TOUT LE MONDE MENT : ENTRETIEN AVEC LE SCÉNARISTE OLIVIER NOREK : « Dans mon téléfilm, il y a une justice qui n’existe pas dans la vraie vie »

Après Les Invisibles, l’écrivain et scénariste Olivier Norek revient avec une fiction inédite : Tout le monde ment. Un téléfilm qui s’attaque aux intouchables, politiques et autres industriels. Manque de chance, Vincent Verner (Vincent Elbaz), à la tête du groupe des Affaires Sensibles, va tout mettre en œuvre pour faire tomber les puissants qui se croient au-dessus des lois.

Genèse du projet, construction du scénario, caractérisation des personnages, hommage à Maigret, Olivier Norek se confie sur la création de son téléfilm.

« Il nous fallait une chaîne qui ait le courage d’aborder ces sujets car nous allons aller sur des thèmes où tout le monde est un peu frileux ».

D’où vient l’idée de cette histoire et de ce groupe des Affaires Sensibles ?
En tant qu’auteurs de romans policiers, nous sommes toujours à la recherche du méchant qui pourrait être fédérateur. Nous avons déjà éculé les assassins en série, les meurtres pour héritage, les trahisons amoureuses, etc… C’est vu et revu. Je me suis donc posé la question : aujourd’hui, qu’est-ce qui pourrait cristalliser l’intérêt du téléspectateur vers quelque chose qui le toucherait réellement ? Un sérial killer ou des criminels pervers et manipulateurs, nous en croisons rarement. Mais ceux qu’on croise tout le temps, ceux qui irritent, mettent en colère, ce sont ces gens qui ne tombent jamais, ceux qui règnent sur cette ville depuis 36 ans et qui n’ont jamais été inquiétés, ceux qui sont accusés par une vingtaine de victimes, dont on disait qu’il n’était pas conseillé de monter dans un ascenseur avec lui et qui ne seront jamais inculpés. Ce sont des personnes qui ne se présentent pas aux convocations, des politiques, des personnalités médiatiques connues et protégées, des industriels comme Carlos Ghosn, des profiteurs, qui cristallisent la colère jusqu’à des manifestations. La France gronde contre ces gens car, il y a ceux qui prennent une amende et parfois de la prison pour avoir oublié de payer leurs impôts, mais, de l’autre côté, les grandes pompes, les sociétés qui gagnent des milliards, trichent ou ne payent pas d’impôts, eux n’ont aucune convocation judiciaire. Ce qui était intéressant avec Tout le monde ment, c’était de retrouver un méchant proche du public, de notre quotidien, de tous les jours. Attention, je ne veux pas qu’on soit sur un « kill the rich », il faut des gens qui entreprennent, génèrent des emplois, créent de la richesse mais ce qui est énervant, ce sont ces entreprises qui ne partagent rien et planquent leur argent dans des paradis fiscaux. Leur pouvoir « médiatique » plus que l’argent, les protège. Ce sont eux qu’on a envie d’embêter. Alors, on crée un groupe des Affaire Sensibles, qui va avoir l’autorisation d’aller plus loin que les autres services de police. En fin de compte, il y a tellement de protection autour de ces gens-là, que j’ai dû inventer ce groupe car il n’existe pas.

[…] C’était une idée que j’avais depuis longtemps. Je l’ai proposée avec la boîte de production CPB FILMS, au service public, car j’aime beaucoup travailler avec eux. Toutes les séries que je sors sont avec France Télé. Et il n’y a que sur France 2 qu’un tel projet peut éclore. Nous avons trouvé que cela faisait sens. Mais il nous fallait aussi un diffuseur, une chaîne qui ait le courage d’aborder ces sujets car nous allons aller sur des thèmes où tout le monde est un peu frileux.

« L’injustice me rend malade. C’est mon cheval de bataille ».

On sent que ce sont des sujets qui vous touchent…
J’ai été policier pendant 18 ans et j’ai été en première ligne pour régler des situations d’injustice mais des situations de citoyen, presque minimes. Et, on remarque qu’au-dessus de nous, il y a des situations plus fortes, plus nocives et qui ne sont jamais attaquées. En tant qu’auteur, ce sont des sujets qui me touchent au plus haut point. C’est pour cela que ce sont des sujets récurrents dans mes livres. L’injustice me rend malade. C’est mon cheval de bataille.

Il y a un côté jubilatoire dans votre fiction, notamment dans son dénouement. Est-ce que c’est un sentiment que vous vouliez provoquer chez le spectateur ?
Oui absolument. Quand vous arrêtez un serial killer, et bien il est arrêté mais il ne vous a pas touché vous. Tandis que dans ma série, lorsque le puissant Charles Favran (Nicolas Marié) est arrêté – qui est un clone de Carlos Ghosn sans jamais le citer -, il y a cet aspect jubilatoire puisque ce sont des gens qui, habituellement, ne tombent pas. Il y a cette même jubilation un peu honteuse que lorsque nous avons vu Patrick Balkany partir en prison. Certes, il n’est resté que quelques mois mais cela a fait du bien à tout le monde. Au bout de 30 ans à diriger leur ville comme des escrocs, et tout le monde le savait, ce couple a enfin été arrêté. La justice doit être la même pour tout le monde. C’est ce point de jubilation et d’excitation que je voulais transmettre dans ma fiction. Car dans le téléfilm, il y a une justice qui n’existe pas dans la vraie vie.

Parlez-nous de la caractérisation du personnage de Vincent Verner, incarné par Vincent Elbaz. Comment avez-vous créé ce nouveau héros ?

J’ai voulu créer un chien dans un jeu de quilles. Non seulement on s’attaque aux puissants qui ne daignent même pas venir à une convocation mais, en plus, nous n’allions pas prendre de pincettes, au contraire, leur envoyer un type qui refuse de mentir et se fout du protocole. Je trouvais sympa d’aller atteindre, fouiller dans les hautes sphères, avec fracas et panache. C’est un personnage qui est persuadé que tout le monde lui ment mais qui lui, refuse de mentir. C’est pour cela que ça nous permet d’avoir des confrontations verbales tout aussi jubilatoires. Car ces gens à qui on donne du « Vous », du « Monsieur », du « Mes respects », du « Votre Honneur », allaient faire face à Vincent Verner qui va avoir une tout autre sémantique, un tout autre vocabulaire, une tout autre attitude envers eux. Ils sont habitués aux courbettes et ils font recevoir des mandales. C’est plutôt drôle.

« Je ne pense pas qu’on puisse faire quelque chose avec le « bonheur » en littérature, ça devient vite ennuyant ».

Vincent Verner a aussi un côté solitaire, très touchant… mis en lumière aussi par cette nouvelle famille qui débarque dans son immeuble. Ces personnages-là, solitaires, ne sont-ils pas finalement, les plus intéressants ?
Je voulais que petit à petit, l’armure de Vincent se brise mais je ne peux pas trop parler de cette voisine, pour l’instant. […] Ce qui est intéressant c’est de trouver la mauvaise personne, pour la mission. Pourquoi ? Parce que si vous prenez un horloger pour réparer votre montre, il vous la répare mais ça ne fait pas une histoire. Si pour s’attaquer aux puissants avec qui il faut faire des courbettes, on choisit un solitaire, un peu brisé, qui n’en n’a plus rien à faire de rien, là ça va le forcer, lui, à se sublimer, et nous permettre d’avoir des séquences humoristiques et cocasses.

Puis, vous avez l’équipe. Ce sont tous, également, des gens cassés. On va réaliser que ces 4 pièces d’un puzzle, dont on n’attend que leur échec, qui n’ont au départ rien en commun, vont finir par s’assembler pour ne faire qu’une seule pièce efficace. Ensemble, ils vont devenir un seul outil performant. Vous savez, je ne pense pas qu’on puisse faire quelque chose avec le « bonheur » en littérature, ça devient vite ennuyant, ni même que les héros/super-héros permettent une identification du spectateur. Là, le spectateur va voir des gens qui ne fonctionnent pas bien, fonctionner. Ça veut dire que chacun a sa chance, qu’on est tous fonctionnels, qu’on est tous capables d’être un bon outil, il suffit juste savoir comment nous utiliser.

Image – de gauche à droite : Thomas Silberstein (Julien de Grève), Joséphine de Meaux (Malory), Vincent Elbaz (Vincent Verner) et Mariama Gueye (Alice Mojodi).
Droits d’auteur : Gilles Gustine/FTV/CPBfilms

Ça fait du bien aux gens, de voir autre chose que des super-héros qui font des cascades et réussissent tout sans effort. C’était intéressant d’avoir des personnages qui nous ressemblent, qui ont des doutes, qui se plantent… Ce sont des héros cassés, à hauteur d’hommes.

« […] Parfois, notre gilet pare-balles, c’est la comédie ».

Il apporte aussi, vous l’évoquiez, un humour subtil et décalé. Est-ce vous pouvez nous en dire un peu plus sur la place de l’humour dans le téléfilm et la manière dont vous l’avez intégré à ce récit ?
Les policiers sont comme les pompiers, les gendarmes, les militaires, leur quotidien est fait de ce que l’Homme recèle de pire en lui et de ce que l’Homme gît de pire dans sa vie. Nous avons alors le développement d’un humour froid, d’un humour noir, inhérent à ces professions. Aujourd’hui, il y a énormément de séries policières, mais très peu de comédies policières. Moi, j’avais envie que Tout le monde ment soit malgré tout un rendez-vous familial duquel on ne ressort pas un peu plombé. Oui, les sujets sont graves, oui les sujets abordés sont sérieux et il y a toujours une victime, mais cela est fait avec une sorte de détachement, avec une sorte de comédie grinçante qui permet d’avoir un rendez-vous qui ne plombe pas. Aujourd’hui, entre la menace nucléaire, la Covid, la Variole du Singe et le réchauffement climatique, il faut vraiment être fort pour se lever le matin et garder le sourire. Rajouter une couche de sombre et de dramatique, ce n’est pas forcément ce que les gens avaient envie de voir. J’avais envie d’avoir cet humour froid qui ne nous sort pas de l’histoire. Dans Columbo, il y a cet humour et, pourtant, on sourit beaucoup, souvent. Ou même dans les derniers Sherlock Holmes avec Benedict Cumberbatch. C’est inhérent à ces hommes et à ces femmes, dont le quotidien est très sombre et qui ont cet humour froid que j’ai moi-même partagé pendant 18 ans dans la police. Je voulais retransmettre ça aussi. Parfois, notre gilet pare-balles, c’est la comédie. Elle nous offre cette bouffée d’air frais et nous évite de sombrer dans la dépression. La comédie va parfaitement avec le sombre.

Il y a une scène où Vincent Verner et son vieil ami Maximilien regarde un épisode de Maigret avec Bruno Cremer, à la télévision. C’était une façon de lui rendre hommage ?
Bruno Cremer sera à jamais Maigret. Il est fabuleux. Effectivement, je voulais lui tirer ma révérence. On a toujours considéré cette série comme une petite série avec Bruno Cremer alors que pour moi, c’est une des meilleures séries qui existent. Puis, je voulais rendre hommage à la musique qui est sublime et, c’est pour cela que je souhaitais qu’elle apparaisse à un moment dans Tout le monde ment.

Maigret a été une source d’inspiration pour composer le rôle de Vincent Verner et votre structure narrative ?
Maigret est intéressant, comme Columbo, car le personnage est plus important que l’histoire. On se souvient de Columbo mais très peu des intrigues. Ce sont des personnages vecteurs, des filtres qui vont nous permettre de regarder un pan de la société. Columbo regarde la société bourgeoise, Maigret va voir un peu toutes les parties de la France : les dockers, le monde du cinéma, la petite bourgeoisie, etc… Ils vous nous montrer des faces de la société, des images de la société et, finalement, Maigret et Columbo se sont davantage des radiographies sociales qu’autre chose. Dans Tout le monde ment, nous sommes en plein dans cette radiographie sociale, celle des tout puissant : les profiteurs de crises, les profiteurs de guerre, les entreprises polluantes, les politiques couverts par leur contact ou les personnes médiatiques. Ils catalysent la colère.

Il y a d’autres hommages cachés ?
Oui. Je fais toute une révérence aux romans noirs. Vincent Verner travaille dans une librairie qui vend des romans policiers, on parle de Vargas, D’Elroy… Et, si vous avez remarqué, tous les noms des personnages portent des noms d’auteurs français de romans policiers… Le méchant s’appelle Favran, en hommage à Claire Favran, son homme de main Victor Bizien est un hommage à Jean-Luc Bizien, un auteur de thriller, l’escort-girl Samantha Mayeras est un hommage à Maud Mayeras ou encore Nicolas Lebel, auteur de polar. C’est également un jeu pour les connaisseurs.

Y’aura-t-il une suite à ce téléfilm ?
Je suis en train d’écrire l’épisode 2. Je ne peux pas trop en dire, pour l’instant. Le dernier sujet a été validé par la chaîne. La seule chose que je peux vous dire c’est qu’on en saura plus sur la vie de Maximilien (Jack Berroyer) et la manière dont Verner l’a interpellé pour braquage de banque quelques années auparavant. On en saura plus sur la petite escort qui devient avocate et elle aura un rôle plus important mais aussi sur cette voisine car, comme le dit le titre, « Tout le monde ment », et il pourrait y avoir des surprises.

Tout le monde ment sera diffusé le 31 août prochain, sur France 2. Actuellement sur SALTO.

Ma critique, sans spoilers, du téléfilm est à retrouver ici.

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