ADIEU MONSIEUR HAFFMANN : ENTRETIEN AVEC LA PRODUCTRICE VANESSA DJIAN ET LE BIJOUTIER CAMILLE MONCOMBLE

Adieu Monsieur Haffman c’est l’histoire d’un bijoutier juif, obligé de quitter son entreprise et sa maison pour rejoindre la zone libre. Pour ne pas perdre sa bijouterie, il la vend à son employé, François Mercier, avec lequel il signe aussi un accord moral. Mais les contrôles à la frontière se renforcent et Monsieur Haffman se retrouve caché dans la cave de son propre appartement. Le piège se referme peu à peu sur Monsieur Haffman, contraint et forcé de travailler pour François Mercier et les nazis…

À l’occasion de la sortie du film le 12 janvier dernier, la productrice Vanessa Djian et le bijoutier Camille Moncomble sont revenus ensemble sur l’aventure extraordinaire d’Adieu Monsieur Haffmann, les difficultés liées au tournage ainsi que leur travail sur le film.

Adieu Monsieur Haffman est l’adaptation d’une pièce de théâtre du même nom écrite par le metteur en scène Jean-Philippe Daguerre. Succès aux 4 Molières, dont Meilleur spectacle du Théâtre Privé, Meilleur comédien dans un second rôle – Franck DESMEDT, Révélation féminine – Julie CAVANNA, Meilleur auteur francophone vivant – Jean-Philippe DAGUERRE, il est aujourd’hui porté à l’écran par le cinéaste Fred Cavayé (À bout portant, Le Jeu…). Et tout a commencé par un coup de cœur pour la productrice Vanessa Djian : « La pièce avait un potentiel de thriller cinématographique très fort, très émouvant, dans la tension dramatique. J’avais envie de le développer en long-métrage. […] J’ai rencontré le producteur Philippe Rousselet. En voyant la pièce, il a eu un gros coup de cœur, lui aussi. Ensemble, on a porté le projet. On avait les mêmes envies d’adaptation. ».
Pour cette adaptation, c’est Fred Cavayé, ami d’enfance de Jean-Philippe Daguerre, que la productrice choisit : « Cela faisait longtemps que je voulais travailler avec Fred Cavayé. Il n’a toujours été question que de lui, aucun autre réalisateur n’a été envisagé. Puis, j’avais envie de l’emmener et le voir réaliser un thriller d’époque. ». Au scénario, Fred Cavayé est aidé par la comédienne et auteure Sarah Kaminski : « Fred s’est appuyé au scénario de Sarah, qui avait sorti un livre sur son père, « Une vie de Faussaire », faussaire pendant la Seconde Guerre Mondiale. ». Une adaptation, par ailleurs, différente de la pièce de théâtre : « Fred voulait développer le personnage de Gilles Lellouche, quelqu’un de normal qui finit par devenir un salaud après avoir goûté au pouvoir. Ce qui était moins le cas dans la pièce. Donc il voulait vraiment faire un travail d’adaptation. ».

L’impact de la COVID-19

Le film a été tourné dans les studios de Brie-Sur-Marne, dans un contexte sanitaire très rude. Forcément, le tournage d’Adieu Monsieur Haffmann a été impacté et certaines scènes ont du être réécrites et pensées :

« On a été le premier tournage à s’arrêter avant le premier confinement. Au printemps 2020, nous devions faire des scènes extérieures assez amples, avec beaucoup de figurations. Juste avant de réaliser les scènes de rafles, on a senti le vent tourner. En concertation avec le directeur de production, on s’est dit qu’on ne devait pas le faire, que les conditions n’étaient pas réunies et qu’on ne pourrait pas tourner ce qu’on souhaitait avec la peur que les gens aient ou attrapent le covid. Ce qui aurait été de notre responsabilité. Pendant le confinement, Fred a regardé comment il pouvait transformer ces scènes-là pour passer le même message, d’une autre manière. Artistiquement, quels étaient les ressorts pour transmettre la même émotion ? Le fait est que le dernier tiers du film s’est construit autour des conditions sanitaires. ».

Néanmoins, si cette scène de rafle a disparu du projet et n’est donc pas visible dans le film, elle n’entache en rien la sensation et le caractère oppressant de la séquence dans sa globalité : « Je me souviens d’un film de Pedro Almodovar, «Tout sur ma mère », où il y a un accident de voiture mais on ne le voit pas. On l’entends juste. C’est encore plus fort, plus poignant. Quand notre imaginaire se met en route, quand on sait bien appuyer sur les bons boutons, ce que fait très bien Fred, c’est plus puissant. ».

Une autre scène a également dû être modifiée en raison de la pandémie : « Il y avait une scène au restaurant qu’on a du modifiée. À la base, il devait y avoir une scène de cabaret, de la danse… Mais on est davantage centré sur les personnages et, au final, ça fonctionne parfaitement ainsi. C’est une forme assez radicale d’être tout le temps avec eux, de ne jamais les quitter. » nous confie Vanessa Djian.

Un vrai bijoutier sur le film

Pour concevoir les bijoux du film, le réalisateur Fred Cavayé a organisé un casting de bijoutier et a jeté son dévolu sur un jeune artiste : « On a travaillé avec Camille Moncomble, qui a fait toutes les créations bijoux du film. Fred et lui ont conçu ensemble les broches, pour qu’elles fassent écho aux personnages, à l’histoire et à l’époque. Il y a eu un gros travail de fait sur les bijoux. ».
Quant à Daniel Auteuil et Gilles Lellouche, ils ont appris à manipuler les outils du bijoutier ainsi que les techniques de l’époque : « Daniel et Gilles ont suivi des cours et ont été coachés. Fred également. Ils ont appris la façon dont on faisait les bijoux à cette période de l’histoire car les techniques étaient différentes. Fred ne voulait pas qu’on soit chez un joaillier de luxe établi, mais chez un petit joaillier de quartier, donc ce n’était pas la même manière de concevoir les bijoux. ».

Entretien avec le bijoutier Camille Moncomble

Quel a été concrètement votre travail sur le film ?
Au départ, Fred Cavayé et la productrice Vanessa Djian sont venus me voir pour un consulting afin d’expliquer mon métier aux acteurs et les entraîner à avoir les bons gestes, à manier les outils. Ensuite, de voir avec les différents pôles dont l’accessoiriste et de la décoration pour habiller le décor avec quelle table, quel chalumeau, etc… Je leur ai également prêté des outils pour créer un vrai espace de travail. J’ai aussi fait beaucoup de recherches pour me renseigner sur les outils qu’ils utilisaient dans les années 40 car même si les machines sont très proches, aujourd’hui elles sont électriques. Ils avaient donc des petites astuces qu’on devait retranscrire le plus fidèlement possible à l’écran. Après avoir lu le scénario, et comme il m’a beaucoup inspiré, je leur ai proposé de faire les collections de Daniel Auteuil et de Gilles Lellouche. J’ai fait une proposition. Et ils ont accepté. J’avais un temps réduit pour créer une collection très belle pour le personnage d’Auteuil et une moins belle pour celle du personnage de Lellouche, qui veut monter sa propre collection de bijoux dans le film. J’ai travaillé avec Fred Cavayé pour savoir quelles étaient les intentions des deux protagonistes. Mon travail a été de penser une collection comme un bijoutier expérimenté dans les années 40. Pour Gilles, ce qui était intéressant, c’est qu’il s’agit de sa première collection et donc il met trop de choses et perd l’essence du travail d’Auteuil.

Combien de bijoux avez-vous confectionné pour Adieu Monsieur Haffman ?
J’avais 16 bijoux à concevoir, mais certains ne se voient pas dans le film. Ça représente bien 1 mois et demi/2 mois de travail mais avec le cinéma on peut bidouiller, mettre de fausses pierres par exemple et d’autres petites astuces.

Il y a un bijou en particulier dans le film que les Nazis adorent, c’est la broche papillon. Comment vous l’avez pensé, imaginé et conçu ?
Fred voulait vraiment un papillon. Ça lui tenait à cœur que ce soit un papillon. A l’époque, on réalisait beaucoup de broches avec des animaux (serpent, oiseaux..) ou des plantes et j’ai commencé à penser ce que serait un papillon qui ne soit pas trop figuratif. […] Je me suis renseigné sur les différents mouvements des bijouteries à cette époque-là et les différentes lignes qui pouvaient y avoir. Je lui ai proposé un art décor, un art plus structuré ou un art nouveau, qui est un art plus organique. Le réalisateur souhaitait quelque chose d’art déco. Petit à petit, on s’est mis d’accord sur des détails et je lui ai fait une proposition qui me semblait la plus ressemblante à ce que je j’avais lu dans le scénario et de ce que je trouvais plus esthétique à réaliser. Il fallait aussi un bijou qui soit impressionnant pour le cinéma. Car il y a des bijoux qui peuvent être plus impressionnants quand on les voit que quand on les prend en photo ou lorsqu’on les filme. Quand on filmait l’objet, je voulais que ça soit puissant mais que ça reste aussi fin, très épuré, sans trop d’artifices, à l’image de ce qu’aimait les Nazis dans le film.

Tout à été fait en argent. J’ai fait tout le travail du métal puis, j’ai été voir mes marchands de pierres. Fred avait dans l’idée des fausses pierres mais comme elles sont censées être un peu abîmées dans le film, mon marchand de pierres m’a fourni des pierres qui ne sont pas forcément sublimes quitte à tricher ensuite sur les couleurs avec un peu de feutres, par exemple. Je me souviens avoir utilisé un diamant et on a fait en sorte que ça ressorte bleu pour faire des saphirs. Grâce à Nicolas de la déco, on a trouvé des astuces pour que ça puisse rendre ce qu’on avait imaginé sans acheter des choses fausses. C’est pour ça que j’ai aimé travaillé sur ce projet, c’est qu’il n’y avait rien de faux, tous les bijoux sont uniques. On ne pouvait les trouver nul par ailleurs ou sur internet en tapant « bijou papillon ». Ce qui était intéressant également, c’est que les acteurs fabriquent ces broches papillons durant le film, il a alors fallu que j’en fabrique plusieurs à chaque étape de la création afin qu’on voit les acteurs travailler le bijou à chaque étape de son évolution. On a d’abord le métal, puis les trous pour poser les pierres, après avec les pierres, certains avec les pierres sertis mais pas d’autres, etc…

Ça a été différentes manipulations pour que moi, après, sur place, en fonction du moment du film, je m’adapte au moment où le personnage doit souder, prendre sa pince, poser les pierres dans les trous, fabriquer les trous. Toutes les étapes du bijou, je les ai structuré pour qu’ils puissent ensuite le filmer et que je n’ai pas besoin de tout fabriquer sur place. Tout avait déjà été fait en amont. […] Avec Gilles, j’ai beaucoup travaillé sur la manipulation des outils et je le guidais pendant le tournage. On devait faire attention à cela, car il fallait que les gestes soient compréhensibles pour le spectateur. On devait oublier parfois les conventions du métier de joaillier pour aussi offrir – aux gens qui ne connaissent pas le métier – les clés sur la fabrication des bijoux sans pour autant leur donner un cours sur la bijouterie. Que ce soit visuellement agréable et réaliste.

Des têtes d’affiche royaux !

Daniel Auteil, Sara Giraudeau et Gilles Lellouche forment le trio de tête d’Adieu Monsieur Haffmann. Des interprétations à fleur de peau, poignantes, profondément authentiques, qui font passer le public par tous les états émotionnels possibles : « La direction d’acteur de Fred est exceptionnelle. La tenue de son montage et la façon dont il prend le spectateur jusqu’au dénouement final, le sont également. Quel metteur en scène est capable de faire ça ? Fred a cette capacité à nous embarquer et de ne pas nous lâcher. On se demande comment les personnages vont évoluer, s’en sortir. Il a compris l’essence de l’histoire, ce qu’on en attendait, et a parfaitement su retranscrire cette tension sur grand écran. » nous confie la productrice Vanessa Djian.
Au côté de Daniel Auteuil et Sara Girardeau, Gilles Lellouche se détache, détonne en « complice » des Nazis, tiraillé entre son devoir et ses ambitions personnelles et qui, pas à pas, vont prendre le dessus sur sa raison. Un rôle à contre-emploi avec lequel le comédien a dû composer durant le confinement : « Je ne sais pas s’il a longtemps hésité à jouer ce « salaud » mais c’est un acteur qui aime les challenges. Il a trouvé en ce rôle, je pense, un nouveau moyen de se challenger. Mais cela n’a pas été simple pour lui durant la période de confinement, où il était confiné avec ce personnage de François Mercier, où il devait conserver sa moustache, etc… ».

Success Story

Avec plus de 300 000 entrées sur deux semaines, Adieu Monsieur Haffmann est un des succès au box-office français de ce début d’année. Un soulagement pour la productrice : « On est soulagé en effet (rire). On a eu la chance d’être entre de bonnes mains avec Pathé. Ils ont fait un travail d’équipe fantastique, aussi bien promotionnel que marketing. C’est chouette que ça soit récompensé ainsi, pour toutes les équipes qui ont travaillé sur le film. Ça raconte une histoire difficile et on avait beaucoup de questionnements, notamment sur l’envie des spectateurs de voir un tel film dans une période déjà bien dure moralement. Donc, on est très heureux. Je pense qu’on vit une vraie aventure avec ces personnages, des émotions fortes, et les gens malgré tout ont besoin de vivre ça et au cinéma. ».

Adieu Monsieur Haffman, actuellement au cinéma.
Ci-dessus, les différents croquis de Camille Moncomble pour les bijoux du film.

La collection de Daniel Auteuil

La collection de Gilles Lellouche

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