LA JEUNE FILLE ET L’ARAIGNÉE : ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR RAMON ZÜRCHER

Après « L’étrange Petit Chat » Ramon et Silvan Zürcher, poursuivent leur travail d’une trilogie sociale avec « La Jeune Fille et l’Araignée ».
Présenté au Festival International du Film de La Roche-sur-Yon, le film a reçu la Mention Spéciale du Jury Nouvelles Vagues.

Synopsis : Pendant des années, Lisa a vécu en colocation avec Mara et Markus. Mais le moment de prendre un appartement pour vivre seule est enfin venu. Un curieux manège de désirs prend son envol. Un film catastrophe tragi-comique, une ode poétique au changement et à l’éphémère.

La Jeune Fille et l’Araignée est une vraie proposition de cinéma. Une œuvre symbolique dans laquelle les deux frères proposent une vision du monde charmante et mélancolique, au travers une mise en scène géométrique et chaotique à la fois. Une fascination pour la symétrie, qui contraste alors avec la vie désordonnée de leurs héros et/ou l’environnement tumultueux où ils évoluent. Cette réalisation, équilibrée, riche et poétique, offre une dramaturgie bouleversante à ce film étonnant et perturbant par ses silences, par la brutalité du rapport à soi, par la fragilité des rapports humains et ses échanges d’une précieuse sincérité.
Rythmé par les notes au piano de Voyage, Voyage de Desirless, La Jeune Fille et l’Araignée est une invitation onirique au sein d’un théâtre exigeant, un ballet où se côtoient l’Humain et son humanité.

Le jeune cinéaste Ramon Zürcher analyse avec moi cette réalisation exigeante, mais aussi son rapport avec la peinture et le corps humain, omniprésent.

Rencontre avec Ramon Zürcher

Racontez-nous d’où est venue l’idée de ce projet et cette histoire, celle d’un déménagement où différents protagonistes vont se croiser, s’aimer…
En 2013, Silvan (mon frère jumeau) et moi habitions encore ensemble et nous avons décidé de rompre cette situation. J’ai donc choisi de prendre mon propre appartement. Comme nous sommes jumeaux, nous avons une relation symbiotique et il est nécessaire de la structurer. Nous nous sommes dit qu’il était bien que chacun ait son appartement, que nous ayons du temps ensemble et du temps individuel. Cette rupture était pour Silvan le point de départ, qui a commencé à écrire et développer ce scénario. De mon côté, j’ai commencé à écrire « Le Moineau dans la cheminée » qui sera la troisième partie de cette trilogie. On peut alors dire que la source du scénario de « La Jeune Fille et l’Araignée » est autobiographique.
Ce qui nous intéresse et nous intéressait également ici, c’est le statique et le mouvement. On a un fétiche : la caméra statique. Ça me fascine d’avoir un plan statique et une mise en scène élaborée, tout autour. Presque de façon théâtrale. Nous nous sommes dit que l’idée du déménagement était super, aussi, pour créer du mouvement. C’est comme faire le portrait d’un personnage statique et de le contraster avec un espace plein de mouvements.

Dans votre réalisation, il y a des plans, des cadres très symétriques. Cette recherche de l’esthétisme et de la géométrie parfaite, c’est une obsession ?
Peut-être, en effet. Pour nous, l’ordre ou le contrôle, ce sont des aspects proches de nous. Pas seulement l’ordre. Le chaos aussi. C’est un contraste. Ce que nous aimons, c’est qu’un plan commence de manière géométrique, symétrique et, pendant la durée du plan, quelque chose de chaotique se déroule en arrière-plan, ou que le plan ne soit plus si bien cadré. On aime que le début soit cadré de façon classique et que durant la scène, un équilibre se déploie. C’est peut-être aussi une conséquence du montage. On ne coupe pas vite. Les plans sont longs. Si on coupe plus tard, par exemple, l’équilibre ne s’organise plus pareil. […] On a certainement ce fétichisme pour la symétrie.

Cette symétrie, elle contraste avec la vie et les sentiments parfois chaotiques des personnages. C’était un effet voulu, cet équilibre entre le parfait et le chaos ?
Nous adorons les contrastes comme le statique et le mouvement ou le silence et le bruit. Le film articule un monde en crise, dans lequel il y a des conflits intérieurs. Le personnage principal, Mara, est un corps qui se trouve en crise, elle a des blessures (herpès), elle a mal. Pour nous, c’est une sculpture audiovisuelle, une métaphore d’un monde en crise. Et puis, Mara est également un personnage en crise. C’est une situation où Mara se sépare de Lisa, c’est un déchirement de ce corps symbiotique. C’est un tsunami pour Mara. Notre film est comme un film catastrophe intimiste, subtil, presque invisible.

Il y a également plusieurs plans fixes dans le film sur des objets inanimés, rappelant les peintures de nature morte. La peinture et ce courant artistique vous inspirent lorsque vous écrivez et réalisez des projets comme celui-ci ?
Je ne sais pas si des peintures que je peux voir dans des musées m’inspirent, mais autrefois je faisais des études d’arts à Berlin et j’ai souvent peint. C’est peut-être l’acte de peindre, l’acte d’avoir un « écran blanc » et le remplir avec des formes, des couleurs, qui est plus important. Pendant la période où je réalisais des peintures, je ne me suis jamais posé la question de ce que j’allais peindre. C’est seulement après avoir terminé que je regardais ce que j’y voyais. L’abstrait est devenu concret. Je faisais les choses naturellement, j’avais des associations d’idées. C’est le contenu qui m’a ensuite trouvé. C’était comme une interaction. Pendant le scénario, c’était pareil. Il y avait cette écriture automatique. J’écrivais juste des phrases, inconsciemment. J’aime cette méthode. Peut-être parce que comme personne, je suis assez contrôlé. C’est une méthode pour que je puisse laisser le contrôle et regarder après ce qui est bien.

En ce qui concerne les natures mortes et les plans que vous évoquiez, c’est plutôt la fascination que l’on peut raconter avec des objets. Ces objets que l’on voit en plan fixe sont des objets qui, avant, ont interagit avec les personnages. Eux partent, mais les objets restent. C’est comme une trace que quelque chose s’est passé. Quand je vois ces objets, seuls, comme la cigarette de Mara au balcon, ça a une sorte de mélancolie. J’aime bien ça. Et puis, le temps s’écrit sur ces objets. C’est le passé qui s’y inscrit. Même si le film est linéaire, avec ces objets, il y a une non-linéarité qui s’articule. Sinon, il y a une raison concrète. Comme nous n’avons pas une narration classique, avec ces objets, on peut structurer des blocs, comme des unités de temps. Il y a 4 blocs de plans fixes puis, après, une césure et la séquence suivante démarre. On regarde les traces de ce qui s’est passé et on voyage pour que le spectateur puisse aussi digérer ce qu’il a vu, puisse respirer. Ça fait la transition, en somme.

Vous filmez beaucoup les corps, nus souvent. Quel est votre rapport au corps ?
Quand on filme un corps, on filme aussi un paysage intérieur. Cet univers, le désir, la solitude, sont importants. Montrer des corps est important. Quand on est solitaire comme Mara, on cherche la proximité. Le corps est un empire qui respire le désir de trouver une autre personne. Pas seulement de façon sensuelle, sexuelle ou érotique mais aussi et simplement l’amitié. Entre Mara et Lisa, il y a cette rupture. Mara est donc à la recherche d’une autre unité afin de ne plus ressentir la solitude. C’est comme un ballet entre distance et proximité. C’est un mouvement un peu bipolaire entre psychologie et corporalité.

Parlez-nous d’Henriette Confurius, qui incarne Mara…
Je l’avais vue dans le film de Dominik Graf, Les sœurs bien-aimées, et j’ai aimé son regard et ses yeux. Ses yeux sont particuliers. J’aime ce mélange entre colère et sensibilité qui se dégage parfois de son regard. Il faut savoir que nos textes sont très littéraires. Il est difficile parfois pour un acteur de les jouer naturellement. Henriette Confurius a été très satisfaisante, durant le casting. Comme Mara est un personnage un peu destructeur, on voulait une actrice avec une vraie sensibilité pour contraster avec sa brutalité intérieure. Henriette a incarné tout cela parfaitement.

La Jeune Fille et l’Araignée sortira ce mercredi dans les salles obscures.



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