MASTERCLASS : ALICE (KRIGE) AUX PAYS DES HORREURS

La voix envoûtante et le visage pur, Alice Krige a parcouru le cinéma d’horreur hollywoodien avec audace, voguant sans cesse vers des projets dans lesquels on ne l’attend pas. Une actrice fascinante, à l’image de sa carrière.

« Je vais t’emmener en des lieux où tu n’as jamais été. Je vais te montrer des choses que tu n’as jamais vues », prononce-t-elle dans le film Le Fantôme de Milburn. Et on ne peut pas nier que ce fût le cas. Fantôme vengeur dans Le Fantôme de Milburn de John Irvin, reine humanoïde dans Star Trek : Premier Contact, sorcière effrayante dans Hansel & Gretel, scientifique asgardienne dans Thor : Le Monde des Ténèbres ou protectrice de Leatherface dans le neuvième film de la franchise sortie en février dernier, Alice Krige s’est imposée comme une des figures horrifiques du cinéma américain , sans réellement le vouloir.

Une carrière entrecoupée d’autres moments de grâce. Elle s’adonne, avec une facilité déconcertante, aussi bien au drame sentimental (À demain, Mon Amour), au thriller politique (Le Commissaire) ou encore à la comédie romantique de Noël (A Christmas Prince). À chaque nouvel exercice, Alice Krige émeut, bouleverse, séduit par ses interprétations aussi délicieuses que violentes.

Rencontre avec une comédienne discrète, à la filmographie riche, que ce soit au cinéma ou à la télévision.

« Mes parents m’ont suggéré de faire une année de théâtre dans la faculté de théâtre nouvellement créée à l’université. Je pense qu’ils l’ont regretté par la suite ! Parce qu’en fin de compte, j’ai décidé que je voulais devenir actrice ».

La comédie n’était pas votre premier plan de carrière puisque vous avez suivi des études de psychologie clinique. C’est en intégrant une troupe de théâtre universitaire que vous décidez de vous lancer dans une carrière de comédienne en vous inscrivant par la suite à la Central School of Speech and Drama à Londres. Qu’est-ce qui vous avez donné envie d’intégrer cette troupe de théâtre à l’époque puis, de devenir actrice ?
J’ai commencé à prendre des cours de ballet à l’âge de 8 ans. J’étais si passionnée par la danse, que je voulais être une ballerine. Lorsque j’ai eu 16 ans, mon père m’a dit que je devais me concentrer sur mes études. Il m’a dit que la danse classique n’était pas une vie, qu’elle serait terminée à 40 ans et que j’aurais vraiment endommagé mon corps.
J’ai donc arrêté de danser et terminé mes études. J’avais participé aux pièces de théâtre de l’école, je devais apprécier car j’ai continué à en faire. Ainsi, lorsque je suis entrée à l’université pour étudier la psychologie et l’anglais et que j’avais à choisir un cours sur les dix que je devais suivre qui n’était pas lié à la psychologie ou à l’anglais, mes parents m’ont suggéré de faire une année de théâtre dans la faculté de théâtre nouvellement créée à l’université. Je pense qu’ils l’ont regretté par la suite ! Parce qu’en fin de compte, j’ai décidé que je voulais devenir actrice.

La raison en est que j’avais le sentiment que si je devais jouer et le faire avec tout ce que j’avais – corps, esprit et âme – cela m’engagerait et me mettrait au défi en tant qu’être humain d’une manière que ni l’enseignement de l’anglais ni l’exercice de la profession de thérapeute ne pourraient faire. Ma mère me soutenait totalement dans cette démarche, mon père pensait que nous étions tous les deux folles et il avait probablement raison ! Ma mère a donc payé, grâce à son travail de professeur de psychologie et de thérapeute familial, pour que je fasse une école de théâtre à Londres.

Votre première apparition au cinéma fut dans le film culte, oscarisé, « Chariots de feu » de Hugh Hudson. Dans ce film, vous avez d’ailleurs deux très belles séquences au côté de Ben Cross (Harold Abrahams), l’une dans un restaurant, votre « premier rencard » et, la seconde, dans les tribunes après la défaite d’Harold lors d’une course. Vous souvenez-vous de la manière dont vous avez rejoint le casting du film ? Puis, dans un second temps, pouvez-vous commenter ces deux scènes et comment vous les avez travaillé, les coulisses de leur préparation ?

J’ai été choisie pour jouer dans Chariots de feu grâce à la gentillesse d’une camarade de classe de la Central School of Speech and Drama. Lors de ma dernière année d’études, je me suis liée d’amitié avec cette fille, Samantha. Elle suivait le cours de production théâtrale et ces étudiants produisaient et dirigeaient les productions publiques finales des étudiants en théâtre – elle faisait partie de l’équipe de production de 12ÉME Nuit et je jouais le rôle d’Olivia – nous étions tous en tournée ensemble et sommes devenus des amis proches. Nous avons tous terminé nos cours en juillet, et nous avons pris des chemins différents. Au mois de mars suivant, j’ai reçu un appel de l’école me disant que Samantha essayait de me joindre. Je l’ai appelée et elle m’a dit : « Je travaille comme assistante de casting pour ma tante, elle fait le casting de ce film et je pense que tu es parfaite – envoie-moi ta photo et je la lui donnerai ».

Image : Alice Krige donne la réplique à Ben Cross dans le film culte Chariots de Feu.

De même, Milena Canonero – la fabuleuse costumière – a dit à Hugh Hudson, le réalisateur (qui avait l’intention de faire jouer le rôle de Sybil par une chanteuse d’opéra) : « Non, non, elle chante pendant 15 secondes ! Vous devez synchroniser le chant avec les lèvres et engager une actrice ! ». C’est ainsi qu’il m’a rencontrée – grâce à la photo que Samantha a soumise. Bénédictions sur Samantha ! Parce que non seulement la photo est très spéciale mais j’ai rencontré mon mari grâce à elle.

Sur la préparation, c’était il y a très longtemps ! Mais si je me souviens bien, je n’ai pas fait de préparation spécifique pour ces deux scènes. J’ai fait comme d’habitude : j’ai appris toutes les répliques et toutes les scènes avant de commencer le tournage. J’ai fait des recherches sur Harold, les Jeux olympiques, la carte D’Oyle et bien sûr Sybil. J’ai eu la chance de rencontrer son fils qui m’a donné une petite boîte contenant des objets qui lui appartenaient pour que je les garde avec moi pendant le tournage du film.
Ben Cross et Hugh se sont attachés à explorer et à construire la relation entre Harold et Sybil, ce qui est de la plus haute importance.

Puis, les costumes sont toujours pour moi un moyen de faire des choix et de définir un personnage – et Milena Canonero a été une magicienne ! Elle a fait les suggestions et les choix les plus parfaits.

« Fred Astaire était extraordinaire. Galant, gentil, courtois, attentionné, drôle – et un professionnel accompli ».

La même année, vous êtes à l’affiche de « Le Fantôme de Milburn » de John Irvin. Vous incarnez un double-personnage, Eva Galli et Alma Mobley, une femme revenue d’entre les morts pour se faire justice des hommes qui l’on assassinée. C’est un rôle spécial, tout en subtilité et séduction, avec un certain aspect horrifique dans la voix et le comportement. De quelle façon avez-vous travaillé ce rôle et ses diverses facettes ?

Encore une fois , c’était il y a très longtemps. Mais je me souviens de deux choses vraiment importantes. John Irvin, le réalisateur, voulait que nous répétions tous pendant une semaine. Le dernier après-midi de répétition, il a dit : « Maintenant, je veux que Fred, John, Melvyn et Douglas lisent leur jeunesse – puisqu’ils interprètent les personnages dans leurs versions âgées – et qu’Alice lise Eva. C’était extraordinaire ! ».
L’autre souvenir très vif que j’ai, c’est qu’après la semaine de répétition, lorsque le tournage a commencé, il n’y avait pas de neige à Saratoga Springs, au nord de l’État de New York, où nous tournions – et nous avions besoin de neige pour les scènes que je devais tourner.

Image : Alice Krige dans Le Fantôme de Milburn. Terrifiante !

J’ai alors attendu dans ma chambre d’hôtel pendant trois semaines, car il faisait dehors un froid glacial. Au début de ces 3 semaines, John Irvin m’a dit : « Il y a une exposition expressionniste au MOMA à New York, tu devrais aller la voir, ça aidera pour le film ».
Je suis donc allée à Manhattan, mais l’exposition expressionniste était terminée. À la place, je suis tombée sur une exposition d’Edvard Munch, qui m’a fait un effet bouleversant : LE CRIME, MADONNA, LES TROIS ÉTAPES DE LA FEMME, LE SPHINX, LES CENDRES, ADAM ET EVE. J’ai acheté le catalogue et, de retour dans ma chambre d’hôtel, j’ai arraché les images du livre et les ai collées sur les murs – elles sont devenues une partie de la vie intérieure d’Eva/Alma.

Encore une fois, les costumes m’ont beaucoup aidée et May Routh, la costumière, a été merveilleuse en réunissant un mélange de costumes originaux pour Eva et de vêtements modernes spécialement conçus pour Alma. Et Rick Baker, le maquilleur, était extraordinaire.

« Le Fantôme de Milburn » est le dernier film de Fred Astaire. Avez-vous pu échanger avec lui sur le tournage ? Racontez-nous votre rencontre.
Fred Astaire était extraordinaire, comme ils l’étaient tous. Galant, gentil, courtois, attentionné, drôle – et un professionnel accompli, même s’il était alors octogénaire. Travailler avec lui a été une expérience et un privilège extraordinaire, le meilleur exemple possible d’acteur auquel je pouvais aspirer.

« Le Fantôme de Milburn » a été votre première incursion dans le film d’horreur et d’épouvante. S’en suivront beaucoup d’autres. Des films fantastiques et science-fiction également : Silent Hill, Star Trek, Solomone Kane, Le Régne du Feu, L’Apprenti Sorcier… Qu’est-ce qui fait que, selon vous, on vous a souvent proposé ce type de films ? Est-ce que les traits de votre visage, votre physique est propice à l’imaginaire des réalisateurs, comme c’est le cas pour Tilda Swinton ?

Je n’ai aucune idée de la raison pour laquelle on m’a proposé ce genre de rôles (bien qu’on m’ait proposé des rôles dans de nombreux genres différents). C’est peut-être parce que je ne juge jamais un personnage qu’on me demande d’incarner, mais que je cherche à vivre en lui et à voir le monde à travers ses yeux. Dans certaines écoles de thérapie psychologique, il existe un état d’esprit selon lequel vous rencontrez une personne qui vient vous voir pour une thérapie avec un « regard positif inconditionnel » et je suppose que c’est ainsi que j’accueille toute personne que l’on me demande de jouer.

Image 2 – Crédit photo : Michael Warley

En 1996, vous rejoignez la franchise « Star Trek », dans le rôle de la reine Borg. Qu’est-ce qui vous avait convaincue à l’époque de rejoindre ce vaste univers et d’accepter ce rôle-là ? Et, était-ce difficile d’appréhender et de rentrer dans un univers qui existait déjà depuis plusieurs années ?

J’ai grandi en Afrique du Sud à une époque où il n’y avait pas de télévision et où l’exploitation des salles de cinéma était limitée et très contrôlée. Je n’ai donc jamais vraiment acquis un goût pour la télévision, plutôt encline à la lecture. Par conséquent, et heureusement, je n’avais absolument aucune connaissance de l’univers Star Trek lorsque j’ai auditionné pour le rôle et tourné le film. Je ne l’ai découvert qu’après la sortie de Star Trek : Premier Contact.

Lorsque nous avons tourné Premier Contact, il me fallait 6 heures pour faire mon maquillage et enfiler mon costume et deux heures pour l’enlever – ce qu’ils ont fait avec beaucoup de douceur et de précaution, car nous l’avons remis en place 9 heures plus tard ! Mais je dois dire que le maquillage et le costume ont été un merveilleux cadeau de Scott Wheeler (maquillage) et Todd Masters (costume). On ne peut pas l’imaginer séparément de son apparence et ils me l’ont donné. Je veux dire que je n’aurais pas pu me présenter sur le plateau et être la reine Borg sans avoir l’apparence qu’elle avait – c’était le summum de la performance collaborative.

Image : Alice Krige dans la peau de la Reine Borg, Star Trek.

Autre film de science-fiction. Vous avez participé, dans le cadre d’une apparition, à « Thor : Le Monde des Ténèbres ». Une scène au côté notamment de Natalie Portman et Anthony Hopkins. Racontez-nous les coulisses de cette scène ?
Mon rôle dans Thor : Le Monde des Ténèbres aurait difficilement pu être plus bref. Natalie et Anthony ont été charmants avec moi – une outsider complet. Mais j’avais travaillé avec Alan Taylor, le réalisateur, sur Deadwood et c’était vraiment agréable de retravailler avec lui.

Il y a beaucoup d’invectives autour de Marvel Studios. Quel est votre regard sur le cinéma d’aujourd’hui ? Comment percevez-vous l’évolution du cinéma ?
À l’heure actuelle, il est de plus en plus difficile pour les cinéastes et les dramaturges indépendants de trouver un espace sur le marché et, par conséquent, un financement. Mais les gens ont besoin de voir des histoires qui vous plongent réellement dans la condition humaine. Alors même s’il est très difficile de financer des films qui ne sont pas grand public, je pense que nous en avons besoin en tant qu’espèce – et c’est ce qui permettra à ce type de cinéma de rester en vie.

« Ce qui m’attire dans un rôle, c’est le parcours du personnage – si le personnage fait un voyage intérieur, traverse une transformation… ».

Vous passez avec aisance d’un registre à l’autre, allant du film dramatique/sentimental (See You in the Morning) aux projets plus particuliers (Institute Benjamenta), de l’horreur aux films d’auteurs (Barfly) en passant par le blockbuster (Thor 2). C’est aussi ce qui fait la richesse de votre carrière. Lorsqu’on vous propose un scénario, que regardez-vous en premier ? Et qu’est-ce qui vous pousse à dire « oui » OU « non » à un rôle ?
J’ai la chance et le privilège extraordinaires d’avoir travaillé avec tant de genres et de supports différents, avec tant d’auteurs, de réalisateurs et d’acteurs différents, tous passionnés par leur travail. Ce qui m’attire dans un rôle, c’est le parcours du personnage – si le personnage fait un voyage intérieur, traverse une transformation, vit une épiphanie, peut-être qu’en le traversant avec lui, j’expérimenterais et comprendrais quelque chose sur l’être humain, la condition humaine, et j’espère que quelqu’un dans le public partagera cela aussi.

Mais il y a aussi la situation de devoir gagner sa vie ! Cependant, quelle que soit la raison pour laquelle j’accepte un rôle, je cherche à marcher dans ses pas…

« J’essaie de trouver la raison sous-jacente à tout ce que dit un personnage que j’incarne ».

De quelle manière ensuite abordez-vous vos rôles et les préparez-vous ?
La préparation d’un rôle ne se fait jamais deux fois de la même manière – la façon dont elle se déroule dépend du personnage, du scénario et du processus créatif entre moi et le réalisateur, les acteurs, la costumière, les coiffeurs et maquilleurs, ainsi que de la relation avec le directeur de la photographie/opérateur de caméra. Il s’agit d’un processus profondément collaboratif – et c’est ce qui fait une grande partie de la joie de ce travail !

Toutefois, il y a une chose que je fais toujours, c’est d’apprendre le scénario, toutes mes répliques avant le début du tournage – de façon à ne jamais être à court de ce que dit le personnage. J’essaie de trouver la raison sous-jacente à tout ce que dit un personnage que j’incarne, pour qu’il n’y ait rien d’autre qu’il puisse dire. Et aussi d’explorer des sous-textes contradictoires… Cependant, tout se bouscule et grandit lorsque vous commencez à travailler sur le plateau – et c’est un processus merveilleux.

TÉLÉVISION

Vous avez également fait de nombreuses apparitions à la télévision. Mardi 11 octobre, on apprenait le décès de l’actrice Angela Lansbury. Vous avez joué dans un épisode de la série « Arabesque ». Quel souvenir gardez-vous de votre passage dans la série et avec Angela Lansbury ?
Angela Lansbury, comme Fred Astaire, Melvyn Douglas, John Houseman, Douglas Fairbanks et Pat Neale, était extraordinaire, et si gentille avec moi, désespérément nerveuse comme je l’étais et travaillant pour la première fois avec un accent américain.

« Je savais que Nancy reviendrait dans la saison 3 ».

Vous avez également eu un rôle dans la sublime série Netflix, « The OA ». Vous y incarniez la mère adoptive de Prairie Johnson (Brit Marling). Beaucoup de fans avez été choqués par l’arrêt brutal de la série. Vous comprenez leur mécontentement ?

Brit et Zal avaient écrit tous les épisodes de toutes les saisons et je savais donc que Nancy reviendrait dans la saison 3. Malheureusement, elle n’a pas pu le faire. J’aurais aimé que la série continue, et je sais que les nombreuses personnes qui ont aimé regarder The OA souhaitaient qu’elle continue.

En réalité, Brit Marling croyait qu’elle le ferait et que son annulation n’était qu’un stratagème publicitaire de Netflix… (Je suis si heureuse que vous l’ayez trouvée sublime ! Merci ! Je l’ai trouvée fascinante aussi).

Image : Alice Krige et Brit Marling dans la série Netfix à succès The OA.

Quels sont vos futurs projets ?
Je suis actuellement en développement/préproduction en tant que productrice sur deux projets : 3 Widows et Naked Abuse – tous deux stimulants et provocants, et très pertinents par rapport à l’état actuel de certains aspects du monde d’aujourd’hui. J’explore également des projets d’actrice.

Le 30 novembre prochain, Alice Krige sera à l’affiche du thriller She Will de Charlotte Colbert.

Synopsis :
Veronica part en convalescence dans la campagne écossaise avec sa jeune infirmière, Desi, après avoir subie une double mastectomie. Les deux femmes développent un lien particulier, alors que des forces mystérieuses amènent Veronica à s’interroger sur ses traumatismes passés et comment les venger.

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