INEXORABLE : OBSESSION DÉVORANTE

* sans spoilers *

Avec Inexorable, Fabrice du Welz explore la face sombre d’une famille manipulée par une jeune fille aux intentions floues. Un thriller passionnel intense et particulièrement malsain, où Benoît Poelvoorde, Mélanie Doutey et Alba Gaïa Bellugi s’adonnent à des interprétations magistrales.

L’obsession selon Fabrice du Welz

« Certains ont des malheurs ; d’autres, des obsessions. Lesquels sont les plus à plaindre ? » disait Emil Michel Cioran. Inexorable,c’est la confrontation entre ces deux mondes. Le monde du malheur, personnifié par le personnage de Marcel Bellmer (Benoît Poelvoorde), écrivain au cœur d’un secret tragique, et le monde des obsessions, incarné de chair par la jeune Gloria (Alba Gaïa Bellugi). Marcel semble néanmoins avoir une vie de rêve : auteur d’un livre à succès, marié avec une éditrice de renom et papa d’une petite fille adorable. Que pourrait-il arriver de pire ?

Suite à un heureux hasard ou une rencontre provoquée, Gloria parvient à se faire embaucher chez Marcel Bellmer comme baby-sitter et se rend rapidement indispensable. Elle travaille désormais au côté de son écrivain phare, dont elle connaît les livres par cœur. Mais très vite, la passion se transforme en obsession et l’obsession en jalousie. Cette jalousie, née de sa rivalité avec Jeanne (Mélanie Doutey), la femme de Marcel, s’immisce alors dans la vie de l’écrivain. Tout bascule. Gloria plante sournoisement les morsures d’un venin mortel chez chacun des membres de cette famille, afin de la briser, de la broyer et parvenir à ses fins. Jeanne, sa fille sont les proies privilégiées d’une machination diabolique. Des non-dits, des désirs profonds ou cachés, des secrets inavoués, Gloria utilise chaque élément à sa disposition pour éloigner Marcel de sa femme, Jeanne de sa fille, etc… Tout est prétexte à la dispute, à la déchirure et plus rien ne semble comme avant. Une ambiance anxiogène s’installe, sous la photographie de Manuel Dacosse et la mise en scène de Fabrice du Welz.
Dès l’arrivée de Gloria, les deux hommes jouent avec les ambiguïtés. Une discussion sous filtres rouges – la passion au grand jour – instaure cette première ambivalence entre Marcel et Gloria. Puis, des rapprochements et des mots échangés dans une proximité peu anodine au sein d’un cadre intimiste, des regards puissants et sans équivoque en gros plans, nous comprenons vite que Fabrice du Welz se lance dans un thriller passionnel et que la jeune femme n’est pas qu’une simple lectrice, une banale admiratrice.

Dans un second temps, une fois que le doute n’est plus permis, le réalisateur et son directeur de la photographie créent cette atmosphère obscure et oppressante : Gloria apparaît comme une ombre dans un plan en noir et blanc effrayant, vogue comme un fantôme obsessionnel dans cet immense château en caressant une caméra qui capte chacune des expressions de son visage, tantôt radieux, tantôt hypocrite et diabolique. Elle valse d’étage en étage, de pièce en pièce, du jardin au château, accompagnée de ses sourires perturbants et de sa joie menaçante. Des jeux d’ombres et de lumière à la fois énigmatiques et terrifiants, sublimés par la puissance des dialogues et de l’interprétation féroce des acteurs et actrices du film.

Fabrice du Welz fait ainsi voler en éclats cette famille lisse et lui révèle sa vraie nature, notamment au travers le regard de Gloria où Jeanne apparaît hautaine et insensible. Un regard néanmoins trompeur ? Là encore, Fabrice du Welz plante les graines du doute.
La caméra est également un révélateur de la nature des personnalités de Marcel et de Jeanne : dans les disputes mais surtout dans les séquences de sexe, assez trash, bestiales, physiquement et verbalement. Le sexe (et la violence) est d’ailleurs omniprésent dans Inexorable et exploité comme un objet de frustration, de délivrance ou de pulsions à assouvir. Fabrice du Welz les filme d’ailleurs avec une volonté franche de déconstruire notre vision de ce soit-disant couple moderne, présenté au départ sans fougue, sans fantasme…

Il n’y a pas que Marcel et Jeanne que Gloria infecte de son poison. Leur fille est également touchée par cette histoire. Elle est même la pièce centrale de son œuvre, et l’emmène dans les contrées sombres de la colère (une scène bouleversante est caractéristique du basculement de la petite). Un changement d’attitude peut-être rapide, les ellipses temporelles nous empêchant de voir toutes les manipulations de Gloria pour arriver à ce résultat « monstrueux ».

Conclusion

Au-delà de l’adoration, c’est donc une véritable emprise que Gloria orchestre sur cette famille pour faire plier Marcel à sa volonté et l’enfermer dans sa romance destructrice. Un calvaire dont personne ne ressortira indemne. Et si ce n’est pas un colt 45 qui résout le problème de ce drame, il en restera des traces indélébiles sur les personnages. Car alléluia !, Inexorable nous épargne un de ces célèbres happy-ending ennuyeux dont le cinéma est trop friand.

Fabrice du Welz signe donc un inexorable thriller à la narration classique mais ficelée, où la mise en scène est au service du récit et des personnages. Les acteurs.rices eux, sont impeccables. Benoît Poelvoorde amplifie son jeu et interprète avec finesse et intelligence ce romancier sans inspiration, enfermé, l’âme en peine, dans son bureau, dans un château, dans une vie qu’il ne contrôle plus. Face à lui, une Mélanie Doutey subtile et une Alba Gaïa Bellugi qui confirme, une fois encore, qu’elle est une des actrices les plus douées de sa génération.

Une belle réussite à découvrir au cinéma le 6 avril prochain.



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