DOCTOR STRANGE IN THE MULTIVERSE OF MADNESS : LA MAGIE VOCALE DE JÉRÉMIE COVILLAULT (INTERVIEW)

Image : Crédit photo – YanRB / Marvel Studios

Avec sa voix grave et rauque, il est reconnaissable entre mille. Son timbre si particulier, cette force tranquille qu’il dégage, font de lui un être à part dans le milieu du doublage français. Smaug/Doctor Strange (Benedict Cumberbatch), Wolverine (Hugh Jackman), Venom (Tom Hardy), Negan (Jeffrey Dean Morgan), César (Andy Serkis), derrière ces acteurs américains, derrière ces visages étranges et féroces ou ces personnages/créatures en CGI, une voix, celle de Jérémie Covillault. Le comédien parcourt vocalement le cinéma hollywoodien avec ses particularités, son aura imposante qui transcende ses interprétations, bien souvent au-delà du simple doublage.

Pour la sortie de Doctor Strange in the Multiverse of Madness, Jérémie Covillault revient sur son aventure vocale au sein du MCU, son rapport aux films de super-héros, son amour pour les comics et le personnage du Sorcier Suprême.

Comment êtes-vous devenu une des voix officielles de Benedict Cumberbatch ?
C’est arrivé lorsque Le Hobbit est sorti. On m’a appelé pour passer des essais pour le rôle de Smaug, le Dragon, un rôle assez particulier. Il fallait une voix très grave. J’ai eu la chance qu’on me confie le rôle. Grâce à cela, j’ai passé d’autres essais et notamment pour Imitation Game. Cumberbatch fait partie de ces acteurs anglo-saxons qui ont tendance à moduler leur voix. À la base, il a une voix très grave, une voix d’acteur shakespearien qui vient du ventre. Et dans Imitation Game, il avait quelque chose que je n’arrivais pas à faire. On m’a rappelé pour des essais sur Doctor Strange et là, ça s’est très bien passé. Puis, j’ai continué sur d’autres films comme Brexit, Présumé coupable. Je ne suis pas le seul à le doubler. Il y a également Gilles Morvan (sur la série Sherlock), qui a fait la direction artistique de Doctor Strange 2. […] Nous ne sommes pas nombreux dans le milieu du doublage et nous avons tous quelque chose de particulier. Il y a des acteurs qui ont justement la particularité d’avoir des voix modulables sur des registres très différents. Moi j’ai une voix grave mais nous avons aussi des spécificités dans cette catégorie. Boris Relhinger, par exemple, a une voix grave mais il parvient à faire des choses plus légères que moi. Sur Joker, il est extraordinaire. J’aurais été incapable de le faire avec ma voix. J’ai dû mal à monter dans les aigus. Mais c’est vrai que la spécificité de ma voix m’a permis d’obtenir des acteurs comme Tom Hardy ou Javier Barden. C’est d’ailleurs avec Javier Barden que je triche le moins, sauf sur Escobar où il faut accentuer.

Vous avez doublé beaucoup de personnages liés à l’univers DC ou Marvel. Est-ce que vous lisiez beaucoup de comics enfant ?

Encore aujourd’hui. Mon père était graphiste. Il réalisait des affiches de films et des bandes-dessinées. Il a conçu toutes les affiches de Belmondo lorsque j’étais gamin et celles de Bruce Lee. Mon fils a hérité de ce talent. Donc, oui, j’ai grandi dans cette culture BD : de Tintin à Spirou en passant par Lucky Luke, Valerian, jusqu’à Corto Maltese. Mon père n’était pas branché comics mais moi, si. Tout petit, c’est venu avec le Superman de Christopher Reeves au cinéma. Puis, ça a rapidement dévié sur Spider-Man, Batman, etc… Je suis malade de comics. J’en ai une étagère complète, à la maison. Mon fils, adore ça également. Le fait d’interpréter des personnages de l’univers Marvel, ça m’éclate. Wolverine, Doctor Strange, Venom, je m’amuse à les doubler.

Avoir ma voix dans ces films-là, je suis comme un gosse. Mon garçon, ça le fait rire d’entendre ma voix au cinéma dans des films de super-héros. […] Je suis assez geek dans le fond et assez gamin de ce côté-là. Mais ça éclate mes enfants de m’entendre autrement que de me voir jouer à la télévision.

Ils comprennent que vous doublez des acteurs américains ?
Oui, bien sûr. Ils comprennent que mon métier est de jouer. D’ailleurs mes enfants disent : « Papa ne travaille pas, il joue ». Et c’est vrai. Je fais ce métier par passion. Si ça devenait un travail, j’arrêterai de suite. J’ai la chance de pouvoir me lever le matin et d’aller soit en studio, soit sur un plateau de tournage, soit au théâtre avec l’envie de m’amuser, de jouer. Ils font la différence. Mon fils a déjà participé à un doublage donc il a compris le principe.

J’imagine que ça devait être dur de garder le secret sur le retour des 3 Spider-Men ?

(rire). Oui, il m’a supplié de lui dire. Je le faisais enrager. J’avais eu la chance de voir le film quasi intégralement avant de débuter le doublage. Je me suis amusé à garder le secret. Lorsque je l’ai emmené voir Spider-Man le jour de la sortie, les réactions dans la salle étaient dingues. Les gens étaient debouts, hurlaient, applaudissaient, l’impression d’être au cinéma aux États-Unis où les gens sont très réactifs dans les salles, bien plus qu’en France. Et lui aussi s’est levé. En sortant de la salles, il m’a remercié de ne pas lui avoir spoiler ces retours.

Image : Le retour de Tobey Maguire et d’Andrew Garfield, une explosion de joie !
Crédit photo : Marvel Stduios / Sony Pictures

Quel est votre rapport avec les films de super-héros aujourd’hui ? C’est un genre que vous appréciez ou vous vous lassez un peu de toutes ses productions super-héroïques qui sortent chaque année, comme on peut l’entendre parfois ?
Pas du tout et je ne suis pas d’accord avec cela. Le cinéma a pour moi plusieurs vocations. Je suis un cinéphile absolu. Je vois des films depuis tout petit grâce à mon père qui m’emmenait très régulièrement au cinéma. J’aime tous les cinémas. Le genre super-héros est une façon de faire du cinéma. C’est du divertissement. Nous allons tous au cinéma pour plusieurs raisons. On va au cinéma pour réfléchir, pour interpeller, pour émouvoir, pour rêver, pour rire. Les gens qui n’aiment pas Marvel, n’ont qu’à aller voir autre chose. C’est aussi simple. J’adore Martin Scorsese mais je ne suis pas d’accord avec ses propos sur Marvel. Ce n’est pas SON type de cinéma. Il faut de tout, pour tout le monde. Produire ce genre de films a peut-être changé l’économie du cinéma, mais les blockbusters ont toujours existé. Je n’ai rien contre. Il y a bien entendu des Marvel meilleurs que d’autres. Pour ma part, faire partie de cet univers, à partir de la voix, m’amuse. Encore une fois, c’est un genre de cinéma comme les autres et il a le droit d’exister.

Pour en revenir à Doctor Strange, comment avez-vous abordé la personnalité vocale du personnage lorsque vous avez commencé le travail sur le premier film en 2016 ?

Je l’ai abordé comme j’aborde tous les personnages des films que je double. Je me suis référé au ton qu’il avait, un ton un peu hautain, un peu supérieur, distingué, avec cette désinvolture, ce flegme britannique – même s’il n’est pas anglais dans le film -. Je l’ai écouté et j’ai essayé de lui donner une couleur la plus similaire à celle de Cumberbatch. Ce n’est pas la même chose que d’aborder un rôle pour le théâtre, ce n’est pas de la création. Nous, nous sommes là pour essayer de rendre justice à un travail déjà existant en se l’appropriant et en restant le plus proche possible d’une interprétation, d’une incarnation. On est au service de. […] Nous devons être dans l’œil de l’acteur, jamais sur les lèvres lorsqu’on travaille sur un doublage. Quand je double Doctor Strange, j’ai un petit tic, je lève un sourcil.

Image : Benedict Cumberbatch dans la peau de Doctor Strange (2016)
Crédit photo : Marvel Studios

Patrick Poivey et Jack Frantz, avec qui j’ai eu la chance de faire mes débuts, me disaient de ne jamais regarder la bouche de l’acteur, mais de regarder les yeux pour être toujours dedans. Dans le regard mais aussi dans la respiration. Il faut écouter comment l’acteur respire. Si vous chopez sa respiration, vous choperez son rythme, son débit, son intention. Sa respiration, c’est sa vie, si vous êtes dans son œil, dans sa respiration, vous êtes vivant dans son œil et dans son corps. Je les regrette beaucoup. Ils étaient si humbles par rapport à ce métier, si bienveillants.

Est-ce qu’il y eu un moment fort, une anecdote inoubliable ou une difficulté particulière pendant le doublage des films où apparaît Doctor Strange ?
Il s’est passé quelque chose d’incroyable, une anecdote avec Benedict Cumberbatch. Juste après avoir doublé Doctor Strange 1, je suis parti le voir jouer Hamlet de Shakespeare à Londres. Je suis un grand fan de l’œuvre de Shakespeare. J’ai fait envoyé un message à l’agent de Cumberbatch, pour savoir si à l’issue de la représentation, je pouvais le rencontrer. Pas de nouvelles. Je vais au théâtre, j’assiste à la pièce. Magnifique, très impressionnant. Son « To be or not to be », inoubliable. À la fin de la pièce, une personne me tape sur l’épaule et me dit : « Monsieur Cumberbatch vous attend ». Il avait appris que je venais, il savait où j’étais placé et il m’a fait venir. Il avait écouté ce que j’avais fait sur Smaug, notamment. Ça amuse beaucoup les acteurs américains de rencontrer leurs voix françaises. J’avais eu la chance de rencontrer Javier Barden également et Tom Hardy, que j’ai rencontré lors de l’avant-première de The Dark Knight Rises. Mais pour en revenir à Benedict Cumberbatch, j’ai trouvé ça classe la manière dont il m’a fait venir à lui.
Sur le doublage en lui-même, c’est un travail comme les autres. Celui-ci était particulièrement agréable. Sur No Way Home, c’était surtout drôle d’avoir toutes les réponses avant tout le monde.

Sur les deux derniers films Avengers, il y a tout le gratin qui fait le cinéma hollywoodien d’aujourd’hui. Derrière le micro, on imagine nos Avengers français, vous, Bernard Gabay, David Kruger et j’en passe. Comment se déroulaient les séances de doublage sur ces films ? Aussi fun, que sur le tournage US ?
Souvent, nous ne sommes pas ensemble. Mais je me rappelle d’une journée on il y avait Adrien Antoie (Thor), Alexis Victor (Loki / Rocket Raccoon), Bernard Gabay (Iron Man) et moi-même. Nous avions fait une photo, il me semble, de cette journée, les Avengers français (rire). Quand nous avons l’occasion d’être ensemble, je parle de manière générale là, c’est toujours un plaisir et c’est toujours fun de jouer entre copain. Nous formons un petit club, où l’on s’entend tous très bien. Mais depuis la COVID, on double seul. Sur le doublage, Doctor Strange 2, par exemple, j’étais tout seul. Puis, il y a aussi des questions de planning.

Sans spoiler, était-ce amusant de pouvoir interpréter plusieurs versions de Doctor Strange dans le second opus ? Et, comment percevez-vous l’évolution du personnage de Doctor Strange au sein du MCU, de sa première apparition en passant par What if… ? et No Way Home ?

Je me suis beaucoup amusé, en effet. Je ne peux rien dire de plus, mais le film est plein de surprises. L’ouverture du multiverse permet des possibilités folles et va ouvrir des portes incroyables pour le MCU. […] Sur l’évolution de Strange, j’ai adoré sa genèse, son parcours initiatique dans son premier film solo. Toutes les étapes qu’ils traversent sont amenées de manière formidables et le change à jamais. Sur No Way Home, il y a deux petites choses qui m’ont dérangé. La première, c’est que Stephen m’ait des semaines à pouvoir ouvrir un portail de téléportation avec ses mais, dans No Way Home, le copain de Peter Parker, Ned, réussi cela en quelques secondes. Stephen a galéré pour avoir ses pouvoirs. Tout ça est un peu facile.

Image : Jérémie Covillault prête aussi sa voix à Evil Strange, dans la série animée What if… ?
Crédit photo : Marvel Studios

La seconde, c’est la facilité avec laquelle Spider-Man parvient à enfermer Strange dans la Dimension Miroir. Dans ce film, je trouve que Doctor Strange passe un peu pour « une bille ». On le démystifie un peu trop. Il est censé être un des êtres les plus puissants du monde, on l’oublie. Cela m’a un peu dérangé mais c’est parce que je suis attaché au personnage. Il faut pas toucher à Strange (rire). Sur What if… ?, c’était super agréable de pouvoir doubler le Evil Strange et de moduler ma voix pour lui donner cet aspect dark. J’ai pris énormément de plaisir à travailler sur cette série d’animation, où on voit un Strange très différent du MCU.

On sait que Marvel contrôle tout, comment se déroule le doublage d’un film Marvel. Pouvez-voir le film en amont dans son intégralité, surveille-t-il le doublage ?
Sur Doctor Strange 2, je n’ai pu voir que mes séquences. On travaillait sur des copies de travail avec des marqueurs partout. Dans les studios, ne peuvent rentrer que ceux qui y travaillent. On signe aussi des clauses de confidentielles. Comme pour toutes les boîtes, il y a des responsables en post-prod qui contrôlent. Puis, certains réalisateurs américains valident parfois eux-mêmes la VF. Spielberg valide lui-même les doublages en version française, dont j’ai eu l’honneur de faire partie. Christopher Nolan aussi. Sur le doublage de The Dark Knight Rises, je rappelle qu’il m’avait donné des indications par Skype.

Retrouvez l’interview de Charlotte Correa, la voix française d’Elizabeth Olsen, ici.

Doctor Stange in the Multiverse of Madness, au cinéma le 4 mai prochain.

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