UN ESPION ORDINAIRE : LA GUERRE FROIDE SOUS HAUTE-TENSION

Sorti mercredi dernier au cinéma, Un Espion Ordinaire de Dominic Cooke retrace la folle histoire vraie de Greville Wynne, modeste représentant de commerce anglais, qui se retrouve plongé au cœur de la guerre froide. À la demande du MI-6 et de la CIA, il noue une alliance aussi secrète que périlleuse avec le colonel soviétique Oleg Penkovsky. Objectif : fournir les renseignements nécessaires aux Occidentaux pour éviter un affrontement nucléaire et désamorcer la crise des missiles de Cuba. Il entame alors une série d’allers-retours entre Londres et Moscou en prenant de plus en plus de risques…

Une réalisation peu ordinaire

Bien qu’Un Espion Ordinaire ne révolutionne pas le genre dans sa structure, le long-métrage de Dominic Cooke se démarque néanmoins grâce à son évolution narrative, musicale et sa réalisation. Le cinéaste est avant tout un dramaturge. Cet aspect théâtral, Un Espion Ordinaire l’acquiert dans sa narration qui ressemble à une tragi-comédie shakespearienne.
En effet, le film démarre avec une certaine légèreté. L’attitude de Greville, enjouée, crédule, la musique en décalage avec le danger que représente la mission à réaliser (cf. l’arrivée de Greville à son hôtel), ainsi que la mise en scène, épurée, où les protagonistes semblent vivants, expressifs, grandiloquents.
Les personnages s’amusent : sorties, apéros, opéra. Greville, lui, découvre Moscou en jouant son rôle d’homme d’affaires à la perfection.
Et puis, tout bascule.
La réalisation se resserre, la musique se fait plus anxiogène, les notes plus agressives, plus dramatiques et les personnages se replient sur eux-mêmes, se courbent, méfiants. [SPOILERS] : Une scène montre parfaitement cette bascule, celle de l’Opéra. Dans la première séquence où Greville et Penskovsky se retrouvent pour une représentation de Cendrillon, nous les voyons émerveillés, souriants, heureux. Dans la seconde séquence de l’Opéra, dans le dernier tiers du film, tout sonne faux : leur enthousiasme (forcs), leur sourire (hypocrite), leurs applaudissements (peu sincères). La crispation se lit alors sur leur visage. [FIN SPOILERS].

La manière dont Dominic Cooke filme la Russie lui permet aussi d’alourdir la pression de son long-métrage. Là aussi, le théâtre joue un rôle important dans Un Espion Ordinaire. Les lieux, les décors, les accessoires, chaque petit détail est pensé pour permettre aux spectateurs d’analyser les enjeux du film et le danger auquel doit faire face les deux héros.
Lorsque les personnages apparaissent à l’entrée des imposants bâtiments administratifs russes, par exemple, Cooke les filme en plan large pour montrer la façon dont ils sont écrasés par le poids de ces architectures froides et monstrueuses. Ainsi, on comprend aisément qu’il ne s’agit pas d’une mission d’espionnage de petite envergure mais bien Greville et Penskovsky contre un État, un Empire tout entier, où l’œil de l’ennemi est aussi bien la population russe que les bâtiments eux-mêmes.
Une tension qui est également présente dans les endroits clos, que Dominic Cooke filme de façon très minimaliste pour étouffer les personnages et le spectateur dans cet enfer russe.

Le biopic historique

Les productions cinématographiques traitant du sujet de la Guerre Froide et du conflit entre le Bloc de l’Ouest et le Bloc de l’Est sont légions au cinéma mais nécessaires. Les films historiques entre biopic et fiction mettent en lumière des individus, des faits d’histoires peu connus du grand public. Ici, on s’intéresse au rôle de l’homme d’affaires Greville Wynne (recruté par la CIA) et de l’agent Oleg Penskovsky qui, ensemble, ont pu transmettre à la CIA des secrets sur les armes nucléaires soviétiques et sur son service d’espionnage, permettant ainsi, lors de la Crise de Cuba, d’éviter une guerre nucléaire. Au total, ce n’est pas moins de 5000 pages de documents qui passèrent de la Russie à La Grande-Bretagne.

Un pan de l’histoire que l’école oublie. On questionne souvent le rôle de l’art, il est pourtant très clair. Le cinéma remet certains contextes historiques en perspective, offre une vitrine, une possibilité de dévoiler des histoires méconnues, des vérités oubliées, de montrer au monde des acteurs qui, dans l’ombre, ont sauvé des millions de vies durant les guerres.
Reste à savoir quelle est la part entre fiction et réalité dans ce type de productions. Néanmoins, c’est ensuite aux spectateurs de faire l’effort d’une recherche approfondie s’il en ressent la nécessité. Le cinéma ouvre une porte, que chacun est libre de refermer ou non après que les lumières se sont rallumées. C’est toute la beauté du 7ème art, nous cultiver et se cultiver.

Conclusion

Bien que coutumier des films historiques, Benedict Cumberbatch surprend encore dans ce rôle taillé pour lui. Il livre une interprétation juste, sans fausse note, comme ses partenaires, Merab Ninidze en tête.
Un Espion Ordinaire a de la tenue, des idées mais surtout une aura. Dominic Cooke conserve son expérience du théâtre pour façonner un film important sans superficialité. Il dirige ainsi sa partition comme un véritable metteur en scène pour instruire et non pour exposer un film grand spectacle à l’américaine.

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