HOMMES AU BORD DE LA CRISE DE NERFS : RENCONTRE AVEC LA RÉALISATRICE AUDREY DANA : « On traverse tous aujourd’hui le deuil d’un monde qui ne peut plus continuer ainsi » + MON AVIS

À l’occasion de la sortie du nouveau film d’Audrey Dana « Hommes au bord de la crise de nerfs » le 25 mai prochain, entretien avec la réalisatrice. Elle se livre à cœur ouvert sur ce projet, où son amour pour la Nature est au centre de cette comédie dénonciatrice.

Synopsis : Sept hommes, de 17 à 70 ans, que tout oppose, sinon d’être au bord de la crise de nerfs, se retrouvent embarqués dans une thérapie de groupe en pleine nature sauvage. Ce stage mystérieux, « exclusivement réservé aux hommes », est censé faire des miracles. Première surprise à leur arrivée : le coach est une femme ! Imprévisible et déroutante, elle va tout faire pour les aider à aller mieux. Avec ou sans leur consentement…

« J’avais envie de filmer la fragilité et sortir les hommes de leur carcan défini par la société patriarcale à savoir « on est costaud, on est solide, et tout va bien ». C’est faux. L’homme aussi est fragile. C’est important de le montrer ».

D’où part l’idée de cette comédie très originale ?
Je désirais faire un film avec une bande d’hommes. Mon premier long-métrage avait été réalisé avec une bande de femmes et j’avais adoré l’exercice du film choral. J’avais donc très envie de faire un film avec des hommes, surtout en ce moment où ils prennent chers. Et, en même temps, ce qu’il se passe est naturel et libérateur pour les femmes. Évidemment, il y a tous ces chouettes types qui se sentent attaqués alors qu’eux ne feraient pas de mal à une mouche. Je sens notamment sur la jeunesse, cette angoisse. Elle ne s’est plus comment s’y prendre, ni quoi dire. Mais il faut en passer par là. Mieux vaut ça que l’horreur continue. Mais ce film est aussi une envie de dire à tous les chics types qu’on les aime, qu’on ne met pas tout le monde dans le même panier. C’était une manière de réconcilier également.
Ensuite, comment on arrive dans le Vercors avec une thérapie de groupe ? Un film, c’est toujours drôle, car il s’écrit un peu tout seul. J’avais envie ici d’éviter la narration du film « Sous les jupes des filles », où chacune tourne sa tranche de vie. Je ne pouvais pas aller aussi loin en tournant 7 jours avec une actrice, que 30 jours pour celui-ci. Forcément, nous nous sommes dit avec ma co-auteure, Claire Barre, comment fait-on pour tous les avoir dans un même lieu et pouvoir les filmer pendant 30 jours pour aller davantage en profondeur ? Cette thérapie et cet isolement sont venus en réponse à ça. […] On ne fait pas des films avec des gens qui vont bien, même si c’est un film très positif. C’est intéressant d’avoir des personnages à des moments de points de rupture. Je crois qu’en tant qu’humanité, c’est là qu’on naît. Pourtant, le film a été écrit en 2017. On est beaucoup plus au bord de la crise de nerfs avec ce qu’il s’est passé et ce qu’il se passe actuellement. C’est aussi une métaphore. Car ce que traversent les hommes dans le film, les femmes aussi peuvent le traverser. Tout le monde peut s’identifier. On traverse tous aujourd’hui le deuil d’un monde qui ne peut plus continuer ainsi, l’addiction au monde d’avant (surconsommation). Nous sommes trop hyper actifs et nous ne prenons plus le temps pour nous, pour plaire à l’autre et s’oublier… Tout ceci est représentatif de la crise dans laquelle l’Homme est, avec cette construction sociétale et le poids du patriarcat, qui pèse sur tout le monde. J’avais envie de filmer la fragilité et sortir les hommes de leur carcan défini par la société patriarcale à savoir « on est costaud, on est solide, et tout va bien ». C’est faux. L’homme aussi est fragile. C’est important de le montrer. Puis, c’est comme ça qu’on vous connaît aussi messieurs.

Habituellement, au cinéma, les mésaventures des hommes et leurs drames sont filmés par des hommes. Vous, comment avez-vous pensé, imaginé et conçu vos personnages, leur caractérisation, où toutes les générations sont d’ailleurs représentées ?

J’ai beaucoup d’hommes dans ma vie. Donc, je me suis beaucoup inspirée d’eux et des hommes que j’ai pu rencontrer. Mais avec ma co-auteure, nous nous sommes dit que nous ne pouvions pas faire ce travail sans aller écouter les hommes. Même si nous partageons les mêmes émotions, nous ne sommes pas dans les mêmes réalités. Nous avons interviewé plusieurs hommes, de manière anonyme, pour qu’ils puissent libérer leur parole plus facilement. Nous avons établi un questionnaire de 44 questions, très intimes, et plus d’une centaine d’hommes ont joué le jeu en répondant avec la plus grande des honnêtetés et la pudeur la plus belle.

Leurs failles, leurs complexes, leurs plus beaux et mauvais souvenirs, leur définition de l’amour, de la sexualité, de la fidélité, la pire chose qu’ils aient dite, qu’ils aient faite, qu’on leur ait dit, qu’on leur ait faite, qu’est-ce qu’ils aimeraient changer en eux, sur Terre. Ainsi, beaucoup de profils ont émergé. Je vous assure que c’est le document le plus passionnant que j’ai lu. L’homme et la femme sont complexes, remplis de paradoxes. C’est ce qui fait la richesse de l’humain. Ce travail m’a permis d’éviter la caricature parce qu’il y avait des réponses qui me surprenaient énormément. Pour l’anecdote, lorsque je leur ai demandé ce qu’ils attendraient d’un film sur les hommes, tous ont répondu la même chose : qu’on montre que les hommes sont fragiles, sensibles, qu’ils ont des émotions, qu’ils ont peur, etc… Il y en a même un qui a répondu : « qu’on montre aussi que nous sommes également des femmes ». J’ai adoré cette réponse. Il n’y avait plus de doute sur l’axe que je voulais prendre. C’est un fin mélange entre mon entourage masculin, ces interviews, l’entourage masculin de ma co-auteure. Tout ça est venu faire naître ces personnages qui n’ont pas été écrits pour des acteurs en particulier.

Comment émerge le casting, une fois que les personnages ont été écrits ?
Grâce à un directeur de casting extraordinaire, Michael Laguens. J’avais des choix personnels : FX, Ramzy, Michaël Gregorio. C’était pour moi des acteurs incontournables avec lesquels je souhaitais travailler. J’avais besoin de grands artistes mais aussi de belles âmes. Michaël a ensuite aidé sur la fabrication du casting avec des idées géniales comme Thierry Lhermitte, Pascal Demolon ou Laurent Stocker. L’idée d’intégrer Max Baissette au casting est venu de Michaël Gregorio, qui m’en a parlé. Je savais que c’était le rôle le plus insupportable. J’avais besoin de quelqu’un, dont on voit à travers les yeux, que c’est une belle personne et que tout ça, se sont des fragilités. Max dégage ça. On a envie de le prendre dans nos bras.

« Je dois vous dire et vous avouer que depuis la crise sanitaire, quelque chose s’est apaisée en moi. Quand nous avons offert cette pause à la Terre, même si ce fût une catastrophe pour nous, je l’ai su immédiatement, c’est ça que la Nature me soufflait à l’oreille depuis longtemps. Je fais partie de ces gens qui l’entendent et la comprennent. »

Le film se déroule en pleine nature, loin du monde bruyant de la ville. Comment exploite-t-on cet univers singulier de la nature, dans un film de comédie ?
La Nature a le rôle principal du film. C’est l’écrin, la maison, le décor. C’est elle qui va libérer ces hommes et cette femme. On filme la nature de près et on l’inscrit partout. Il y a une vraie place pour les animaux, les insectes, qu’on peut voir en gros plan. J’ai adoré ça !

Nous vous savons proche de la Nature. Il y a un passage très émouvant de Marina Hands dans le film qui hurle son désespoir. Vous êtes pessimiste pour l’avenir ?

Quand elle dit cette réplique, elle n’est pas dans son état normal. Toutes ses peurs remontent à la surface mais ça ne la définit pas. Sinon, elle ne serait pas coach en thérapie. Moi, est-ce que j’ai eu des crises comme celle-ci ? Oui. J’ai eu des grosses crises de désespoir. Je sens la Nature dans mes tripes. La Nature crie à l’aide. Elle n’en peut plus. Sans la Nature, l’Humanité ne peut pas survivre. Puis, égoïstement pour mes fils. Je suis maman. Ce qui se passe dans ce monde, dirigé par des hommes, est catastrophique. C’est factuel. Je dois vous dire et vous avouer que depuis la crise sanitaire, quelque chose s’est apaisé en moi. Quand nous avons offert cette pause à la Terre, même si ce fût une catastrophe pour nous, je l’ai su immédiatement, c’est ça que la Nature me soufflait à l’oreille depuis longtemps. Je fais partie de ces gens qui l’entendent et la comprennent. Vraiment. Il y a 7 ans, je l’entendais me dire qu’il faudrait une catastrophe pour nous réveiller. Quand la COVID est arrivée, j’ai eu mal pour l’Humanité d’abord.

J’ai pensé à tous ceux qui ne pouvaient plus travailler, qui étaient enfermés chez eux, souvent dans des espaces trop petits. J’ai été profondément secouée et, en même temps, on m’avait prévenue. C’est d’ailleurs pour ça, je pense, que j’ai écrit Hommes au bord de la crise de nerfs en 2017. Voir qu’on a été capable de tout arrêter, de rentrer à l’intérieur de soi, de chez soi, avec nos familles et se confronter à ce qui va ou non, ça m’a redonné espoir. Avant, je ne voyais pas où nous allions, à part dans le mur. Je sais que beaucoup de gens se sont éveillés. Jamais je n’aurai espéré un éveil aussi important, en si peu de temps. Basé sur une catastrophe, certes, mais quel éveil ! Tout est possible ! J’ai désormais beaucoup d’espoir.

C’est pour cela que vous dédiez ce film à vos deux fils ?
C’est pour l’avenir mais aussi pour leur dire qu’ils ont le droit d’être qui ils veulent. Les hommes sont complexes, fragiles, mais ils ont le droit de l’être. Embrassez vos fragilités, vos paradoxes et soyez libres !

AVIS

Hommes au bord de la crise de nerfs est l’une des comédies françaises les plus originales de ces dernières années. Dans son nouveau long-métrage, Audrey Dana y filme 7 hommes, toutes générations confondues, malmenés par la vie mais surtout la société. Tandis que tout ce petit monde se retrouve au cœur d’un stage en pleine nature pour une thérapie de groupe, dont l’objectif est de les éloigner du tumulte de la ville, de les déconnecter des réseaux, chacun devra se confronter à ses propres démons, à sa vision du monde, et résoudre leurs problèmes personnels.

Dans Hommes au bord de la crise de nerfs, chaque protagoniste a donc une problématique à résoudre. Un point de départ simple mais efficace puisqu’il permet, très vite, de s’attacher émotionnellement à chacun de ces individus. Ces problématiques nous sont présentées dans une scène d’introduction qui servira de contraste avec la fin, émouvante, où les langues se délient, où les nerfs lâchent dans une farandole de confidences touchantes.

Audrey Dana parle et met en scène ces hommes avec beaucoup de pudeur et d’intelligence. Dans son écriture d’abord, où la réalisatrice et sa co-scénariste Claire Barre ont travaillé des profils pertinents voguant sur des thèmes sociétaux forts : le harcèlement scolaire, le burn-out, le décès, l’homosexualité… Même si elles n’évitent pas certains clichés tels que l’écrivain déchu et alcoolique, elles y ajoutent une pointe d’actualité et un background tragique, offrant une identité unique à ce personnage dont l’interprétation de Patrick Demolon réinvente un rôle pas si évident. Puis, il y a aussi les dialogues et les comiques de situation. Audrey Dana et Claire Barre ont un vrai sens de la comédie. Au travers des joutes verbales d’une extrême précision, elles livrent des dialogues savoureux où le rire se mélange parfois subtilement à l’émotion.

En tant que réalisatrice, Audrey Dana, s’approprie la nature environnante pour mettre ces 7 hommes dans des postures où leurs faiblesses se dévoilent, leurs peurs les plus primaires, leurs angoisses existentielles, leurs espoirs, tantôt dans des séquences hilarantes (cf. scène de la cascade/ensevelis sous la terre), tantôt dans des scènes tendres, pleines de sensibilité et d’humanité. Tout ceci enrobé par des comédiens pointilleux qui donnent le meilleur de leur savoir-faire.

La caméra virevolte sur les visages de ses héros masculins entre fous rires et émotions, où l’on ressent aussi tout le poids de cette société qui leur impose d’avoir des soi-disant caractéristiques masculines. Le dos lourd, les jambes qui se traînent, les héros semblent fatigués par cette société de surconsommation qui va à 100 à l’heure, dans laquelle ils ne se retrouvent plus, qu’ils n’arrivent plus à suivre. Blasés par le vie, la nature les révèle, à mesure que la caméra les suit dans un quotidien thérapeutique difficile. Mais ce sont ces mêmes difficultés qui les rassemblent, les réunissent au-delà de la simple amitié. C’est une vraie entraide, une franche camaraderie et un nouvel avenir pour chacun d’entre-deux qui se forment, se dessinent sous nos yeux.

Conclusion

Bien plus qu’une banale comédie, Audrey Dana parvient à réaliser un long-métrage unique en son genre, grâce à une écriture fine et une mise en scène astucieuse et honnête dans sa dénonciation d’un monde devenu fou. Hommes au bord de la crise de nerfs procure de franches rigolades mais interpelle aussi sur notre rapport à l’autre, à la Nature, à nos envies profondes. Une comédie intéressante sur le fond comme sur la forme, qui en fait un objet cinématographique à part, porté par un casting 5 étoiles délicieux.

Hommes au bord de la crise de nerfs sortira le 25 mai prochain.

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