STILLWATER : L’ANTI-TAKEN DE TOM MCCARTHY

Présenté au Festival de Cannes et au Festival du Film Américain de Deauville, le nouveau drame de Tom McCarthy Stillwater plonge le spectateur dans une histoire de famille bouleversante. Un film d’une justesse et d’une profondeur saisissante, où Matt Damon donne la réplique à une de nos meilleures actrices françaises : Camille Cottin.

Synopsis :
Bill Baker, un foreur de pétrole originaire de la ville américaine de Stillwater, en Oklahoma, se rend à Marseille pour y retrouver sa fille. Cette dernière, emprisonnée, a été condamnée à neuf années de prison pour un meurtre qu’elle jure ne pas avoir commis. Sur place, l’Américain est seul et ne parle pas un mot de français. Il va pouvoir compter sur l’aide de Virginie.

L’héroïsme selon Bill Baker

Stillwater est l’anti-Taken par excellence. Le réalisateur Tom McCarthy dépoussière le genre porté depuis quelques années par Liam Nesson pour livrer une partition dramaturgique poignante. L’auteur de Spotlight ancre son récit dans une réalité à la fois matérielle et familiale, violente à bien des égards, en parsemant son scénario d’une vision du monde réaliste, et développe le tout sans artifice mais avec grandeur et perspicacité. Un univers crédible tant dans sa représentation que dans le traitement de ses personnages. C’est ainsi que McCarthy prend de la hauteur, en ciblant les éléments que les films d’actions ignorent pour appliquer une vraie force émotionnelle à son histoire.

D’abord, le cinéaste choisit de personnifier son héros dans la peau d’un individu lambda, un citoyen normal, ayant aussi bien des difficultés professionnelles que financières. Ainsi, Bill Baker est né. Incarné par un Matt Damon précis, Bill Baker représente cette Amérique profonde, oubliée par les gouvernements successifs et qui lutte pour sa survie et celle de sa famille. Veuf, il doit composer avec une mère malade et une fille enfermée dans une prison française pour un meurtre qu’elle n’a pas commis. Ici, Tom McCarthy opte pour le contact humain plutôt que l’action et va alors se concentrer sur cette relation père/fille. C’est dans ce deuxième tempo que le réalisateur offre un drame particulièrement maîtrisé et émouvant. L’enjeu n’est pas prétexte à des actions démesurées ou des courses-poursuites explosives, mais pour le père de préserver une relation avec sa fille, à distance. Il y a, bien entendu, ce désir de sauver, d’extirper sa fille de cette condition injustifiée et injuste. Néanmoins, le cinéaste progresse par étape, use même d’ellipses temporelles pour montrer au spectateur que rien n’est simple, que les problèmes ne se règlent pas en quelques heures malgré l’envie et la foi. Parfois, il décide même d’évincer l’enquête de son équation scénaristique pour se recentrer sur l’aspect familial de son œuvre. Outre les moments forts passés avec sa fille en prison ou en dehors, on y voit alors Bill Baker évoluer à Marseille, au sein d’une « nouvelle famille », où il s’éprend à la fois de Virginie (Camille Cottin) mais surtout de la jeune Maya (Lilou Siauvaud). À l’image d’une rédemption, Bill s’occupe de Maya comme de sa propre fille. Cette nouvelle relation, charmante, offre au récit un lyrisme, une poésie dont on ne soupçonnait pas l’existence. À cet égard, McCarthy change sa manière de mettre en scène. Il décide d’illustrer sa narration avec des petits actes quotidiens, souvent banals (cf. aller chercher Maya à l’école), mais qui rendent le récit plus intimiste, plus beau et donne à Bill Baker une fragilité profondément humaine. Froid de nature, parce qu’abattu par les coups durs de la vie, il s’ouvre. Et cette ouverture, elle est nécessaire pour envelopper ce drame humain d’un petit espoir.
Malheureusement, il y aura cette cassure. La colère de l’injustice reprend le dessus et Bill saisit une maudite opportunité pour sauver sa fille, mettant en péril sa nouvelle vie. Là encore, Tom McCarthy se détache de toutes ses productions héroïques aux happy-ending faciles. Car la vie, ce n’est pas cela, une succession d’histoires roses où l’amour triomphe. Tout explose pour Bill. Bien qu’il réussisse sa mission première, son sacrifice brise ses espoirs d’une complète renaissance. Et finalement, n’est-ce pas cela le véritable héroïsme ? Sacrifier ce que l’on a construit pour sauver un être précieux ?
Toutefois, en s’affranchissant de sa douleur au côté de Virginie et de Maya, en goûtant à l’amour, il sait au fond de lui qu’une autre voie est possible. Désormais, toutes les cartes sont entre ses mains…

Filmer l’intime

Tom McCarthy ne se détache jamais de ses protagonistes. Pour transmettre l’émotion, en capter toute son intensité, il sait que tout passe par le regard. Le réalisateur filme notamment Matt Damon, souvent en gros plan, pour dévoiler toute l’intimité de son visage, de sa froideur à sa violence, en passant par les rires ou les pleurs. Néanmoins, jamais ses plans sur les visages des héros ne sont intrusifs ou oppressants. Il y a malgré tout cette distance, ce respect pour les étapes émotionnelles qui se succèdent. Ce rapport de proximité et en même temps cette distance, il s’en dégage une certaine tendresse. Nous bouleverse. Nous sommes avec eux, vivons cette histoire aussi ardemment que les protagonistes et c’est ce sentiment d’appartenir au récit qui donne à cette histoire toute sa puissance, toute son éminence et sa pureté.

Conclusion

Emmené par un Matt Damon implacable et une Camille Cottin exigeante (son doublage VF ne lui rend cependant pas hommage), Stillwater est un drame à l’opposé des figures héroïques qu’Hollywood nous présente aujourd’hui. Un film fort, dont les personnages sont réellement au cœur du récit, en sont les piliers, et non des objets au service d’une hystérie aux exploits surhumains. Oui, de temps à autre, cela fait du bien de voir un père lutter avec son cœur et non avec ses poings.

Mention spéciale à Lilou Siauvaud, la petite Maya. Prometteuse et adorable !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *