MAESTRO(S) : DISCUSSION MUSICALE AVEC L’ÉQUIPE DU FILM (YVAN ATTAL, CAROLINE ANGLADE, BRUNO CHICHE ET ANNE GRAVOIN)

Ce 7 décembre, le réalisateur Bruno Chiche revient au cinéma avec un drame musical profond et intense : Maestro(s). Dans ce film librement inspiré de « Footnote » du cinéaste israélien Joseph Cedar, Maestro(s) met en scène la rivalité entre un père (Pierre Arditi) et son fils (Yvan Attal), deux chefs-d’orchestre qui rêvent de diriger la Scala de Milan. Un quiproquo va raviver les rancœurs et les conduira à livrer une bataille intime pour peut-être, un jour, se réconcilier.

Le réalisateur Bruno Chiche, les comédiens Yvan Attal et Caroline Anglade ainsi que la directrice musicale Anne Gravoin se confient sur l’importance de la musique classique dans Maestro(s), les choix musicaux du film ou encore la façon de filmer un orchestre au cinéma.

« Un orchestre, c’est organique, vivant, il y a une communion qu’on ne doit pas troubler » – Anne Gravoin, directrice musicale.

Maestro(s) à des scènes de concert très impressionnantes. De quelle manière filme-t-on un orchestre au cinéma pour retranscrire toute son intensité et toute la force émotionnelle de la musique orchestrale ?
Anne Gravoin, directrice musicale : C’était complexe de devoir filmer les musiciens. Bruno devait être à l’intérieur de l’orchestre et, en même temps, ne pas le déranger. Et il a réussi à être au cœur de l’orchestre, sans le perturber. C’était essentiel pour permettre de sentir la transmission entre le personnage d’Yvan et les musiciens. J’espère que le public ressentira toute l’intensité d’un orchestre. C’est rare. Lorsqu’on regarde les concerts filmés, nous ne sommes jamais avec l’orchestre. Ça serait trop perturbant pour nous et, je crois que le public serait également dérangé de voir quelqu’un se déplacer sur scène avec une caméra. Un orchestre, c’est organique, vivant, il y a une communion qu’on ne doit pas troubler. Là, grâce au cinéma, nous sommes à l’intérieur de cette magie.

Bruno Chiche, réalisateur : Filmer les musiciens, filmer un orchestre, c’est un gros boulot. Toutes les scènes d’orchestres sont jouées. Ce sont vraiment des musiciens. Mais la musique étant en playback, cela facilitait l’accès. Le vrai boulot de filmage, c’est au montage qu’il se fait. On gagne en force, en rythme. […] Pour les musiques, nous enregistrions d’abord une maquette. Les musiciens jouent en playback sur cette musique, puis, ensuite, nous ré-enregistrons la musique pour que soit artistiquement plus raffiné et parfaitement à l’image.

La musique a un rôle important dans le film. Comment avez-vous choisi les morceaux ?

Bruno Chiche : J’ai choisi les musiques classiques en fonction de mon petit panthéon personnel. J’ai lu également un livre d’entretiens avec Haruki et Murakami et Seiji Ozawa, qui m’a beaucoup aidé. D’ailleurs, Ozawa, qu’on aperçoit dans le film, est une sorte de fil rouge dans l’histoire. Mais nous avons eu aussi de longues discussions avec Anne à ce sujet. Chaque musique devait avoir un lien avec la situation à l’image. Ça n’a pas été si facile de choisir les musiques à intégrer au film, à tel ou tel moment. « L’Ave Maria » de Guilio Caccini, par exemple, est introduite lors qu’Yvan regarde une vidéo d’Ozawa. Comme un passage de flambeau entre les deux hommes.

Vous avez « La sonate de Schubert » (qui est aussi le générique de fin), une déclaration d’amour de son compositeur à sa cantatrice. C’est sur ce morceau que Denis (Yvan Attal) dirige sa fiancée, incarnée par Caroline Anglade. Vous entendrez « La vocalise de Rachmaninov », interprétée à l’église par le personnage de Caterina Murino. Là, on comprend à quel point la musique est importante pour lui, qu’elle est son refuge.
La scène où l’on aperçoit Pierre Arditi sur le pont, j’ai inséré le « 2ème mouvement de la quatrième de Malher ». C’était magnifique mais c’était trop. J’ai donc changé. C’est un équilibre.

« Le score du film, lui, a été composé par Florencia di Concilio, compositrice uruguayenne, que j’ai rencontrée un peu par hasard » – Bruno Chiche.

[…] Nicolas Giraud, chef-d’orchestre et arrangeur, s’est occupé de la partie classique du film. Il a fait tous les arrangements. Lui et Anne ont fait des miracles ! Le score du film, lui, a été composé par Florencia di Concilio, compositrice uruguayenne, que j’ai rencontrée un peu par hasard. Ce qui m’a touché chez elle, c’est sa sensibilité. Ce n’est pas un exercice facile de composer des musiques originales qui passent entre Rachmaninov, Mozart et Schuber. C’était un peu compliqué. Au départ, mon idée était d’avoir des musiques qui tranchent complètement avec le classique, d’avoir un côté moderne. Mais ça ne fonctionnait pas. […] Florencia a su composer des musiques avec une vraie signature, une vraie singularité. Elle a été nourrie par ses nombreux voyages et différentes cultures, ce qu’elle propose ne ressemble qu’à elle. Je suis très heureux du résultat.

Le violon est un instrument magnifique qui dégage des mélodies très mélancoliques. De quelle façon le dompte-t-on pour toucher le public ?

Anne Gravoin : S’il y avait une règle, nous aimerions tous la connaître. La seule chose que je puisse vous dire, c’est que sur le violon, il y a une petite corde, toute fine qui s’appelle « La Chanterelle ». Et c’est assez magique car elle peut toucher tout de suite. Elle est originale. Le violon est le seul instrument à posséder cette corde très aiguë. Les autres n’ont pas de noms. C’est extraordinaire. Mais l’instrument n’a pas tant d’importance que ça, c’est la personne qui en joue et ce qu’elle va transmettre qui va émouvoir ou non. L’instrument n’est qu’un support. D’ailleurs, on ne dit jamais « Je suis violoniste » ou « Je suis violoncelliste ». Nous disons toujours et tous « Je suis musicien ».

[…] Le violon, nous le posons sur la clavicule. Les os sont conducteurs. Donc, le son de l’instrument va dans tout le corps. Davantage que le violoncelle, par exemple. Avec le violon, il se passe quelque chose de physiquement puissant, comme si nous absorbions les ondes. Ensuite, nous essayons de les projeter. Il n’y a pas que les doigts. Tout le corps projette le son de l’instrument, grâce à la vibration.

Bruno Chiche : Ça me fait penser que pour le personnage de Caroline, j’avais hésité entre violoniste et une pianiste. Peut-être que ce sont mes origines un peu juives, je ne sais pas, et je comprends ce que vous dites sur le violon à travers votre question. C’est vrai que c’est un instrument qui jacte, ça parle, ça chante. C’est une voix humaine. Et je trouvais que l’histoire d’amour entre Yvan et Caroline dans le film, était plus belle au violon.

« Les grands chefs-d’œuvre au cinéma, sans l’accompagnement de la musique, ne seraient pas ce qu’ils sont » – Caroline Anglade.

Yvan, Caroline, quel est votre rapport avec la musique classique ?
Caroline Anglade : J’ai découvert la musique classique assez tard. Et c’est marrant parce que, lorsque je faisais du théâtre, j’adorais me détendre à travers la musique classique. « La Sérénade de Schuber » m’a accompagnée longtemps avant de monter sur scène. Alors, quand il a été question que je l’apprenne au violon, j’étais très émue. C’est un des seuls morceaux que j’ai écouté en boucle de cette façon. À part ça, je n’ai pas une grande connaissance de la musique classique. […] Les grands chefs-d’œuvre au cinéma, sans l’accompagnement de la musique, ne seraient pas ce qu’ils sont. Ça transforme un film.

« La musique dans un film, ça emmène un film, ça lui donne une couleur vraiment forte » – Yvan Attal.

Yvan Attal : Je dirais à peu près la même chose que Caroline. J’ai fait de la musique étant jeune, du piano, et j’ai pu découvrir certains des musiciens. La musique a toujours eu une grande place dans ma vie : rock, jazz… Je n’ai jamais pu me passer de la musique. Cependant, je n’ai pas une connaissance immense en termes de musique classique. Effectivement, on se rend compte, peut-être avec l’âge aussi, que la musique classique nous transporte, nous remplit bien plus que ce que j’écoutais plus jeune. C’est mon cas. Quand je réalise ce qu’ont fait ces compositeurs à écrire ces partitions pour autant de musiciens, il y a quelque chose presque d’irréel. On se demande comment il est possible d’entendre ça et de l’accoucher. Ça m’impressionne énormément. […] Il n’y a rien qui me procure autant d’émotions que la musique. Comme tout le monde, je pense. […] La musique dans un film, ça emmène un film, ça lui donne une couleur vraiment forte. Avoir ici la possibilité d’avoir ces grands musiciens, c’était une chance extraordinaire.

Anne Gravoin : Milos Forman a réalisé un film magnifique « Amadeus ». Le choix des musiques est fantastique et, d’ailleurs, vous remarquerez que toutes les scènes tendres, importantes, sont des « andantes », c’est-à-dire des mouvements plutôt lents de Mozart. L’émotion arrive alors immédiatement. Il a été réellement intelligent sur le choix des musiques. Même si le film est faux. Ce n’est pas du tout la vie de Mozart. C’est romancé. Mais ce n’est pas si grave, le film est sublime et, surtout, il y a beaucoup de jeunes qui ont découvert la musique classique grâce à ce film. Alors, si d’autres personnes découvrent cette musique grâce à Maestro(s), nous serons tellement heureux.

Qu’est-ce qui vous a convaincus, l’un et l’autre, de participer au film de Bruno Chiche ?

Caroline Anglade : Le scénario. Il m’a littéralement retourné le ventre. J’ai été bouleversée. Chaque fois que je le relisais, je pleurais. Je n’avais ensuite qu’une envie, le voir à l’écran. J’ai trouvé le rôle merveilleux. Et la rencontre avec Bruno, qui a fini par me convaincre.

Yvan Attal : Bruno m’a appelé en me demandant si je voulais lire son scénario. Bien entendu, j’ai accepté. En lisant le script, j’avais mille choses qui ne m’allaient pas. Quand je suis arrivé à la fin, malgré tous les problèmes de scénario, j’ai été ému. Attention, ce n’était pas mauvais au point que je n’accepte pas le rôle. La fin est émouvante, ça nous touche. C’est ça qui m’a convaincu.

Comment avez-vous travaillé vos rôles respectifs ? Yvan, comment avez-vous appréhendé la posture et la gestuelle d’un chef d’orchestre et vous, Caroline, cet instrument qu’est le violon ?
Caroline Anglade : C’est Anne qui m’a coachée. C’était tellement ludique de travailler avec elle. J’avais un petit stress sur la façon dont j’allais travailler le violon. D’autant que je tournais en même temps sur un autre projet. Mais c’était tellement passionnant de parler de son art avec Anne, elle ne m’a jamais mis de pression, c’était jubilatoire, c’était comme un jeu. Elle m’a encouragée. J’ai bossé 4 mois, pas tous les jours, ce qui m’a permis de réussir à appréhender ce violon. […] J’ai également fait un travail sur la surdité, puisque mon personnage est sourd. Puis, sur le tournage, je me suis laissé guider par Yvan. Il y a eu un vrai feeling entre nous.

Yvan Attal : J’ai très vite compris que sur les 15 jours de travail que j’avais en amont en plus des projets sur lesquels j’étais déjà engagé, que je ne pourrais pas travailler autant que je le pourrais. Vous essayez alors d’être le plus efficace possible dans le temps de travail que vous avez. Il est évident que si vous avez 3-4 mois de préparation avec un chef-d’orchestre, vous pouvez vous enfermer avec lui et bosser à fond. Le temps étant compté, je me suis débarrassé de ce problème, que le minimum soit là. Et j’avais heureusement des gens compétents sur place pour me guider lorsque ça n’allait pas.

Sur le tournage, Nicolas Giraud qui était hors-champ, dirigeait l’orchestre. Et, en le regardant, sans que ça ne se voit, je copiais ce qu’il faisait. Parfois, il oubliait ce qu’il faisait et se remontait les cheveux, donc, je l’imitais. C’était hyper ludique. Lui qui est un vrai chef-d’orchestre avait une gestuelle et le bon tempo. C’était important d’être avec la musique. Tout ça pour dire, pour moi, ce n’était pas une idée fixe de ressembler à un chef-d’orchestre. Car, en réalité, on s’en moque.

Maestro(s) le 7 décembre au cinéma.

Synopsis :
Chez les Dumar, on est chef d’orchestre de père en fils : François, le patriarche, achève une longue et brillante carrière internationale, tandis que Denis, le fils, vient de remporter une énième Victoire de la Musique Classique. Quand François apprend qu’il a été choisi pour diriger la Scala, son rêve ultime, son Graal, il est fou de joie. Heureux pour son père, et en même temps envieux, Denis déchante vite lorsqu’il découvre qu’il y a méprise et que c’est en réalité lui qui est attendu à Milan…

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