MASTEMAH : ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR DIDIER D. DAARWIN

Réalisateur de clips et de publicité, parmi une multitude d’autres talents, Didier D. Daarwin débarque au cinéma ce mercredi 29 juin avec sa première réalisation aussi effrayante que perturbante : Mastemah. Un film de genres purement français, entre l’horreur, le drame occulte et le thriller psychologique, un mélange détonnant et terrifiant avec lequel ce nouveau cinéaste s’amuse pour offrir des images puissantes, étranges, violentes. Un spectacle rare, novateur, comme La France sait si bien le faire. Un projet à soutenir absolument en salles !

À l’occasion de la sortie de Mastemah au cinéma, Didier D. Daarwin revient sur cette folle aventure qu’il aura mis près d’une décennie à concrétiser, sur ses choix artistiques et la composition d’un casting d’exception.

Synopsis :
Après la mort brutale d’un proche lors d’une séance d’hypnose qu’elle animait, Louise, jeune psychiatre tente de se reconstruire en s’installant dans un petit village de l’Aubrac. L’arrivée d’un nouveau patient au comportement étrange va la plonger dans une spirale infernale. Sa vie et celles des autres vont devenir un véritable enfer.

Racontez-nous la genèse du projet Mastemah
En parallèle de mon travail de photographe, de graphisme, de réalisateur de clips et de publicités, j’avais ouvert une maison d’hôtes dans l’Aubrac, où se déroule l’action du film. Thierry Aflalou qui est l’un des producteurs de Mastemah était venu un week-end dans notre maison d’hôtes, une grande bâtisse du 19ème, très belle, baroque mais hyper anxiogène pour certaines personnes. Le plateau d’Aubrac et notamment ma maison d’hôtes avaient « terrorisé » mon producteur qui m’a confié ne pas avoir fermé l’œil de la nuit. La région est tellement chargée, tellement tellurique, que vous avez des gens extrêmement sensibles que ça peut mettre mal à l’aise. De cette expérience, il est venu me voir en me disant que ces cauchemars l’avaient fait réfléchir et me demande si je serai capable d’écrire une histoire autour de la possession, de la psychiatrie, de l’hypnose et de la région. Ce sont des choses qui me parlent et je me suis lancé dans l’écriture et la co-écriture avec Johanne Rigoulot pendant neuf ans à partir de ce pitch initial fourni. Tout est parti de ça.

Comment qualifiez-vous Mastemah, qui est un projet singulier dans le paysage cinématographique français avec un mélange des genres inattendus ?
Il est catalogué « film d’horreur » mais je ne suis pas convaincu que ce soit totalement le cas. Ce n’est pas forcément l’aspect commercial que souhaiteraient tout producteur ou distributeur mais c’est un pur film de genreS.

Je joue avec les codes de l’horreur – ce qui avait plu à Canal + d’ailleurs -. C’est à la fois ce que vous disiez, c’est-à-dire un mélange entre le thriller, le drame psychologique, de l’horreur qui lorgnerait plutôt vers l’épouvante et le fantastique. Ça peut déstabiliser, surtout si on y va en pensant voir un film d’horreur. Puis, dans ce film, ce sont également deux mondes qui s’opposent : celui de la rationalité (la science) face aux religieux. Il y a une véritable bascule, puisque je brouille les pistes au point que la science est obligée de se rendre compte qu’il y a peut-être autre chose. Entre le tout rationnel ou le tout spirituel, il peut y avoir des nuances. L’un peut basculer vers l’autre

Vous-même, êtes-vous croyant ?
Je suis assurément agnostique. Je peux être très religieux, mais d’aucune religion. Je crois en des « choses ». Même la science se pose de sérieuses questions là-dessus. Je peux imaginer qu’il y ait des forces mais pas forcément celles consignées dans une chapelle. Le Religieux est tronqué par les religions et donc par l’homme. A partir de là, c’est foiré. On ne serait pas tous en train de se foutre sur la gueule depuis des siècles pour une virgule ou de petits arrangements d’interprétations sinon… Mais voilà, oui je pense être profondément spirituel, je crois…

Votre personnage principal, Louise (Camille Razat), est psychiatre de profession. Cela vous permet de brouiller les pistes et la réalité. Comment avez-vous justement construit ce personnage et intégré cet élément à votre structure scénaristique ?
On m’a longuement reproché sur le tournage de faire des nœuds dans le film. On me disait qu’au cinéma, les nœuds, il faut les dénouer pour résoudre les questions. Non, je n’avais pas envie. Ça sera à chaque spectateur de les dénouer eux-mêmes. Je voulais qu’on soit régulièrement paumé entre le rêve et la réalité, ce qui est vrai ou pas. Coupable s’il doit y avoir, est-ce que c’est Louise ? Le personnage de Théo, ce paysan fruste, est-il réellement malade d’ailleurs ? Est-ce le médecin en chef, mentor de Louise ou bien le prêtre ? J’aime bien brouiller les pistes. Je n’ai pas envie de prémâcher le travail au spectateur. Mon métier, c’est de faire des images, quelles qu’elles soient, graphiques, photographiques ou maintenant cinématographiques. J’aime lorsque les choses ne sont pas évidentes et qu’il faut réfléchir ou que chacun ait sa propre interprétation. C’est ce que j’ai essayé de faire avec Mastemah. Le film reste ouvert. Louise est-elle complètement schyzo, a-t-elle une vraie maladie mentale, est-ce qu’elle est possédée ou est-elle le Diable en personne ? Lui faire endosser le costume de psychiatre, effectivement, permettait de brouiller les pistes. Puis, le film ne parle-t-il pas aussi du pouvoir de la femme avec un grand F, qui règlerait enfin ses comptes ? C’est un thème en filigrane.

Dès les premières minutes, il y a quelque chose qui m’a interpellé, c’est le travail sur le corps, ses mouvements. Que ce soit le suicide du jeune homme au début du film (qu’on voit dans la bande-annonce), les danses autour du feu ou le personnage en fauteuil roulant, le rapport au corps, c’est un thème qui vous est cher ou est-ce simplement de la pure poésie visuelle ?

Pour ce film-là, je pense que c’est par pure poésie visuelle. C’est un choix esthétique. Je voulais opposer la bestialité de Théo à la fragilité d’Elias (Dylan Robert), à la beauté de Guillaume (Roberto Calvet). C’est par la chair que les choses sont vécues. Je n’ai pas plus d’explications mais ça me semblait intéressant de voir l’homme dans toutes ces étapes : la jeunesse fringante, le corps fauché en pleine jeunesse (Elias), la force brute, bestiale de Théo, l’intellect et le pouvoir de De Maistre (Tibo Vandenborre). J’essaie de composer avec ces personnages-là et de les filmer au plus près

Le travail sur la photographie est étonnant et inquiétant. Quels ont été vos choix artistiques sur Mastemah ?
Je travaille sur l’image depuis 32 ans, et je ne pouvais pas arriver appréhender une fiction cinéma en abandonnant toutes mes « expérimentations », toutes mes figures de style, mes « tricks »traditionnelles. J’ose des choses avec un vrai parti pris. Je sur-kiffe l’image mais il ne faut pas non plus la sacraliser au point de ne plus vouloir casser les codes. Il n’y a pas de codes faut les décoder. Mais l’image doit aussi servir le propos. J’ai appliqué ce que je fais habituellement dans mes clips ou dans la pub. D’où des surimpressions, des flicages, des images subliminales, toute la rhétorique propre au clip que je peux utiliser dans Mastemah. Le film aurait pu être plus expérimental mais tu as des contingences et des personnes qui sont là pour te rappeler que c’est du cinéma, donc du business et qu’il faut malgré tout que ça reste accessible au grand public. Cependant, je compose avec ça. C’est pareil dans le clip et la publicité.

La maison où habite Louise est un lieu vraiment bizarre, entre le cabinet de curiosité et la grande maison horrifique au milieu de nulle part. Comment avez-vous pensé et conçu ce lieu, que ce soit au niveau du décor que des accessoires ?
C’est simple, une partie de ce qu’il y a dans la maison de Louise ou chez le prêtre viennent de chez moi. C’est ma déco, mes objets. J’ai transposé mon chez moi dans le film (rire). Puis, je m’entends très bien avec mon chef déco, Serge Borgel, qui me connaît parfaitement. Il vient régulièrement à la maison. Lorsqu’on a attaqué le film, ils sont venus avec un énorme camion et ont vidé mon appartement. […] Çà donne une âme, une présence à cette maison. Et, visuellement, on peut s’amuser à filmer ces objets, à les mettre en parallèle avec le scénario en troublant le spectateur.

Il y a tellement de détails, qu’on ne peut s’empêcher de mettre sur pause pour épier chaque détail…

Mais oui, c’est ça que j’aime ! Je suis un « ancien » moi. Je me souviens que lorsque j’achetais une pochette de vinyle, il y avait plein de détails. Si tu aimes les choses, tu prends ta pochette, une photographie ou tu mets pause sur un film, et tu regardes vraiment les détails de ce qu’on te propose à la découverte approfondie. Parfois, ce n’est pas évident mais si tu bloques dessus, tu t’aperçois qu’il y a des petites choses ventilées, parsemées çà et là. Ça te renvoie ensuite à plein d’émotions. Effectivement, si dans le film c’est moins flagrant, il y a une multitude d’objets de partout qui renvoient à des sentiments universels, des concepts ou un vécu plus personnel.

On a la même réaction que la première fois que le personnage de Théo rentre chez Louise. La surprise et la curiosité…
Ces crânes, ces animaux empaillés, ça lui parle. C’est un homme de la montagne, de la nature. Primal, primaire, la mort et le règne animal ça résonne en lui.

Comment avez-vous construit votre casting, notamment pour les deux rôles principaux ? Pourquoi Camille Razat et Olivier Barthélémy ?
À la fin de l’écriture du projet, le producteur m’a demandé ce que je pensais d’Olivier Barthélémy. Étrangement, j’avais déjà secrètement pensé à lui mais je le pensais inatteignable. Quand Mastemah a pris davantage d’ampleur en phase de préproduction, nous avons réussi à obtenir un rendez-vous avec Olivier, à Marseille, là où je réside et lui également. Le hasard ( qui n’existe pas ). Dès notre rencontre, nous nous sommes de suite entendus. Il connaissait mon travail car c’est un grand fan de rap et il a donc vu les clips que j’ai réalisés pour IAM, Psy4, Akhenaton, Soprano ou Oxmo. […] C’était l’évidence. Il s’est battu avec nous pendant 2 ans pour faire avancer la production du film.

Nous devions tourner en février 2021 et toujours pas de rôles féminins. J’avais repéré Camille Razat dans un clip vidéo, mais la production n’était à l’époque pas complètement d’accord avec ce choix. Je suis revenu sur le tapis, plus tard, avec en appuyant sur le fait qu’Oliver la connaissait et que depuis, elle avait tourné dans Emily in Paris. Olivier l’appelle le 24 décembre au soir, lui envoie le scénario avec une réponse pour le lendemain. Camille le lit dans la soirée, le rappelle et lui confirme qu’elle veut participer au projet. On s’est vus tous les deux et là aussi, ce fut une évidence. Je savais de quoi elle était capable, bien avant ses prestations dans Emily in Paris.


Olivier, je voulais qu’il soit aux antipodes de ce qu’il avait déjà joué et qu’il interprète à la perfection : la « racaille », un peu parisienne, d’un milieu urbain, grande gueule. Là, c’est l’opposé. Pas de préparation physique, pas de muscles saillants. Il fallait que ce soit une masse de force brute. Je devais sentir que s’il saisit un arbre, il l’arrache et le déracine à mains nues. Pareil pour la voix. Je souhaitais qu’il ait une voix qui vienne du ventre, pas une voix haute. Pareil avec Camille. Cette comédienne est incroyable. Elle connaît le texte sur le bout des doigts, elle est généreuse, même lorsqu’on tourne un contre-champ et qu’elle est hors caméra elle joue encore mieux la scène pour que l’acteur en face soit à l’aise pour faire sa scène. Une grande professionnelle. Elle a réellement vécu l’évolution de son personnage en temps réel. Il y a vraie « décrépitude » physique. Camille, qui est une personne très belle, a campé une Louise qui tout au long du film l’est de moins en moins. Et elle le vivait vraiment. Je soupçonne qu’elle puisse aller très très loin.

Il y a un autre grand comédien dans Mastemah, que beaucoup connaissent grâce à sa voix, c’est Feodor Atkine, voix française de William Hurt, Jeremy Irons ou encore Hugh Laurie…

C’est un ami proche du producteur Thierry Aflalou. Il m’a proposé ce comédien et j’ai dit « oui » cash sans aucune hésitation. Quelle présence, quelle voix ! Cet homme est incroyable ! Pour le coup je ne voyais personne d’autre que lui pour incarner le prêtre. C’est un personnage important car c’est avec lui que le film bascule. Avec son arrivée, il met également le level encore plus haut, niveau interprétation. On ne lui apprend pas le métier (rire), il nous l’inculque en toute modestie. Il est d’une profonde gentillesse, d’une grande disponibilité et écoute.

Mastemah sortira ce mercredi 29 juin.

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