DÉLICIEUX : RENCONTRE AVEC LE COMÉDIEN GRÉGORY GADEBOIS ET LE PRODUCTEUR CHRISTOPHE ROSSIGNON + AVIS

Le vendredi 2 juillet, le Méga CGR de La Rochelle accueillait l’avant-première du nouveau film d’Eric Besnard, Délicieux.
À cette occasion exceptionnelle, j’ai pu rencontrer le comédien Grégory Gadebois et le producteur du long-métrage Christophe Rossillon (La Haine).
Ensemble, nous sommes revenus sur la genèse du projet, l’histoire du cuisinier Pierre Manceron ainsi que sur la réalisation d’Eric Besnard. Une interview passionnante, truffée d’anecdotes et de secrets de tournage.

Synopsis : À l’aube de la Révolution Française, Pierre Manceron, cuisinier audacieux mais orgueilleux, est limogé par son maître le duc de Chamfort. La rencontre d’une femme étonnante, qui souhaite apprendre l’art culinaire à ses côtés, lui redonne confiance en lui et le pousse à s’émanciper de sa condition de domestique pour entreprendre sa propre révolution. Ensemble, ils vont inventer un lieu de plaisir et de partage ouvert à tous : le premier restaurant. Une idée qui leur vaudra clients… et ennemis.

INTERVIEW

De quelle façon est né « Délicieux » et quels ont été les arguments qui vous ont incité à produire le film ?

Christophe R. : Je connais Eric depuis longtemps. Il y a quelques années, nous nous sommes ratés. Eric m’a présenté le scénario d’un film, Le Goût des Merveilles, et avec mon associé nous sommes passés à côté. Le script n’était pas au point. Nous n’avions pas compris le projet qu’Eric voulait réaliser. Il nous a remercié en nous confiant que la discussion que nous avions eu lui avait permis de réécrire certains passages. Quand j’ai découvert le film en salles, j’étais malheureux. C’est un de mes plus grands regrets en tant que producteur. Je l’ai dit à Eric. Pas rancunier, il m’a dit : « tu produiras le prochain ». Lorsqu’il nous a pitché Délicieux, sans rien avoir écrit encore, on salivait et on s’est lancé dans l’aventure ensemble.
Il a co-écrit avec un autre réalisateur que j’aime énormément, Nicolas Boukhrief, deux scénaristes de talents. Les séances de travail avec eux ont été formidables. Toujours avec mon associé, en amont des séances, on décortiquait, dépeçait le scénario, pour ferrailler après au mieux avec Eric et Nicolas. Un vrai bonheur.
On commence à avoir les retours publics et presses et beaucoup de gens nous disent que le film est très bien écrit.

Grégory G. : On dit souvent les acteurs sont bons. Mais ils sont bons car derrière, il y a un scénario et des dialogues aux oignons. On l’oublie parfois.

« J’ai cette idée un peu bête qu’on fait toujours tout parce qu’il y a une femme quelque part. »

Grégory, comment êtes-vous arrivé sur le projet « Délicieux » et qu’est-ce qui vous a poussé à accepter le rôle de Pierre Manceron ?

Grégory G. : J’ai rencontré Eric Besnard qui m’a parlé d’un texte qu’il écrirait peut-être. J’étais reparti du rendez-vous en me disant que ça n’aboutirait pas, comme ça peut souvent être le cas dans ce milieu. Un an après, il ne m’avait pas oublié et j’ai lu le script qu’il m’a confié. J’ai trouvé ça fabuleux !
Ce qui m’a séduit, c’est avant tout le travail d’Eric, le scénario de Délicieux et ce personnage de Pierre Manceron qui change quelque chose malgré lui. Il n’a pas demandé à être dans cette position. Mais j’aimais surtout l’idée qu’il reprenne goût à la vie et à la cuisine, grâce à une femme. S’il n’y avait pas eu cette intervention, il serait resté dans son moulin à ruminer et ne rien faire. J’aime bien la place que ça donne à la femme. J’ai cette idée un peu bête qu’on fait toujours tout parce qu’il y a une femme quelque part.

Pierre Manceron est un personnage tiraillé entre son désir de créer et la dépendance à un Duc qui l’a banni pour cette même audace. Comment vous expliquez cette dépendance de Manceron envers le Duc ?

Grégory G : On a tous une dépendance. À nos téléphones portables, par exemple. Si on vous le retirait, vous vous sentiriez moins journaliste. Eh bien Manceron, c’est pareil. Quand il n’a plus son Duc, son Roi, il n’est plus rien. Il a une place, une place de Valet, qui est aussi importante que celle du Maître. Sans Maître, le Valet n’est plus Valet.

Christophe R. : Il faut aussi remettre ça dans le contexte. À l’époque, la France est leader dans la grande cuisine. Et donc, la Noblesse brille par ses cuisiniers qui est la seule à accéder à cette grande cuisine. Le commun des mortels, de son côté, mange de la nourriture simple. Un cuisinier comme Pierre Manceron est dépendant de son noble. Lui-même pense qu’il ne peut pas faire cette grande cuisine pour les petites gens qui ne seraient pas capable de l’apprécier.

Pour incarner le rôle de Pierre Manceron, vous avez suivi une formation particulière ?

Grégory G. : J’ai rencontré le chef du Quai d’Orsay, Thierry Charrier, avec lequel j’ai passé trois jours dans sa brigade. Il m’a appris ce dont j’avais besoin pour mon rôle, les bases en somme. Je ne pouvais pas apprendre la cuisine, j’ai appris à faire semblant d’être cuisinier. Mais surtout, j’ai appris ce que c’était de vouloir faire à manger pour les autres. Et ça, ce n’est pas apprendre, c’est ressentir. Ce n’est pas rien d’avoir envie de faire à manger pour quelqu’un.
J’ai appris à faire un Délicieux. J’ai un ami boulanger qui est venu, également. Il ne m’a pas appris à faire de la pâte à pain. Il m’a parlé DU pain. Il était venu avec des sacs entiers de farine pour me montrer les différences, quelles farines on utilisait à telle époque, etc…

« Selon le métier que l’on exerce, on voit toujours le monde d’une manière différente des autres. »

Il y des gestes techniques qui ont été plus durs que d’autres à assimiler ?

Grégory G. : Je me souviens que je devais casser un œuf d’une main. Je m’en faisais une montagne et répétais que je n’y arriverai pas. C’était impossible pour moi, sachant qu’à deux mains c’est déjà très compliqué. Eric m’a dit que ce n’était pas grave et que je pouvais le faire à deux mains. Quand on a commencé la scène, je pensais : « comment ça, je n’y arriverai pas ? ». Alors, j’ai pris l’œuf et je l’ai cassé d’une main.
J’ai dû apprendre plusieurs gestes pour le film : affûter des couteaux, à couper des aliments, etc. Mais on apprend surtout en regardant la cuisine (nourriture). C’est là qu’on voit le monde aussi, autrement. Manceron, quand il voit un champ d’herbe, il aperçoit des trucs qui ont du goût, qui sentent. Selon le métier que l’on exerce, on voit toujours le monde d’une manière différente des autres.

Christophe R. : La grande cuisine nécessite la maîtrise de ce que l’on fait, de là d’où ça vient, de la qualité du goût. À l’époque comme aujourd’hui, Manceron le fait d’ailleurs découvrir à la jeune femme qu’il rencontre et veut devenir son apprentie : il lui apprend le goût, à trouver les bons ingrédients, et à réaliser des plats – pas forcément sophistiqués avec ce qu’il y a autour d’eux.

Est-ce qu’il y avait un chef sur le plateau de tournage pour éventuellement vous aider, vous accompagner sur les scènes de « cuisine » ?

Grégory G. : Tout ce qui est cuisiné dans le film, c’est Thierry et son second Jean-Charles qui l’on réalisé. Sinon, non. Mais finalement, il n’y a pas tant de séquences de cuisine que ça.

Christophe R. : C’est avant tout un film humain, de rencontres humaines, un film profond, de nature.

Est-ce que vous aviez une doublure main ?

Grégory G. : J’ai fait la majorité des scènes. Je sais néanmoins que Thierry a fait quelques plans au cas où, pour d’éventuels « insert ». Je pense d’ailleurs qu’Eric ne m’a pas tout dit pour que je pense avoir tourné la plupart des scènes (rires).

Christophe R. : Il a effectivement demandé à Thierry certaines choses en précaution. Cela s’est joué ensuite au montage. Il y a quelques endroits, pour que ce soit plus rapide, où Eric a été chercher dans son stock « Thierry Charrier ». Mais à 90%, ce sont les mains de Grégory.

Dans le film, Manceron dit qu’il veut développer la cuisine de terroir et bannir les épices « étrangères ». Peut-on dire qu’il était un révolutionnaire de la gastronomie ?

Grégory G. : C’est ça que j’aimais chez lui. Toutefois, il l’est aussi car son fils le pousse et que le personnage d’Isabelle Carré le tire. C’est comme si Manceron ne s’autorisait pas à faire, à exister sans son Maître. […] Il a révolutionné, oui. Mais ça part surtout d’une volonté de faire quelque chose de nouveau. Son délicieux, par exemple, ce pourquoi il est viré, à avoir avec un problème : le goût. Le goût se perd aujourd’hui, et on a le goût de ce qui est à la mode. Le délicieux, à base de truffes et de pommes de terre ne l’était pas dans le temps. C’est d’ailleurs le prêtre qui va dénoncer cela et accuser Manceron de vouloir les traiter comme des « cochons » (voir image à droite).

Christophe R. : À l’époque, l’Église a encore une place très importante. Elle dirige une partie du monde. La religion chrétienne a ses aliments interdits et particulièrement la religion catholique. La tubercule vient de la terre et c’est pour cela que la Pomme de Terre va d’abord prendre en Allemagne car les protestants ne résonnent pas comme les catholiques. La Pomme de Terre arrivera tardivement en France.

Grégory G. : C’est Antoine-Augustin Parmentier qui a « harcelé » le Roi pour lui faire comprendre que la Pomme de Terre poussait partout, tout le temps, qu’elle était nourrissante, facile à emmener. Sinon, ce n’était pas mangeable pour eux.

Christophe R. : Vous utilisiez le mot « révolutionnaire » dans votre question. Il faut bien comprendre que les messagers, les nobles, et toutes les autres personnes qui voyageaient à ce temps-là, allaient de relais de poste en relais de poste et que la nourriture y était vraiment pas terrible, la plupart du temps de la soupe et du pain. Les nobles, lorsqu’ils se déplaçaient longuement, emmenaient éventuellement avec eux de la nourriture et des gens pour s’en occuper mais il n’y avait pas de lieux où l’on s’arrêtait, où l’on s’asseyait, prenait une carte et où le cuisinier s’affairait devant nous. Et Manceron va créer cette grande salle à manger, un lieu de plaisir avec des prix plus faibles pour les gens moins fortunés mais avec la même qualité. Puis, cette mixité où tout le monde se côtoie.

Parlez-nous un peu de la réalisation d’Eric Besnard…

Grégory G. : C’est une personne qui maîtrise sa caméra. Et puis, il a un chef op’ et chef électricien dont le travail fut fascinant sur ce film. Je les regardais faire et j’étais subjugué. Ils ont créé des choses qui n’existaient pas, des éclairages particuliers pour obtenir telle lumière. Moi, je ne voyais pas la différence. S’ils ne faisaient pas du cinéma, ils seraient à l’asile (rire). Les mecs ont conçu des trucs dingues ! Quand je vois le résultat, je trouve ça magnifique. Il y a une véritable volonté de faire une belle image. […] Mais surtout, les lumières étaient confortables à habiter. On se sentait bien quand on rentrait dans cette maison de campagne où nous avons tourné.

Cette volonté on la voit dans certains plans fixes, très picturaux, qui n’est pas sans rappeler les peintures de Nature Morte…

Christophe R. : C’est volontaire. Il a plusieurs peintres références, flamands notamment. Il a emmené son chef op’ dans des musées pour lui montrer la lumière qu’il souhaitait sur Délicieux : lumière à la bougie, lumière naturelle, lumière extérieure. C’est très réussi !

Est-ce que vous avez un souvenir gustatif, une recette que vous concoctait votre mère ou votre grand-mère et que vous aimeriez partager avec nous ?

Grégory G. : Je me souviens des crèmes anglaises de ma grand-mère, qui faisait cela dans des gros pots. Je n’ai jamais remangé de la crème anglaise comme celle-ci. Je rêvais de prendre le pot, de le soulever et de tout avaler d’un coup. On en a mangé chez Jeannette et Jeannot, un restaurant qui nous accueillait sur le tournage dans un petit village à côté. J’ai travaillé ma silhouette chez eux, car pour Manceron j’avais 20kg de plus. Elle nous a d’ailleurs fait un gigot, je me suis retrouvé enfant chez mes grands-parents. Un endroit magnifique, où ils font de la cuisine locale.

AVIS

Adapter une histoire vraie comme celle-ci n’est pas chose aisée. Eric Besnard parvient néanmoins à mêler habilement réalité et fiction, sans tomber dans le piège d’une narration décousue ou d’un scénario alambiqué (entre-coupé d’ellipses temporelles foireuses). Il y a un véritable travail de recherche puis d’écriture, une envie de raconter une histoire vibrante, haletante, tout en gardant à l’esprit qu’une partie romanesque est essentielle dans la caractérisation et la construction des personnages au cinéma.
Une personnalité historique (Pierre Manceron), l’origine du premier restaurant, et Eric Besnard livre une aventure humaine sincère et généreuse.

La partie politique du film, elle, est âpre, cruelle et irritante. Benjamin Laverhne campe avec brio ce Duc pour qui la cuisine haute gamme est un privilège accordé aux puissants et que le « commun des mortels » ne saurait guère apprécier. Ce raisonnement sera le pilier central de l’intrigue, celle qui poussera Pierre Manceron à l’émancipation et à la création du premier restaurant, d’un « lieu de bouche » où se côtoieront les riches et les pauvres autour d’une même qualité.

Délicieux est aussi un film sur les saveurs et le goût. Ici, l’envie passe par les yeux. Pour aguicher, le réalisateur n’hésite nullement à filmer les préparations de Manceron en gros plan, à user de travelling sur les banquets et à offrir des plans larges aux spectateurs qui contemplent ainsi la bonne bouffe en se délectant les babines. On sentirait presque les fruits et les légumes depuis notre siège.
Eric Besnard embellit sa mise en scène de façon picturale, au travers de plans fixes rappelant les tableaux de Nature Morte. Le cinéaste organise un cadre défini, y représente des éléments inanimés (nourritures, ustensiles de cuisine…) et les organise d’une manière à transmettre/suggérer une idée, un désir, une odeur. La symbolique des plans dans Délicieux n’est pas qu’un argument marketing, elle a une raison d’être. Elle participe à l’élaboration d’une histoire profondément authentique et d’un cheminement scénaristique audacieux, d’un chemin vers la liberté.

La lumière est aussi un élément qui contribue à la beauté de Délicieux. Lors des séquences de nuit, éclairées à la bougie, Eric Besnard capte cette lumière, la saisit pour la projeter avec intensité sur les comédiens. Cela vient renforcer la force de leurs propos, leurs états (douleur, solitude…) ou bien simplement la puissance de leur regard qui traduit une émotion sur l’instant T.

Conclusion

Eric Besnard réussit le pari de romancer une histoire vraie avec intelligence et sensibilité. La trame narrative est ficelée, la réalisation soignée, le récit passionnant, que dire de plus si ce n’est que Grégory Gadebois et Isabelle Carré forment un duo romantique plein de douceur et délivrent des interprétations impérieuses.

Délicieux, au cinéma le 8 septembre.

Merci à Grégory Gadebois pour sa simplicité, son extrême gentillesse et au producteur Christophe Rossignon pour cette interview.

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