LE CINÉMA EST-IL RÉELLEMENT EN DANGER ? (AVEC INTERVIEWS)

Le COVID a redistribué les cartes. Avec les différents confinements et l’avènement de certaines plateformes de streaming durant cette période (Disney + en tête), la population a changé ses habitudes de consommation. Le confort d’être chez soi, la technologie des nouveaux téléviseurs, la variété des programmes proposés sur les plateformes (mais dont on peut remettre en cause la qualité) et des prix défiants toute concurrence (8 euros en moyenne pour un abonnement et un catalogue de films et de séries quasi illimités), tous ces nouveaux facteurs sont désormais à prendre en considération par les professionnels du 7ème art.
Si au sortir du second confinement, l’engouement pour le cinéma avait été une lueur d’espoir pour les exploitants – 96 millions de tickets vendus en 2021 soit 47% de plus qu’en 2020 -, on s’interroge de nouveau aujourd’hui sur la mort éventuelle du cinéma. Et pour cause, ces dernières semaines, le cinéma accuse une baisse de fréquentation de 20 à 30%.

Pour comprendre le problème, quatre intervenants, d’horizons différents, ont accepté de revenir sur l’état du cinéma français ainsi que sur les arguments donnés par les internautes et les raisons pour lesquelles ils désertent les salles obscures. Les réalisateurs Mathieu Turi (Hostile, Méandre…) et Fabrice Maruca (Si on chantait), le producteur Matthias Weber (Les Promesses, Zaï, Zaï, Zaï, Zaï, Boîte Noire…) et Pamela Nicoli, directrice du CGR de La Rochelle, essaient ensemble de répondre à la problématique et tentent d’apporter des éléments de réponse à la baisse de fréquentation des salles de cinéma.

« Maintenant, les clients sélectionnent. Le spectateur est plus enclin à dépenser plus pour un film grand spectacle dans une salle tout confort plutôt que 8 euros sur une comédie d’une heure et demie dont il ne connaît pas la qualité » – Pamela Nicoli.

1. Le prix du ticket

Avec l’inflation et les difficultés économiques oppressantes de ces derniers mois, le budget loisir des foyers a considérablement diminué. Si le cinéma reste le divertissement le moins cher en France, dans certaines villes de France, le billet monte jusqu’à 14 euros en plein tarif. Pour autant, le prix du ticket semble être un faux argument pour Pamela Nicoli, directrice du CGR de la Rochelle, même si elle reconnaît qu’une sortie au cinéma pose une vraie réflexion chez le spectateur :

« Le prix du ticket est un faux argument, pour certains films. Les comédies françaises et les films d’art et essai en pâtissent, c’est un fait. Néanmoins, les blocbkusters tels que Top Gun, Jurassic World et même Doctor Strange in the Multiverse of Madness, carburent très fort. Pourtant, le prix du billet est le même voire plus élevé puisque nous les diffusons également en salles ICE où le prix du ticket monte à 16 euros. Le cinéma est désormais une sortie à part entière. En 2022, lorsqu’on va au cinéma, on prévoit de payer le trajet, ça rentre en ligne de compte. C’est devenu un budget à cause de l’inflation. Une place de cinéma aujourd’hui, c’est peut-être ce qui va manquer à certains pour manger, faire le plein, etc… ».

Alors, comment expliquer cette baisse de fréquentations des salles ? Pamela Nicoli nous offre une piste à exploiter : « Maintenant, les clients sélectionnent. Le spectateur est plus enclin à dépenser plus pour un film grand spectacle dans une salle tout confort plutôt que 8 euros sur une comédie d’une heure et demie dont il ne connaît pas la qualité. La question est donc : pourquoi les blockbusters cartonnent au cinéma ? Tout simplement parce que ce sont des films que les spectateurs n’ont pas sur leurs plateformes, où leurs productions sont assez standards. Si on veut du très grand spectacle, du spectaculaire, c’est encore au cinéma qu’il faut aller. Et malheureusement, une comédie française ou américaine, ce n’est pas du spectacle ».

« Le problème ce n’est pas la programmation, c’est la proposition » – Mathieu Turi.

2. Une programmation peu attrayante ?

Du spectacle ! Le souci viendrait-il de la programmation ? C’est un des arguments qui est avancé lorsqu’on demande aux gens la raison pour laquelle ils ne se déplacent plus autant dans les salles de cinéma. Les personnes interrogées avouent n’y aller que pour les blockbusters américains et boudent le cinéma français et « leurs comédies bas de gamme ». Pourtant, le cinéma français (et étranger) regorge de petites pépites, des films d’auteurs et de genre de grande qualité. Alors, quel est le véritable problème ? Pour le réalisateur Mathieu Turi, il faut d’abord événementialiser le cinéma français : « C’est trop simple de tout mettre sur la programmation. Avant le COVID, il y avait des bons films qui se plantaient au box-office et des mauvais qui cartonnaient. […] Le problème ce n’est pas la programmation, c’est la proposition. On parle des comédies françaises, mais quelles sont les comédies ambitieuses qui sont sorties récemment ? Le prochain Astérix sera peut-être bon ou mauvais, on ne sait pas, mais c’est un film événement, c’est une proposition de cinéma. Avant, nous en avions davantage. Il faut que nous réalisions plus de films qui fassent rêver. Aujourd’hui, pour faire déplacer le spectateur, il faut un film d’exception. Qui a envie de voir Top Gun sur son écran à la maison ? Personne. Et les gens y vont. C’est pareil pour la comédie. Pendant le COVID, les comédies qui ont fonctionné, ce sont des films plus ambitieux, Kaamelott, OSS 117. La petite comédie franchouillarde, parisienne, ce n’est pas ce qui va nous sauver de la crise ».

Les comédies françaises semblent avoir mauvaise réputation. Il est vrai que les commentaires autour des productions françaises ne sont pas élogieux. Le réalisateur Fabrice Maruca, auteur de la comédie Si on chantait…, partage cette opinion et soulève un point intéressant sur la fabrication des comédies françaises : « Je ne pense pas qu’il faille faire moins de comédies, je pense qu’il faut faire de meilleures comédies. Il y a beaucoup de comédies qui sont moins drôles que l’on espérait, un peu bâclées et avec des acteurs qui tournent sans y croire vraiment. Cette crise nous oblige à concevoir de meilleurs films. Certains font des films écrits en 3 mois, avec un acteur qu’ils connaissent, vont chez Canal + ou TF1, et le film se monte alors que le scénario a été écrit en quelques semaines et personne ne trouve à redire. En France, dès qu’un acteur dit « oui », on ne touche plus au scénario. Avant, cette technique fonctionnait et cela faisait 600 000 entrées. Aujourd’hui, ils en font moins de 150 000. Le problème vient du fait qu’il faut redonner confiance aux spectateurs sur la qualité des films français. On ne doit plus réaliser des sous-téléfilms. La plupart des films à l’affiche sont financés par des chaînes et sont destinés à passer sur une chaîne télé dans 3 ans ».

Crédit photo : cinecomedies.com

La clé pourrait-elle aussi venir du films de genre ? La France a un véritable savoir-faire dans ce domaine mais les longs-métrages de ce type restent inaperçus ou peine encore à trouver leur public. Auteur de deux films de genres, Mathieu Turi explique son point de vue à ce sujet et donne quelques éléments de réponses pour faire d’une sortie un événement : « Faire des films ambitieux, ce n’est pas une question de budget. Il nous faut des films qui racontent une histoire. Le cinéma de genre est un exemple. C’est une question de quantité. Nous devons en produire plus. Blumhouse, par exemple, produit du cinéma d’horreur à la chaîne. Parfois, ils se plantent mais ils en produisent. Le public a envie de renouveau. Toute crise apporte du positif. Un film sur Les Trois Mousquetaires, mine de rien, cela faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu un film français dont on parlait bien avant sa sortie, sans même qu’on ait vu une seule image. Il y a une envie. Bizarrement, c’est un film ambitieux. Le Visiteur du Futur de François Descraques, on en parle beaucoup aussi. Les films, nous avons besoin de les faire vivre avant leur sortie. Ce n’est pas un domaine où nous avons été très doués. On est en train de comprendre qu’il faut donner envie aux gens. C’est génial parce que cela va forcer à réfléchir ». Il conclut, optimiste sur l’avenir du cinéma : « Les meilleurs films arrivent derrière chaque crise. Cela met du temps parce que les films, il faut les faire. On veut aller trop vite. On vient d’encaisser une crise énorme. Bien que la fermeture des salles semble terminée, tout le milieu se pose aujourd’hui des questions sur l’après. Maintenant, il faut des actes ».

« Nous ne pouvons plus nous contenter de faire des films avec une tête d’affiche qui permettent de valider un studio, une chaîne et en avant. Ça ne suffit plus » – Matthias Webber.

Le producteur Matthias Weber, de son côté, n’est pas persuadé que le problème réside dans la comédie et aborde dans le sens de Mathieu Turi et Fabrice Maruca : « Il faut pour la salle de cinéma des propositions qui sachent se démarquer de ce que nous pouvons trouver si facilement depuis nos écrans à la maison et qui sachent créer l’évènement. Que ce soit des propositions très lisibles et ciblées comme l’a démontré récemment le succès de Maison de retraite, des propositions de grands spectacles comme Top Gun : Maverick ou de grand cinéma comme nous avons eu la chance de le défendre avec Boîte Noire l’an passé, même si nous regrettons en contre-exemple l’insuccès de Zaï Zaï Zaï Zaï pour lequel nous nourrissions une sincère croyance dans la proposition différencié, cinématographique, avec un cœur de cible préalablement sensibilisé ». Pour appuyer son propos, notons également l’échec au box-office du film de Clovis Cornillac « C’est Magnifique ! » (168 280 entrées) une comédie poétique, un conte fantastique boudé par le public malgré ses ambitions artistiques et sa proposition novatrice.

En effet, certaines comédies françaises ont essuyé quelques déceptions comme « On sourit pour la photo » de François Uzan (70 029 entrées) ou encore « J’adore ce que vous faites » (151 107 entrées), malgré des têtes d’affiche comme Jacques Gamblin, Pascale Arbillot, Artus et Gérard Lanvin. Selon Matthias Webber, cette tendance ne fonctionne plus :

« Nous ne pouvons plus nous contenter de faire des films avec une tête d’affiche qui permettent de valider un studio, une chaîne et en avant. Ça ne suffit plus. Il y a très peu de talents qui sont garants d’entrées. Cela veut dire qu’il nous faut désormais non plus cocher une seule case, mais une multitude de cases dont la dimension cinématographique, dont le questionnement marketing « à qui s’adresse le film ? » en amont. Et ce n’est pas un gros mot. Nous avons produit Les Promesses, un film engagé sur les marchands de sommeil, la question du public cible s’est posée bien avant la mise en production du film ».

Image : Gérard Lanvin et Artus, les deux têtes d’affiches du film « J’adore ce que vous faites ».

3. La prise de positions des acteurs à la télévision ?
Argument inattendu et pourtant, il revient régulièrement sur les réseaux. Les acteurs français ont, pour quelques-uns, mauvaise réputation et notamment depuis la crise COVID. Leurs prises de positions sur la vaccination mais également sur les sujets de société (gilets jaunes, pouvoir d’achats, racisme…) et sur les récentes élections à la télévision ainsi que sur leurs propres réseaux sociaux, révulsent les internautes qui s’interrogent sur leur légitimité à prendre la parole sur des sujets de notre époque. Cela pourrait-il avoir un impact sur l’échec de certains films français ? Fabrice Maruca se questionne : « Je pense que ça peut en gêner certains, effectivement. Les acteurs ont tendance à donner davantage leurs avis sur tout. Je ne sais pas si cela est une bonne chose. Je m’interroge. Il y a des acteurs qui parlent peut-être trop ou sur des sujets qui ne les concernent pas vraiment. Donc, je comprends. Nous sommes dans une société où maintenant, tout le monde donne son avis sur tout. Je ne sais pas si Jean Gabin, par exemple, donnait sa vision de la politique. Ça désacralise un peu ».

4. Les incivilités au cinéma
Saladiers de pop-corn entier déversés sur les sols, grignotements insupportables, téléphones portables allumés en pleine séance, bavardages intempestifs, autant d’éléments qui insupportent les spectateurs de cinéma. Rester chez soi est devenu plus confortable et évite d’être confronté à ses incivilités de plus en plus fréquentes. Le cinéma est-il devenu un lieu infréquentable comme on peut l’entendre ici et là ? Pamela Nicoli, elle, n’aborde pas dans ce sens :

« Je n’acquiesce pas du tout. Il peut y avoir des séances, où il y a davantage de brouhaha comme sur les films d’horreurs. Toutefois, dans 90% de nos salles, il n’y a aucun débordement. Nos salles sont silencieuses. Ça ne filme quasiment jamais hormis une petite story avec le logo du film au début pour la partager sur Snapchat et dire qu’on est au cinéma devant tel film. Surtout, il y a moins d’interférences que sur le canapé. On a davantage le téléphone avec nous, on est moins attentif, on peut mettre sur pause pour aller chercher quelque chose à manger, etc… Je ne pense pas que ce soit ça le déclencheur qui fait que les gens viennent moins au cinéma ».

« Nous devons penser à fidéliser, à développer des vrais cinéma de proximité » – Pamela Nicoli.

Comment parvenir à se renouveler et faire revenir le public en salles ? C’est toute la chaîne du 7ème art qui doit repenser sa manière de concevoir des films comme l’évoquaient plus haut Mathieu Turi et Fabrice Maruca. Les exploitants de salles aussi doivent se réinventer et proposer des expériences nouvelles aux spectateurs : « Il y a quelques années, c’était plus facile d’être exploitant car les gens venaient naturellement au cinéma. Là nous avons plusieurs difficultés, la qualité de certains films, l’inflation, la météo, etc… Nous devons penser à fidéliser, à développer des vrais cinéma de proximité, que les gens se sentent comme à la maison, nous devons également, comme nous le faisons à La Rochelle depuis plusieurs années, continuer d’organiser des soirées débats, des soirées à thèmes (karaoké), des avants-premières avec acteurs ainsi que marathons avec des cadeaux à gagner grâce à nos partenaires locaux… Nous devons organiser des soirées plus poussées pour offrir une expérience supplémentaire, sans payer plus cher. C’est cela le renouveau du cinéma de demain » explique Pamela Nicoli.

Astérix et Obelix, Les Trois Mousquetaires ou encore Le Visiteur du Futur, l’avenir du cinéma français semble dorénavant reposer sur ces 3 films événements. Seront-ils la réponse à notre manière de repenser le cinéma français et notre façon d’ambitionner notre 7ème art ? Seul l’avenir nous le dira…

Quelques chiffres & Fête du Cinéma

Si La France s’affole, voici quelques chiffres qui nous permettent de conclure cet article sur une note d’espoir. A gauche, une capture des chiffres de fréquentation des salles de 2015 à 2022 pour la période de juin. Avec 10,86 millions de spectateurs le mois dernier, le cinéma accuse seulement une baisse de 7% sur la moyenne 2015-2019. Une belle façon de relativiser.

La Fête du cinéma a également été un beau succès. Plus de 3.2 millions de spectateurs se sont rués dans les salles pour profiter de l’offre à 4 euros. Un chiffre supérieur à ceux d’avant la pandémie, soit 4% au-dessus de la moyenne des éditions de 2017 à 2019.
Non, le cinéma n’est pas mort. Oui, les français aiment le cinéma !

Quelques conseils cinéma et films à soutenir en salles actuellement :
Mastemah de Didier D. Daarwin
Incroyable mais vrai de Quentin Dupieux
Decision to leave de Park Chan-Wook
En roue libre de Didier Barcelo
Les goûts et les couleurs de Michel Leclerc
The sadness de Robert Jabbaz

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