BULLET TRAIN : ENTRETIEN RETROSPECTIF AVEC LA VOIX FRANÇAISE DE BRAD PITT, JEAN-PIERRE MICHAËL

Il est une de nos plus belles voix françaises. Si Jean-Pierre Michaël nous est si familier, c’est parce que son organe vocal est intimement lié avec le cinéma. En effet, il double les plus grandes stars hollywoodiennes que sont Brad Pitt, Keanu Reeves, Michael Fassbender et, parfois, Ben Affleck ou encore Jude Law.
Jean-Pierre Michaël impose ainsi la pureté de sa voix depuis plusieurs décennies et laisse une empreinte indélébile sur notre amour pour le 7ème art américain. Sa voix nous transporte. Son timbre, reconnaissable entre mille, nous rappelle à tous un souvenir de cinéphile ou un personnage qui a marqué notre imaginaire : Achille (Troie), Neo (Matrix), Magneto (X-Men), Eomer (Le Seigneur des Anneaux), Général Hux (Star Wars 7,8,9), James Norrigton (Pirates des Caraïbes) ou plus récemment Butcher dans la série The Boys. Toute une génération de cinéphiles et d’amateurs de séries guidés par une voix hors du commun…

Pour la sortie de Bullet Train au cinéma, Jean-Pierre Michaël a accepté de se confier sur les coulisses de certains doublages mais aussi sur les films mythiques de Brad Pitt.

Avant vous, d’autres comédiens ont prêté leur voix à Brad Pitt. Comment êtes-vous devenu sa voix officielle ?
C’est une question intéressante parce que je ne suis pas la voix officielle, dans le sens premier du terme. Il n’y a pas de voix officielle. Il y en a peut-être eu avant moi qui avaient des contrats qui les obligeaient ou leur permettaient d’avoir ce statut officiel. Ce n’est pas mon cas. J’ai eu la chance de doubler Brad Pitt il y a maintenant près de 25-30 ans dans Ennemis Rapprochés. Puis, j’en ai enchaîné un autre et un autre. Je pense que ce statut d’officiel que vous désignez se fait malgré nous. Les gens s’habituent à une voix, associée à un visage et, de facto, vous devenez la voix de… Car si vous entendez une autre voix sur ce visage, vous êtes dérangé. Je suis sa voix officieuse mais pas l’officielle.

Parmi les films que vous avez doublé avec Brad Pitt, un en particulier est très original. Il s’agit de Snatch où l’acteur incarne un « manouche » qui mange ses mots. Sur la bande rythmo, vous aviez un texte complet ou certaines parties ont-elles été improvisées ?

Ce film est une expérience unique, en effet. Brad Pitt est quasiment incompréhensible sur 50% dans son texte. Lui-même, je ne sais pas s’il racontait quelque chose de clair ou non. Il prenait un accent manouche anglais et il fallait essayer de reproduire ceci en français. L’adaptateur ne comprenant pas un mot de ce que disait Brad Pitt en anglais, avec cet accent, ne pouvait alors rien mettre. Il ne pouvait pas non plus improviser. Il a mis une barre noire sur toute la longueur du texte avec des mots qu’il comprenait « caravane », « maman », « chien » et donc, entre les deux, il fallait meubler. Ce que j’ai fait. C’était une bonne partie de rigolade. Nous étions plusieurs en studio ce matin-là et il y avait beaucoup de rires. […]

Le doublage de Snatch n’était pas particulièrement plus difficile qu’un autre film. C’est simplement différent car on sort d’une zone de confort. Nous avons essayé de trouver la bonne solution, le bon rythme pour être crédible et pas ridicule. Nous avons fait plusieurs tentatives pour voir si ça fonctionnait et si c’était ok, nous faisions tout le film dans ce sens-là.

« Tarantino, c’est un vrai plaisir de cinéma ».

Que ce soit sur des films comme Inglourious Basterds ou la saga Ocean, Brad Pitt a souvent un ton carnassier, un timbre subtil entre l’ironie et l’arrogance, l’œil coquin, qui sont dus aussi aux personnages qu’il incarne. Comment traduisez-vous vocalement ces différents aspects ?
Ce ne sont pas des critères sur lesquels on s’appuie lorsqu’on fait du doublage. Je ne suis pas un imitateur, je ne change pas ma voix. Par contre, je m’adapte à leur rythme, à leur volume, à la façon dont les comédiens jouent et que je comprends puisque je suis moi-même acteur. J’arrive à voir ce qu’ils essaient de faire sortir ou comment ils le font sortir. À partir de là, tout se met en place automatiquement. Il n’y a pas de choses volontairement effectuées. Je n’essaie pas de traduire mais de reproduire ce qu’ils font, en français, dans leur jeu, d’être le plus proche de leurs émotions, de leurs pensées et la manière dont elles s’articulent à l’écran.

Sur Inglourious Basterds, vous avez travaillé avec le directeur artistique Hervé Icovic. Sur ce film, où Brad Pitt incarne un lieutenant de l’armée d’une unité originale, quelles ont été ses indications ?
C’est pareil. Il n’y a pas d’indications. Le but du jeu d’un comédien c’est de voir comment joue l’acteur, le comprendre et essayer de s’en approcher le plus possible. Si nous en sommes loin, s’il y a des erreurs de sens, de jeu, trop fort dans l’émotion ou pas assez, là le directeur artistique nous corrige.

Vous avez travaillé sur un autre film de Quentin Tarantino, Once Upon a Time in Hollywood. Il y a deux scènes incroyables dans le film, celle où Cliff Booth débarque dans un petit village abandonné pour y rencontrer un ancien cascadeur et la dernière séquence du film, où la maison de Rick Dalton est braquée par des Hippies. Cliff y est d’ailleurs complètement défoncé. J’imagine que des scènes comme celles-ci, délirantes et un peu trash, sont jouissives à doubler ?

Les gens imaginent toujours qu’on joue la même chose que l’acteur à l’écran. Nous, nous avons des contraintes. Je ne suis pas libre de faire ce que je veux comme si je jouais moi face à la caméra. Je dois m’appliquer à reproduire ce qu’il a inventé lui. Néanmoins, c’est rigolo de voir ensuite qu’on est proche de ce qu’il fait. C’est surtout un exercice important d’interprétation au moment où on le voit. C’est intéressant de voir comment il aborde les choses. C’est ce que j’aime dans mon métier de comédien, découvrir le travail des autres et, en général, de suivre certains des plus grands. Je vois comment ils jouent, ce qu’ils font, les solutions ou les interprétations qu’ils trouvent, je les confronte à ce que j’aurai pu faire ou ce que moi je n’aurais pas osé faire. Mon plaisir, ma jouissance, elle est là, dans la découverte. J’apprends beaucoup.

C’est toujours plaisant de participer à un Tarantino, même indirectement ?
Bien sûr. Tarantino, c’est un vrai plaisir de cinéma, c’est un vrai plaisir d’acteurs, il va loin, il autorise des choses et les gens sont heureux sous sa direction, ça se ressent. Je n’aurais jamais cette chance personnelle de le faire moi-même donc, égoïstement, je me dis que j’y participe un peu.

Je sais que sur certains projets, Tarantino prend soin du casting vocal. Était-ce le cas sur Inglourious Basterds et Once Upon a Time in Hollywood ?
Pour tout vous dire, je ne sais pas. Ceci dit, sur Inglourious Basterds, ils m’avaient remplacé par quelqu’un d’autre au début. Je ne sais pour quelles raisons. Ils ont eu tellement de retours négatifs après la bande-annonce, ils m’ont appelé juste après.

Pour le film Troie, le langage soutenu est utilisé. Est-ce que votre travail au théâtre vous a aidé pour mieux appréhender ce doublage ? (au niveau articulation, langage, etc…)
Sûrement. C’est vrai que cela peut être un avantage s’il l’on doit reproduire un texte plus littéraire, plus pointu, d’avoir une articulation parfaitement adaptée et habituée à ce genre de texte parce qu’on se perd moins et on le comprend. C’est plus fluide après. On ne bute pas sur des sens, sur des fausses expressions.

Il y a une scène mythique dans Troie, c’est la confrontation entre Achille et le Prince Hector devant la cité de Troie. Brad Pitt y lance quelques répliques cinglantes. Racontez-nous les coulisses du doublage de cette scène importante ?
Il n’y a aucune coulisse particulière sur ce genre de scènes. Il y a des scènes extrêmement émouvantes que vous pouvez voir en tant que spectateur et dans lesquelles nous aussi on se laisse emporter, par moment. Ce qui est normal puisqu’on essaie d’être aussi proche de l’émotion que le comédien. Donc, je ressens parfois la même chose. Je suis aussi ému que je ne le serais si je jouais directement mais toujours avec cette distance du comédien qui interprète. C’est un peu schizophrénique mais c’est le plaisir de notre métier. Mais aucune coulisse, si ce n’est des répliques qui deviennent cultes avec le temps. Cependant, ce n’est pas moi qui les rend cultes, c’est qu’elles le sont dans le film. Lorsqu’Achille hurle « Hector ! » aux pieds de la cité, seul, face à une armée, c’est épique. C’est pour cela que vous y faites référence aujourd’hui. Mais je n’y suis pour rien. Je suis seul derrière mon micro et je crie « Hector ! » de la même façon.

« Jean-Pierre Moulin a une petite déformation vocale qui est absolument magique au doublage et passe magnifiquement sur Anthony Hopkins ».

Un autre film culte de Brad Pitt, c’est Rencontre avec Joe Black. Il y interprète La Mort. Vous souvenez-vous du doublage de ce film ? Racontez-nous.
J’adore ce film. Déjà parce qu’il traite de thèmes qui m’intéressent et me passionnent, que ce soit la Mort ou la vie après la mort et la manière . Brad Pitt était tellement beau dans ce film et sa manière d’interpréter ce rôle si poétique. Et Claire Forlani est tellement belle. Cette rencontre, cette histoire d’amour impossible, c’est le genre de scénario qui me transporte. Avec Anthony Hopkins, un interprète magnifique. J’ai eu la chance de travailler Jean-Pierre Moulin sur ce doublage. C’est un acteur que j’adore et que je n’avais jamais rencontré en doublage auparavant. Je me suis retrouvé avec lui et j’ai passé un moment passionnant. J’ai appris beaucoup dans ce qu’il faisait, dans la façon dont il simplifiait les choses, car il a une petite déformation vocale qui est absolument magique au doublage et passe magnifiquement sur Anthony Hopkins. Je me suis régalé sur ce film. Il a été important, il a été difficile, mais le résultat est tellement beau que j’en suis extrêmement fier.

Sur L’étrange histoire de Benjamin Button, vous passez par différents aspects vocaux, notamment la vieillesse. Comment avez-vous travaillé ça, pour ne pas tomber dans le cliché ou la caricature ?

C’est toujours une question de mesure. C’était pareil dans Joe Black. Il y a un moment où Brad Pitt parle créole. Il peut être ridicule en deux secondes et je peux le rendre ridicule. Il faut trouver la bonne mesure pour que ce soit crédible. Et la seule solution, c’est la sincérité. À partir du moment où vous attaquez quelque chose avec sincérité, que vous ne les trafiquez pas, que vous êtes au plus près d’une émotion sans la contrefaire, sans essayer d’y apporter quoi que ce soit qui n’y est pas mais que vous êtes au plus pure d’une sincérité, vous pouvez faire passer n’importe quoi. Je l’ai travaillé dans ce sens-là, la vieillesse également.

Crédit photo : L’arbre à fraise – Canalblog

Notre métier c’est avant tout de regarder, de comprendre, de voir pour emmagasiner des images, des émotions, des attitudes, etc. J’ai regardé mes grands-parents, je regarde les gens, comment ils parlent, ils ralentissent, comment ils sont parfois un peu confus. Mais encore une fois, je ne crée pas. Je suis obligé de regarder ce que lui a fait et j’essaie de rentrer sans son rythme, ici lentement, chevrotant, pour arriver à ce résultat.

« Brad Pitt fait partie des derniers grands héros du cinéma. Je le respecte et j’ai beaucoup d’admiration pour sa carrière ».

Pour vous, quel a été le meilleur rôle de Brad Pitt à ce jour ?
C’est très difficile. Il est extraordinaire dans L’armée des 12 singes, dans Troie, dans L’étrange histoire Benjamin Button, dans Rencontre avec Joe Black. Il est extraordinaire dans tellement de films. J’ai la chance de le suivre et de voir ce qu’il fait. Même dans Ocean, il est super. Il a vraiment une intention de cinéma permanente qui est de haut qualité. Il n’y a pas un film où je me suis dit qu’il était en dessous ou qu’il s’ennuyait.

Comment percevez-vous l’évolution de Brad Pitt au cinéma ?
Je remarque que Brad Pitt demeure l’une des dernières grandes stars d’Hollywood. Il y a beaucoup d’acteurs qui se lâchent et qui finissent plus mal, qui ont fait des choix plus aléatoires. J’ai l’impression que pour lui, le cinéma est la chose la plus importante. Il a monté une boite de production ce qui lui permet de développer ses propres projets. Il a décidé de faire ses choix, de ne pas se laisser faire par les studios ou de participer à des films qu’on lui proposait et qui ne sont pas sa came. Il fait des choix originaux, différents, risqués mais toujours élégants et très réussis. Que ce soit Ad Astra ou Bullet Train, qui est risqué car les comédies d’action sont les plus dangereuses et bien c’est une réussite. C’est jouissif, un vrai bonheur. Lui seul est capable de faire ça. Tom Cruise y parvient aussi. C’est une grande chance d’avoir ces gens-là. Johnny Depp s’est perdu un petit peu, Ben Affleck aussi. Certains disparaissent ou ont du mal. Keanu Reeves s’est perdu à un moment, maintenant, il revient. Il fait des choix différents. Brad Pitt fait partie des derniers grands héros du cinéma. Je le respecte et j’ai beaucoup d’admiration pour sa carrière.

Bullet Train sortira ce mercredi en salles. 

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