BAC NORD : À QUOI SERT-ON ?

*SPOILERS*

En plein cœur de certaines polémiques, Bac Nord, le nouveau film de Cédric Jimenez, fait pourtant un carton depuis sa sortie en salles.
Suite, notamment, au propos du journaliste étranger au Festival de Cannes qui accusait le film d’être un tract politique en faveur de Marine Le Pen, prenons un peu de recul, de la hauteur, et analysons ensemble les faits qui lui sont reprochés, à tort.

Autant de vies brisées...

Cédric Jimenez dépeint le tableau de trois membres de la BAC, trois vies humaines éreintées par le laxisme d’une politique gouvernementale inefficace, d’une Justice à bout de souffle, d’un manque flagrant de moyens matériels et d’action ainsi que d’une frustration qui envahit ces policiers au plus profond d’eux-mêmes (cf. la scène de discussion entre Gregory et Jérôme, son supérieur).
« À quoi sert-on ? » Questionne Gregory.
L’impuissance et l’abandon que Cédric Jimenez dénonce, offrent un film nerveux, violent et extrêmement frustrant pour les personnages et le spectateur. Une séquence résume parfaitement ce ressenti et la façon dont les forces de l’ordre sont démunies face à des positions dangereuses, celle de la course-poursuite, qui s’achève tandis qu’un groupe de jeunes (représenté dans le film le rappeur Kofs) leur barre la route. Une discussion s’engage, sauvage, bestiale, au dénouement décourageant, que le cinéaste filme avec une proximité qui accentue le caractère glacial et frénétique de la situation.
L’injustice permanente que subissent et subiront Antoine (François Civil), Gregory (Gilles Lellouche) et Yassine (Karim Leklou) nous démontre que le système est obsolète et ne fournit pas les « armes » nécessaires aux policiers pour mener à bien les diverses missions qu’ils doivent effectuer.

Dans les quartiers, ce sont désormais les habitants qui y font la loi et règnent en maître sur un territoire qu’ils se sont attribués au fil des années. Une immersion haletante que le réalisateur parvient à retranscrire sans cliché, sans caricature, avec honnêteté, et sans jamais tronquer la réalité des faits.
« On les a abandonnés » confie Gregory toujours dans cette scène avec Jérôme. Oui, la situation dans les quartiers est catastrophique mais elle est le résultat de décennies de renoncement, de délaissement. L’avenir des jeunes a été brisé par notre racisme quotidien, notre attitude envers eux, notre incapacité à leur offrir des opportunités et à leur insuffler de l’espoir.

Pour s’en sortir, ils se sont alors isolés du reste du monde, persuadés qu’ils ne seraient jamais acceptés, persuadés que leur place n’était pas à nos côtés. Notre violence a forgé leur violence, leur rage. Ils ne connaissent désormais plus que cela. Et à défaut de pouvoir atteindre l’État, ils s’en prennent désormais aux seules personnes entre eux et les hautes sphères, la Police ou toute autre forme d’autorité représentative (pompiers…). Autant de vies brisées, des deux côtés. Et pourquoi ? Pour une politique de chiffres. Ce n’est pas une excuse, loin de là. Mais dans un procès, n’avons-nous pas le devoir de révéler les circonstances atténuantes ?

Non, Cédric Jimenez ne fait pas le jeu de l’extrême droite. Il montre la réalité. Et la réalité est brutale. Cependant, il faut savoir l’analyser. Il faut définir historiquement comment nous en sommes arrivés là, quel est l’intérêt pour les pouvoirs publics de laisser s’envenimer les choses et comprendre que ces jeunes-là souffrent également.
Puissamment.
Intensément.
La confiance est brisée, ne reste que la haine et l’argent de la drogue pour espérer une vie décente. Leur vie n’est qu’une succession de tragédies. On finit alors par ressentir un profond dégoût non pas pour eux, mais pour les gouvernements successifs qui ont sciemment laissé pourrir la situation, laissé se déchirer deux camps que finalement rien n’oppose…
La seule chose qui prévaut, c’est l’image. Le film en parle d’ailleurs, à travers les actions menées par le Préfet et les discours télévisés des politiciens. Un dégoût renforcé lors du dernier acte, alors que ces trois policiers sont saisis par l’IGPN pour avoir fait leur travail avec les moyens du bord. Car, comment mettre en œuvre l’opération demandée, sans franchir la ligne ? C’est toujours une question de moyens, et lorsqu’on ne nous les donne pas, il faut malheureusement improviser. Peut-on leur jeter la pierre ? On veut des résultats. Rapide. Néanmoins, il n’y a ni aide, ni reconnaissance.

Les polémiques n’ont pas lieu d’être. Il ne me semble pas que Les Misérables en ait eu autant, sauf après son triomphe. Peut-être parce que le film était plus nuancé dans sa représentation des banlieues et que Ladj Ly prenait également le point de vue d’un jeune garçon, dont la vie avait été brisée par de vrais barbares, faisant des Misérables une œuvre moins radicale. Le film donnait, en effet, une attache émotionnelle à un jeune de banlieue dont la vie bascula inexorablement par la naissance d’une animosité féroce. Mais au final, Bac Nord et Les Misérables sont deux peintures qui soulèvent les mêmes problématiques : la misère humaine, les violences, l’abandon, la perte de repères, la fatigue, la dégradation de deux environnements (banlieues et commissariats), etc…

Conclusion

Bac Nord séduit par sa proposition sans concession d’une histoire inspirée de faits réels, où les difficultés des uns se répercutent sur la vie des autres. Un long-métrage fort, percutant, qui prend aux tripes, alors que l’on voit des êtres humains se déchirer sous nos yeux, enrobés par des discours politiques déconnectés et absurdes.
Caméra à l’épaule, Cédric Jimenez filme ses personnages et ses figurants avec toute la fureur et la détermination qui les animent, mais aussi avec une certaine sensibilité pour rentrer au cœur de leur intimité, de leurs sentiments, composés de désespoir, d’ardeur, d’envie et de colère. Autant de sentiments, lesquels rendent les personnages humains.

François Civil, Gilles Lellouche et Karim Leklou font une énorme impression et accordent de la nuance aux personnages qu’ils interprètent. Entre sensibilité, doute et hargne, ce trio d’acteurs apporte de la couleur et du contraste à Antoine, Gregory et Yassine, pour lesquels on ressent la même détresse dans ce dernier acte injuste.

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