SONS OF PHILADELPHIA / NOBODY : LE POIDS DU PASSÉ

SONS OF PHILADELPHIA * SPOILERS *

Trois ans après Bluebird son premier film, Jérémie Guez nous revient avec Sons of Philadelphia, un polar sombre, violent, au cœur d’une année 2016 rongée par les divisions électorales.
C’est dans cette atmosphère pesante que nous suivons Peter Flood et son cousin Michael, gérants d’un cercle de mafieux irlandais, mis à mal par la concurrence d’où surgiront trahisons et vengeances.

La chute du fils

Le destin est parfois cruel.
Rien ne prédestinait Peter à devenir un petit truand de quartier. Si sa famille trempait déjà dans un business dangereux, tout bascule quand un policier renverse accidentellement sa petite sœur et que dans un esprit de revanche, son père n’abatte l’homme à l’origine de ce drame.
Un poids qui ne cessera de le hanter, au point d’en garder des séquelles post-traumatiques. De temps à autre, dans des moments de solitude, Peter se jette littéralement dans le vide (fenêtre, toit…). Ces « suicides » sont, quelque part, une manière de s’assurer que sa vie ne soit pas un cauchemar, qu’il se réveillera, une fois atterri.
Cet équilibre fragile entre la vie et la mort, Peter le côtoie chaque jour. Il cause chez lui une forme de lassitude, accentuée par la folie sanguinaire de son cousin, moins pacifiste, plus frontal dans ses prises de positions et ses actions. Ainsi, Peter doit « réparer » tous les dégâts commis par Michael et subir la vision des cadavres qu’ils laissent derrière lui. Une boucle à laquelle il mettra fin en tuant son cousin dans un final austère, émotionnellement puissant.
Un assassinat pour se libérer du poids du passé…

L’histoire de Sons of Philadelphia est finalement celle de vies brisées. Brisées dès la naissance par un environnement peu propice à un développement favorable mais également par des hommes et des femmes qui mènent une politique rude contre sa population la plus précaire, la plus défavorisée.

Une Amérique oubliée

La qualité première du récit de Sons of Philadelphia réside dans cette toile de fond d’une Amérique ante-Trump et l’image d’une population délaissée par un pays qui ne les considère plus. Un sentiment réciproque. Pour preuve, ce drapeau américain qui flotte au dessus de la maison de Peter, symbole d’un profond désarroi des classes populaires et des promesses auxquelles on ne croit pas.
Livrés à eux-mêmes, les gens sombrent… Et ce portrait de la descente aux enfers d’une famille accablée par les échecs et l’injustice, le film de Jérémie Guez le retranscrit avec finesse et intelligence. Si l’on peut être hermétique à la proposition, reconnaissons néanmoins le travail soigné de son écriture.

Une image forte que ce drapeau en lambeaux donc, qui nous fait comprendre, peut-être, que sous l’ère Obama rien n’a réellement changé. Le vote populiste est alors une porte de sortie attirante, une lueur d’espoir pour toute une partie de l’Amérique. D’ailleurs, le personnage de Michael, attiré par l’aspect entrepreneuriale de Trump, est séduit. Il voit en lui une sorte d’alter-égo.
L’état de la Pennsylvanie (lieu qui n’a pas été choisi au hasard) votera Trump, jusque là Républicain. Le signe d’un ras-le-bol général de ces oubliés d’un ancien état industriel prospère.

En cela, Sons of Philadelphia livre une critique politique pertinente où, pour survivre, se faire une place, il faut parfois franchir la ligne rouge. Faire son business devient ainsi un idéal à atteindre, un moyen d’exister, comme celui de devenir Président des États-Unis.

Conclusion

Personnellement insensible au cinéma de Jérémie Guez, de ses histoires sombres, de ses personnages torturés et la photographique froide qui parcoure ses œuvres, il faut admettre que l’écriture incisive et poignante de ses films sonne toujours avec une vérité écrasante. Mais Sons of Philadelphia est surtout porté par un casting fort, Matthias Schoenaerts et Joel Kinnaman en tête. Ils élèvent ce polar par leur seule présence et leur interprétation, à un niveau qui nous évite l’ennui.

NOBODY * SPOILERS *

Nobody est l’archétype du film hollywoodien et de cette nouvelle vague des longs-métrages d’action, où des anciens espions et/ou tueurs à gages reprennent du service, par simple vengeance ou pour venir en aide à autrui. De Taken à Equalizer en passant par Night Run ou John Wick, les productions de ce type se comptent par dizaines et, l’engouement pour certaines d’entre elles frise souvent la déraison (John Wick : figurines, produits dérivés, tournages de séquels et de préquels télévisuels…). Dans ce capharnaüm de films à la ressemblance flagrante, Nobody parvient-il à sortir du lot ? Réponse !

Quand le passé vous rattrape…

Dans Nobody, Ben Odenkirk incarne Hutch Mansell, un père et un mari frustré, totalement déconsidéré par sa famille, qui se contente d’encaisser les coups, sans jamais les rendre. Il n’est rien. Sa vie se résume à des tâches chaque jour identiques.
Une nuit, alors que deux cambrioleurs pénètrent chez lui, il fait le choix de ne pas intervenir, plutôt que de risquer une escalade sanglante. Une décision qui le discrédite définitivement aux yeux de son fils Blake, et l’éloigne encore plus de sa femme Becca. Cet incident réveille chez cet homme blessé des instincts larvés qui vont le propulser sur une voie violente, révélant des zones d’ombres et des compétences létales insoupçonnées. Il va tout faire pour tirer sa famille des griffes d’un redoutable ennemi et s’assurer que, plus jamais, personne ne le prenne pour un moins que rien.

Scénario classique, mais qui ne manque pas d’efficacité dans son montage et sa composition scénique. On subit cette monotonie, cette banalité quotidienne, au travers une succession d’ellipses temporelles répétitives des actions de Hutch, profondément ennuyeuses à l’image de sa vie. Une astuce plutôt intelligente que celle de transposer chez le spectateur la morosité de sa vie familiale et professionnelle, de le dénigrer à nos yeux, pour être parfaitement en phase avec le dégoût que peuvent éprouver les enfants et l’épouse de Mansell.
Puis, subitement, notre regard change, évolue, au même rythme que celui de sa famille.

Un braquage compromet la tranquillité de Hutch.
Accablé par les reproches et rongé par sa propre médiocrité, il décide de laisser sortir sa part sombre qu’il refrène et garde enfouie depuis plusieurs années. Le récit prend alors un tournant à 180 degrés, pour nous offrir des actes d’une violence inouïe mais jouissifs. Si la dernière réalisation d’Ilya Naïchouller, Hardcore Henry, fut un désastre de mise en scène, le style américanisé de Nobody dans les scènes d’actions révèle, lui, un résultat véritablement percutant. Il faut dire que celui-ci a été épaulé par David Leitch, coordinateur de cascades et co-réalisateur de John Wick dont l’influence se fait ressentir. Si quelques-uns trouveront que cette « américanisation » est une contre-proposition navrante, d’autres, déçus par Hardcore Henry, se réjouiront des styles de combat de Nobody, certes plus simples dans sa forme mais efficaces.

Pour autant, Nobody n’oublie pas son aspect « fun ». Le personnage de David Mansell, le père de Hutch, apporte une touche de comédie bienveillante au film et quelques passages fort sympathiques dans un dernier tiers délirant. Et puis, c’est toujours un plaisir de voir Christopher Lloyd cabotiner au cinéma pour ravir nos rétines.

Odenkirk is the new Cranston ?

Nobody est avant tout l’occasion de voir l’acteur Bob Odenkirk dans un registre inhabituel où, ne nous mentons pas, il assure. L’interprète de Saul Goodman suit ainsi les traces de son partenaire dans Breaking Bad, Bryan Cranston, et séduit en ex-agent-tueur vieillissant. À contre-courant de ses interprétations habituelles, l’avocat le plus célèbre de la télévision livre une performance inattendue, surprenante et réussie.
Ce qui rend également la proposition intéressante, c’est l’investissement de Bob Odenkirk. Le comédien ne s’est pas contenté d’interpréter un rôle et d’être doublé par un cascadeur sur les séquences d’action, il s’est entraîné assidûment pour être crédible. Cette envie de se surpasser, d’amener, de porter son personnage aussi loin que possible, tout cela se ressent à l’écran. Bob Odenkirk s’amuse, s’éclate même, et nous aussi.

On parlait de « retraite » et de « vieillir ». La fatigue est un facteur que le cinéaste russe traduit avec soin, sans tomber dans la caricature ou le pathétique. Les scènes d’actions sont alors mises en scène en vue de nous faire éprouver le temps qui a passé sur le corps de Hutch. La séquence au sein du bus en est l’exemple parfait. Hutch prend des coups, les rend, tombe, se relève, dans une avalanche de mouvements sur-vitaminés mais épuisants sur la durée. Le retour à la maison est exténuant. Cependant, cette nuit féroce fait renaître chez lui quelque chose qu’il aurait préféré oublier, mais le rend pleinement vivant.

Conclusion

Si Nobody n’a pas le niveau d’un John Wick, le long-métrage de Ilya Naïchouller n’en reste pas moins un divertissement énergique où Bob Odenkirk éblouit.

Actuellement au cinéma.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *