LES SÉRIES MARVEL À LA SAUCE DISNEY + : PREMIER BILAN (AVEC INTERVIEWS)

Crédit photo : CNET FRANCE

Depuis plus d’un an maintenant, Marvel a déployé une vaste opération télévisuelle pour agrandir son univers super-héroïque. Désormais, une partie de la continuité s’opère depuis la plate-forme Disney + (WandaVision, Falcon et le Soldat de l’Hiver, Hawkeye) et plusieurs nouveaux super-héros font leur entrée au sein du Marvel Cinematic Universe (Kate Bishop, Moon Knight, Miss Marvel…). Entre succès et échecs, réalisons un bilan sur la manière dont Marvel produit ses séries sur Disney +, sur les limites qu’imposent leur format et son avenir dans les prochaines années.

À la veille de la Comic-Con et de la sortie de She-Hulk le 17 août prochain sur Disney +, quatre spécialistes des séries ont accepté de donner leur point de vue et de faire un premier état des lieux sur le sujet : Pierre Langlais (Télérama), Romain Nigita (Le Journal du Dimanche), Adrien Delage (Konbini) et Alexandre Letren (VL Média).

Les productions Marvel sur Disney +, une réussite ?

Au total, ce ne sont pas moins de 7 séries qui sont déjà sorties sur Disney + et une avalanche de nouveaux personnages qui ont été introduits dans le MCU. Si l’avenir de White Vision, Kate Bishop ou encore Moon Knight mais aussi l’impact de Loki sur le MCU restent encore assez flous – la Comic-Con et la D23 devraient nous apporter quelques réponses – certaines des séries ont été un véritable succès critique et public à l’image de WandaVision et de Loki.
Disney + est-t-il parvenu à conjuguer son univers cinéma et série, tout en proposant de véritables petits événements télévisuels ? Pour Pierre Langlais de chez Télérama, il y a derrière cette opération une vraie ambition : « Je vois ça comme une forme de laboratoire pour Marvel et Disney de tenter des formes narratives, de toucher à différents genres (la sitcom, la buddy-movie à la Indiana Jones, le fantastique, l’espionnage…), de faire des séries qui sont, comme WandaVision, très référencées et, finalement, d’aller au-delà du pur blockbuster explosif. J’aime bien l’idée de voir des personnages « secondaires » s’épanouir dans un cadre différent et apporter un peu de profondeur au MCU. Je leur trouve beaucoup de qualités. Elles sont toutes intéressantes à leur façon. Il y a des propositions supérieures à ce que peut produire Marvel au cinéma. J’aime bien la liberté qui se dégage de ces propositions ». Cependant, il nuance son propos dans un second temps et s’interroge sur cet univers grandissant : « Il y a toutefois quelque chose qui m’embête, qui est une problématique avec Disney lorsqu’on pense à Star Wars et qui risque de se poser de plus en plus dans l’univers hollywoodien, c’est la surexploitation du MCU. Ces séries sont de moins en moins excitantes, car elles s’inscrivent dans une sorte d’overdose, pour moi, de cet univers-là. Il y a pas si longtemps, voir débouler une série ou un film Marvel était un événement, maintenant c’est presque devenu banal ».

De son côté Adrien Delage partage l’avis de son confrère et va même plus loin. Après une succession de films sur grand écran et une multitude de critiques sur la nécessité de certaines productions (Black Widow) et une direction encore peu claire sur le point de chute de la phase 4, les séries offrent un second souffle selon le journaliste de Konbini, tout en soulignant quelques défauts inhérents au développement de l’univers MCU via la télévision : « Avec ses séries, Marvel parvient à se relancer avec sa phase 4 […] Il y a une volonté d’explorer des personnages et des thématiques précises. Après, il y a deux cas qui se démarquent. Avec WandaVision, ils ont compris l’essence et le format sériel. Contrairement à Falcon, nous n’avons pas l’impression de regarder un film de six heures. La force de ses séries comme Moon Knight, c’est qu’elles arrivent à se détacher complètement du MCU et ça, ça fait du bien finalement. Je pense aux fans qui ont vu Doctor Strange 2 mais qui n’ont pas regardé WandaVision, cela doit être dur de comprendre les motivations de Wanda et pourquoi elle devient méchante. C’est à la fois la force et la faiblesse des séries Marvel […] Néanmoins, au niveau des scénarios, de l’approfondissement des personnages, elles jouent un rôle crucial. C’est la véritable force de cette phase 4 ».

Image : Et si l’avenir du MCU se trouvait-là ?
Crédit photo : ActuaLitté

Le format « mini-série », un format viable et pertinent ?

« Six épisodes, c’est trop court » entendons-nous ici et là. Un format critiqué, qui crée à la fois de la frustration mais surtout peu d’élan scénaristique. Ce schéma narratif de semi-continuité, d’introduction à de nouveaux héros et de nouvelles histoires soulève des interrogations. Sur le long-terme, ce format est-il réellement viable et pertinent ? Pour Romain Nigita, le problème est ailleurs et réside dans le flou autour de l’avenir de ses séries : « Les minis-séries sont aussi vieilles que l’histoire de la télévision. Dans les années 60-70, beaucoup de romans ont été adaptés en mini-série comme Les oiseaux se cachent pour mourir ou Shogun. Ce qui est nouveau, c’est qu’elles s’inscrivent dans une grande franchise et qu’elles font parfois le pont entre deux films. Là où c’est ambiguë, c’est dans la manière d’annoncer les choses. Nous ne savons jamais si ce sont des mini-séries ou des saisons 1. Loki, nous savons aujourd’hui qu’il y aura une saison 2 (actuellement en tournage). WandaVision était une mini-série pour faire le lien entre deux étapes, pareil pour Falcon. Mais au moment où l’on regarde une série, nous ne savons jamais ce que ça va devenir. C’est plus cela qui m’embête. Ensuite, le format mini-série, c’est aussi un format qu’on a en papier via les comics avec des mini-events qui ne durent seulement que quelques numéros. Est-ce viable ? Visiblement, ça fonctionne et scénaristiquement aussi. Est-ce que WandaVision aurait pu être un film ? Je ne pense pas. En terme d’objet télévisuel, ça fonctionnait parfaitement avec ce côté référentiel aux anciennes sitcoms. Un épisode, une époque. Je suis plus dubitatif sur Falcon et le Soldat de l’Hiver qui fait davantage gros film d’action. J’ai dû mal à avoir une réponse tranchée. C’est au cas par cas. […] Comme avec Star Wars ou Star Trek chez Paramount, l’objectif est d’avoir un univers constant à proposer aux fans tout au long de l’année ».

Un sentiment partagé par Pierre Langlais, qui voit également deux autres problématiques dans la création des séries Marvel sur le long terme, notamment sur les contrats des acteurs.rices et la réactualisation des genres :

« Elles ne font aussi que 6 épisodes car, pour certaines, elles reposent sur des acteurs et je ne pense pas qu’on puisse faire signer Oscar Isaac pour 5 saisons. C’est une des contraintes de ces séries lorsqu’elles embauchent des acteurs comme Tom Hiddleston, Elisabeth Olsen ou Oscar Isaac, c’est difficile de les tenir sur la durée. Le côté produit de luxe de ces séries-là est lié intrinsèquement à la difficulté de coincer dans un contrat des acteurs comme ça. Maintenant, est-ce que c’est l’ambition de Marvel de faire durer ces séries-là ? Je ne suis pas sûr. Elles s’inscrivent dans des formes narratives ponctuelles. […] Ensuite, après avoir exploité tous les genres (la comédie teen-drama, la série d’avocat, la série d’espionnage, la sitcom…) que leur restera-t-il ? Là, il leur faudra créer quelque chose. Il va falloir sortir des concepts ».

Image : Un one-shot pour Oscar Isaac ?

Alexandre Letren soulève lui, un problème sur la gestion des séries Marvel et la connexion au reste du MCU. Si elles sont davantage connectées qu’Agents of S.H.I.E.L.D en son temps, il y a un flou autour de certaines séries et l’avenir de quelques héros au sein du MCU : « Moon Knight, par exemple, n’était pas inintéressant. C’est simplement que nous n’arrivons pas, pour l’instant, à le connecter avec le reste du MCU. Et apparemment, ce n’est pas certain qu’il revienne. La promesse de Kevin Feige d’un tout connecté pour former un grand tout n’est pas tenue. C’est problématique. On a la sensation qu’il part dans plein de sens. Je ne suis pas persuadé qu’au départ, ils ont réfléchi à tout ça ».
Sur le format mini-série et la déferlante de nouveaux super-héros, il s’interroge : « Falcon et le Soldat de l’Hiver dans son registre, prépare la suite. Après, est-ce qu’il fallait en passer par six épisodes de 50 min pour en arriver là ? […] Le format six épisodes sur Moon Knight ne nous donne pas un potentiel, un aperçu de ce qu’on pourrait avoir par la suite. Donc, est-ce qu’on a envie de le retrouver ? Si ce n’était pas un super-héros Marvel, non. Car une fois qu’on s’est débarrassé des problèmes intérieurs du personnage, c’est vrai que la question se pose. […] Puis, est-ce qu’on avait besoin de créer d’autres personnages, alors que Marvel en a déjà beaucoup au cinéma, dont on ne sait pas, encore une fois, comment ils vont se retrouver connectés les uns, les autres ? ».

Image : ex-Marvel/Netfix, Marvel/Disney, Marvel Studios, trop de super-héros ?
Crédit photo : Geeks Land

Enfin, Adrien Delage pointe du doigt des productions aux VFX peu aboutis, même s’il reconnaît des prises de risques singulières et particulièrement salutaires : « On sent qu’il manque de temps. Parfois, ce n’est pas aussi spectaculaire et ambitieux qu’un film mais il faut comparer ce qui est comparable. Une série Marvel n’aura jamais le budget d’un Endgame. Mais il est vrai qu’on peut être déçu de ce qu’on voit en terme d’images pures et, même au-delà de ça, certaines séries manquent d’une vraie direction artistique, d’une vraie production value. Cependant, les séries Marvel ont de l’audace. WandaVision, par exemple, est très différente, sur son rythme, ses références, sa DA, son traitement du deuil, etc… Et puis, c’est une série qui prouve que les acteurs et actrices sont très bons, pour ceux qui en doutaient. Lorsqu’on donne à Elisabeth Olsen le temps de jeu qu’il faut, ça détonne ».

Miss Marvel, la mal-aimée ?

Avec 775 000 visionnages pour le premier épisode de Miss Marvel dans les cinq jours qui ont suivi sa diffusion, la série est le plus faible démarrage pour une production Marvel sur Disney + (Loki : 2.5 millions / Falcon et le Soldat de l’Hiver : 1.8 millions / WandaVision : 1.6 millions / Hawkeye : 1.5 millions). Si ces chiffres dévoilés par SambaTV sont à prendre avec des pincettes et qui sont à mettre en perspective sur la totalité de la saison, comment expliquer, malgré des critiques dithyrambiques, cette audience si faible ? Est-ce la série, jugée « trop enfantine » sur les réseaux sociaux, le casting – qui ne peux pas compter sur des grandes têtes d’affiches comme Oscar Isaac et Ethan Hawke sur Moon Knight -, ou bien une méconnaissance du public sur la création de cette super-héroïne ?
Pour Pierre Langlais, trois explications plausibles :

« Premièrement, un début d’overdose. Il faut voir à quel point She-Hulk va marcher ou non. Deuxièmement, peut-être que la série s’adresse à un public plus jeune, ce qui tenterait à prouver que le public Marvel est plutôt du 18-35 que du 15-25. La troisième et c’est la cause la moins flatteuse et plus problématique que l’héroïne soit musulmane. On ne va pas se mentir, aux USA, en France et ailleurs, il y a un racisme bien présent, bien ancré dans la société. Et, peut-être que les spectateurs n’avaient pas envie de voir une série avec une héroïne musulmane. C’est une question qu’il faut analyser. Mais je ne souhaite pas que ce soit le cas. C’est une série attachante et l’actrice est super ».

Image : Miss Marvel, une série pourtant si cute !

Puis, il y a cette polémique qu’évoquait Pierre Langlais. Cette volonté d’inclusion mal-reçue par des internautes. Mais cela est-il la vraie cause de cet « échec d’audience », si échec il y a ? Pour Alexandre Letren, plusieurs facteurs peuvent rentrer en jeu et le problème ne résiderait pas dans les caractéristiques ethniques et religieuses de la jeune Kamala : « Un des plus gros succès solo chez Marvel Studios fut Black Panther. […] Cela veut dire quoi ? Dès que nous allons avoir une proposition différente, le simple fait qu’un héros ou une héroïne soit musulman.e ou LGBT devrait en faire un argument pour que cela fonctionne ? Non. C’est peut-être de la part des auteurs de savoir si cela en fait un concept en tant que tel. Au même moment, sur Netflix, il y avait la série Première fois, avec une héroïne qui est dans la même configuration que Miss Marvel et ce fut un joli succès. […] Le premier épisode mets beaucoup de temps à démarrer. C’est un épisode très frais, très chouette, mais on rentre dans un univers nouveau et donc, si on ne démarre pas rapidement, peut-être que les gens abandonnent. Avec Disney +, il ne faut pas oublier qu’on revient au modèle de télévision d’antan, c’est-à-dire un épisode par semaine. Donc, si tu n’adhères pas au premier épisode, tu ne reviens pas au second ».
Toutefois, il souligne deux points intéressants sur la manière dont Disney inclut les communautés à l’écran :

« Le seul truc qui pourrait avoir énervé certaines personnes, c’est cette volonté systématique de Disney à vouloir cocher des cases. On l’avait vu dans Avengers Endgame avec le côté Girl Power pas du tout maîtrisé, pas du tout assumé. Quand ce n’est pas fait avec intelligence, ça ne fonctionne pas. Et lorsqu’on a l’impression qu’on coche des cases, ça peut énerver. Nous verrons avec She-Hulk car là, il n’y aura pas l’excuse de la religion. Est-ce que Marvel traite moins bien ces personnages féminins ? Je ne sais pas. Wanda est un bon contre-exemple à ma question. Mais il arrive que des séries fonctionnent et d’autres pas. Je pense qu’à force d’en voir, le public va devenir aussi plus exigeant, plus sensible à ce qu’il en attend, à ce qu’il souhaite ».

Image : Tout reposerait-il sur la série She-Hulk ?

Merci aux intervenants pour leur disponibilité et leur gentillesse.

– Vous pouvez retrouver les émissions d’Alexandre Letren chez VL Média, en replay, ici.
– Vous pouvez retrouver le livre écrit par Romain Nigita et Alan Carrazé, Series’ Anatomy, ici.
– Vous pouvez retrouver le livre de Pierre Langlais, Créer une série, ici.

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