ON SOURIT POUR LA PHOTO : ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR FRANÇOIS UZAN ET LE COMÉDIEN JACQUES GAMBLIN

Pour sa première réalisation, le scénariste François Uzan (Family Business, Lupin…) nous embarque à Athènes direction, la reconquête ! Avec ce scénario singulier au sein duquel un père de famille replonge sa femme (et ses enfants) dans les mêmes vacances qu’il y a 20 ans pour raviver la flamme amoureuse, François Uzan livre une fable familiale rythmée, intense, inoubliable. Entre rire et émotion, « On sourit pour la photo » est la promesse d’une aventure palpitante, où les mensonges seront aussi féroces que les vérités.
Porté par un duo charmant, Jacques Gamblin et Pascale Arbillot, et les enfants terribles Pablo Pauly et Agnès Hurstel, le film de François Uzan séduit aussi par la beauté de ce casting enivrant.

À l’occasion d’une avant-première organisée le 21 avril dernier par le CGR Les Minimes, François Uzan et Jacques Gamblin se sont confiés sur leur nouvelle comédie, au travers notamment quelques anecdotes et confidences intimes.

Synopsis :
Thierry passe ses journées à classer ses photos de famille, persuadé que le meilleur est derrière lui. Lorsque Claire, sa femme, lui annonce qu’elle le quitte, Thierry, dévasté, lui propose de refaire « Grèce 98 », leurs meilleures vacances en famille. Officiellement, il veut passer une dernière semaine avec leurs enfants avant de leur annoncer la séparation. Officieusement, il espère reconquérir sa femme ! En tentant de raviver la flamme de son couple, Thierry va mettre le feu à sa famille…

François Uzan : la famille plus que tout !

D’où part l’idée de ce film ?
J’ai passé quelques vacances avec mes parents, assez tard. J’étais déjà adulte. Il y avait plein de petites anecdotes que j’avais alors en tête. En rentrant de vacances, je les raconte à un ami producteur. Au bout de cinq minutes, il me coupe et me dit : « arrête de me raconter tes vacances, fais le film ! ». Ensuite, sur le scénario en lui-même et sur l’aspect lien charnel, excessif voir obsessionnel aux photos, j’ai effectivement ce lien-là. J’ai passé beaucoup trop de temps à scanner des photos, à les classer, etc… Pour vous raconter une anecdote, j’ai perdu une semaine de vacances. J’avais tout filmé et j’ai égaré la carte mémoire. J’ai fait une semi-crise d’angoisse. C’est là que je me suis dit qu’il y avait un problème. Ce film est donc la jonction entre l’envie de parler des vacances en famille et du rapport aux photos, aux souvenirs, à la mémoire. […] Il y a sûrement un léger côté autobiographique, oui. Sur la tendresse, sur certains moments, dans la dynamique familiale, mais pas sur les enjeux du film où le personnage organise les mêmes vacances qu’il y a 20 pour tenter de reconquérir sa femme.

« La famille, ça me parle parce qu’il y a autant de familles que d’histoires, autant d’histoires que de familles. C’est une entité dramatique passionnante dans laquelle on peut tout raconter ».

C’est votre premier long-métrage, comment avez-vous abordé ce nouvel exercice ?
Beaucoup d’appréhensions. C’est difficile d’arriver sur un plateau, où tu es entouré de comédiens d’une équipe technique professionnelle, tandis que toi, tu débutes dans la mise en scène. Il faut alors savoir ce que vous faites, ou tout du moins, donner l’illusion que vous savez ce que vous faites. Le seul moyen que j’ai trouvé pour régler l’appréhension que j’avais, de l’anticiper, c’est de me préparer. Énormément. Nous avons fait la préparation du film pendant le premier confinement, depuis chez moi, en Zoom, avec mon chef op’, mon chef décorateur, ma costumière, les maquilleuses, etc. Maintenant, le but n’est pas de dire que le film est prêt et qu’il n’y a plus qu’à tourner car c’est le meilleur moyen de réaliser un long-métrage plat. On se prépare le plus possible pour recevoir les imprévus et les propositions. J’ai bachoté.

Vous êtes à la base scénariste, votre outil de travail se résume habituellement à un stylo ou un ordinateur. Là, vous manipulez une caméra. Comment avez-vous appréhendé ce nouvel outil ?

Il y a des réalisateurs qui cadrent, qui tiennent la caméra. Ce n’était pas mon cas car j’avais surtout un excellent cadreur. Mais vous avez raison, lorsqu’on écrit, on se projette quelques petites images en tête. Le passage le plus compliqué, l’étape du découpage, et cette question : comment allons-nous mettre cette scène en image. On peut faire ça de manière très plate en posant la caméra pour faire le large et puis ensuite, champ/contre-champ. C’est le meilleur moyen de faire un film ennuyeux. Certes, on aura tout couvert mais ça ne sera pas du cinéma. Ce sera au mieux un scénario filmé. C’était mon angoisse, réaliser un film de scénariste, un truc plan-plan à l’image. Donc oui, c’est un nouvel objet. D’habitude je raconte en écrivant, maintenant il faut écrire le moins possible, dire le moins possible et raconter visuellement. Et c’est là que le film devient bon, lorsqu’on coupe des dialogues et qu’on raconte la même chose en image.

On raconte des émotions mais ça reste technique. Le plus important c’est lorsque les comédiens entrent en scène et donnent l’âme à tout ça. […] Puis, Jacques Gamblin qui rentre en scène, s’approprie le texte et a un respect énorme du texte parce que homme de théâtre. Il a une particularité qu’ont peu de comédiens : en arrivant sur le plateau, il connaît tout le film. Un film, on ne le tourne pas dans l’ordre. Les acteurs apprennent souvent la scène qu’ils vont tourner le lendemain, parfois le jour même. Jacques, lui, avait ingéré le film, il connaissait chaque scène. Ce qui fait que l’interprétation est au niveau au-dessus. Il sait exactement le cheminement de son personnage, il a toutes les répliques en tête, donc il peut jouer toutes les scènes, même dans le désordre, en sachant donc quelles étaient les précédentes et les suivantes. Il a une maîtrise de son personnage. De tous les instruments qu’on utilise pendant le tournage, ce n’est pas la caméra la plus effrayante, ce sont les comédiens. Ce sont eux qui font que la mélodie sonne.

Je remarque que la famille est très présente dans votre filmographie. Que ce soit avec « Que du bonheur », « Family Business » ou « Lupin », la famille est omniprésente. C’est un thème que vous chérissez ?
Je vais être honnête, je n’ai pas eu beaucoup de problèmes dans ma vie. J’ai eu une vie plutôt joyeuse, heureuse. Je pense qu’on écrit bien sur ce qu’on connaît vraiment. Il m’est arrivé, lorsque j’étais en école de scénario, d’écrire sur des choses qui m’étaient lointaines et cela sonnait moins bien. La famille, je connais, j’aime ça, il y a du conflit, c’est un thème qui me parle, que j’aime traiter. Je travaille actuellement sur une adaptation d’un roman de Maxime Chattam pour Paramount TV, une série d’épouvante. On parlera aussi de la famille mais, cette fois-ci, sous l’angle de l’horreur. Je parle souvent de ça et des fantômes du passé, également. Donc oui, la famille, ça me parle parce qu’il y a autant de familles que d’histoires, autant d’histoires que de familles. C’est une entité dramatique passionnante dans laquelle on peut tout raconter.

Pourquoi avoir choisi Athènes comme lieu d’action ?

Je voulais un film méditerranéen, un film bleu et orange, du sable entre les doigts de pieds, la douche après avoir pris le soleil. Puis, la Grèce car c’est un pays qui depuis une vingtaine d’années a connu beaucoup de changements. Les Grecs ont évolué. Ça racontait quelque chose aussi de cette famille et c’est ce que le personnage principal n’a pas compris. À l’arrière de la photo, rien n’a changé mais les gens devant, eux, ont changé. […] J’ai fait une semaine de repérage là-bas et j’ai vu des paysages extraordinaires. Surtout, nous avons rencontré une équipe grecque formidable. Nous avons tourné à Athènes, dans le sud de la Grèce dans une petite ville du nom Anavyssos, et au large d’Athènes sur une île qui s’appelle Egine dans laquelle nous avons tourné les scènes de restaurants. Une île magique.

Habituellement, il est impossible de tourner en Grèce l’été mais bizarrement l’été 2020 a été assez calme (rire). Nous avons même dû rajouter des figurants sur la plage. Mais nous avons eu l’Acropole pour nous tout seul et rien que pour le moment, ça valait le coup. On a eu beaucoup de chance mais on s’est adapté aux conditions même si tourner une scène avec des distanciations sociales dans un club échangiste, ce n’est pas toujours évident (rire).

La Grèce, c’est un pays cinématographique ?
Il y a à la fois le cœur historique millénaire et autour des quartiers nouveaux habités par une communauté d’artistes. Agnès était il y a quelques jours dans une expo et elle me disait que c’était plus hype que tout ce qu’on peut voir à Paris. Il y a le mélange entre ça et l’Acropole. Évidemment, il y a des coins très cinématographiques comme le quartier de Plaka avec ses pentes et ses ruelles. C’est le côté Mamma Mia !, très bleu, très charmant, dont on s’est servi dans le film. Athènes, au-delà du film, c’est une ville qui est en pleine implosion, en pleine explosion, en pleine expansion et qui est très vivante.

Comment avez-vous créé les personnages de cette famille ?

Pour les personnages, je suis parti d’archétypes de choses que je connaissais. J’ai beaucoup composé autour du personnage de Thierry (Jacques Gamblin), le père, de cette obsession, de sa volonté d’essayer d’aller de l’avant en regardant derrière, ce qui est le meilleur moyen de se prendre un mur ou les pieds dans le tapis. Ensuite, j’ai essayé de trouver une femme qui, à la fois pouvait l’avoir aimé mais qui ne pouvait plus vivre avec lui, comme c’est le cas au début du film. Je souhaitais amener cette inversion entre une personne qui est bloquée dans le passé et une autre qui, elle, est constamment dans le mouvement. C’est d’ailleurs pour cela que la première scène du film se fait sur un scooter. La mère (Pascale Arbillot) va de l’avant. Le personnage de Thierry, lui, est devenu le passager de sa propre vie (et sur le scooter).

Pour les enfants, je suis allé pioché dans des choses que je connaissais : le frère un peu bras cassé, c’est moi, en quelque sorte. Je voulais également un personnage qui soit un outsider, qui ne fasse pas partie de cette famille mais qui en rêve. C’est le personnage du gendre, incarné par Ludovik. Voilà comment j’ai réfléchi et construit cette famille.
Pour le casting, On sourit pour la photo étant mon premier film, vous n’êtes jamais sûr d’avoir les comédiens que vous voulez, et je ne voulais même pas me fantasmer sur un comédien ou une comédienne. J’ai d’abord créé les personnages. Le premier a avoir lu le scénario c’est Jacques. On a construit, comme je le disais, les personnages aussi autour de lui : qui pour être en couple avec Jacques, quels enfants ? On a mis de côté la ressemblance physique. Je m’en moque totalement. Pablo est roux et ça marche très bien. Ce n’est juste pas pratique quand on tourne au soleil car il faut faire des prises très courtes sinon, il cuit (rire). Entre deux prises, on lui mettait une couverture de survie.

Jacques Gamblin : père de famille tout terrain

« J’aurais aimé croiser mon père en vacances plus souvent. La relation entre nous en aurait été modifiée ».

Qu’est-ce qui vous a convaincu d’accepter le rôle de Thierry ?
J’ai pas été long à être convaincu car je trouvais l’idée tellement saugrenue, tellement inattendue, tellement mauvaise d’embarquer sa famille pour reproduire les mêmes vacances qu’il y a 20 ans, j’ai dit « oui ». C’est une idée de cinéma. Dans la vraie vie, qui aurait une idée aussi absurde ? Certes, il y a de la nostalgie, mais il veut rattraper sa femme qui est au bord de la rupture. Quand une idée comme ça arrive dans votre boîte à lettre, on a pas envie de la laisser passer. La barre est déjà très haute et donc, je m’interrogeais sur la manière dont nous allions rendre crédible ce qui me paraît bizarre. D’emblée, ça m’excite. La comédie, l’humour des dialogues, du scénario, les délires par lesquels les vacances passent, car tout le monde part en vrille, et des moments aussi très tendres, tout ça le permet. L’humour rattrape tout. À la lecture, j’ai beaucoup ri.

Votre personnage fige ses plus beaux souvenirs en photo et les revoit avec beaucoup de nostalgie. Vous avez ce rapport avec la photo ?
Pas du tout. J’aime prendre des photos, de temps en temps, comme tout le monde mais aujourd’hui, nous n’avons pu la même façon de prendre des photos que lorsque j’étais plus jeune. Mais le rapport de tout le monde à la photographie a changé. Les photos d’aujourd’hui sont prises de manière instantanée mais qui, ensuite, prend le temps de les re-regarder, de les classer, de les conserver ? C’est un personnage de composition car ce n’est pas mon truc. Mon personnage fait des photos souvenirs, de vacances. Je n’ai pas non plus ce rapport à la nostalgie. Je ne reviens jamais sur le passé ou mes souvenirs. Je n’ai pas de photos témoins, par exemple, que je regarde lorsque j’ai un coup de blues.

Il y a, malgré tout, un souvenir que vous aimeriez revivre ?
Puisque qu’on parle de vacances, je n’ai pas eu la chance d’y aller beaucoup avec mes parents. Ils tenaient un commerce dans une ville balnéaire. Donc, durant les périodes de vacances, ils charbonnaient. J’ai passé seulement 3 fois une semaine de vacances avec mes parents. C’était à la neige. J’habitais à Grandville et il fallait traverser toute la France en diagonale pour arriver à la montagne. C’était assez exceptionnel. Nous prenions des trains de nuit avec des cantines. Je découvrais mes parents, en vacances. C’est très précieux finalement. Les 3 vacances passées avec eux furent des moments rares, précieux. On redécouvre complètement ses parents autrement que dans le quotidien, le travail et l’obsession des horaires. Je me souviens d’un moment où nous nous étions perdus avec mon père dans la forêt. Nous marchions dans la neige, et nous étions paumés. Si j’avais une photo à prendre, ça serait celle-ci, dans la neige, à savoir si nous arriverions à rentrer avant la tombée de la nuit. J’ai rencontré mon père à ce moment, une partie en tous cas, qui me manquait.

Vous auriez aimé avoir plus de souvenirs comme celui-ci avec votre père ?
Oui. J’aurais aimé croiser mon père en vacances plus souvent. La relation entre nous en aurait été modifiée.

Comment s’est passée votre collaboration artistique avec celle qui joue votre femme à l’écran, Pascale Arbillot ?

C’est la première fois qu’on se découvrait. C’était un couple à construire et c’était un régal. Pour rendre crédible cette histoire, on se voit beaucoup en amont, on se parle, on échange, on partage des moments comme une séance photo ou des répétitions pour une scène de danse, tout ça crée du lien, ça nous rapproche. On se confronte, on se frotte, on se touche. Puis, il y a des répétitions sur le tournage avec la famille au complet, pour que ça roule et tout le monde donne ses intentions. Chaque semaine, nous nous réunissions tous pour préparer la semaine d’après. On gagnait du temps à faire ça et nous permettait de nous rencontrer en dehors du plateau. C’est très efficace de faire ainsi.

Il y a des scènes très dures mais aussi émouvantes avec vos enfants fictifs. Le film n’est pas qu’une reconquête amoureuse. Le conflit touche toute la famille. C’est aussi cet aspect-là qui vous a séduit ?
C’est là que je trouve le scénario très bien construit. Il y a un moment cathartique, où les problèmes s’accumulent, les accidents, les enfants qui pètent un câble, et les vérités sortent, éclatent. C’est une explosion qui leur permet aussi, à tous, de franchir une étape pour repartir sur une page blanche. Mais il était nécessaire que cette scène clé soit là. Elle relance le film jusqu’à la fin et c’est admirablement écrit de ce point de vue-là. Le film est plein de surprises avec des instants inattendus, imprévisibles et, celui-là, en est un. Une séquence constructive même si tout est déversé avec colère. Les non-dits, ça vous bouffe.

C’est la première fois que vous alliez tourner un film en Grèce ?
Tourner oui. J’y suis déjà allé en vacances et il y a des endroits magiques et sauvages. La montagne qui plonge dans la mer, c’est fort. Il y a quelque chose de fort dans ce pays. Je ne suis pas très méditerranéen mais la Grèce, c’est magnifique. A Athènes, nous avons passé quelques jours inoubliables. Il y a des quartiers intenses, ça bouge avec cette jeunesse, il y a de l’invention, c’est vivant.

On sourit pour la photo au cinéma le 11 mai prochain.

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