Présentée cette semaine au Festival de la Fiction de La Rochelle dans la catégorie « Hors Compétition », la série Les Combattantes sera l’événement de la rentrée. En diffusion dès le 19 septembre sur TF1 et réalisée par Alexandre Laurent (Le Bazar de la Charité), Les Combattantes suit le destin de 4 femmes durant la Première Guerre Mondiale, incarnées par Audrey Fleurot, Julie de Bona, Camille Lou et Sofia Essaidi.
Dans cet entretien, le réalisateur Alexandre Laurent est revenu sur les coulisses de la création de « Les Combattantes » et les défis techniques et de réalisation qu’a demandé cette production ambitieuse.
« Le contexte de la guerre est intéressant car il met les personnages dans des positions extrêmement fortes, ça exacerbe les sentiments, révèle la cruauté chez l’être humain ».
Racontez-nous la genèse du projet « Les Combattantes » ?
C’est un projet dont la productrice Iris Bucher m’a parlé durant le tournage du Bazar de la Charité. Elle est venue me voir en me parlant d’une histoire qui se déroulerait pendant la Première Guerre Mondiale avec l’envie de suivre le destin des femmes durant cette période, sujet qui avait toujours été évoqué du point de vue des hommes et de la guerre dans les tranchées. Tout juste avant la diffusion du Bazar, nous sommes partis sur ce projet auquel j’ai eu la chance de participer à l’écriture. L’idée était de l’écrire, de le préparer, de le tourner et de le mixer en deux ans. Avec le covid, nous avons mis 2 ans et demi. […] J’ai souhaité m’investir dans ce projet, pour plusieurs raisons. La première, c’est que je venais de vivre quelque chose de très fort sur Le Bazar de la Charité, avec ce projet d’une grande ampleur, avec des moyens et une grande ambition, qui dénotait de ce qu’on a généralement en France comme films à réaliser. L’aventure avait été fantastique et je voulais donc participer de nouveau à quelque chose d’aussi puissant. Dans la vie d’un réalisateur, c’est un cap, une direction de pouvoir être sur de tels projets. Traiter de la guerre de 14, de faire un film de ce genre, c’est un fantasme de réalisateur. Puis, le contexte de la guerre est intéressant car il met les personnages dans des positions extrêmement fortes, ça exacerbe les sentiments, révèle la cruauté chez l’être humain, mais de l’horreur émergent aussi l’entraide, la solidarité, le don de soi, la sororité, la fraternité, plein de belles choses de la nature humaine.
À l’école, on nous enseigne effectivement que les femmes participaient activement à l’effort de guerre, pendant que les hommes se battaient sur le front. Mais on ne rentre jamais dans le détail. Cette série, c’était un moyen de rendre hommage à ces femmes ?
Tout à fait. Nous nous sommes rendus compte que sur les monuments aux morts, il n’y a aucun nom de femme. C’était un moyen de rendre hommage à ces femmes oubliées. Il y a un documentaire sur Netflix « Elles étaient en guerre », raconté par Nathalie Baye, qui mettait en lumière le rôle des femmes pendant la Première Guerre Mondiale, tout ce qu’elles ont fait. Il y a d’ailleurs une image terrible, où des femmes tirent des charrues car les bœufs sont sur le front. Les femmes ont fait tourner le pays pendant la guerre. À la fin du documentaire, on rappelle que les hommes sont revenus meurtris, blessés, mutilés, qu’ils doivent désormais faire le deuil des atrocités qu’ils ont vécu pendant 4 ans, et la femme s’efface de nouveau pour retourner derrière les fourneaux pour que l’homme puisse reprendre sa place après ces années d’horreur. Et c’est profondément injuste. On a beaucoup parlé, à juste titre, de ce que les soldats avaient vécu sur le front mais on a totalement fait le pas sur tout ce qu’avaient réalisé, accompli les femmes dans le même temps.
« J’aime être proche des acteurs. Ce sont les vecteurs de nos histoires ».
Parlez-nous de la caractérisation des personnages interprétés par Audrey Fleurot, Julie de Bona, Camille Lou et Sofia Essaidi…
Ce sont des personnages écrits par Cécile Lorne et Camille Treiner. Mais nous avons développé ensemble un personnage qui, au départ, avait un rôle plus secondaire. C’est le personnage de Sofia Essaidi, Caroline Dewitt, qui va devenir Capitaine d’industrie puisque son mari, après son départ au front, lui donne la gérance de l’usine. Ce qui rappelle, au passage, le fait que les femmes avaient pris la place des hommes dans les usines Renault et qu’on appelait à l’époque les Munitionnettes : elles fabriquaient les munitions. En effet, dès 1916, on avait demandé aux usines d’être transformées pour fabriquer des munitions. C’est vraiment le personnage auquel j’ai participé dans le développement.

Ensuite, je pense que l’idée était de prendre des trajectoires de femmes qui pouvaient évoluer pendant le conflit. Il y a le personnage de Camille Lou, Suzanne Faure, qui est infirmière et aspire à devenir chirurgienne. Nous avons aussi le personnage d’Audrey Fleurot, Marguerite de Lancastel, qui est peut-être espionne sur le front de l’Est. Les prostitués avaient souvent ce rôle-là pendant la guerre, l’Etat faisait également venir des prostituées proches du front pour divertir les soldats et les éloigner de l’horreur de la guerre. Après la guerre, on les renvoyait dans les bordels, comme de vulgaires prostituées sans valeur. Quant au personnage de Julie de Bona, Mère Agnès, elle a été créé pour montrer que les couvents étaient transformés en hôpitaux militaires.
Pour ma part, j’ai simplement aidé à développer, à inventer des péripéties, à rythmer, apporter des idées. […] Nous avons fait appel à des historiens.nnes pour l’écriture, dont Françoise Thébaud, qui a été consultée pour la construction psychologique des personnages. Elle est spécialiste de la place de la femme durant la Première Guerre Mondiale. Plus généralement, nous avons aussi travaillé avec un des plus grands spécialistes de cette période de l’Histoire, Jean-Pierre Verney. Nous avons fait attention à ne pas trahir l’Histoire. Nous avons un devoir de mémoire à respecter. Au départ, j’avais d’autres idées en tête, je voulais faire une sorte de western. Mais ça n’a pas duré longtemps. En rouvrant des livres d’Histoire, on s’aperçoit vite qu’on ne peut pas inventer, trahir ce pan de l’Histoire.
« Nous avons également réalisé des séquences avec une toute nouvelle technologie, des murs LED, où les environnements sont projetés sur un grand écran. Les acteurs peuvent ainsi réagir et n’ont pas besoin de tout imaginer comme derrière un fond vert ».
De quelle manière avez-vous mis en scène ces 4 femmes ? Quels ont été vos choix artistiques ?
Comme souvent, j’aime être proche des acteurs. Ce sont les vecteurs de nos histoires. Nos héroïnes sont toujours dans l’action, le parti pris était d’avoir souvent une caméra mobile et qui fasse corps avec les personnages, que l’on découvre à travers leur regard l’endroit où elles sont, l’endroit où elles vivent, l’endroit où on les retrouve pour essayer de vivre les choses avec elles. Lorsqu’on est chez le personnage de Caroline (Sofia Essaidi), qui vit dans la bourgeoisie avec sa belle-mère, les caméras sont alors posées, davantage comme des tableaux. C’était un vrai défi puisqu’on a tourné dans 3 régions différentes sur 6 mois. Moi qui adore suivre un personnage qui descend d’une voiture, ouvre la porte et rentre dans une maison puis change de pièce, ici, il y avait 3 lieux différents et 3 mois qui séparaient chaque plan.
En termes de lumière, nous souhaitions quelque chose d’assez naturaliste. Nous ne voulions pas magnifier la guerre ou réaliser de belles images. Il y avait aussi une grosse direction artistique sur les décors et les costumes que nous voulions réalistes et que nous avons accordés ensemble et les choix colorimétriques que nous pouvions faire.
Sur la musique, nous sommes partis sur un aspect plus symphonique. Les Combattantes est une série bien plus large, à tous les niveaux. Nous sommes beaucoup en extérieur, il y a beaucoup de figuration, de gros décors, c’est une guerre qui est mondiale, il fallait donc une musique qui corresponde à l’ampleur de l’image. Nous voulions une musique qui envoie pour arriver ensuite à des sons plus intimistes, au fur et à mesure qu’on rentre dans l’histoire personnelle de ces 4 femmes.
La série a-t-elle demandé beaucoup d’effets spéciaux ?

J’ai essayé de faire en sorte qu’il n’y en ait pas trop. Pour la place du village, par exemple, là où il y a l’Etat-Major et l’entrée du couvent, nous avons fait le gommage habituel dont on ne peut pas se passer (antennes, velux car on ne peut pas refaire des toits). Mais la caméra au sol est tranquille. Il y a 2-3 plans dans ce passage, on l’on rentre depuis l’extérieur de la ville où là, effectivement, nous avons gommé quelques devantures (pharmacie, tabac…). On a mélangé du vrai et du faux.
Sur les scènes de guerre, nous n’avons pas fait d’impact sur les gens, ils ont été réalisés numériquement. Toutefois, les armes étaient réellement chargées et les acteurs pouvaient réagir aux sons, aux reculs. Certaines des explosions sont vraies, gérées par une équipe spécialisée. Nous nous mettons d’accord sur les mouvements de caméra, pour chorégraphier, toujours dans le même but que l’acteur puisse s’immerger, réagir à ce qu’il voit, aux sons, à la fumée, aux projections de terre, etc… Parfois, le sol vibrait lorsque retentissaient les explosions. Ce sont les explosions en arrière-fond, lointaines, qu’on a ajoutées numériquement.
Nous avons fait voler un avion de la guerre 14 mais… il n’a jamais décollé. Nous avons recréé en 3D tous les plans où il vole.
Nous avons également réalisé des séquences avec une toute nouvelle technologie, des murs LED, où les environnements sont projetés sur un grand écran. Les acteurs peuvent ainsi réagir et n’ont pas besoin de tout imaginer comme derrière un fond vert.
La série a été tournée pirncipalement dans les Vosges. Néanmoins, une partie des intérieurs ont été tournées dans la région parisienne (exemple : l’usine Dewitt…) pour des raisons pratiques et économiques puis, à Behen, dans la Somme, pour les intérieurs du couvent. Ces mêmes intérieurs étaient disloqués en deux parties : une première partie où se situent le cloître, la salle d’opérations, l’église, que nous avons tourné dans l’Abbaye de Valloires et la seconde partie, avec le dortoir des sœurs et l’endroit où sont cachés les soldats, les scènes de messes, que nous avons filmés à l’Abbaye La Chartreuse de Neuville. […] Nous avons d’ailleurs fabriqués les costumes des sœurs, en fonction des teintes du couvent afin de garder une unité visuelle. Une vraie prise de tête pour concevoir ces costumes !
« Le tournage a été intense, à l’image de ce que vivent les héroïnes de la série […] Chaque journée était un défi technique et émotionnel ».
Quels sont les challenges auxquels on est confronté lorsqu’on tourne une série d’époque comme Les Combattantes ?
Le plus difficile, c’est d’abord de trouver des décors où il n’y pas trop d’anachronismes pour être libre. Dès qu’on doit faire appel à des effets visuels, ça coûte du temps, de l’argent. Mais je ne vois pas de difficultés particulières outre mesure, surtout si on a le budget nécessaire. C’était le cas avec Les Combattantes. J’ai pu travailler dans de bonnes conditions, avec des spécialistes comme notre cheffe costumière Valérie Adda. Je n’ai pas toutes ses recherches à faire.
Comme avec Le Bazar de la Charité, j’aborde les films/séries d’époque de manière contemporaine. Sur Le Bazar de la Charité, j’avais demandé à travailler ainsi pour ne pas me retrouver à réaliser des champs/contre-champ fixes par nécessité budgétaire. La mise en scène n’aurait pas été juste par rapport au projet. S’il y a peu de moyens, le rendu ne sera pas le même. Alors oui, on manque toujours d’argent, et nous devons être astucieux et trouver des idées, constamment.

[…] Le tournage a été intense, à l’image de ce que vivent les héroïnes de la série. Je pense même que ce tournage a été plus intense que sur Le Bazar de la Charité, où nous avons un premier épisode fou avec cet incendie puis, nous basculions dans une série plus intimiste. Dans Les Combattantes, j’ai la sensation que le spectacle se prolonge sur les 8 épisodes, car les héroïnes sont toujours dehors, au milieu des soldats, dans un contexte permanent de vie ou de mort. La mort n’est jamais loin et elles doivent faire face. Elles sont tout le temps dans l’urgence et l’adrénaline. Chaque journée était un défi technique et émotionnel. Dans chaque scène à réaliser, il y avait un enjeu fort. Chaque séquence a une fonction et un problème à régler.
Image : Sur le tournage de Les Combattantes.
Crédit photo : Remirefond Info
C’était important pour vous de garder la même équipe que sur Le Bazar de la Charité ?
L’idée de conserver les mêmes actrices vient d’Iris Bucher et de TF1. Ils souhaitaient créer une sorte de collection. Ce n’est pas une saison 2 du Bazar de la Charité mais ça devient comme une franchise. Pour l’équipe technique, c’est moi. Cela fait 20 ans que je fais ce métier, et ce sont des gens avec qui on devient amis, avec qui on partage les mêmes envies artistiques et avec qui on est complémentaire. Ça facilite les choses de travailler avec des personnes que l’on connaît, à qui on fait entièrement confiance. C’est un gain de temps à tout point de vue. Il n’y a pas de problèmes d’égo et on peut parler librement de ses craintes.
« À l’époque, les couvents servaient d’hôpitaux. Ça nourrit la foi, la remise en question, de Mère Agnès ».
La religion a un rôle important dans Les Combattantes. Le couvent, habituellement un lieu de recueillement et plein d’espoir, se transforme en témoin de l’horreur de la guerre. Le paradis devient un enfer. Ce contraste, cette transformation étaient essentiels à montrer ?

Il est essentiel à montrer parce que c’est réaliste. Néanmoins, ma caméra, sauf lorsque Joseph (Tom Leeb) s’occupe d’un des blessés, ne m’arrête jamais. C’est en toile de fond. Je suis le personnage à suivre. Par exemple, ma caméra fixe Joseph mais pas les blessés. Ça fait partie du climat qui met cette intensité à la série. À l’époque, les couvents servaient d’hôpitaux. Ça nourrit la foi, la remise en question, de Mère Agnès. La guerre qu’elle se prend de plein fouet va venir nourrir son personnage. Est-ce que Dieu existe avec toute l’horreur que l’on voit ? Toutes ses valeurs sont mises à l’épreuve par la barbarie humaine.
Crédit photo : Direct-Actu
Certains soldats, soignés et guéris, ne veulent pas retourner se battre. Ces scènes sont importantes car elles dévoilent que les hommes aussi ont peur…
C’est ce qu’on appelait « Les obusités ». Dans la série, nous en rencontrerons plusieurs. Au départ, on voulait soigner ces hommes, traumatisés par les horreurs de la guerre, avec des gégènes, avec des électrochocs. Ça sera le début de la psychologie. « Grâce » à la guerre, il y a eu beaucoup d’évolutions que ce soit dans la chirurgie, technologiques, etc..
Comme dans Le Bazar de la Charité, on y voit toute la cruauté de l’homme, sa violence physique et verbale. Ces séquences-là, en tant que réalisateur, de quelle façon les prépare-t-on et les met-on en scène ?
Elles ont la fonction de montrer que la condition de la femme n’était pas du tout respectée. La scène du viol, elle est malaisante à tourner. Alors, nous en parlons avec les acteurs et actrices en amont, nous ne laissons aucune place à l’improvisation. Je parle d’abord avec l’actrice, puis avec l’acteur pour savoir si les gestes, la situation leur conviennent, auquel cas, nous modifions. Mais c’est stressant.
Les claques, notamment celle que reçoit Audrey Fleurot dans l’épisode 2, permet de placer le personnage de Marcel (Yannick Choirat) comme l’antagoniste principal de Marguerite. Là, c’est de la pure comédie, c’est moins stressant et malaisant que la scène dont on parlait précédemment. Le propos reste dur, car c’est une femme qui se fait maltraiter. Je crois que quand Marcel met une claque à Marguerite, c’est une vraie. Là encore, nous en discutons avant. Pareil, lorsqu’Audrey lui crache dessus. Elle le fait vraiment mais ils en parlent ensemble, avant de tourner.
Retrouver l’interview de la comédienne Marie Mallia ici.
Les deux premiers épisodes de Les Combattantes seront diffusés dès le 19 septembre sur TF1.
Merci à Alexandre Laurent pour la description de son travail, et il décrit très bien les scènes avec beaucoup d’humanité, il nous introduit dans cette histoire fabuleuse, on a envie de faire partie de cette aventure. Il est très gentil ,je l’ai rencontré sur le tournage du Bazar de la Charité comme silhouette en curé au cimetière de Montmorency les mêmes paroles aussi intenses qu’avec les acteurs ,je n’ai jamais depuis vécu sur d’autres tournages autant de gentillesse que la sienne. Ce qui m’a poussé après que tous le monde de la figuration et acteur et actrice de lui demander ce selfie qui très gentiment me l’a accepté et que j’ai bien sûr gardé.
J’ai hâte de voir son travail.
WILMET Xavier