EN ATTENDANT BOJANGLES : ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR RÉGIS ROINSARD

Le 5 janvier, le nouveau film de Régis Roinsard En Attedand Bojangles sortira dans toutes les bonnes salles de cinéma.
Adapté du roman d’Olivier Bourdeaut, le réalisateur revient dans un entretien sur son adaptation cinématographique, sa mise en scène de la danse et de l’amour, sa façon de gérer ses figurants et le choix de ses acteurs principaux.

Naissance & scénario

Qu’est-ce qui vous a convaincu d’accepter la réalisation d’En Attendant Bojangles ?
Au moment de la sortie du roman, beaucoup d’amis me téléphonaient ou m’envoyaient des messages pour me dire qu’il avait un roman, En Attendant Bojangles, qu’ils avaient adoré et pensaient que je devais en réaliser l’adaptation. Je trouvais ça étrange qu’on me dise ça et surtout à répétition. Le roman marchait bien, il avait reçu plein de prix et des louanges de toute la presse. Bizarrement, cela n’a fait que m’empêcher de lire le roman. […] Puis, je n’adapte pas des films pour avoir un succès garanti en salles et, en même temps, adapter ne signifie pas forcément succès. Un jour, j’appelle un jeune producteur, Thierry de Clermont-Tonnerre, pour prendre de ses nouvelles. Dans la conversation, je lui confesse que plusieurs personnes m’appellent pour me demander de mettre en scène l’adaptation du roman d’Olivier Bourdeaut. Coïncidence, il avait le livre entre les mains et venait de le terminer, bouleversé. Lui aussi affirme que je dois réaliser le film et qu’il est prêt à me suivre dans cette aventure. C’est un alignement de planètes. J’ai donc lu le roman et ça m’a ému. J’y voyais un film et une multitude de choses que j’avais envie de montrer au cinéma grâce à cette histoire et ces personnages. Je l’ai fait lire à ma première lectrice, ma compagne en qui j’ai totalement confiance. Après lecture, elle m’annonce à la fois avec humour et très sérieusement : « si tu ne le fais pas, je te quitte ».
J’ai demandé les droits avec Thierry de Clermont-Tonnerre et une production Curiosa (producteur : Olivier Delbosc). Gallimard avait souhaité qu’un duo de réalisateur/producteur se présente avec un projet d’adaptation écrit. J’ai décidé de faire autrement. Je ne voulais pas me plonger directement dans l’écriture pour vivre avec ces personnages car, si je n’avais pas eu les droits, j’aurais eu énormément de mal à faire le deuil. J’ai monté un petit film, une sorte de bande-annonce de deux minutes, avec des films connus et moins connus et qui reflétaient ce que j’avais envie de faire, l’atmosphère que je souhaitais. C’est ce que j’ai montré à Olivier Bourdeaut et à la maison d’édition. Ils ont adoré.

Au scénario, on retrouve une fois encore Romain Compingt avec qui vous avez déjà travaillé sur Populaire ou encore Les Traducteurs. Quelles ont été les difficultés pour vous deux d’adapter le roman en script pour le cinéma ?
Avant de voir Olivier Bourdeaut et la maison d’édition, j’ai appelé Romain Compingt afin de savoir si, cinématographiquement parlant, nous pouvions obtenir la même émotion en passant du livre au cinéma. J’avais une petite idée mais je voulais qu’il confirme mes pensées. Nous étions sur la même longueur d’onde. Pour obtenir la même émotion, il fallait raconter les événements dans l’ordre. Ce n’est pas le cas du livre, où il y a divers points de vue dont celui de l’enfant, principalement, mais aussi quelques flashbacks. On a défait le ruban et nous avons pris la décision de raconter l’histoire de manière linéaire pour avoir cette même émotion et davantage d’incarnation. Il fallait trouver notre version qui puisse émouvoir tous les spectateurs et les lecteurs. Une fois cela fait, on se questionne sur le langage des personnages. Camille et George s’expriment d’une façon particulière, qui fait d’ailleurs tout le charme du livre. Bien que ce soit une difficulté pour les acteurs, car ce genre de dialogues est très organique, on a gardé le style à l’identique.
[…] J’avais annoncé à Olivier que j’allais le trahir. Cela l’a fait sourire et j’ai su que j’aurais toute la liberté nécessaire pour adapter son roman. Avec Romain, on s’est permis de raconter le film qu’on voulait. On a pris le parti de conter cette histoire du point de vue du père et du fils, pour glisser ensuite totalement sur le fils.
La grande difficulté, c’était donc de conserver les mêmes émotions, cette sensation de grand huit, comme dans le livre et de travailler assidûment les transitions d’humeur de Camille. C’était un bonheur d’écrire ce scénario. Nous étions tellement investis que lors du tournage, Olivier (qui est venu nous voir) et moi-même, on se demandait qui de nous deux avaient écrit les dialogues. On ne s’en souvenait pas, tout fusionné.

Réalisation & Mouvement

Parlons de la séquence d’ouverture du film et la rencontre entre Camille et George. Il y a cette danse endiablée et séductrice, où ils tentent de s’apprivoiser au travers aussi des histoires racontées. Comment, dans la mise en scène, et outre le jeu formidable des deux acteurs, vous avez travaillé cette scène pour lui donner autant d’intensité, de force et de caractère ?
Le film devait avoir du souffle et de la fougue, tout le temps. Particulièrement au début du film. Si Camille et George dansent un tango, je disais à l’équipe que ça devait valser. Ça voulait dire qu’il y ait en permanence de l’action, des mouvements, autant dans la mise en scène que dans les placements de caméra, que dans la danse, que dans le rythme des dialogues, que dans les couleurs qui apportent elles-mêmes du rythme.

On travaille beaucoup ce genre de séquences en amont. Nous n’avions que trois jours pour tourner cette scène, ce qui est peu, surtout pour une scène dansée. On s’est appliqué avec mon chef op’, Guillaume Schiffman, à choisir tous nos plans de caméra à l’avance. Avant même de tourner à l’Hôtel Belles Rives de Juan-Les-Pins on a choisi dans quel axe on tournerait, dans quel mouvement. Rapidement, pour donner ce souffle dont je parlais, on s’est rendu compte que nous devions toujours être en mouvement, accompagner les comédiens, que ce soit en travelling ou steadycam, avec des raccords et des enchaînements quasi inédits afin d’apporter cette fougue à la mise en scène.
[…] Le premier plan et le dernier plan d’un film sont très importants. Ce qui est drôle c’est de juxtaposer le premier et le dernier plan d’un long-métrage, les faire fondre ensemble et ça peut prendre un tout autre sens. Le nôtre, ce sont des flûtes de champagne.

Il y a une autre scène de danse, impressionnante, dans un appartement et que l’on peut voir dans la bande-annonce. Elle est très astucieuse dans la façon que vous avez de la filmer, parfois par des angles inhabituels. Comment on organise une scène comme celle-ci, avec autant de figurants et de comédiens ?
J’ai l’obsession des figurants et de leurs déplacements. Bien souvent, dans les films français en particulier, le choix de figuration, la façon dont les figurants se déplacent, n’est pas très bien faits. Je les vois et ça me dérange, ça me sort du film. J’ai pour habitude de choisir tous mes figurants. J’assiste aux essais, je les choisis, et je regarde avec attention leur humeur pour que ce soit agréable de travailler avec eux. Sur la figuration, je travaille avec Marie-France et Laurent Couraud.

Ils savent mettre l’ambiance, savent diriger les figurants, parviennent à leur créer des petites histoires, à leur donner des choses à faire, pour donner l’impression qu’ils existent. Ça, c’est la première chose et elle est importante. Vient après, le choix de l’appartement. Pour des raisons de budget, on a ici choisi un appartement qui existait déjà mais qui avait des possibilités de circulations de caméra vraiment chouette. J’ai essayé, dans cet univers, de déplacer ma caméra comme je le souhaitais et comme-si on était un convive dans la fête. C’était l’objectif, de pouvoir faire la fête avec eux. Pour en revenir aux figurants, le but était aussi qu’ils fassent la fête avec nous. On a évidemment préparé la séquence, pour éviter de cogner la caméra contre eux le Jour J. C’était très chorégraphié. Je voulais vraiment que tout soit chorégraphié dans le film, aussi bien la danse que les mouvements des personnages afin d’obtenir ce dont on évoquait : la fougue.
Donc ça + le décor + les mouvements de caméra + les points de vue, ça permet de créer une certaine vie, une certaine joie.

Romain et Virginie ont suivi des cours de danse je suppose…
Ils ont suivi des cours avec Marion Motin, une chorégraphe qui a notamment travaillé Stromae ou Christine and The Queens. Elle fait aussi des spectacles de danses contemporaines. C’est une chorégraphe qui a donné du sens à chaque danse. Son but n’était pas que Romain et Virginie deviennent des pros de la danse mais qu’ils puissent donner des choses dans leurs personnages. Les fautes techniques n’étaient pas importantes.

Quand la santé de Camille se dégrade, le récit prend un autre tournant, plus tragique. Cependant, vous gardez dans votre réalisation, dans la photographie, une certaine chaleur, une joyeuseté pleine d’espoir. Comment avez- vous joué avec deux aspects dans votre mise en scène ? Je pense notamment à la scène de l’évasion ou la cavale en Espagne…
Il est vrai qu’avec mon chef op’ on s’interrogeait si on devait éclairer différemment les moments de grandes joies du film et les moments plus dramatiques. Comme le film glisse de l’un vers l’autre, il ne fallait pas que ça se voit. En termes de lumière, on a choisi une palette de couleur qui donnait du sens et reflétait l’âme des personnages tout étant aussi des couleurs d’époque et des références des films d’époques qu’on aime. La différence entre les deux états de Camille se traduit plus par la mise en scène et le choix des optiques. Là, les choses changent. Quand Camille à ses crises, je souhaitais que l’on soit comme des témoins de ça. J’avais envie que la caméra soit paralysée pour ces moments-là. Pour faire la différence entre la fougue du début et les crises, je voulais que la caméra devienne plus distante et qu’on soit donc témoin. Le spectateur est alors à la fois dans la surprise et, en même temps, ne sait pas quoi faire. C’était ce rapport de distance de la caméra et ce rapport optique qui était le plus important pour donner du sens à ces crises.

Comment définiriez- vous cette histoire d’amour entre Camille et George ?
C’est difficile de donner des mots à l’Amour. C’est peut-être pour ça que je n’écris pas de romans et que je fais du cinéma. C’est une histoire d’émotions, de sensations, je n’essaye jamais de théoriser les choses. Théoriser l’histoire d’amour entre Camille et George, ne me semble pas nécessaire.  Puis, ce n’est pas juste un duo, c’est également une histoire familiale et d’amitié. C’est compliqué de faire une phrase pour eux deux. C’est un amour fou. Mais qu’est-ce que l’amour fou ? Quand j’ai écrit et réalisé le film, même aujourd’hui, cette histoire me fait encore me demander : qu’est-ce que l’Amour ? Quel est le niveau d’amour qu’on peut donner aux choses, aux êtres et qu’on doit leur donner ? C’est une question difficile. S’il y avait une morale à tirer du film, c’est de ne pas avoir peur d’être fou.

Vous dites que vous faites du cinéma parce que vous seriez incapable d’écrire sur l’Amour. Est-ce plus facile de le filmer alors ?
Je ne sais pas. Ce n’est pas une question que je me pose d’ailleurs. C’est plutôt l’inverse : est-ce que je vais prendre du plaisir à… ?.
Je prends du plaisir à raconter cette histoire d’amour et à lui donner le plus de corps possible. Après, il y a les difficultés inhérentes à un tournage, à la fabrication d’un film. Les difficultés sont davantage sur la période de financement, c’est là où on stresse vraiment. Et l’attente. Une fois qu’on est dans le bain, c’est que de la joie. Et les difficultés sur un tournage, nous permettent de peaufiner, de rechercher. Il y a eu des moments où on s’est arrêté une heure car nous ne trouvions pas le bon axe de caméra, la bonne manière de jouer certaines choses.
 J’aime le cinéma dans son entièreté. J’aime travailler le son, la couleur, les costumes, les coiffures, les déplacements, le jeu principalement. C’est du travail mais je n’ai pas les mots pour décrire ce que ça me procure…

Vous disiez que vous ne vous posiez pas la question lorsque vous filmiez l’Amour. Est-ce que ne pas se poser la question, ça permet d’être plus juste dans l’émotion ?
Ça doit être ça. J’imagine. Il y a des choses qu’il faut garder instinctivement. On essaie de reproduire la vie au cinéma ou d’en créer. On crée parfois des moments de vie. Il faut que ces situations, ces caractères, ces personnages existent complètement. On tourne une minute utile par jour qu’on doit rassembler dans un montage donc, si on théorise trop, on se casse la gueule. Pour ne pas théoriser, il faut préparer en amont avec toute l’équipe. J’aime bien me préparer pour qu’on soit en immersion et qu’on ne se pose pas de questions trop théoriques qui pourraient nous embêter artistiquement et nous enlèverait de la folie.  

Des acteurs sur mesure

De quelle manière se sont imposés Romain Duris et Virginie Efira ?
Je n’ai pas choisi les acteurs individuellement. J’ai d’abord pensé au couple. Je me suis demandé qui pouvait interpréter ce couple. J’ai imprimé des photos, je les ai posées sur une table et j’ai juxtaposé des couples. En voyant Romain et Virginie, j’ai pensé que ça ferait le couple parfait. Le couple que j’avais envie de voir au cinéma, que j’avais envie de voir dans cette histoire. Puis, je savais le talent et la musique de chacun même si je n’avais encore jamais tourné avec Virginie. Cependant, j’ai regardé beaucoup de ses films. Je sentais que ça pourrait être le feu entre les deux.
Le scénario leur a été envoyé en même temps. Chacun savait que l’autre le lisait. Assez rapidement quasiment en même temps, ils ont dit « oui ».   

Grégory Gadebois est formidable dans le film. Il incarne un sénateur finalement tendre, loin des clichés d’un Sénateur. C’était une évidence de prendre cet acteur ?
J’ai pensé à Grégory tout de suite après l’écriture du scénario. Je ne voyais que lui pour l’interpréter. Pas seulement pour sa corpulence et sa bonhomie, mais parce qu’il a des capacités d’interprétations hallucinantes. On lui a envoyé le scénario puis, nous nous sommes rencontrés. Nous sommes Normands tous les deux, on a vite discuté de Normandie. Ça rapproche. On a des acteurs qu’on aimait bien. Je lui ai parlé de Bill Murray par exemple. Il ne le connaissait pas énormément et je lui ai confié que j’aimerai bien aller là-bas. Grégory a donc commencé à regarder beaucoup de films avec Bill Murray. Mais il n’est pas tombé dans le mimétisme.
Ce que j’ai aimé aussi, c’est sa totale implication. Souvent, entre ses prises, il ne rejoignait pas sa loge pour attendre ou se reposer. Lui, il restait sur le plateau pour regarder Romain, Virginie et Solan. Je lui demandais pourquoi il restait là et il me répondait : « Je regarde mes amis. ». Il ne parlait pas de ses amis Romain et Virginie mais de George et de Camille. C’était assez beau.

Parlez-nous du jeune Solan Machado-Graner (Gary fils), lui aussi extraordinaire dans le film.
Il faut avoir beaucoup de chances pour trouver le bon garçon. On a commencé le casting très tôt et nous avons vu un millier d’enfants. En octobre, à deux trois mois du début du tournage, Solan est arrivé et ça a été la magie. Il était très loin devant les autres. J’avais mis la barre haute. J’avais montré à notre directrice de casting, Elsa Pharaon, l’essai du jeune comédien Henry Thomas – qui jouait Elliott dans E.T -, face à Steven Spielberg. Je voulais un garçon avec une sensibilité identique, aussi puissante émotionnellement.
Solan est un garçon très intelligent, sensible et incroyablement créatif. Le film lui doit beaucoup, pour son jeu, mais surtout pour sa créativité. Il y a plein de choses qu’il a créées dans plein de séquences du film.

Solan avait une grande notion de l’ensemble du film, de ce que ça racontait, de ce que racontait son personnage et ses parents. Parfois, sans s’en apercevoir,  il faisait des rappels poétiques à une scène précédente.
[…] Son intelligence est un cadeau et on le regarde jouer. Il a des gestes imprévus (une main posée…), des idées qui donnent une telle ampleur à une séquence.  Par exemple, dès qu’il y avait un objet, il jouait avec. C’était presque à chaque séquence.

Vous pouvez retrouver ma critique (sans spoilers) d’En Attandant Bojangles, vu au Festival International du Film de la Roche-Sur-Yon, ici.

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