BIFFF 2021 – UN COEUR D’OR : RENCONTRE AVEC SIMON FILLIOT, LE RÉALISATEUR

Chef opérateur diplômé de l’école de la Fémis, Simon Filliot s’essaie à la réalisation en stop-motion. Après le succès de La Ravaudeuse primé dans plusieurs festivals européens dont le Festival du Film Court d’Angoulême, il nous revient avec Un Cœur d’Or, un conte troublant sur la quête et la perte d’identité, un sujet philosophique inspiré et inspirant, présenté actuellement au Festival International du Film Fantastique de Bruxelles.

Cœur d’or raconte l’histoire d’une maman pauvre qui va être contrainte de vendre ses organes à une vieille femme malade pour de l’or et subvenir aux besoins de son fils, notamment. Mais au fil du temps, la nécessité laisse place à l’appât du gain. Et en continuant de vendre son corps, c’est son identité qu’elle va finir par perdre. D’où est née cette histoire ?
L’idée première est partie d’un jeu un peu idiot avec des dilemmes moraux. Avec mon ex-petite amie, on se disait : « Est-ce que pour 10 millions d’euros tu… ? », en se demandant des choses de plus en plus horribles. On finissait à peu près tout le temps par m’acheter. Puis, on m’a demandé si pour 10 millions d’euros je vendrai un de mes organes. Je me suis rendu compte que non, à aucun prix. Et ça m’a fait réfléchir sur le comment nous pouvons en arriver à vendre une partie de notre corps. Pour son enfant, peut-être ? J’avais mon point de départ.

Aussi, ça a résonné, parce qu’à cette époque-là j’étais en lien avec l’association de défense des prostituées. J’avais entendu plusieurs fois que leur premier but, c’était d’acheter un logement, avant tout autre chose. Je trouvais ça intéressant cette idée de vouloir vendre sa chair pour acheter de la pierre.

Dans la mythologie, la littérature et le cinéma, la perte d’identité est un sujet qui revient souvent. Comment vous vous êtes saisis de tout cela, de tous ces supports, pour livrer ensuite votre propre histoire ?
Il y a un mythe qui m’a beaucoup inspiré, c’est le mythe de Thésée. Dans ce mythe, Thésée laisse son bateau à Athènes très longtemps, et à mesure que les planches vieillissaient ou pourrissaient, les habitants les remplaçaient. Si bien que quand Thésée est revenu, aucune planche n’était d’origine. En somme, c’est une expérience de pensée philosophique concernant la notion d’identité. La question est de savoir si, une fois toutes les parties remplacées, il s’agit du même bateau ou d’un bateau différent. Je trouvais donc ça assez parlant de savoir si l’on pouvait rester soi-même, tout en ayant un autre « corps » de celui d’avant, ou si notre identité résisterait aux changements de nos parties constitutives ?

Pour les inspirations visuelles, je suis très inspiré par le travail du cinéaste tchèque Jan Svankmajer. Dans l’échange de corps, d’avoir des corps qui sont fait comme dans une terre, un matériau qui peut se malaxer, s’agglomérer comme on veut, ça me parlait beaucoup.
Ensuite je ne pensais pas énormément à des références de ciné. Sauf pour le personnage de la vieille dame. Un des films de chevet, c’est Sunset Boulevard de Billy Wilder où l’héroïne, Norma Desmond, fantasme sur un retour triomphant à l’écran. Dans Un Coeur d’Or, la vieille dame elle, rêve de retrouver sa jeunesse d’antan. Il y a deux quêtes qui, je trouve, se rejoignent.

Je ne sais absolument pas dessiner. Pour donner toutes les inspirations visuelles à l’équipe déco, je suis parti de certaines peintures. Par exemple, pour tous les intérieurs chez la vieille dame, on retrouve le travail de Félix Vallotton, et celui de Giorgio de Chrico pour les rues extérieurs. J’avais réalisé des grandes planches avec plein d’images qui me plaisaient bien pour essayer d’exprimer ce que je n’arrivais pas à dessiner.

Le rapport au corps était évidemment un des sujets principaux du film. La stop-motion permet de ressentir plus intensément les douleurs physiques, notamment avec le travail effectué sur la texture des marionnettes. C’est aussi pour cette raison que vous avez choisi de réaliser votre court métrage en stop-motion ?
Ce film-là en prise de vue réelle ça aurait été complètement gore. Ce n’était pas nécessairement ce que je voulais. Ici ça reste de la terre, on a un rapport un peu plus distanciel avec ce que l’on voit. Dans le même temps, ce sont des matières réelles. Alors, on va venir directement provoquer un sentiment chez le spectateur, on sent les matières. Comme ce n’est pas quelque chose qu’on a l’habitude de voir, ça créé un sentiment d’inquiétude, d’étrangeté où, à la fois c’est proche parce que ce sont des choses qu’on peut reconnaître, et à la fois c’est un peu distancié, parce que ce sont des marionnettes et qu’elles ne se cachent pas d’être des marionnettes.

Au niveau des matières, c’était très important de les faire ressentir à travers les marionnettes, qui sont en partie faites en terre. La terre a quelque chose de malléable, de plus vivant, qui peut vraiment se transformer. Du coup elle échange ça contre de l’or et contre le marbre de sa nouvelle maison. Ce sont des choses dures. Elle échange sa chair pour quelque chose de plus pérenne.

Le travail sur la stop-motion est assez fascinant, c’est une technique qui n’est pas si évidente à mettre en pratique. Pour les néophytes, est-ce que vous pouvez nous raconter comment on met en mouvement ces petites marionnettes ?
Toutes les marionnettes nt un squelette qui est fait dans un système d’armatures en métal avec des rotules, elles aussi en métal, qui permettent de tenir leur position. Ensuite, il y a la mousse autour qui donne la forme du corps, et sur le visage il y a une espèce de peau en pâte à modeler, mélangée à plein d’autres ingrédients. Chaque marionnette avait sa propre recette. La jeune femme c’était par exemple 50g de sable, tant de gramme de telles substances, etc… Le domestique, avait besoin de 30g de tabac (il sentait fort le tabac), par exemple.
Chacune avait un petit peu sa recette pour avoir une texture de peau qui lui est cohérente.

Le principe : on tourne image par image. En somme, on prend une photo, on bouge un tout petit peu la marionnette, on reprend une photo, et on recommence ce même protocole jusqu’à la fin. Ainsi, toutes les images mises bout à bout créent le mouvement. En général, en stop-motion on est à 10 images par secondes. C’est un vrai travail de patience. Parfois, j’avais envie d’éclater les marionnettes au sol (rire). Imaginez, le film fait 17 000 images !

Il y a un autre aspect qui est assez troublant dans Un Cœur d’Or, ce sont les yeux des personnages qui sont ultra réalistes et expressifs. Comment on arrive à un tel résultat ?
Les yeux, c’est la partie la plus compliquée au niveau de la fabrication. Parce que le spectateur se concentre souvent sur le regard. Alors, la moindre petite erreur peut donner à votre personnage un regard complètement idiot, complètement loupé.
Fabriquer les yeux, c’est une suite d’étapes très méticuleuses. Chaque étape peut faire louper toutes celles réalisées avant, il faut être réellement concentré. Il y a forcément beaucoup d’yeux que l’on rate.
Pour les yeux, on utilise de la résine, de la rétine imprimée puis on vernit et ainsi de suite, c’est un travail minutieux. Je voulais que les yeux soient hyper réalistes justement parce que la peau elle, ne l’est pas du tout. Elle est rocailleuse, et je trouvais ça chouette d’avoir des éléments (les yeux) qui nous ramène à des aspects très humains au milieu d’une forme qui ne l’est pas. Ça permet, juste avec des yeux, de donner vie à un tas de terre.

Il n’y a pas que les personnages qui sont vivants, les objets aussi, et notamment cette maison qui s’agrandit quand la mère reçoit de l’or ou se rétracte lorsqu’elle n’a plus d’argent. Un concept à la fois dramatique et ultra poétique. Cette idée-là de cette maison en perpétuelle évolution, elle trouve son inspiration quelque part ?
Je me souviens que j’avais vu un court métrage qui s’appelait Les Miettes, où une femme était toute compressée dans une maison. En réalité, elle devait brûler les planches pour chauffer sa maison qui devenait de plus en plus petite. J’aimais bien cette idée d’étouffement, très palpable, avec des murs qui se rapprochent.

On parlait de mythologie. À la fin du film, la maison est supplantée par un temple gréco-romain. C’est un choix intéressant…
Je voulais ce côté idéal, théorique, d’avoir un palais qui soit complètement froid, complètement désincarné, un palais d’une beauté qui n’attire finalement personne, afin d’avoir un contraste fort. L’or n’est juste que les reflets de la lumière, il n’y a plus vraiment d’humanité à l’intérieur. Tandis que dans sa petite maisonnette en bois, il y avait quelque chose d’intime, de chaleureux.

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