BLACK WIDOW : SAUVER LES VEUVES ET LES ORPHELINS

Deux ans que nous n’avions pas entendu le générique de Marvel Studios au cinéma, deux ans que nous avions perdu cette sensation d’excitation qu’il procure quand les lumières s’éteignent.
Aux premières notes, une irrépressible joie s’est emparée de la salle. Les gens étaient heureux. Sur leurs visages, des sourires pour accueillir l’événement. Que Black Widow soit une réussite ou non, qu’importe, Marvel Studios avait déjà gagné la bataille.
Pour ma part, et c’est un devoir en tant que critique, une certaine neutralité doit régner ici. Alors, le retour de Marvel sur grand écran est-elle une réussite ? Black Widow est-il la conclusion tant espéré pour Natacha Romanoff ? Réponse !

L’histoire de Black Widow

En 2010, le grand public et les fans de Marvel découvraient le personnage de Black Widow dans Iron Man 2, incarnée par la brillante Scarlett Johansson.
Deux ans plus tard et quelques contusions, elle devient officiellement une Avenger sous l’œil d’un Joss Whedon dont la tâche était de former la première équipe de super-héros au cinéma. Bien que le traitement de Black Widow dans Avengers et L’Ère d’Ultron soit encore sujet à polémique, le créateur de Buffy contre les Vampires a su donner à son héroïne une force, une détermination, mais surtout un background et des failles alors qu’elle était une des rares à ne pas avoir eu son film solo en amont pour créer son origin-story et approfondir son lourd passé. En deux films, quoi qu’on en pense, le réalisateur est parvenu à lui offrir une véritable identité, à positionner, distiller des indices que l’on retrouve aujourd’hui dans Black Widow et nous permettent de mieux cerner la personnalité et les blessures profondes de Natacha Romanoff jamais évoquées jusqu’à présent.
Budapest fait bien-sûr partie de ces sous-entendus dont on connaît désormais les tenants et les aboutissants, dans une scène particulièrement violente où la Veuve Noire prend la décision de tuer la fille de Dreykov. Un film qui arrive trop tard ? Pas forcément. Avec cette scène, le long-métrage de Cate Shortland remet en perspective les actes héroïques que Natacha a pu réaliser avec le S.H.I.E.L.D ou les Avengers. C’est tout l’intérêt de ce Black Widow, où le manichéisme n’a pas sa place. Elle dévoile une Natacha Romanoff implacable mais aussi pleine d’humanité, où le manque – sous toutes ses formes – a creusé un vide immense en elle.

Placer le récit après Captain America : Civil War n’était pas une idée foncièrement mauvaise. Black Widow est un film sur la famille, c’est le cœur même de son intrigue. Dans ce contexte, ramener les Avengers et leur dissolution au sein de la discussion permet de mettre en lumière la souffrance d’avoir perdu la famille créée par Fury et Stark et le désir ardent de vouloir la sauver à la fin du film, de « recoller les morceaux ».
Des blessures profondes qui ne vont que s’accentuer…

Une histoire de famille

Black Widow est avant tout une histoire de famille. On y découvre que Natacha a une « sœur », Yelena (Florence Pugh), un père (David Harbour) et une mère (Rachel Weisz).
Bien qu’elle soit une famille fondée de toute pièce par le gouvernement russe, un certain attachement entre eux s’est fait au fil du temps. Des sentiments difficiles à dévoiler, notamment par un endoctrinement qui ne laisse aucune place aux émotions et à l’amour. Le fil conducteur de Black Widow est donc de ressouder, reconstruire cette « famille » contre un État qui leur a enlevé toute humanité. Un parcours émotionnel douloureux où les reproches, les rancœurs, les déceptions sont déballés dans une scène de retrouvailles assez touchante.
L’humour de Marvel Studios gâche parfois ces petits moments intimes et le côté balourd de Red Guardian agace. Mais il y a dans la lourdeur du père quelque chose d’innocent, d’attendrissant, de pudique, qui touche. D’ailleurs, plus le récit progresse, plus Red Guardian agit comme le pilier de cette famille et non plus comme un mentor.
La relation entre sœurs est aussi très intéressante. On sent une véritable alchimie entre Scarlett Johansson et Florence Pugh, laquelle sublime des instants où elles partagent l’écran ensemble. Dans l’action, où les joutes verbales amusent, mais aussi dans les séquences plus intimes, troublantes et authentiques.

Le passé de Natacha est apocalyptique.
Le spectateur apprend également que la vraie mère de Romanoff l’a recherchée et que Dreykoff l’a fait abattre. Une douleur supplémentaire. Et une manière de confronter le spectateur à la cruauté de l’Empire Russe et à ses méthodes pour dominer à tout prix l’Occident. Des procédés ignobles qui vont de l’enlèvement, à la création de tueuses sans pitié, jusqu’à la mort de recrues trop fragiles ou de personnes sur le point de dévoiler les secrets de la fameuse Chambre Rouge. On peut reprocher au long-métrage Marvel un côté grand public toutefois, il y a là des images et des propos d’une grande violence (certes, édulcorés quand il s’agit d’évoquer la fertilité des Veuves, mais j’y reviendrai).

Rest In Peace

Ce fut l’un des plus grands regrets d’Endgame, l’absence d’un enterrement digne de ce nom pour Black Widow. Un rendez-vous manqué avec les larmes que les Studios Marvel tentent tant bien que mal de combler. Malheureusement, l’émotion qu’aurait procuré un enterrement dans Endgame au côté de Tony Stark n’est en aucun cas présente dans le film de Cate Shortland. Le recueil de Yelena sur la tombe de sa sœur n’est ici qu’un prétexte à une scène post-générique qui, si elle pose les premiers jalons de la future série de Disney+ Hawkeye et les prémices des intentions de Allegra de Fontaine, n’a jamais la portée émotionnelle qu’elle aurait dû avoir.

Pour en revenir sur Hawkeye, espérons que le scénario de la série ne soit pas une banale histoire de revanche à deux francs six sous et que le mensonge d’Allegra ne serve pas d’alibi à un scénario cliché de huit heures où il suffirait d’une bonne discussion entre Clint et Yelena pour que cette dernière comprenne le sacrifice de sa sœur.

Les déceptions

. Le personnage de Black Widow, il est vrai, a toujours été sous-exploité et notamment dans l’action. Si Whedon était parvenu dans Avengers (2012) à mettre en scène l’héroïne au centre de moments de bravoure, ses capacités de tueuses sont extrêmement limitées face à des extra-terrestres ou des robots tueurs. Black Widow aura eu le mérite de dévoiler le potentiel de Natacha.
Néanmoins, les scènes d’action du film de Cate Shortland sont pour la plupart sans ambition, mal-filmées et de surcroît mal-montées. C’est une constante dans les blockbusters américains, cette fascination pour des combats au corps à corps bâclés, sans vision artistique.
Marvel Studios est une machine. Le rendement doit être rapide, et cela se ressent sur le rendu final. Il devient difficile pour les gros studios d’envisager de longs entraînements pour les acteurs et de travailler des chorégraphies plus longuement. On se retrouve alors avec des doubleurs qui tentent tant bien que mal de donner le change et des réalisateurs qui masque les défauts en filmant la plupart des mouvements de façon grossière pour tronquer l’œil du spectateur.
Dommage, car une production telle que Black Widow méritait cet effort, un soin particulier sur ses séquences d’actions pour permettre enfin de dévoiler tout le potentiel de Natacha.

La scène de la prison est aussi une source de déception. À vouloir imiter Fast & Furious dans la folie et la surenchère, le long-métrage se perd et oublie parfois son côté « film d’espionnage ». N’aurait-il eu pas été préférable d’être plus subtil dans une séquence pareille ? Je pose la question.

Taskmaster

. La révélation autour de l’identité de Taskmaster était le secret le mieux gardé du film. La révélation est puissante. Narrativement, on ne peut rien reprocher à Black Widow sur cet aspect-là. La déception vient de son utilisation dans les scènes d’action.
Si sa première apparition contre La Veuve Noire sur un pont en Norvège est excellente, il y a un problème : l’absence de succès. J’explique. Techniquement, Taskmaster est supérieur à Black Widow. C’est indéniable. Beaucoup de blockbusters actuels élèvent leurs super-méchants avec des capacités surhumaines, c’était le cas avec le récent Hobbs & Shaw, par exemple, et le personnage incarné par Idris Elba. Or, cette super-puissance a un défaut majeur, l’absence de succès.

À aucun moment, Taskmaster n’arrive à capturer Natacha et jamais Yelena, ne parvient à mettre la main sur les capsules. Des échecs constants qui décrédibilisent alors l’antagoniste et remet en cause sa force ainsi que son intelligence.

Fécondité

. Dans Avengers : L’Ère d’Ultron, une séquence entre Banner et Romanoff a fait réagir. Lorsqu’ils évoquent leur couple et leur avenir, ils n’entrevoient que le malheur. Banner a peur de transmettre ses gènes modifiés à un enfant tandis que Natacha se qualifie de « monstre » à cause de sa stérilité. Une séquence déchirante, mal-interprétée. Il ne s’agit pas de traiter les femmes stériles (par choix) de monstres, mais de dire que La Chambre Rouge l’a privée d’un choix, d’un libre arbitre : celui de fonder une famille. On peut alors comprendre que face à cette discussion à cœur ouvert, Natacha peut se sentir monstrueuse aux yeux de Bruce. Un problème d’écriture, une maladresse qu’une simple phrase aurait résolu : une femme ne se définit pas par sa capacité à féconder.

La fertilité des Veuves est un sujet une nouvelle fois abordé dans le film mais avec une légèreté déconcertante. Priver une femme de ses organes reproducteurs, la forcer à subir une opération de stérilisation est un acte barbare et la façon dont Natacha et Yelena raconte cela, avec humour, dédramatise les ignominies que pratique La Chambre Rouge. Dommage, alors que le film s’évertue à montrer sans concession toutes les horreurs de Dreycoff…

Conclusion

Si nous sommes loin de l’ambiance froide et anxiogène d’un Red Sparrow – mais la comparaison est-elle vraiment pertinente ? – Black Widow possède quelques beaux atouts dont cette semi-origin-story qui replace Natacha Romanoff comme l’un des personnages forts du Marvel Cinematic Universe.
Le film de Cate Shortland n’est pas exempt de défauts, bien entendu. D’un point vue narratif, il y a des failles qu’imposent malheureusement la formule et le contexte, et la mise en scène n’est pas toujours au niveau d’exigence qu’on attend d’un long-métrage d’action. Cela dit, le contrat du divertissement est rempli. Et honnêtement, n’est-ce pas tout ce que l’on demande ? Ou sommes-nous devenus moins exigeants avec les productions estampillées Marvel Studios ?
Enfin, Black Widow est une conclusion plus qu’honnête pour Natacha Romanoff. On regrettera simplement que son passé n’est pas été exploré dans sa globalité car, tellement de choses reste à étudier.
Oh et par pitié, cessez avec Florence Pugh. L’actrice interprète justement son rôle, impose un rythme qui lui est propre, de là à dire que sa performance survole toutes les autres il faudrait voir à ne pas abuser.


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