va avec la maîtrise de Lisa (Gaïa) de son environnement, où elle est tiraillée entre la vie et la mort, entre blanc et noir. Et au final devient autre chose.
C’est un truc qui m’intéressait vraiment. Rachel avait des idées incroyables qui, malheureusement, ne rentraient plus dans le budget. Il y a une scène où le costume devait avoir des espèces de veines luminescentes.

Il y a aussi ce gadget, ce bracelet métallique qui permet à Gaïa de se déplacer dans le noir. Elle vient d’où cette idée-là ? 
Ça vient d’Alain Duplantier, le chef opérateur.
Quand on s’est rencontrés, il m’a dit qu’il avait envie que toute la source de lumière vienne à 90% du bracelet. On a vraiment bossé sur ce bracelet. On a trouvé une LED pliable, parce que je voulais quelque chose de rond, avoir toujours cette idée de menotte, qui serre un peu, qui la rend esclave.
Il a fallu travailler en fonction, parce qu’éclairer juste un compte à rebours pour devenir une source de lumière ça n’a rien à voir, c’est vraiment un travail différent. On a trouvé cette LED, dont on pouvait changer la couleur avec un Ipad. Nous pouvions alors jouer là-dessus. On a pu pousser les curseurs grâce à ce bracelet, il a fallu le rendre plus étanche et en faire plusieurs exemplaires.

Côté casting, Gaïa interprète Lisa. Racontez-nous son arrivée dans le film.
Gaïa est arrivée assez tard sur le film, puisqu’on a changé de casting au dernier moment. On était même prêts à repousser le film. Gaïa nous a dit que si on était prêt, si on pouvait tourner les scènes dans l’ordre, elle serait dispo d’ici 10 jours. Elle voulait se servir de cette non-préparation pour être crédible. Elle ne voulait pas avoir une préparation physique en amont, car cela n’aurait eu aucun intérêt pour elle d’arriver en mode guerrière, le spectateur n’aurait ressenti aucune empathie.
Gaïa avait une doublure. Si elle a fait la quasi-totalité de ses cascades, la cascadeuse était une personne qui pouvait lui montrer comment se déplacer à certains moments, et ça permettait à Gaïa d’avoir un regard extérieur sur le rendu. Ce n’est pas naturel de se déplacer ainsi. On perd ses repères de comédie. Et comme Gaïa ne pouvait pas sortir du tube pour voir le rendu à la caméra des scènes tournées – et elle ne le souhaitait pas pour garder cette angoisse liée à l’enfermement – elle était ainsi guidée par sa doublure cascade.

Ma critique de Méandre est à retrouver ici.

Merci à Mathieu Turi ainsi qu’à l’équipe du BIFFF qui a permis cette rencontre.




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