SYNDROME E : DISCUSSION AVEC LA RÉALISATRICE LAURE DE BUTLER

Syndrome E a été présentée hors-compétition au Festival de la Fiction de La Rochelle. À cette occasion, la réalisatrice Laure de Butler s’est confiée à mon micro sur la réalisation de la série et la manière d’iconiser des héros à l’image ou de réaliser des séquences intimes.

Quels ont été vos choix artistiques sur Syndrome E, pour conserver et ne pas trahir l’ambiance du roman de Franck Thiliez ?
Pour être honnête, je n’ai pas lu le roman de Franck avant de commencer à travailler, notamment parce que je savais que le scénariste Matthieu Missoffe en avait fait une adaptation libre. Pour ma part, j’ai travaillé à partir de la base du scénario de Matthieu. C’était la bible. J’ai lu le roman de Franck seulement lorsque nous étions en montage. J’avais peur d’être touchée, envoûtée par des images, des personnages qui ne seraient pas existants dans la série. Cela laisse des empreintes émotionnelles fortes lorsqu’on est en process de création. J’ai donc préféré me focaliser sur le scénario.

« Nous avons choisi des caméras et des optiques très précises, très piquées, où nous pouvions jouer avec les couleurs, ramener quelque chose de très vivant, très moderne ».

Sur la réalisation, la difficulté était de traiter la noirceur du propos, chez TF1. C’était un challenge de pouvoir assumer, respecter, ne pas trahir cette ambiance sombre, l’implication des personnages et ce qu’ils avaient à vivre, à traverser. Et, en même temps, le retranscrire chez TF1, une chaîne avec un public qui, peut-être, est habitué à une certaine fiction. Cependant, nous avions cette volonté d’aller séduire d’autres personnes. Je me suis rapidement dit qu’il fallait que je fasse une proposition de conte, comme les contes de Walt Disney, qui sont assez horribles dans le fond, avec cette envie de dire aux gens : « Venez, nous allons vous raconter une histoire qui est un peu folle, un peu sombre, il y aura des moments durs, mais ça reste une histoire. Donnez-nous la main et basculez avec nous dans notre univers ». C’était la ligne que je souhaitais à la fois dans la narration, le montage et la musique. De manière plus technique, avec Benjamin Louet, mon chef opérateur, nous avons choisi des caméras et des optiques très précises, très piquées, où nous pouvions jouer avec les couleurs, ramener quelque chose de très vivant, très moderne et avoir également une netteté dans l’image pour rappeler l’univers médical, de la précision, de faire quelque chose d’esthétiquement beau.

Avec Benjamin Louet, nous avons travaillé sur des échanges, sur des films, des séries, des tableaux, des peintures, sur des photos. Ce sont des échanges visuels qui vont venir nourrir nos palettes graphiques, nos palettes de couleurs sur Paris, le Maroc et le Canada. En même temps, de trouver un équilibre visuel global. Mais nous ne nous sommes jamais dit que nous allions réaliser une scène que nous avions vue dans un film. C’est une nourriture.

La première image de la série est marquante. On y voit un Paris grisâtre, pollué par les usines et le rejet des gaz. Pourquoi avoir décidé d’ouvrir la série sur une telle image ?

Je souhaitais inscrire tout de suite une image de polar. J’avais envie de montrer un Paris qui n’est pas le Paris romantique avec sa Tour Eiffel et son architecture Haussmannienne. Je voulais inscrire toute la série dans un Paris moderne, différent. C’est pour cela que nous avons tourné à La Défense et dans le 13ème. Je voulais des grandes tours, de la verticalité, et commencer par de la noirceur. Après, il y a cette ligne de l’infiniment grand à l’infiniment petit et débuter par un plan large pour terminer sur un plan de « pieds » qui marchent au sol.

Ça inscrivait de suite cette notion de, passer à des choses qu’on ne maîtrise pas, qui sont bien plus grandes que nous, un peu mystérieuses, aux mystères des cellules du cerveau, qui sont des choses infimes. C’était notre démarche.

Il y a beaucoup de flics à la télévision. Pour les rendre attrayants et uniques, comment iconise-t-on les héros à l’image ? Même question pour les antagonistes de séries télévisées de ce genre.
Déjà, il faut choisir des acteurs et des actrices avec un certain charisme. Ensuite, il y a tout un travail sur les costumes, sur leur look, de marquer des figures et des silhouettes, précises. Sur la silhouette de Sharko (Vincent Elbaz), par exemple, même de dos, nous savons que c’est lui. Sur la méchante incarnée par Dominique Blanc, il y avait une ligne très épurée.

« J’aime les acteurs. Ce sont nos vecteurs émotionnels premiers ».

Pour la mise en scène de ces figures, c’est une vision assez personnelle et sensible sur la façon dont on va les filmer. Moi, j’avais envie d’être au plus proche d’eux. J’aime les acteurs. Ce sont nos vecteurs émotionnels premiers. C’est par eux que passent toutes les émotions. La caméra, le montage, la lumière, la musique participe à ça. Mais on peut avoir un énorme et joli papier cadeau, s’il n’est pas au bon endroit, à la bonne justesse, tout sera gâché. Quand je découpe mes scènes, j’ai tendance à les jouer dans mon salon, à lire le texte à voix haute. Ça me donne une rythmique et le point de vue de la scène. Ainsi, je décide si ça sera un gros plan ou, alors, dans la réaction et l’écoute de l’autre. Ça va déterminer les premiers plans et comment les filmer.

J’ai beaucoup travaillé sur les ruptures de rythme, des plans serrés sur les visages ou des macros sur des objets mais aussi sur des plans très larges avec des courtes focales pour donner de l’amplitude. Je voulais une ligne directrice qui allait de l’infiniment petit à l’infiniment grand, comme je le disais toute à l’heur. Ça a déterminé ma narration visuelle. Néanmoins, pour passer d’un plan large à un plan serré, il n’y pas de règles. C’est la rythmique de la séquence, une émotion qui va nous guider.

Le personnage de Vincent Elbaz est un flic solitaire, déchiré par la mort de sa femme et de sa fille. De quelle façon filme-t-on la solitude, la détresse humaine et émotionnelle ?
Il y a une manière personnelle de la filmer. Moi, je suis d’une nature pudique. Dès lors, j’aime filmer ces émotions-là avec de la pudeur. Si vous donnez ce scénario à 10 réalisateurs différents, vous aurez 10 séries différentes. C’est une question de sensibilité et du regard que l’on veut poser sur un personnage ou une histoire. Pour ma part, la pudeur est souvent là.

« L’émotion à traiter sur un plateau est toujours un moment particulier car ils (les acteurs) ne sont pas traversés de la même manière ».

Il y a des séquences magnifiques entre Sharko et sa fille, qu’il peut voir et avec qui il peut communiquer. Elles donnent souvent lieu à des moments puissants, émouvants. Je pense notamment à cette fin bouleversante. Quel espace vous leur donnez pour libérer ces émotions ?
Chaque acteur est différent. Donc, l’émotion à traiter sur un plateau est toujours un moment particulier car ils (les acteurs) ne sont pas traversés de la même manière. Il y a des acteurs qui ont besoin de tourner tout de suite parce que l’émotion est là et qu’elle est difficile à maintenir, d’autres ont besoin de plus de temps. On doit s’adapter à l’être humain et à l’artiste qu’on a en face de soi, essayer de comprendre son mécanisme. Souvent, ça va déterminer dans quel ordre les comédiens.nnes vont être filmé.es. C’est un travail de discussion et de sensibilité, au préalable.
Vincent, par exemple, avait besoin d’être avec Célia. Ce sont des scènes où les acteurs ont besoin d’être accrochés à l’autre.
Puis, pour ce genre de séquences (telle que la fin), il y a beaucoup de plans, elles sont longues, elles sont découpées et il se passe énormément de choses. En technique, j’essaie toujours de travailler vite parce que j’ai cette peur que l’émotion parte et d’en abuser. À un moment donné, l’émotion « naturelle » finit par s’évaporer.

« J’aime confronter le spectateur, l’introduire dans l’action. C’est une façon de l’impliquer émotionnellement dans les scènes ».

Par qui ont été conçus les petits dessins « sectaires » ?

C’est l’équipe déco, Séverine Barrel (chef décoratrice) et Marine Charignon, l’infographiste, qui a dessiné ça. Ils ont fait un boulot incroyable. Il y a certaines références que nous avons partagées avec Matthieu Misoffe et qu’on leur a indiquées. Nous voulions des dessins sombres, cauchemardesques, travailler sur l’œil et les symboles, sur quelque chose d’obsessionnel. Ils font alors des propositions, des croquis et nous améliorions cela tous ensemble.

[…] J’aime confronter le spectateur, l’introduire dans l’action. C’est une façon de l’impliquer émotionnellement dans les scènes et ne pas forcément regarder les acteurs faire mais de participer. Il y a une sorte de mise en abyme qui se crée et qui est une chose assez déterminante. C’est l’élément déclencheur. Par exemple, Lucie regarde ce film étrange et qui va la mettre dans un état, je confronte alors le spectateur à ce film, qui va se retrouver également dans un état.

Comment les larmes de sang ont-t-elles été réalisées ?

Cela dépend des séquences. 99% du temps, ce sont des gouttes d’un liquide coloré rouge que l’on met dans l’œil des comédiens. Ce sont des séquences qui étaient techniques et complexes à tourner. Au moment où tout le monde était prêt à tourner, la maquilleuse verse les gouttes dans les yeux et l’acteur doit jouer. Pour avoir mis ces gouttes, c’est extrêmement désagréable. Ça brouille la vue, ça peu brûler, piquer. Et chacun à une réaction différente.
Mais surtout, ce que nous ne pouvions pas maîtriser, c’était la rapidité avec laquelle la larme coule. Nous nous sommes rapidement rendu compte de la problématique. Donc, sur certaines scènes, il y a eu un renfort des VFX, qui nous ont permis de faire couler la larme ou, au contraire, de l’enlever.

Les premiers épisodes de Syndrome E seront diffusés à partir du 29 septembre sur TF1.
Ma critique de Syndrome E est à retrouver ici.

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