VESPER CHRONICLES : ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR BRUNO SAMPER (PARTIE I)

Avant la sortie de Le Visiteur du Futur, un autre film de science-fiction français (co-produit avec la Belgique et la Lituanie) débarquera dans les salles obscures : Vesper Chronicles. Un conte SF où les réalisateurs Kristina Buožytė et Bruno Samper dépeignent un monde post-apocalyptique original à l’écosystème riche et surprenant. Il y a, dans Vesper Chronicles, un soin tout particulier apporté aux moindres détails, à l’environnement, à l’image, mais aussi à la photographie et les costumes. Tout est conçu pour immerger le public dans un univers de science-fiction inédit. Une réussite !

Pour parler de la conception du monde de Vesper Chronicles, le réalisateur Bruno Samper a accepté un entretien dans lequel il revient également sur l’origine du projet, le scénario, le tournage en Lituanie et la création de certains éléments du film.

Synopsis :
Dans le futur, les écosystèmes se sont effondrés. Parmi les survivants, quelques privilégiés se sont retranchés dans des citadelles coupées du monde, tandis que les autres tentent de subsister dans une nature devenue hostile à l’homme. Vivant dans les bois avec son père, la jeune Vesper rêve de s’offrir un autre avenir, grâce à ses talents de bio-hackeuse, hautement précieux dans ce monde où plus rien ne pousse. Le jour où un vaisseau en provenance des citadelles s’écrase avec à son bord une mystérieuse passagère, elle se dit que le destin frappe enfin à sa porte…

Racontez-nous la genèse de ce projet ambitieux…
Il y a 10 ans, nous avions réalisé notre premier film Vanishing Waves et, suite à cela, nous avons essayé de développer avec différents projets en langue anglaise, plus ou moins ambitieux. Nous avons d’ailleurs tenter de les développer à l’étranger en Angleterre ou aux États-Unis mais beaucoup se sont perdus et n’ont pas aboutis. Nous sommes alors revenus à nos fondamentaux, repris le pari de jouer à domicile et essayer de refaire un film en Lituanie, en utilisant les forces du pays. Nous sommes restés dans le domaine de la science-fiction, qui nous passionne, mais aussi de la bio-fantaisie, un univers qu’on développe depuis plusieurs projets, avec l’utilisation de la biologie, de la bio-synthétique comme élément de création, de merveilleux. La force de la Lituanie se sont notamment ces paysages, cette atmosphère de contes de fées, ces paysages magiques qui ont une âme, la sensation d’être habités. Tout cela mit ensemble a fait naître l’idée de Vesper Chronicles. On voulait réaliser un conte de fées, avoir une histoire très simple mais avec un message fort et universel. Puis, est arrivée l’idée de cette jeune fille capable de voir la beauté dans un monde mort, de créer, de rêver et donner naissance à un nouveau monde. Elle incarne l’espoir, cette dernière once d’humanité.

Vous parliez de la Lituanie et de ses paysages. Comment vous êtes-vous approprié cet environnement très singulier pour composer l’image cinématographique ?
Nous avons fait beaucoup de repérages. Toute l’équipe était lituanienne donc, dès le développement, tout le monde était très investi, impliqué.

Le directeur de la photographie et le chef déco allaient, par exemple, faire des repérages le week-end sur leur temps libre pour prendre des photos. Comme ils vivent en Lituanie, ils sont imprégnés de ces paysages, ce n’était pas difficile pour eux de se les approprier. De mon côté, j’avais un regard plus neuf, un peu plus neutre, un peu plus vierge là-dessus. Ça permettait de varier les regards et de donner un autre point de vue. Une fois que nous avons fait ses repérages sous forme de photos, nous avons essayé de voir comment nous pouvions les transformer, comment par petite touche nous pouvions intégrer des créatures ici et là, des plantes sur les arbres, etc…, de façon maligne et astucieuse car nous avions peu de moyens. En effet, il fallait trouver des astuces pour les disposer et transformer cet environnement afin de lui donner l’aspect qu’on souhaitait sans avoir recours aux effets spéciaux/CGI.

Exemple d’un tronc d’arbre transformé par l’équipe de Vesper Chronicles.
Photo making-of fournie par le réalisateur Bruno Samper en accord avec la production.

[…] C’est un challenge de filmer la forêt. Dès l’écriture du film, on savait que ça le serait cas. Énormément de films à petit budget ou non exploitent cet environnement et tous les décors peuvent rapidement se ressembler, ça devient vite monotone. C’est pour cela que nous avons organisé des repérages un an à l’avance et visité des milliers de décors pour vraiment choisir les éléments les plus iconiques, les plus picturaux, les plus intéressants. Nous avions réellement peur de l’aspect ennuyeux que la forêt peut dégager.

C’est un film de science-fiction littéraire, intimiste, il y a peu d’action. C’était une volonté dès le départ du projet ?
Un peu des deux. Comme je le disais, nous voulions raconter un conte de fées. Que ce soit Le Petit Chaperon Rouge, Blanche-Neige ou encore la Belle au Bois Dormant, ce sont des histoires qui se développent dans l’intime et non dans l’épique. Ce sont des histoires qui parlent aux cœurs, à l’inconscient. Nous voulions avoir une attention particulière aux personnages, à l’émotion, qu’on puisse sentir ces personnages, qu’ils existent, qu’on puisse vivre avec, s’y attacher. Nous avons essayé de travailler les deux. Pour cela, nous avons filmé en scope, en format 2:35, pour donner aussi une dimension épique à l’intime, même dans les scènes d’intérieur. Ensuite, comme nous travaillons avec des contraintes budgétaires, il fallait essayer de ne pas aller plus loin que ce que nous ne pouvions faire. Si nous réalisons Vesper 2, nous souhaitons effectivement aller plus loin dans l’épique.

Vous avez évoqué plus haut votre amour pour la bio-science. De quelle manière avez-vous conçu l’écosystème de Vesper Chronicles (plantes, insectes…) ? Et, avez-vous fait appel à des scientifiques spécialisés pour être le plus crédible possible ?

Nous discutions régulièrement avec des généticiens depuis plusieurs années pour divers projets. Nous sommes donc déjà immergés dans cette approche. Pour la conception, indirectement, car nous nous sommes surtout inspirés de travaux de biologistes, de botanistes, notamment d’un biologiste qui s’appelle Jean-Marie Pelte (qui a écrit sur la culture des plantes, leur sexualité, la collaboration entre les plantes et les insectes et qui a réalisé « L’aventure des plantes » diffusé à la télévision au début des années 80…). La biodiversité que notre monde possède est déjà bien plus fantastique que ce que nous montrons dans le film.

« Pour cette plante, nous souhaitions qu’elle ait ces filaments pour lui donner un caractère gracieux, qu’on sente aussi une empathie de la plante. Cette plante représente ce qu’il y a de plus beau dans ce qu’a créé Vesper. C’est la rencontre avec le personnage de Camélia. Ce sont deux formes de grâce qui se rencontrent à ce moment-là. Il devait y avoir un écho entre elles. Le passage du concept art aux CGI étaient intéressants parce que les artistes (mathématiciens) qui ont développé cette fleur proposaient des formes de textures, de luminescence, lesquelles sont venues en cours de processus. La création de cette plante est passée par plusieurs étapes, après plusieurs interprétations de chacun ».

Nous ne sommes même pas à la hauteur de la biodiversité d’aujourd’hui. Il n’y a pas besoin d’aller chercher ailleurs, notre planète recèle déjà de merveilles, de beauté, d’étonnement. Le message au cœur de Vesper Chronicles, c’est dire qu’on risque de perdre tout ça. C’est terrifiant !

Votre biodiversité est caractéristique de votre film, organique. Que ce soit les vaisseaux avec leurs tentacules, l’environnement, les personnages. Tout est organique jusqu’à votre réalisation. Pouvez-vous nous parler de cette direction artistique.

C’était un running-gag sur le tournage, le maître mot était : « organique ». On l’utilisait pour désigner tout, pour communiquer avec les costumes, les décors, la lumière. Nous voulions que la lumière soir organique, que les costumes le soient aussi. Bien-sûr, nous expliquions après ce qu’on entendait par là. Il fallait que le film sente le vivant. L’ambition première lorsqu’on réalise un film, c’est l’immersion. On veut vraiment immerger le spectateur dans un univers. Pour ça, il faut avoir une grande attention à chaque détail. La manière de travailler les textures, par exemple. Par exemple, pour la peinture du drone, nous avons demandé aux peintres sur le tournage de faire des expériences, tester des réactions chimiques, avec différents produits et peintures, de les mélanger ensemble afin de créer des des accidents, des choses un peu chaotiques, qui ne soient pas maîtrisées. Cela donne, une fois encore, un côté organique. L’organique c’est un mélange de simplicité et de complexité.
[…] Nous avons fait beaucoup de recherches pour la conception des plantes. Nous avons essayé de voir ce qui fonctionnait ou ne fonctionnait pas. Nous avons essayé de concevoir les plantes en fonction des biotopes, ce n’est pas les mêmes plantes qu’il y a dans les marais, que dans la forêt ou la plaine.

Nous avons réfléchi à tous ça, à la façon dont elles pouvaient se développer dans chaque environnement, de quoi pouvaient-elles se nourrir, etc. Après, il n’y a pas d’inspirations. Le matériau de base c’était la Nature.

Exemple d’une création pour habiller le nouvel écosystème de Vesper Chronicles.
Photo making-of fournie par le réalisateur Bruno Samper en accord avec la production.

[…] Les scientifiques nous disent qu’il est impossible d’imaginer ce qui peut exister dans quelques années. Nous sommes à l’aube d’une révolution avec la biosynthétique, et il est impossible pour eux de concevoir comment l’écosystème va évoluer dans les prochaines décennies. À partir de là, tout est possible et nous pouvons même être en deçà de ce qu’il est possible.

Pour les vaisseaux et tout ce monde, nous avons imaginé que dans le futur, la technologie se soit tellement développée, soit tellement complexe, qu’elle en est devenue organique. La technologie s’inspire du vivant. Chaque technologie que l’Homme crée est inspirée d’une chose qui existe déjà dans le vivant. En général, c’est une vision caricaturée ou simplifiée, mais plus on va l’améliorer, plus on va rendre l’objet complexe, plus on va toucher à l’organique. C’est cette idée-là que nous voulions développer dans Vesper.

Dans le film, l’Homme a contaminé tout son environnement et, si vous regardez certaines plantes/insectes vous verrez qu’ils empruntent alors des caractéristiques humaines (un arbre qui respire, des membres qui rappellent l’humain…), comme si l’Homme avez finalement contaminé tout son écosystème.

Parlez-nous de vos inspirations concernant notamment le petit robot, les Gardes de la Citadelle et la photographie du film ?
Sur le robot, nous voulions lui donner une vraie personnalité. Effectivement, il peut rappeler Wilson dans Seul au monde, mais ce n’était pas la référence première à sa conception. Au départ, nous souhaitions que Vesper lui dessine un visage pour se l’approprier, pouvoir communiquer plus facilement avec lui. Pour la petite anecdote, le robot est en réalité un drone que nous avons habillé. Il n’y a aucun trucage.
Les casques des Gardes sont un mix génétique de plusieurs choses. On voulait quelque chose de plutôt insectoïde sur ces casques. Ces têtes de mort à l’intérieur sont inspirées de certains soldats qui aujourd’hui ont des bandanas avec des têtes de morts pour impressionner l’ennemi, leur faire peur. Nous avons donc pensé qu’ils avaient fait évoluer cette pratique. Pour créer leur respiration, nous avons utilisés plusieurs animaux, notamment des chevaux. Nous ne voulions pas quelque chose d’humain mais d’animal, qui soit inquiétant. Toute la démarche des designs a été de penser à des mixes, de prendre des choses de la nature et de les mélanger, d’en tirer des formes.
[…] Sur les couleurs, nous nous sommes inspirés des peintures de Rembrandt ou de Vermeer. Nous voulions cette même qualité de lumière qu’on retrouve dans la peinture flamande. Je la définis comme une lumière matérielle, pas trop effervescente, dense, presque organique. Elle est vivante. La lumière sculpte l’espace, l’objet. Puis, il y un vrai travail sur le clair/obscur. Nous ne voulions parvenir à ce résultat et ne pas avoir pas une lumière flatte.

Quel a été le processus de création pour la maison de Vesper ?

Nous l’avons conçu après que le script a été validé. Pour configurer l’espace et la disposition de la maison, nous nous sommes servis d’un logiciel 3D sur Ipad afin, dans un premier temps, de concevoir une maquette puis, savoir où nous disposerions les caméras, notamment pour le déplacement des personnages (exemple : où est la chambre du père par rapport au laboratoire de Vesper, etc..). C’était important que la maison soit très lisible et que la mise en scène le soit aussi, qu’il y ait une lisibilité de l’espace. La maison est un élément clé du storytelling, de la narration.

Concept-art de la chambre du père de Vesper.
Photo fournie par le réalisateur Bruno Samper en accord avec la production.

Au niveau sociologique, au niveau culturel, c’était également important de travailler cette maison dans les moindres détails. Pour l’intérieur, la démarche était donc d’essayer d’imaginer comment les meubles avaient pu évoluer après que la civilisation s’est effondré. Il n’y a plus de magasins IKEA. Tout est dans la récupération, mais pas dans la récupération de meubles d’aujourd’hui. La seconde donnée, ce fut donc les bio-matériaux. Le design a évolué en ce sens. Parmi les bio-matériaux qu’on commence à travailler, il y a le mysélium*, la résine, les algues. C’est ce que nous avons utilisé. Il fallait que nos matériaux soient organiques. Nous nous sommes interdits d’utiliser le métal, durant toute la production design. Nous n’en voulions pas ou très peu, lorsqu’il était impossible de faire autrement. En termes de design et de décoration, nous nous sommes aussi inspirés du « do it yourself ». Il y a beaucoup de sites désormais pour guider les gens et pour construire ses propres meubles. Certains donnent des conseils pour optimiser l’espace, entre autres. Dans le futur, il n’y a plus de magasins mais l’intelligence et la connaissance, elles, n’ont pas régressé. Nous voulions donc que notre architecture soit modulaire et modulable, pratique, comme c’est le cas avec les éléments de la cuisine.
Ensuite, c’était intéressant de travailler l’art. Nous avons imaginé cette forme d’art à partir de tissus, de broderies, de tâches organiques qui se répandent, créer de l’art à partir de la Nature.

* Le mycélium (la partie végétative et souterraine des champignons) joue les rôles de décomposeur de la matière organique et d’absorbeur de nutriments et d’eau.

Un mot sur La Citadelle, que l’on voit dans la bande-annonce et qui apparaît brièvement dans le film. De quelle manière l’avez-vous imaginée et conçue ?

Nous voulions que ça ressemble à des cellules. D’ailleurs, si vous regardez bien, il y a une espèce de membrane extérieure, de serre, avec un cœur, un noyau. La Citadelle est un amas de cellules, clos sur lui-même. Nous nous sommes inspirés de l’architecture prospective et de l’architecture auto-suffisante. Cette membrane autour est capable de capter le vent. Elle produit de l’énergie, à base de petits capteurs. À l’intérieur, nous voulions des terrasses/jardins suspendus, comme les jardins de Babylone. Il y a toute une partie derrière qu’on ne voit pas, qu’on garde sous le coude pour un second opus.

Sur ce film, nous avons travaillé un monde rural de façon différente, si nous avons plus de moyens, nous pourrons développer tout ce nouvel univers qui s’offre à nous. L’architecture évolue vite grâce à l’impression 3D, elle nous permet désormais fabriquer des formes très organiques que nous ne pouvions pas faire avant. Comment ils ont pu intégrer le vivant dans l’architecture ? Tout ceci, nous aimerions le montrer. C’est passionnant. Ici, le pari était de réaliser un maximum de choses sans VFX ou fonds verts, que notre histoire soit ancrée dans le réel. Si nous souhaitons en dévoiler davantage sur la Citadelle, il nous faudra plus de moyens car nous voudrions éviter de tourner sur fond vert, même s’il y en aura forcément, mais arriver à construire un maximum de décors. Sur Vesper Chronicles, il n’y a aucun fond vert.

Vesper Chronicles sortira le 17 août prochain.

Retrouver mon interview avec le Costume Designer, Christophe Pidre, ici.

L’équipe du film habille un arbre pour créer un véritable écosystème à Vesper Chronicles.
Photo fournie par le réalisateur Bruno Samper en accord avec la production.

Le laboratoire de Vesper, en pleine préparation.
Photo fournie par le réalisateur Bruno Samper en accord avec la production.

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