NEGALYOD : VINCENT PERRIOT & LA SCIENCE-FICTION : « LE RÊVE ULTIME ? QUE NEGALYOD SOIT RÉALISÉ PAR DENIS VILLENEUVE »

Du 2 au 18 septembre, l’auteur et dessinateur Vincent Perriot expose les planches du premier tome de la série phare Negalyod à la galerie Huberty & Breyne de Paris. En avant-première et en exclusivité mondiale, vous découvrirez également une sélection de planches originales du tome 2, Le Dernier Mot, dont la sortie chez Casterman est prévue le 29 septembre 2021.

Pour le vernissage de cette exposition le 1er septembre, Vincent Perriot s’est livré à quelques confidences sur ses doutes, ses inquiétudes, s’est exprimé sur sa vision de la science-fiction ainsi que son avenir et s’est penché sur quelques cases mythiques du premier tome. Rencontre avec un auteur sensible et passionnant !

Rien à voir avec le cinéma, vous êtes sûrs ?

Inspirations, science-fiction & avenir

« C’est un message à tous les créateurs et auteurs de SF, arrêtons de croire à ce tout numérique. Essayons de voir les choses autrement, de rêver autrement. Pitié ! Essayons de voir la vie différemment, de créer autre chose que des histoires, des mondes en lien avec les machines. Pitié, on en a déjà assez de voir tous ces écrans partout. Nous sommes déjà des humains-robotisés, nous sommes déjà des robots, nous avons des comportements de robots. J’appelle à un renouveau de nos imaginaires autour du futur et de la science-fiction. »

Quel est votre rapport avec la science-fiction et qu’est-ce qui vous a conduit vers ce genre pour Negalyod ?
C’est la science-fiction qui est venue à moi. Depuis mes débuts, j’ai fait des albums aux genres divers : je suis passé par des récits intimistes, de la grande aventure historique et ensuite au polar social. Tous ces genres-là avec lesquels je suis passé, parle de notre monde contemporain. Avec Negalyod, j’avais une soudaine envie d’ouverture graphique, d’envie graphique immense, presque sans limite. Et quoi de mieux que de se plonger dans cet exercice par la science-fiction. Historiquement, elle est porteuse de décupler les effets, les matières, les distances, les espaces, les objets, les sentiments, tout peut être plus grand avec la science-fiction. J’ai eu ce désir de faire une sorte de métaphore de notre monde, comme le sont beaucoup de récits SF, et parler du monde dans lequel on vit en ce moment, cette espèce d’emprise numérique qui nous accable, de cette gestion des communs, de la foule, des énergies, des changements climatiques, des bouleversements politiques, qui prennent de plus en plus de place médiatiquement. Ces deux albums éveillent à ces questions, à ces grandes problématiques et la science-fiction est le terrain parfait pour l’exprimer et rendre ça au plus grand.

Pour créer l’univers de Negalyod, quelles ont été vos inspirations ?
Quand j’ai créé ces grande villes suspendues dans les airs, ces immenses conglomérats de bâtisses, je me suis inspiré de certaines constructions d’Afrique Centrale. Je me disais : si notre Humanité devait repartir à zéro, quelles seraient les technologies basiques, artisanales, que ferions nous revivre pour réhabiter ces espaces et sans utiliser des matériaux qui étaient usés ou qui n’existent plus ? Que serait alors une ville gigantesque reconstruite en terre avec tout ce que cela comporte de sculptures, de motifs architecturaux, d’agencements, de formes, de rondeurs ? Il y avait aussi un désir de refaire valoir à un certain savoir-faire ancestral et de le réinsufler dans ces grandes viles. Plus de béton, plus de verre ou presque, peu de transformations mais des villes qui sont construites/modelées à la main. Tout l’univers de ce premier tome, c’est ce renouveau du rapport à la construction, à la terre pour ces décors, et cela passe par ces grands tuyaux de métal et donc, ce retour des métiers de la forge, par exemple. Et me dire potentiellement, ils revivront, même dans notre monde à nous. Faire une projection métaphorique de tout cela.
Je me suis aussi inspiré de certains musées que j’ai pu visiter dans d’autres pays, à certaines constructions auxquelles j’ai pu être confronté, durant mes voyages en Inde, en Grèce, en Albanie, en Guinée, au Rwanda, en Turquie. Piocher et mêler, mélanger des choses que j’ai pu vivre et voir.
J’ai une seule référence cinématographique, c’est un film-ovni mais prémonitoire : il est difficile d’être un Dieu d’Alexeï Guerman. Le meilleur film SF, en tout cas le plus réaliste que j’ai vu.

Comment est né le personnage de Jarri, le héros de Negalyod ?
Jarri est venu parce que je me suis intéressé à la culture Aborigène. Je suis (toujours) fasciné par l’art pictural des Aborigènes – qu’on a pu commencer à voir dans les années 70 -, et une exposition au Quai Branly m’avait d’ailleurs particulièrement marqué.
De cette façon de voir le monde, par les rêves et par les traditions orales, calquer dans leur peinture une cartographie mentale de leur légendes, de leurs contes, apprendre de leur travail sur l’espace et les points, cela m’a énormément inspiré.
De plus, le nom de Tchapalt Jarri veut dire « le temps du rêve » en Aborigène.

Dans Negalyod, il y aussi une confrontation religieuse entre ceux qui croient en des divinités anciennes telles que Namarari et de l’autre, cette entité technologique. La religion est un élément important dans les histoires de science-fiction, selon vous ?
Oui. Ce que je trouve triste actuellement, c’est que nous nous sommes fait piéger par la religion numérique. Nous nous sommes fait aspirer avec envie et malgré nous, avec ses deux forces opposées, à ce tout numérique. Il nous envahit petit à petit, nous en sommes friands parce que c’est agréable et dont on est aussi victime car nous ne savons pas tout : comment sont-ils gérés, à quoi servent-ils, comment peuvent-ils être utilisés si une personne à des intentions moins nobles ?
Le numérique est la plus grande religion que l’humanité a pu connaître. Est-ce que c’est beau ? Je ne sais pas. Est-ce que c’est bien ? Je ne sais pas. Est-ce que c’est présent ? Oui, ça c’est sûr.
De mon point de vue personnel, je trouve ça triste. Aujourd’hui, tout le monde a le nez sur son écran que ce soit dans le métro, dans le train ou dans l’avion. On est complètement happé. Les faibles connections qu’on pouvait avoir entre nous, et qu’on a encore, passent désormais par cette interface. Tous les aléas de la vie, tous les moments d’absence, d’ennui, de construction personnelle ou de curiosité passent souvent par les écrans. Je suis aussi drogué que les autres. Il y a quelque chose à faire en science-fiction, c’est un message à tous les créateurs et auteurs de SF, arrêtons de croire à ce tout numérique. Essayons de voir la SF autrement, de rêver autrement. Pitié ! Essayons de voir la vie différemment, de créer autre chose que des histoires, des mondes en lien avec les machines. Pitié, on en a déjà assez de voir tous ces écrans partout. Nous sommes déjà des humains-robotisés, nous sommes déjà des robots, nous avons des comportements de robots. J’appelle à un renouveau de nos imaginaires autour du futur et de la science-fiction même si le mot contient déjà le mot « science » et le mot « fiction ». Mais qu’est-ce que la science ? La science n’est pas forcément les écrans, l’hyper-technologie, l’hyper-connectivité, c’est aussi la science du vivant et de milliards d’autres possibilités. Et la fiction, c’est à nous d’en faire quelque chose. Mais arrêtons les robots humanoïdes, les voyages dans l’espace qui n’arriveront jamais. Ce n’est pas arrêter totalement pour autant, mais se poser les bonnes questions : par quels moyens va-t-on dans l’espace ? Par quels moyens notre esprit va dans l’espace ? Mais ne croyons pas bêtement que c’est par la technologie, grâce à elle que nous irons plus loin.

Il y a plusieurs éléments de science-fiction liés à l’écologie dans Negalyod comme la manipulation météorologique, les sécheresses, les pénuries d’eau… Ce sont des sujets de plus en plus d’actualité. En tant qu’auteur, ce sont des sujets qui vous nourrissent et vous inquiètent en même temps ?
Plus on s’intéresse aux sujets environnementaux, moins on devient naïf sur l’avenir du monde. Ça devient alors difficile de revenir en arrière et de retrouver cette naïveté de création autour de ces thèmes-là. Je trouve incroyable tout ce cumul de connaissances autour de ces questions mais que ce ne soit pas d’autant plus diffusé et su par les gens en général. L’écologie et la finitude de la planète (que ce soit une transition ou un effondrement ou quel autre type d’avenir auquel on sera confronté), ce sont des grandes et lourdes questions pour tous les créateurs de SF. Nous avons le devoir d’essayer de sortir de cette chape négative qui peut nous compresser, nous écraser, et de trouver des voies de variations de vies, des voies d’espoir aussi minces soient-elles, aussi fines soient-elles. On se doit d’être des éclaireurs sur ces sujets, car si on s’y intéresse comme je le disais, on voit bien que nous allons droit vers des contraintes inéluctables. C’est difficile de rester joyeux face à ça, mais c’est notre métier, c’est notre mission.

Les hommes et les dinosaures cohabitent ensemble. Jarri peut même communiquer avec eux par télépathie. Faire cohabiter ces deux espèces, est-ce que cela ne révélerait-il pas un fantasme caché ? (rire).
Évidemment(rire). On pense bien entendu à Jurassic Park qui était un de mes films préférés adolescent. J’ai dessiné les dinosaures par plus plaisir d’adolescent et aussi pour deux raisons :
. Les dinosaures – au-delà de la joie de dessiner ces grandes forces de la nature – fonctionnent bien dans cet univers rétro/architecture, retro/vivant, et d’aller voir dans le passé les forces vivantes qui peuvent reprendre souffle dans cet univers.
. Une autre raison, parue après le tome 1, qui je sentais pré-existait et m’a sauté aux yeux par la suite. Au départ, je voulais dessiner des vrais animaux, des éléphants, des rhinocéros, des girafes, des félins, etc… Néanmoins, je me disais que si Negalyod est une métaphore de notre monde, je ne peux pas dessiner ces animaux car je sais pertinemment que beaucoup d’entre eux vont disparaître à cause du changement climatique. Ça me faisait un pincement au cœur de me dire que je dessinerai des animaux qui vont disparaître. Par déni de cette violence-là, j’ai dessiné d’autres animaux.

Un roman cinématographique ?

« J’aime le détail, l’improvisation. Ces grands dessins sont totalement improvisés, je ne sais même pas où je vais. Chaque brique, chaque fenêtre, chaque vaisseau, je laisse mon crayon glisser sur la feuille. Je construis une tour par-ci, un tuyau-par là. Je prends des livres de documentation pour augmenter mon degré d’imagination et je laisse faire mes obsessions, mes traits. »

Pages 62 à 64, il y a cette course-poursuite entre Jarri et le Grand Kam. En quelques cases seulement, vous réussissez à ajouter un vrai dynamisme à l’action, pareil pour toutes les autres scènes de ce type. On pourrait monter ces plans déjà dessinés, les mettre bout à bout et ce serait du cinéma. Comment êtes-vous parvenu à cet effet ?
Merci d’avoir repéré la fluidité de cette séquence car oui, c’est du cinéma. C’est un certain type de cinéma. C’est mon cinéma.
La bande-dessinée a cette possibilité de cadrer et re-cadrer, avoir une immense variété de mises en page pour simuler, stimuler, l’œil du lecteur. Je trouve ce médium incroyable pour ça. Il est tellement riche de possibilités. Les scènes d’actions je les vois comme des scènes filmées avec moi, ma caméra, les acteurs. J’ai la grande chance d’avoir une vision tridimensionnelle des scènes : je pose mon décor et je suis avec eux dans cette séquence. Je vois où je peux poser la caméra pour révéler l’action dans toute sa finesse et tout son dynamisme, pour attraper les détails qui rendent vie au contexte où ils sont. Je dicterai même aux comédiens la façon dont ils jouent. Ils sont vivants, la caméra est vivante, je suis vivant. C’est un pouvoir extraordinaire d’arriver à voir et à modéliser son environnement et ses personnages. Dans cet album, il y a un pouvoir de cinéma et aussi un pouvoir graphique avec ces cases en forme de losange, la multitude de petites têtes que l’on voit dans certaines pages, de passer à la fois d’une narration hyper immersive, cinématographique à un plan bidimensionnel très riche et de jouer à tous les niveaux sur ce médium.

Pages 88 à 90, vous dessinez justement une multitude de visages féminins. Renferment-ils des secrets ? Font-ils référence à des idoles ?
Vincent : Je ne sais pas… vous avez une idée ?
Moi : En voyant ces planches, c’est davantage un ressenti. Je vois des femmes fortes, indépendantes, combattantes, libres, et ça m’inspire beaucoup. Encore plus aujourd’hui, notamment en voyant ce qu’il se passe en Afghanistan. C’est un flot d’émotions qui se dégage.
Vincent : Votre réponse sera la mienne, c’est parfait et pertinent.

Vous laissez exister vos différents environnements, au travers de grandes planches. C’était important pour vous de leur donner cette liberté mais également ces cadres, ces profondeurs de champ, ces lignes, ces détails ?
Ces grands espaces, ces grandes double-pages, c’est la façon dont on rentre dans l’univers à la fois par les formes et par le trait. Souvent, j’aime ces grandes planches car elles parlent d’elles-mêmes, elles racontent elles-mêmes quelque chose, et ont en elles plein de petits scénarios.
Je trouve ça utile de laisser le dessin s’ouvrir à l’histoire, à la propre interprétation du lecteur et qu’il y fasse ainsi référence à telle ou telle œuvre, qu’il ressente telle sensation, telle émotion ou, comme tu disais avant à juste titre, tel sentiment. Pour moi, c’est un plaisir de les faire, de ne rien dire, et j’en dis peut-être plus comme ça. Et c’est aussi mon côté obsessionnel du dessin. J’aime le détail, l’improvisation.

Ces grands dessins sont totalement improvisés, je ne sais même pas où je vais. Chaque brique, chaque fenêtre, chaque vaisseau, je laisse mon crayon glisser sur la feuille. Je construis une tour par-ci, un tuyau par-là. Je prends des livres de documentation pour augmenter mon degré d’imagination et je laisse faire mes obsessions, mes traits. Je ne place même pas la ligne d’horizon.

Vous pensez à une adaptation ?
Oui ! Ça serait mon rêve absolu. Le rêve ultime ? Que Negalyod soit réalisé par Denis Villeneuve. Je lance un appel avec un grand sourire.
Quand le personnage de Jaari, berger dinosaure m’est venu, j’ai de suite senti qu’il y avait un potentiel cinématographique fort. Après, quels que soient les remaniements de scénario ou je ne sais quoi, j’espère qu’un jour il y aura quelque chose qui en sortira : un dessin animé, un live-action. C’est le rêve de tout auteur de voir vivre son univers à l’écran, de le voir glisser dans le temps.

Merci à Marina David pour l’opportunité, à la Galerie Huberty & Breyne pour son accueil et à Vincent, pour sa profonde gentillesse.

Le Tome 2, Le Dernier Mot, sortira le 29 septembre prochain.

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