Crédit photo : India Lange
Avec ses yeux verts profonds, Jade Labeste hypnotise les caméras.
À seulement 26 ans, elle a déjà toutes les qualités d’une grande comédienne. Actuellement à l’affiche de Maigret, au côté de Gérard Depardieu, elle se révèle. Ce premier grand second rôle au cinéma dévoile à la fois une fragilité, une assurance mais aussi une sincérité dans l’interprétation et un charme fou dans la gestuelle qui déstabilisent et émeuvent.
Son enfance, la danse, sa passion pour la scène, ses premiers pas au cinéma, Jade Labeste se confie sur ses expériences de vie et affiche une volonté et des ambitions à l’échelle de son humanité.
Alors on danse… ?
Jade Labeste baigne dans le 7ème art depuis toute petite. Enfant, c’est à la maison qu’elle construit sa cinéphilie, au côté d’un père amoureux du cinéma et particulièrement des films de westerns de Sergio Leone, des longs-métrages de Kubrick et des productions de science-fiction comme Blade Runner. Si elle n’a jamais réellement su pourquoi son père aimant tant le cinéma, elle évoque toutefois « une envie d’évasion » d’un garçon qui allait seul au cinéma. Encore aujourd’hui, il continue de dévorer des films.
Du cinéma américain donc, de la testostérone et peu de figurines féminines. Un constat sur lequel Jade Labeste se confie : « Je me suis rendue compte, très tard, en faisant du cinéma et du théâtre, que j’avais eu davantage de modèles masculins que féminins. Mais cela ne m’a jamais vraiment dérangée, j’y trouvais aussi mon compte. Néanmoins, en grandissant, je me suis aperçue que ça me manquait de ne pas avoir eu de modèles féminins. Évidemment, il y avait Uma Thurman dans Kill Bill ou Meryl Streep mais je n’avais pas de repères féminins à proprement parler. J’ai surtout grandi avec Henry Fonda, Al Pacino, Robert de Niro, Gérard Depardieu, ce type de modèles-là. ».
Elle retiendra deux actrices, deux modèles qui continuent de l’accompagner au quotidien dans son parcours : Meryl Streep, une actrice « qui me bouleverse à chaque fois que je la vois » et Charlize Theron dont son « admiration s’est développée au fil des années. ».
« Même si c’était une scène de dispute et malgré la violence, c’était avant tout un cri d’amour à la maternité, une déclaration d’amour à une mère. Le fait d’avoir ma maman en face de moi, ça a provoqué un déferlement émotionnel tellement puissant. C’était comme si je lui faisais une déclaration d’amour en direct. Un moment de fusion et de cohésion très beau, qui en fait un de mes plus beaux moments de scène. »
Le cinéma… et la danse.
Avant de savoir qu’elle voulait être comédienne, Jade Labeste choisit d’abord de se confronter à la scène par la danse. Si au départ elle choisit l’option « danse » pour échapper à l’option « mathématiques » de son lycée, c’est une révélation pour Jade.
Le plateau, la rencontre avec un public, véhiculer des émotions, la jeune femme sent qu’ici, quelque chose se produit : « À cet instant, je savais que l’endroit où il fallait que je sois dans ma vie, c’était la scène. ». Mais ça ne sera pas avec la danse qu’elle continuera d’exploiter son potentiel : « Comme je ne suis pas danseuse de formation et que j’ai toujours aimé le cinéma, je me suis dit que peut-être ça serait bien d’être actrice si je veux être sur scène. ».
Créateur : SYLVAIN LABESTE
Droits d’auteur : SYLVAIN LABESTE
En 2014, elle rejoint L’École du Jeu à Paris, une école axée sur le travail du corps. Cependant, le travail sur le texte lui manque. L’envie de jouer des classiques et des grands personnages se fait ressentir. Après deux ans à L’École du Jeu, elle tente alors le concours pour intégrer Le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, qu’elle intégrera en 2017. C’est dans ce lieu qu’elle réalise ses premiers rêves, jouer des textes, interpréter des personnages forts. Elle y découvre une nouvelle facette du métier et une nouvelle façon de travailler : « Le théâtre est une chose très différente du cinéma. Le théâtre demande une rigueur de mémoire, de corps, d’investissement et d’énergie. Traverser des grands auteurs, l’apprentissage du texte, la langue qui n’est pas celle d’aujourd’hui, c’était très intéressant. ». Le Conservatoire lui permettra également de rencontrer de grands metteurs en scène français et de comparer leur manière d’appréhender une pièce : « Nous avons joué une pièce de théâtre d’Anton Tchekhov, avec deux metteurs en scène différents. Je jouais le même personnage dans les deux pièces. Chez l’un, tout était dans la rigueur, tout était millimétré, chaque déplacement et le positionnement du corps dans l’espace. A contrario, mon travail sur cette pièce avec le Collectif Tg Stan offrait une grande liberté. L’acteur pouvait créer chaque jour quelque chose de différent. C’était passionnant d’avoir deux visions et de jouer deux versions différentes. ».
De ses trois années passées au Conservatoire, Jade retiendra un souvenir : « A l’époque, nous travaillions avec François Cervantès. Chez lui, tout passait par le corps et, de ces exercices-là, jaillissaient des impros. On bossait sur le thème de la robotique et de la famille. Je jouais une impro avec une de mes partenaires qui jouait ma mère. Le metteur en scène avait adoré mon improvisation, car il la trouvait émotionnellement très forte. Il l’a d’ailleurs réécrite pour en créer une scène importante du spectacle. Le jour de la première, ma mère était dans la salle. Je m’en suis rendue compte au moment où je jouais. Même si c’était une scène de dispute et malgré la violence, c’était avant tout un cri d’amour à la maternité, une déclaration d’amour à une mère. Le fait d’avoir ma mère en face de moi, ça a provoqué un déferlement émotionnel tellement puissant. C’était comme si je lui faisais une déclaration d’amour en direct. Un moment de fusion et de cohésion très beau, qui en fait un de mes plus beaux moments de scène. » nous confie-t-elle.
En parallèle du théâtre, Jade Labeste fait des apparitions au cinéma. On la retrouve en 2017 dans Nos vies formidables de Fabienne Godet et, l’année suivante, dans Volontaire d’Hélène Fillières. De petits rôles mais des rencontres importantes, surtout humaines :
« C’était d’assez belles rencontres. Avec Fabienne Godet, ça s’est fait naturellement. C’était aussi ma première expérience devant une caméra. J’étais à la fois enthousiaste et stressée. Sur ce film, il n’y avait pas de scénario. Toutes les scènes du film étaient construites en improvisation. Nous avions des fiches de personnages, qui étaient elles très écrites et nous devions parvenir à trouver notre place et une aisance dans l’improvisation que, personnellement, je n’avais pas forcément avant. C’était beau de rentrer dans le cinéma ainsi, dans un groupe, où il n’y avait pas de différences entre les réalisateurs, les acteurs ou les techniciens. Cette expérience du collectif m’a fait beaucoup de bien par rapport à mes angoisses sur le milieu du cinéma que j’avais pu avoir. ».
Crédit photo : Nos vies formidables de Fabienne Godet.
« […] Sur Volontaire, mon rôle était plus mince mais la rencontre avec Hélène Fillières a été vraiment agréable. Une nouvelle expérience qui m’a permis de continuer à apprendre à appréhender la caméra, comment se comporter avec et comment ajuster un jeu en fonction d’elle. ».
En 2018, Jade fait une incursion dans le clip musical et joue dans « Mauvais Présage » de Requin Chagrin. Un clip où l’on voit la comédienne courir, prendre la fuite au côté d’autres figurants. Elle raconte : « C’était un tournage intense. Nous n’avions qu’une journée de tournage. On a commencé à 4h du matin et on a fini à 21h. Toute la journée, j’ai couru (rire). C’était quand même une bonne expérience. De plus, cela faisait longtemps que j’avais envie de faire un clip. Et il est très beau. Il s’en dégage beaucoup de poésie. C’était éprouvant, tant dans le jeu car il fallait faire passer des émotions sans parler, qu’au niveau physique. On courrait non-stop avec 50 personnes derrière, il faisait froid le matin et une grosse chaleur l’après-midi. Anecdote, j’avais des chaussures trop petites qui me détruisaient les pieds. ». Une expérience qui lui permet de mieux saisir la caméra, toujours dans cet objectif de l’appréhender : « Il y avait des outils que je n’avais encore jamais vus sur mes tournages comme des steady-cam sur des voitures. Puis, effectivement, faire passer des émotions sans parler était un exercice que je n’avais pas encore réalisé au cinéma. ».
Théâtre, cinéma, clip mais aussi doublage. Pour la série italienne Anna, diffusée sur Arte en France, elle prête sa voix à la comédienne Roberta Mattei, Katia, seul personnage adulte rescapé d’un monde post-apocalyptique. Un travail sur le vocal que Jade Labeste a apprécié : « Le doublage est un milieu passionnant. La personne qui m’a proposé de faire ce doublage, Hervé Icovic, est intervenu au Conservatoire pour nous montrer les coulisses de ce métier. C’est un domaine où il faut être réactif car tout va très vite. Puis, il faut plaquer, jouer, dans un studio, des émotions très intenses qui sont interprétées par un autre comédien. C’est particulier. Quand on joue, on a les circonstances autour de nous, on a un décor, un costume, un temps de préparation. Là, on est dans un studio, avec un micro, et on doit reproduire l’exactitude des émotions qu’on voit à l’écran, comme si on y était, avec la même justesse. C’est un travail de précision fascinant. Je trouve ça plus dur que le jeu théâtral ou cinématographique. […] Puis, la VF est importante, ça rend une œuvre plus accessible. J’ai grandi avec la VF. Les gens qui font ça sont gardés dans l’ombre alors que c’est un métier difficile et passionnant. ».
Une comédienne complète donc, qui fait la fierté de ses parents : « Quand je leur ai dit que je voulais être actrice, ils l’ont bien pris. Il y avait, je pense, une inquiétude sur le plan matériel, quitter la Province pour monter à la capitale, c’est toujours source d’angoisse et synonyme d’insécurité. Mais ils étaient très confiants en voyant que c’était une passion qui m’habitait. Ils me faisaient pleinement confiance. Ils étaient présents à chaque étape et ça les rassure de voir mon évolution, que ça fonctionne. ».
MAIGRET et la jeune comédienne
Depuis le 23 février dernier, Jade Labeste est à l’affiche de Maigret, réalisé par Patrice Leconte. Au côté de Gérard Depardieu, elle détonne. Elle y incarne le rôle de Betty, une jeune femme perdue, arrivée sur Paris, et qui se noue d’amitié avec le Commissaire Maigret. Un rôle qui, pourtant, n’existe pas dans le livre de Georges Simenon dont est adapté le film « Maigret et la Jeune Morte ». Après un casting rondement mené où le cinéaste a eu le coup de foudre, Jade Labeste se prépare à son premier grand second rôle au cinéma. Elle explique son rapport avec l’écrivain George Simenon et la manière dont elle a préparé son personnage : « À la maison, nous avions pas mal de livres, dont des Simenon. Comme j’étais une grande lectrice, j’ai commencé à lire certaines de ses œuvres. J’ai lu quelques Maigret ou Les Volets Verts, un roman magnifique. J’ai lu le roman « Maigret et la Jeune Morte » alors que Patrice m’avait dit de ne pas le faire. Il me disait que je n’y trouverai pas mon compte car mon personnage n’existe pas. L’intrigue est très différente du scénario de Patrice Leconte. Et je trouve même que le scénario est mieux que le livre. J’espère n’offenser personne. […]
Après avoir lu le scénario, je me suis imprégnée du personnage, j’ai essayé de comprendre ce que Patrice Leconte avait vu chez moi qui pouvait être en phase avec le personnage. Effectivement, j’y ai trouvé des choses. En premier lieu, j’ai essayé de créer des liens, de tisser des ponts entre Betty et moi. C’est-à-dire, une jeune femme qui arrive à Paris, ne connaît personne et, comment elle se débrouille pour vivre dans une ville comme Paris, à qui/à quoi elle s’accroche, comment elle s’affirme, comment elle découvre sa féminité, etc… Je me raccrochais à tout ça. J’ai écrit sur le personnage. J’ai pensé aussi à sa façon de manger, de se tenir, de parler, et j’ai travaillé le texte un mois en amont. ».
Crédit photo : Sur le tournage de Maigret, photo fournie par Pascal CHANTIER.
« C’était très beau car nous étions en décor réel, en bord de Seine. Tourner cette séquence, cette marche et ce dialogue à demi-mot, à demi-sourire, à demi-regard, il y avait quelque chose de fort, de poétique. »
Fan de « Ridicule », qu’elle considère comme un « chef d’œuvre du cinéma, une merveille d’esprit et d’acteur », mais aussi de « La Fille sur le pont », « Tandem » ou « Le Marquis de la Coiffeuse », Jade Labeste rêvait de tourner avec un des cinéastes français les plus importants, Patrice Leconte. Un rêve devenu réalité et la comédienne ne tarie pas d’éloge à son sujet et sur son travail : « C’est une personne avec une grande humanité et un grand cœur. C’est quelqu’un de très humain, avec qui on se sent bien et qui nous met bien. Il donne de la place aux autres. C’est plutôt simple de travailler avec lui, tout va assez vite, c’est huilé, car il sait exactement ce qu’il veut pour une scène. Il sait exactement où il va placer la caméra, sa lumière et ses acteurs. On arrive, tout est déjà installé. Ensuite, il nous écoute faire une italienne une fois, puis c’est une, deux, trois prises s’il y a un défaut technique, maximum. Il est peu directif. Ce n’est pas un directeur d’acteurs, d’ailleurs, il déteste ce terme. Il laisse beaucoup de liberté, même s’il y a un cadre précis à respecter. Il faut juste rester à cheval sur le texte, en général. ».
Un autre rêve se réalise grâce à Patrice Leconte, tourner avec Gérard Depardieu dont elle admire le travail depuis des années. Un tournage inoubliable : « J’ai grandi avec tous ses films, tous ses personnages, il m’a fait rêver. Quand on m’a annoncé que j’allais tourner avec lui, j’étais stressée, impressionnée. Mais il m’a tellement bien accueilli, tellement mis à l’aise, que tout le stress a disparu d’un coup. Il m’a pris sous son aile, il a été généreux et c’est un partenaire incroyable. Je n’aurai pu rêver mieux. Tout ceci fait qu’on oublie tout et on joue. On s’amuse et il nous embarque avec lui. J’ai appris beaucoup sur ce film. Humainement et artistiquement, c’était une super et belle expérience. ».
Une alchimie dans la vie et à l’écran. Dans le film, une séquence retranscrit cette générosité et cette liberté, celle où Maigret et Betty marche le long de la Seine. Une scène que Jade évoque avec émotion : « C’était très beau car nous étions en décor réel, en bord de Seine. Tourner cette séquence, cette marche et ce dialogue à demi-mot, à demi-sourire, à demi-regard, il y avait quelque chose de fort, de poétique. C’est difficile de mettre des mots dessus. On était dans une bulle. L’environnement et ce que raconte cette scène-là, jouaient beaucoup. ».
Image : Sur le tournage de Maigret.
Vers l’avenir…
Pour la suite de sa carrière, Jade Labeste n’a qu’un désir : Faire des rencontres artistiques, jouer dans des registres variés et incarner des personnages différents et de compositions. Elle rêve aussi de comédie, de tourner chez Quentin Dupieux ou chez Alain Chabat. De parcourir les univers de Julie Ducournau, Céline Sciamma et de voguer entre le cinéma de Jacques Audiard ou celui de Leos Carax.
« Le cinéma français a besoin de personnages forts et pas d’acteurs qui se contentent de rester eux-mêmes. Parfois, il y a un manque d’imagination en France. On ne projette pas suffisamment les acteurs vers des choses différentes. On s’attarde à un physique, à une voix, à ce qu’on a déjà vu d’eux alors que ce sont des acteurs et qu’ils peuvent être plein de choses. On est pluriel. Je voudrais travailler dans ce sens-là, essayer une multitude d’interprétations. ».
Prochainement, elle sera à l’affiche du prochain film de Blandine Lenoir « Annie Colère ».
Je suis complètement d’accord avec votre analyse, Jade Labeste est vraiment l’une des plus grandes promesses du cinéma français actuel ! J’ai adoré son travail sur L’Éden et je suis impatient de voir ce qu’il sortira à l’avenir.