LA BRIGADE : ENTRETIEN AVEC AUDREY LAMY ET LE RÉALISATEUR LOUIS-JULIEN PETIT + CRITIQUE

Le 17 février dernier s’est tenue l’avant-première du nouveau film de Louis-Julien Petit, La Brigade, une comédie sociale poignante et une plongée dans un foyer pour jeunes migrants tragique, émouvante mais pleine d’espoir, où une jeune seconde d’un grand restaurant se retrouve cuisinière au sein de ce nouvel environnement, bien loin de ses rêves…

À l’occasion de la sortie du film le 23 mars prochain, entretien avec Louis-Julien Petit et la comédienne Audrey Lamy…

Pour ce nouveau film, vous avez une nouvelle fois choisi le prisme de la comédie sociale. Le vecteur de la comédie, c’est selon vous le meilleur moyen de faire passer vos messages ?
Louis-Julien Petit : C’est une certitude. Lorsque je vois le personnage de Cathy-Marie (Audrey Lamy) et tous ces jeunes, je vois des combattants modernes. Ceux qui ne s’apitoient pas sur leur sort mais se battent. Ils s’en prennent plein la tronche car c’est compliqué mais ils essaient, ils cherchent des solutions pour avancer. On débute avec un personnage, celui de Cathy-Marie qui est attachiante et puis, on bascule peu à peu vers l’émotion. […] Oui, c’était particulièrement complexe pour ce film de naviguer entre humour et émotion. Mais la complexité pour créer La Brigade ne résidait pas exclusivement dans l’écriture. Que ce soit pour choisir la coiffure, le make-up, les ongles, les bottes, la tenue, la manière de s’exprimer, la démarche… tout était difficile à mettre en place.
Puis, les jeunes sont arrivés en France en étant mineurs. Ils ont vécu, pour la plupart, ce qu’on voit dans le film. Ils mettent leur vérité au service du film. Il faut donc préserver leur intimité, la respecter. Il ne fallait donc pas tomber dans le misérabilisme, le pathos et éviter, en parallèle, le côté burlesque.

Audrey Lamy : C’est l’équilibre qui est difficile à trouver. Ne pas éluder la réalité et ne pas plomber l’ambiance qui est déjà morose en ce moment. Les gens ont besoin de comprendre, d’apprendre mais aussi de rire, de frissonner et de sortir de la salle, souriants. Pendant la tournée, je suis heureuse de constater qu’il y a de place pour ce genre de films, où on apprend plein de choses, des choses sur lesquelles on a des idées préconçues. Finalement, Louis-Julien éclaire ces sujets avec beaucoup d’élégance, d’intelligence et d’humour. Quand on a tous les petits dosages de ça, on ressort du film en ayant appris des choses, en ayant vécu plusieurs émotions qu’on peut ensuite partager et en discuter avec nos enfants.

Vous l’évoquiez, le casting de La Brigade est composé de comédiens professionnels et de jeunes qui n’ont jamais joué la comédie et ont connu le foyer ?

Louis-Julien Petit : Je voulais des personnalités. Puis, contrairement à certains acteurs, ces jeunes-là n’en ont rien à faire de la caméra. Avec tout ce qu’ils ont traversé, être en vie après tant d’épreuves, commencer à vivre et à apprendre, pour eux, c’est déjà une réussite. Ils ne souhaitent qu’une seule chose, rentrer chez eux, arriver avec leur savoir, retrouver leur famille, c’est ce qu’ils veulent. Il n’y a pas de liens entre professionnels ou non, il faut être juste. Néanmoins, il y a eu un énorme travail. J’ai fait un gros casting, j’ai vu des centaines de jeunes pendant des mois et des mois, à faire des ateliers de travail. De travail technique. Pas émotionnel. Pour leur apprendre ce qu’est une perche, un clap, un plateau, etc… Je voulais conserver l’aspect émotionnel. J’ai vu 300 jeunes. Ils ont tous passé une heure devant une caméra, en mode documentaire, pour parler de leur parcours. J’ai regardé 300h de rush. Je cherchais de vraies personnalités.

J’en ai choisi 100, qui m’ont intéressé. Dans un groupe, on voit tout de suite qui dénote, avec qui ça va être compliqué, etc… C’est un ressenti. Il y en a 50 qui ont commencé le premier jour de tournage. […] Les rôles étaient écrits, mais eux n’avaient pas le scénario. Je ne souhaitais pas qu’ils lisent leur scène pour qu’ils les découvrent sur le moment, qu’ils puissent les vivre pleinement, pour conserver ainsi leur authenticité, leur vérité, leur spontanéité par rapport à ce que Cathy ou Lorenzo (François Cluzet) pourraient provoquer.
Ils s’apportent l’un l’autre. Les comédiens pros devaient être constamment concentrés pour rebondir. Nous n’avions fait aucune répétition en amont. Ça démarre de suite. Quand j’arrive sur le plateau, c’est « Moteur ! ». Pas de blabla, de « Salut Michel, ça va ?, non, on tourne ! Il faut être concentré car le gamin en face, lui, il va tout te donner instantanément. Audrey connaissait les scènes, la narration du film, mais elle va alors s’adapter à ce que va dire le jeune et, en même temps, répondre pour revenir sur le tempo, car il ne trichera pas, il ne construira pas. Il sera naturellement dans sa personnalité. Je voulais proposer au spectateur d’être au même niveau, au même tempo que Cathy-Marie, qui découvre les jeunes et les problématiques migratoires. On n’a pas d’avance sur elle, ni de retard, on est avec elle. Donc, on est ému avec elle, on est bouleversé avec elle, on rigole avec eux, etc… Puis, on la voit s’épanouir. Lâcher les armes. Lâcher prise. Il y a aussi le fait qu’ici, dans ce nouvel environnement, on la regarde, on la considère, on l’aime et presque, on l’admire. Ces jeunes l’admirent. Quand on se prend tout ça, on est sur la voie de l’épanouissement personnel.

Parlez-nous de votre mise en scène et de la façon dont vous avez filmé vos personnages…
Louis-Julien Petit : Sur l’esthétisme, l’image est placée, à l’instar des films italiens d’Ettore Scola ou Benigni, des comédies sociales italiennes, avec contexte et un environnement délabré, sale. […] Sur le premier plan du film, je voulais placer Cathy-Marie comme une migrante, à la croisée des chemins. On la présente d’abord de dos, sans identité, elle n’en a pas, elle ne sait pas où elle est, elle est perdue. On ne parvient pas à la découvrir. Elle est dans l’impasse. Ensuite, je voulais qu’il y ait une progression vers la simplicité. Une structure parfois même palindromique. On a des plans qu’on retrouve au début et à la fin pour montrer d’un côté l’authenticité, la véracité, les valeurs de Cathy et de l’autre, l’artifice.
Sur les plans, je souhaitais de la simplicité. Au début du film, il y a de la nervosité et, dès qu’elle arrive au foyer, la narration ralentit. Il y a un changement de rythme. Mais il fallait tout faire sur Cathy-Marie : les yeux, le regard, le make-up… On est beaucoup à avoir travaillé sur ce personnage, à s’être interrogé sur la justesse et la technique. Je tourne souvent en longue focale. Et on ne sent plus la caméra, elle est loin. Les comédiens ne la sentent plus. Car je ne voulais pas que ces jeunes soient perturbés par un mouvement de caméra. Puis, terminer sur un personnage qui a évolué.

« Nous avons eu 7 sinistres sur le tournage, beaucoup d’accidents, durs parfois. Mais il faut s’adapter, tout de suite. Rebondir. Comme Cathy-Marie. Se dire : Qu’est-ce qu’on en fait ? Qu’est-ce qu’on peut en faire de mieux ? Comment trouver une meilleure solution ? » – Louis-Julien Petit

Pouvez-vous nous parler de votre personnage, de son évolution et la façon dont vous avez abordé ce nouveau rôle ?
Audrey Lamy : Il y avait beaucoup de travail à faire sur ce personnage-là. Elle est seconde d’un grand restaurant, avec une très grande cheffe, et ambitionne de devenir cheffe. C’est un univers que je ne connaissais absolument pas et j’ai dû faire un véritable travail d’investigation. J’ai intégré une brigade, pour voir comment ça se passe, pour les observer, les écouter, apprendre une vraie technicité, avoir des bases et surtout pouvoir saisir, capter, entendre la passion qu’ils ont pour la cuisine. J’ai donc été coachée par Christophe Villermet et Matthieu Pacaud, et intégré une brigade dans un restaurant qui s’appelle Apicius. C’est un milieu très masculin, très militaire, très violent, brutal, mais en même temps passionné où chacun met parfois sa vie privée de côté pour vivre cet amour de la cuisine. Christophe m’a transmis cet amour là et, comme mon rôle c’est de transmettre ma passion à ces jeunes, j’ai pu capter, lui voler du vocabulaire, son langage, etc…, afin de retranscrire tout ça avec le plus de sincérité et de vérité possible. Puis, c’est un kiff de pouvoir se glisser dans une cuisine et de découvrir toute cette organisation, le respect qu’ils ont les uns envers les autres, sans pour autant mâcher leur mot… Il y a, par exemple, une espèce de ballet qui s’organise juste pour éplucher une pomme de terre. Et il y a tellement de règles, d’hygiène à respecter. C’est assez fou de voir ça.

Quant à l’évolution du personnage, Cathy est une femme qui n’est pas écoutée, pas entendue, avec qu’une idée en tête, réaliser son rêve. Elle est empêchée d’avancer, empêchée de produire ce qu’elle sait faire, on lui met des bâtons dans les roues et elle sait qu’elle vaut mieux que ça. On ne lui donne pas la possibilité de le faire. Comme elle a un côté rebelle, qu’elle est énervée, insolente, cette violence en elle parce qu’elle est incomprise, elle quitte le restaurant où elle travaille. Elle pense que c’est une tueuse, qu’elle va retrouver un boulot rapidement car du taff il y en a partout.

Sauf qu’elle se retrouve à devoir accepter un poste de cantinière dans un foyer pour jeunes migrants. Elle passe d’un univers très superficiel, où il est question aussi de télé-réalité, à un univers plus modeste. Petit à petit, elle va comprendre que sa brigade, elle ne pourra pas la monter toute seule et qu’elle ne pourra pas non plus être cheffe seule. Elle est cheffe parce qu’elle va s’entourer des meilleurs autour d’elle. Elle va donc ici s’entourer de ces jeunes qui ont envie d’apprendre et elle va leur transmettre sa passion. Elle va réaliser son rêve, mais autrement…

Il y a des moments d’émotion très forts dans le film. Parfois, on ne voit plus l’actrice mais Audrey Lamy qui est émue, bouleversée. C’était le cas ?
Audrey Lamy
: Louis-Julien vous met en condition. […] Puis, je ne connaissais pas ces jeunes, leur physiques, leur voix. Du coup, il y a cette vraie fraîcheur, cette vérité, cette sincérité. On n’a pas besoin de composer, on se laisse porter par ce qui se passe, par des accidents de jeu, et on va s’en servir pour faire quelque chose. Après, Louis-Julien a fait un travail remarquable avec ces jeunes. Il y a des scènes où je n’avais pas besoin de jouer parce que je me servais de ce que des jeunes me donnaient, me renvoyaient. C’est là que c’est le plus beau, lorsque nous n’avons pas besoin de penser à des choses ou d’essayer de faire semblant. On a tous des petites béquilles de jeu dont on se sert pour faire croire que… mais là, je me suis totalement laissée aller par ces jeunes qui se sont livrés, qui se sont confessés, qui ont mis leur vérité au service du film et qui m’ont porté.

Louis-Julien Petit : Il fallait pour le film, être connecté à tous les éléments autour de nous. Quand on arrive sur le plateau, Audrey connaît son texte, je connais mon découpage mais, ce qui m’intéresse, c’est tout ce qu’il y a à côté. J’aime qu’on joue avec les imprévus, le décor, les accessoires, avec un incident de jeu. Nous avons eu 7 sinistres sur le tournage, beaucoup d’accidents, durs parfois. Mais il faut s’adapter, tout de suite. Rebondir. Comme Cathy-Marie. Se dire : Qu’est-ce qu’on en fait ? Qu’est-ce qu’on peut en faire de mieux ? Comment trouver une meilleure solution ? C’est ce qui fait la force de ce film, trouver, chercher la comédie. La chercher aussi dans les éléments autour de nous, jusqu’au dernier son. […] Il ne faut rien lâcher.

C’était un rêve pour vous de tourner avec François Cluzet ?
Audrey Lamy : J’ai toujours voulu tourner avec François Cluzet, et je ne m’attendais pas à ce que ça arrive. Je l’ai souvent dit à la télévision. Louis-Julien n’était pas sûr que François Cluzet accepte un rôle secondaire, d’autant qu’il ne savait pas où il en était actuellement dans sa carrière et quelles propositions il avait reçues entre temps. C’est François qui a appelé Louis, en lui disant : « Tu penses à moi, mais tu ne m’appelles pas ? ». Louis vient chez moi et m’annonce que François Cluzet jouera Lorenzo. J’ai eu les larmes aux yeux parce que c’est un acteur que j’adore, que j’admire et qui a une classe folle.

AVIS

LA BRIGADE : CUISINER, UN STUPÉFIANT AU BONHEUR

Synopsis :
Depuis toute petite, Cathy rêve de diriger son propre restaurant. Mais à quarante ans, rien ne s’est passé comme prévu et elle se retrouve contrainte d’accepter un poste de cantinière dans un foyer pour jeunes migrants. Son rêve semble encore s’éloigner… ou pas ?

Cuisiner ou abandonner ?

Le parcours de la vie se résume à la somme des rencontres que nous faisons. Rien d’autre ne compte que les regards que nous croisons, les sourires que nous recevons et les contacts humains que nous établissons. La Brigade de Louis-Julien Petit est tout cela, une aventure humaine, où le parcours d’une seconde d’un grand restaurant est bousculée par sa rencontre avec des jeunes migrants.
Sentir le vent tourner, surmonter les épreuves et grandir. Cathy-Marie, personnage arrogant, survolté et brillant, n’a plus qu’un seul chemin. Elle s’y engouffre, à reculons.
À l’image des jeunes migrants qu’elle prendra sous son aile, Cathy-Marie est une héroïne en apprentissage. Un apprentissage assez différent, plus personnel. Confrontée à la misère du monde, à un environnement plus modeste mais aussi fragile et tragique, Cathy-Marie change au rythme d’une partition musicale, progressivement. Elle observe, écoute, apprend, en imposant ensuite son tempo, sa joie de vivre et sa passion aux jeunes. Elle a devant elle, la beauté du monde, sa diversité, sa dureté et ses espoirs. Peu à peu, elle devient un phare dans la nuit, une lueur dans l’obscurité, un pilier. Cathy est une tempête, qui va chambouler tout un univers ordonné, pour devenir une guide. Mais seulement après avoir été confrontée à ses propres défauts, à son ego.

Louis-Julien Petit filme cette histoire comme une épopée héroïque moderne, avec beaucoup de pureté, d’authenticité et de simplicité. Il y a, dans la retranscription des odyssées migratoires de ses personnages, de la vérité, de la sincérité et une immense tendresse.
Dans sa mise en scène, Louis-Julien Petit place Cathy-Marie comme le cœur battant de son récit. Elle prend la caméra, l’embarque avec elle, sans se préoccuper des autres. Les changements d’humeurs de Cathy-Marie se traduisent par un montage dynamique, qui se lie et s’adapte donc en fonction de ses sentiments. Néanmoins, à mesure que la narration avance, Cathy-Marie s’efface, la caméra s’éloigne d’elle. Elle n’est plus la « Maîtresse des lieux », le centre de l’histoire. Elle a écrit la sienne. Cathy-Marie est une femme désormais épanouie, accomplie, fière de ses prodiges. À l’écran, ce sont les jeunes qui prennent leur destin en main.

Au départ, Louis-Julien Petit filmait ses enfants perdus timidement, de façon éloignée, comme s’il ne voulait pas pénétrer leur intimité. En réalité, la caméra les observait comme Cathy-Marie observait ces jeunes, avec peu d’entrain, peu d’envie. Ce n’est que lorsqu’elle comprend qu’elle ne pourra pas trouver mieux ailleurs (pour l’instant…), qu’elle commence à les apprivoiser, que la caméra s’acclimate, s’approche, leur donne la possibilité de s’exprimer et les met en lumière. Totalement.
Cathy-Marie devient la caméra. On suit leur évolution à travers ses yeux. Elle braque les projecteurs sur eux, pour qu’enfin ils puissent parler et dévoiler tout leur potentiel. Les apprentis cuistots se saisissent alors volontiers de l’espace, en prennent possession, pour finir par conjuguer avec l’image. On ne voit plus qu’eux.
Leurs histoires.
Leurs tragédies.
Leurs espoirs.
Leurs rêves.
Leur gentillesse.

Toutes ces vérités ne seraient rien sans l’interprétation magnifique des acteurs, Audrey Lamy en tête. La comédienne bouleverse par sa profondeur, sa justesse, qui va bien au-delà du jeu. Elle émeut autant qu’elle nous fait rire. Sa capacité à se balader entre humour et émotion, de manière si élégante et avec tant d’aisance, offre au film une véritable force humoristique, à la dramaturgie, un véritable sens.
La Brigade charme aussi par le naturel de tous ces jeunes dont la sobriété et la « naïveté » permet au film de se procurer une succession de séquences sublimes, troublantes, qui ne laissent pas indifférent.

Conclusion

Avec sa nouvelle comédie sociale, Louis-Julien Petit s’aventure au cœur d’un sujet épineux. En choisissant le vecteur de la comédie pour faire passer son message social et sa détresse face aux injustices de nos lois impitoyables, Louis-Julien Petit livre une très belle histoire, sans pathos, une bulle d’air et de rire, où se greffe habilement l’émotion et donne à la réflexion sur le sens de la vie, de notre vie.
Une franche réussite, une respiration dans un monde oppressant où l’espoir est difficile.

La Brigade sortira le 23 mars prochain.

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