BIFFF 2021 – LES CURIOSITÉS DU MAL, VICTOR TRIFILIEFF : « L’ART M’A SAUVÉ LA VIE »

Présenté au Festival International du Film Fantastique de Bruxelles, Les Curiosités du Mal est un court-métrage réalisé par Victor Trifilieff.
Jeune réalisateur issu de la scène musicale expérimentale, il met désormais en scène, scénarise des courts-métrages en lien avec notre époque et la société moderne, au travers ses œuvres aux univers profonds et singuliers.
Victor Trifilieff s’était déjà illustré avec son premier court-métrage Libera Me, primé dans plusieurs festivals. Il revient cette année avec Les Curiosités du Mal, une histoire viscérale mélange entre le drame existentiel et le film surnaturel.

Dans cette interview, Victor Trifilieff se confie sur la genèse de son projet, sur sa vision du monde et la jeunesse d’aujourd’hui ainsi que ses inspirations.

D’où part l’idée de ce scénario original de « Les Curiosités du Mal » et pourquoi avoir fait appel au financement participatif pour engager le projet ?
Je sais que les auteurs ont souvent une idée précise dès le départ, qui leur donne envie de créer ou d’écrire. Pour ma part, j’ai toujours du mal à me rappeler ce qui m’a poussé à réaliser un court-métrage. C’est plus un désir, un souhait d’avoir telle ou telle couleur, d’avoir un son en particulier, une certaine violence… c’est un ensemble de choses qui vont m’inciter à créer. Je vais partir de tout ça, plutôt que d’un concept ou une pensée bien établie. La réponse est un peu floue, désolé… Je ne sais pas si c’est l’instinct qui me guide, c’est plus subconscient que ça. Parfois, je vais écouter une musique ou me retrouver dans une phase singulière et ce sont ces éléments qui vont déclencher une aspiration.
En revanche, je suis guidé par des thématiques. Je traite des mêmes thèmes sur chacun de mes courts-métrages néanmoins, sous des angles différents à chaque fois. Mon précédent court parlait aussi de dépression, de solitude, mais de manière très premier degré, très naturaliste. Le but avec Les Curiosités du Mal était de détourner ça, d’aller chercher le fantastique et la métaphore pour diriger la production vers un angle encore différent.
Concernant le financement participatif, j’ai la chance de pouvoir bosser avec mes potes qui ont des boites de prods et d’être écouté. A chaque fois que je veux faire un film, je sais que dans six mois, on peut tourner. Ils savent que j’ai besoin d’être dans la violence de l’instant, que j’ai besoin d’aller vite. Sinon, je me détourne rapidement et commence à m’ennuyer. Ils m’entourent, m’accompagnent donc hâtivement, et nous n’avons pas l’envie, ni le temps de passer par des cycles normaux comme le CNC. On préfère faire des films beaux et efficaces en six mois, quand on sait que cela ne va pas nous coûter plus de 10000 euros.
Les Curiosités du Mal est un film que nous avions démarré avant le COVID, et nous ne pouvions plus donner d’argent de notre poche. Je n’étais pas très chaud pour réclamer de l’argent, surtout en cette période délicate. Au final, la réponse des gens a été ultra-positive, ils ont répondu présent et je les en remercie.

Le film évoque, vous le disiez, ces questionnements existentiels qui rongent la jeunesse. Avec le Covid, vous trouvez que les jeunes ont encore plus de mal à trouver leur place au sein de la société ?
En vérité, je trouve que c’était le cas largement avant. C’est normal, je comprends totalement qu’il y ait beaucoup de réflexions qui s’inscrivent là en sortie de Covid ou pendant le Covid car les gens ont plus de temps pour se rendre compte de ce qui ne leur va pas, de ce qui les embête.
En tout cas pour moi, concernant les jeunes, c’est un truc qui date de bien avant tous ça, et c’est d’ailleurs ce que je te disais avant, mais l’idée de partir sur une bande de jeunes elle m’est venue bien avant le Covid. Cela fait longtemps que je trouve que les gamins, les jeunes, n’ont pas la place qu’ils méritent, n’ont pas l’écoute qu’ils méritent et qu’on ne les aide que trop peu.
J’ai un peu mal pour eux. Dans le film, autant on les regarde avec violence, mais il y a quand même un peu de tendresse par le biais du personnage principal, sur cet état un peu de perdition.

Vous-même avez-vous eu parfois du mal à trouver cette place ?
Oui, absolument. Après, j’ai toujours essayé de me la faire d’une manière ou d’une autre. De ne pas trop dépendre des autres. J’ai eu cette chance d’avoir un gros mental, pour essayer de ne jamais dépendre des autres.
Je suis passé par des états, que ce soit à l’adolescence ou à la fin de l’ado, qui sont compliqués comme pour beaucoup. Des états qui font que tu es juste en recherche d’un endroit, de quelque chose qui te ressemble, qui pourrait te correspondre et t’écouter, te prendre tel que tu es. Je pense que c’est dans la tête de trop de gamins aujourd’hui. Et d’autant plus qu’on est dans une époque où on les empêche de sortir, mais pour une bonne raison évidemment.

Est-ce qu’on peut dire que l’art, c’est quelque chose qui vous a aidé ?
Oui, vraiment. L’art m’a sauvé la vie. Je suis même un peu extrême dessus, mes proches le savent, mais c’est plus que mon oxygène. C’est vraiment mon truc. Ça m’a forgé, sauvé la vie, ça m’a inculqué, ça m’a renforcé. C’est un bonheur que je retrouve difficilement ailleurs.
Donc oui, je lui dois presque tout.

J’imagine que c’est un petit peu compliqué en ce moment pour vous de voir la culture au point mort.
C’est archi compliqué. Cependant, je ne suis pas du genre à faire des constats trop longs. C’est un état de fait, c’est comme ainsi, c’est ennuyant toutefois, il faut composer avec. Ça m’ennuie autant que les autres, certainement plus, mais je n’ai pas envie de râler pendant un an.
Je réfléchis plus en mode « quoi faire ? Comment ? Comment préparer la suite directement ? Comment réfléchir à réaliser : en mode collectif ? en mode solo ? ». J’ai pas du tout envie de me laisser mourir à la réflexion sur un truc où il n’y a même pas d’écoute, ni de débat. Je reste loin de tout ça.

Pour en revenir aux Curiosités du Mal, est-ce qu’on peut dire que ce film est une quête initiatique pour Elias ?
C’est une vraie quête initiatique. On aurait pu faire trois ou quatre films différents sur d’autres étapes de leur adolescence, là on a pris le moment où Elias est un peu au pic de sa dépression, le moment où il la comprend le moins, où il l’envisage le plus mal.
Sans spoiler, quand tu vois dans son état de fin ce qu’il a fait de sa dépression, je pense qu’il en tire énormément de choses. Ce que j’aime bien en général, c’est de m’arrêter avant d’en tirer des conclusions trop initiatiques et de rester juste sur l’avant goût de ce qu’il y a avant la réflexion, avant l’initiation, et avant la compréhension de ce qu’on vient de vivre. Dans le film, on s’arrête juste avant ça.
Ce qui n’empêche pas que son parcours soit, effectivement, initiatique.

La créature fait office de miroir, d’allégorie d’un chemin vers la lumière. D’où est partie cette idée d’intégrer cet élément surnaturel ?
On a posé un décorum sur la première partie du film qui pourrait, en somme, être totalement réaliste puis, on vient mettre un énorme cheveu dans la soupe qu’on ne va pas expliquer, justifier ou défendre. Dans le film, on ne questionne absolument pas la présence de la Créature. Ça, j’aime beaucoup. C’était aussi l’occasion de bosser à nouveau avec un de mes vieux potes : Nicolas Foray. Je lui ai dit que j’allais lui écrire le truc le plus chelou possible et, au lieu de lui faire un rôle de composition bien classique, on lui a composé le rôle de la Créature. Je pouvais m’amuser à lui raser les sourcils et les cheveux sans qu’il me crie dessus puisque c’était pour le rôle (rire).

La performance de Nicolas Foray est incroyable. Il s’inscrit dans la lignée des comédiens-monstres d’Hollywood comme Doug Jones et Javier Botet. Comment-a-t-il appréhendé et construit ce rôle ?
Il a un corps très particulier. On pouvait tenter des choses. Il a bossé longtemps sur la physicalité auparavant, ça devenait donc intéressant à exploiter. Ensuite, on a travaillé tous les deux pour essayer de trouver la bonne couleur.
Je pensais que ce travail serait facile, et on s’est vite rendu compte que ça serait plus difficile que prévu. On se posait plein de questions : comment elle bouge ? Comment elle se meut ? Est-ce qu’elle couine quand on la frappe ? Autant de questions auxquelles on a dû répondre rapidement. On s’est mis dans une salle et on a commencé à simuler : avec des coups de pied, sans coups de pied, son déplacement sur des terrains variés, parquet, sol rocheux, etc… Nicolas a su proposer et être force de proposition.

On parlait de Doug Jones et Javier Botet, il s’est inspiré de leurs travaux ?
Je lui ai envoyé une vidéo compilation du travail de ces deux acteurs, mais je ne suis pas sûr qu’il l’ait regardé. Honnêtement, je suis content qu’il ne se soit finalement inspiré de rien. S’il s’était inspiré ou s’il avait tenté de reproduire des interprétations, je pense que cela aurait faussé le résultat.

Juste par curiosité, c’est combien d’heures de maquillage pour obtenir ce résultat ?
Environ trois heures et demies. Il commençait très tôt le matin, il avait des journées bien complète.

Parmi les références cinématographiques, on peut noter des films/jeux vidéos comme Silent Hill ou encore les écrits de Lovecraft, avez-vous d’autres inspirations lorsque vous écrivez/réalisez des courts-métrages ?
J’aime le mélange entre naturalisme, réalité et immersion d’éléments surnaturels. Avant de me lancer dans un nouveau projet, je vais remater tout Cassavetes, Lars Von Trier, Wong Kar-Wai et dans un domaine un peu plus « fantastique » Tarkovski. Le but n’est pas de les imiter attention, ce sont simplement des inspirations.

Il y a un élément dans le film qui m’a perturbé, c’est la tapisserie qui apparaît au début du film. Est-ce une véritable œuvre d’art ou a-t-elle été confectionnée exprès pour le court-métrage ?
C’est une vraie tapisserie d’Aubusson qui date de la fin du Moyen-Âge. Elle a tout sauf été choisie au hasard par ce qu’elle représente. À cette période de l’histoire, la Licorne est l’animal céleste et mystique qui incarne la pureté. Sur la tapisserie, elle est enfermée dans un enclos trop petit pour elle, dans lequel elle suffoque. Elle a une chaîne en or autour du cou, reliée à un arbre sur lequel il y a des grenades, symbole de liberté et d’envie d’effervescence. Elle n’est pas là par hasard et, ce n’est pas un hasard non plus qu’Elias se l’approprie et l’emmène avec lui pour rejoindre la créature.

Les Curiosités du Mal est actuellement présenté au BIFFF 2021, en compétition, quel avenir lui souhaitez-vous ?
On va tenter de l’emmener dans plusieurs festivals, afin de se faire connaître et pouvoir participer à d’autres projets ou de réaliser des longs-métrages. Je lui souhaite d’avoir une belle vie en festival, et surtout qu’il soit vu. J’ai réellement envie de montrer ce court-métrage aux gens, idéalement en salles.

Ma critique de Les Curiosités du Mal est à retrouver ici.

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