À l’occasion de la diffusion prochaine de la seconde saison de 3615 Monique sur OCS, plongez dans les coulisses de la série avec le réalisateur Guillaume Renusson et le co-créateur/scénariste Emmanuel Poulain-Arnaud. Scénario, développement des personnages, tournage, mise en scène, ambitions artistiques et saison 3, ils évoquent tout !
« Au-delà des dates comme repères et vecteurs d’exagération pour davantage de comédie, ce qui est vraiment chouette et principalement sur la saison 2, c’est le côté jouissif de pouvoir jouer avec la grande Histoire » – Emmanuel Poulain-Arnaud
Dans quelle mesure et de quelle manière se sert-on de l’Histoire, de ce qui est vrai, pour composer la narration d’une fiction comme 3615 Monique?
Emmanuel Poulain-Arnaud, scénariste : On commence par se documenter sur l’Histoire, sur les dates balises de la création du Minitel, du Minitel Rose et des télécommunications et on prend les dates qui nous intéressent. Parfois, on essaie de s’en démarquer pour mieux y revenir. On s’amuse avec l’Histoire. On essaie d’être assez souple via la documentation qu’on découvre tout en essayant de garder des repères pour le spectateur et une certaine véracité.
Guillaume Renusson, réalisateur : Au-delà des dates comme repères et vecteurs d’exagération pour davantage de comédie, ce qui est vraiment chouette et principalement sur la saison 2, c’est le côté jouissif de pouvoir jouer avec la grande Histoire. Via la fiction, l’époque et les personnages fictifs qui s’insèrent dans une réalité passée, il y a toujours un côté jouissif. Dans la saison 2, il y avait la volonté de jouer encore plus avec l’époque pour raconter la décennie et s’amuser.
Les pannes du réseau Transpac ou le désir de certains politiciens d’abolir le Minitel Rose, ce sont de vrais faits historiques ?
Emmanuel Poulain-Arnaud : La grande panne du réseau Transpac a réellement eu lieu. Nous l’avons un peu exagérée pour créer une dramaturgie plus forte mais, effectivement, elle a eu lieu. Cette panne a duré quelques jours et elle a créé un véritable cataclysme au sein du Minitel. Ce qui a permis de créer un buzz et au réseau d’exploser dans les foyers. Ensuite, oui, Charles Pasqua, ex-Ministre de l’Intérieur, avait réagi sur l’existence du Minitel Rose et cette plateforme qui était un vecteur de liberté mais aussi de beaucoup de dérives. Un procès a eu lieu. Il y avait eu l’envie d’interdire le Minitel Rose.
Nous avons aussi questionné des personnes ayant vécu dans ces années-là, à commencer par les générations de nos parents. Il y a eu aussi des spécialistes.
Image : Vous avez demandé un petit contrôle fiscal ? Le ministère vous envoie un contrôleur (Nicolas Lumbreras).
Pour la saison 1, nous avions fait appel à une association, qui nous avait d’ailleurs prêté beaucoup de matériel pour la décoration. Pour la seconde saison, nous avons parlé avec une personne qui a vraiment travaillé sur des services très réputés. Ils nous ont raconté plein d’anecdotes. Nous avons essayé, au lieu de copier-coller ce qu’on nous raconté, de fantasmer cet univers en allant chercher nos propres anecdotes liées à nos personnages.
« Notre idée était de jouer avec le fantasme que l’on a et ce qu’on projette sur Marc Dorcel, ce côté porno chic à la française que nous avons entendu plein de fois et que l’on connaît » – Guillaume Renusson.
Il y a un protagoniste assez étonnant qui apparaît dans cette nouvelle saison, c’est Marc Dorcel…
Emmanuel Poulain-Arnaud : C’était un beau challenge parce que nous avions envie que ce soit marrant mais pas gratuitement. Nous voulions qu’il ait une vraie raison d’être là, pour raconter les passerelles et les partenariats possibles à l’époque, et que ça permette aussi à nos personnages de grandir. Car leur quête est constante. Pour eux, Marc Dorcel est un moyen de passer à l’étape suivante. C’était donc intéressant pour nous de se servir de cette figure historique dans le sexe français afin d’en faire un véritable personnage de cet épisode 3. Guillaume, dans sa mise en scène, lui a apporté des couches en plus pour qu’il ait un réel intérêt, du relief et de la comédie.
Guillaume Renusson : Dans la préparation du tournage et pour avoir l’autorisation d’utiliser le nom de Marc Dorcel, nous l’avons rencontré. J’ai passé deux heures dans ses bureaux pour lui raconter la série. C’était marrant de discuter avec lui, de lui raconter ce qu’on souhaitait faire, la manière d’intégrer son personnage et les libertés que nous voulions et besoin de prendre. J’ai échangé avec lui un jeudi soir, au sein de ses bureaux dans le 16ème arrondissement de Paris. C’est ça qui est absurde, c’est que c’est une vraie boîte, avec un vrai open-space ! Loin de ce que j’imaginais. Je ne me suis pas retrouvé entouré de sex-toys (rire). Dans son bureau, il y a bien entendu des trophées de formes phalliques, en or, qui viennent récompenser toute une carrière dans le porno. Il était avec son attaché de presse et la responsable comm’ de son groupe. Elle m’a raconté ce qu’on décrit aussi dans la série, à savoir que Marc Dorcel a été le premier à avoir vendu ses films à Canal, le premier homme à s’être dit que le porno pouvait sortir des salles de cinéma.
Notre idée était de jouer avec le fantasme que l’on a et ce qu’on projette sur Marc Dorcel, ce côté porno chic à la française que nous avons entendu plein de fois et que l’on connaît. Je trouvais ça marrant d’aller chercher Loïc Corbery de la Comédie Française pour lui donner quelque chose d’un peu bourgeois, d’élégant, de précieux. C’était drôle de creuser ça avec Loïc, qui s’est emparé du rôle avec la liberté que j’évoquais et dont nous avions envie. Nous ne souhaitions pas le représenter tel que Marc Dorcel était.
Dans l’écriture de l’épisode, ça raconte également quelque chose du parcours de Tony. J’aimais beaucoup l’idée que Tony, dans cette saison, ait la volonté de se démarquer, de se faire remarquer, que lui aussi peut être force de proposition. Ça passe ici par le porno. Et puis, ça faisait sens avec la décennie dans laquelle il s’inscrit.
Dans cette seconde saison, la série évoque la pornographie, les dérives du Minitel Rose et la concurrence rude pour nos héros qui voient l’arrivée de nouveaux services. Comment ces thèmes se sont-ils imposés à l’écriture ?
Notre souhait était d’emmener nos héros dans la cours des grands, à Paris, les faire se confronter à une concurrence très riche et très dure, et surtout les confronter à la morale de leur création. Vers quelles dérives un service comme celui-ci peut-il aller et comment nos personnages vont les envisager et les surmonter? La personnalité de nos trois personnages les conduit vers des aventures plus exacerbées. Toni, par exemple, nous savions qu’il allait rechercher le sexe à tout prix, jusqu’à franchir une certaine ligne. Tout ça est venu assez tôt.
Image : Sur le tournage du premier film porno de Toni.
Est-ce difficile de jongler entre comédie et drame, sans que l’un ne prenne le pas sur l’autre ?
Emmanuel Poulain-Arnaud : Dès la saison 1, nous avions des personnages chargés en caractère, en contradiction, en complexité et, cela nous permettait d’aller trouver leur drame interne, leur conflit interne, plus facilement. Nous les avons créés pour ça. Le drame, finalement, était déjà présent, lié aux parents, à la quête d’identité de cette époque et ce besoin de liberté. Le drame, même si la comédie transparaît de prime abord, est déjà en profondeur. Ensuite, ce sont des couches qu’on intègre dans les scènes, les situations, pour que puisse ressurgir la comédie avant tout et que le drame soit creusé au fur et à mesure de la saison afin d’exploser lors des grandes séquences tragiques.
Guillaume Renusson : J’avais envie de continuer aussi à le creuser en réalisant la saison 2, d’avoir des épisodes vraiment drôles mais aussi des chutes émotionnelles fortes. J’aime la liberté de ton des épisodes de la saison. Avoir des ruptures de ton et approfondir les relations de chacun.
« En saison 2, avec les années, les enjeux et les dérives que comportent le monde du Minitel Rose, le trio va peu à peu se fissurer parce que chacun aura une quête différente » – Emmanuel Poulain-Arnaud
Comment aviez-vous pensé le trio composé de Simon (Arthur Mazet), Stéphanie (Noémie Schmidt) et Paul Scarfoglio (Toni Da Silva) et de quelle manière vont-ils évoluer en saison 2 ?
Emmanuel Poulain-Arnaud : C’est un monstre à 3 têtes. Ce sont des personnages qui se complètent pour parvenir à créer une entreprise. Il y a Simon, le génie technologique, qui lui n’a en tête que la vision d’un certain futur. D’abord emporté par l’idée de l’espace, la stratège, la fille aux dents longues qui veut absolument réussir dans un monde capitaliste où l’argent va régner de plus en plus dans les années 80, elle, Stéphanie, va l’emmener, l’entraîner dans cette nouvelle technologie, celle des télécommunications. Mais pour parvenir à créer une boîte qui a des chances d’exploser via le sexe, il leur fallait cette petite étincelle, cette petite folie et c’est là que Toni entre en scène. Il est l’inventif du groupe. C’est aussi lui qui peut pousser les barrières des thèmes du sujet, celui du sexe, de manière à ce qu’il ait toujours un coup d’avance. Car dans les années 80, il fallait toujours en avoir pour rebondir.
En saison 2, avec les années, les enjeux et les dérives que comportent le monde du Minitel Rose, le trio va peu à peu se fissurer parce que chacun aura une quête différente. Chacun d’entre eux va grandir, va devenir adulte et vouloir s’émanciper. La saison 2 raconte ça.
[…] Toni a toujours des idées extrêmes dans un monde où le sexe, peu importe la morale, n’a pas de limites. Il est dans un monde où ses envies à lui peuvent totalement s’exprimer. De la même manière, Stéphanie va davantage exprimer ses envies d’émancipation dans un monde où l’argent et l’entreprenariat sont rois. Quant à Simon, sa quête du futur va l’emporter et le faire voler de ses propres ailes.
« Lorsqu’on a 80 figurants habillés en costumes d’époque, et qu’on arrive sur le plateau, c’est saisissant. Et c’est un peu un rêve de gosse quand on veut faire du cinéma et de la fiction » – Guillaume Renusson
Guillaume, vous prenez la suite de Simon Bouisson à la réalisation. Qu’est-ce qui vous a convaincu d’accepter le défi ?
Guillaume Renusson : Je pense que c’est d’avoir vu la saison une en tant que spectateur. Je sortais du tournage de mon premier long-métrage quand j’ai reçu un coup de fil des producteurs, que je connaissais, qui m’ont dit que Simon ne pourrait pas revenir sur la saison 2. J’ai donc regardé la première saison et j’ai rappelé les producteurs en leur disant que j’étais très intéressé. J’ai souhaité parler à Emmanuel avant, afin de parler des personnages, de la direction qu’il souhaitait prendre. […] J’étais hyper excité d’aller explorer la comédie et, de deviner le challenge que ce serait de réaliser une série comme celle-ci, d’époque, avec beaucoup de décors différents, beaucoup de personnages secondaires qui passent par épisode.
La petite impression que j’ai eue, c’est comme si je tournais à l’étranger dans une culture que je ne connaissais pas. J’entends par là, qu’il y a quelque chose d’exotique, nous voyons des choses différentes de ce que nous pouvons voir tous les jours autour de nous. C’était intéressant de se projeter là-dedans, en recherche, revoir des films… et avoir à cœur que ça plaise. Lorsqu’on a 80 figurants habillés en costumes d’époque, et qu’on arrive sur le plateau, c’est saisissant. Et c’est un peu un rêve de gosse quand on veut faire du cinéma et de la fiction.
« Nous avons tout fait pour que, dès que nous arrivions le matin, chacun sache très précisément ce qu’il doit faire, pour laisser plus de place au jeu, aux comédiens, à de la liberté sur le plateau » – Guillaume Renusson
Quelles ont été vos ambitions artistiques pour cette seconde saison, en termes de mise en scène ?
Guillaume Renusson : La première, qui n’était pas évidente d’autant que Simon a fait un super boulot, c’était d’être dans une forme de continuité. Je devais respecter le format, le ton, le montage avec son dynamisme à l’image. Ensuite, à plein d’endroits différents, d’aller explorer autre chose. Nous avions une organisation précise mais je souhaitais parfois sortir du banal champ/contre-champ. En l’occurrence, nous avons tout fait pour que, dès que nous arrivions le matin, chacun sache très précisément ce qu’il doit faire, pour laisser plus de place au jeu, aux comédiens, à de la liberté sur le plateau. Il y a un nombre incalculable de vannes qui sont trouvées sur le plateau par nos fabuleux comédiens, Arthur, Noémie, Paul, qui sont souvent dans l’improvisation, dans la proposition. Ils amènent beaucoup de choses. C’était un moyen de leur laisser le luxe d’avoir du temps pour proposer.
Après, essayer de donner ce souffle que méritait la saison 2, romanesque sur plusieurs événements majeurs, avec des changements de décors, d’aller sur une décennie qui nous permettait d’aller dans des teintes un peu différentes puisque nous sommes ici dans les années 80. Nous sommes sur quelque chose d’un peu plus pop, plus coloré. À la déco, aux costumes, l’image, nous avions en tête du David Bowie, du Thierry Mugler, plein de films en références. Pour la direction artistique, nous avons réfléchi personne par personnage. S’inspirer pour donner ce ton eigthies à la série.
« Le but était de faire de 3615 Monique un petit objet sexy » – Emmanuel Poulain-Arnaud
Dans 3615 Monique, il y a toujours ce côté sexy que ce soit dans la musique, les couleurs, les costumes, la façon de filmer les personnages. C’était important d’avoir cet aspect sexy dans chacun de ces éléments ?
Guillaume Renusson : La série a quelque chose d’assez musicale. Il y a des épisodes où la musique prend de la place. Il y un côté un peu clipé qui fonctionne parfaitement et continue de donner toute la vivacité qu’entraîne les 3 personnages. Puis, il y a cette exigence d’avoir des décors, des accessoires, des costumes qui soient cohérents avec le propos et l’atmosphère de 3615 Monique. On utilise aussi souvent le gros plan. […] Ce trio de comédiens, cette décennie, le sujet ça donne envie d’y aller à fond. Nous avons réfléchi pour conserver cette ambiance sexy à la saison.
[…] Plus généralement, avec Julien Ramirez, le chef op’, nous avons parlé de teinte, d’étalonnage, des couleurs, des filtres… Ce sont des discussions sur les références et la direction artistique. Nous avons même pré-étalonné en amont du tournage pour faire des essais et être le plus proche de l’image que nous voulions. Nous avons aussi ajouté une sorte de grain numérique. C’est comme ça que nous avons réussi à recréer une image que je voulais fidèle aux années 80. […] Chaque personnage est également défini par des codes. Pour Toni, nous pensions à Scarface, à Nicky Brown, pour Stéphanie ou encore Kevin Bacon dans Diner pour Simon.
Emmanuel-Poulain Arnaud : À l’écriture, dès le départ, le but était de faire de 3615 Monique un petit objet sexy, qui permettaient aux spectateurs qui connaissaient les années 80 d’y replonger comme une belle Madeleine de Proust et, pour ceux qui ne la connaissent pas, de la découvrir dans tout ce qu’elle a de fantasmant. Cette nouvelle jeunesse qui découvre un sexe et son vocabulaire plus libérés mais qui ne l’est pas vraiment, l’objectif étant d’avoir un fantasme du sexe qui va évoluer au fur et à mesure de ces années 80.
Dans la réalisation, nous retrouvons des éléments rétro. Notamment des plans de zoom sur le visage des personnages, à l’ancienne. De quelle façon les réalise-t-on ?
Guillaume Renusson : Simon avait mis en place pas mal de zooms mais qui était un peu différents avec des bruitages pour mettre en lumière un dialogue, un regard ou une action. J’ai conservé la logique de zoom mais retiré les bruitages. Ils donnent beaucoup d’énergie au plan. On donne aussi de la souplesse au chef opérateur. Nous tournons en deux caméras et les deux cadreurs ont toujours une manette pour pouvoir zoomer quand ils le veulent. Nous les définissons avant. Je laissais de la liberté. Parfois, j’étais simplement au casque avec les cadreurs et je leur disais de zoomer ou de dézoomer. C’était pour avoir une énergie. Ce qui est marrant, au bout d’une semaine, ils sentaient lorsqu’ils pouvaient le faire. C’était assez naturel. C’est un travail de confiance.
« C’était un des enjeux à l’image, comment nous allions faire sentir que leur business marche et que les locaux évoluent en ce sens ? » – Guillaume Renusson
Nos héros ont un nouveau local pour cette saison 2. Comment vous êtes-vous approprié cet environnement, cet espace pour lui donner vie et faire se déplacer les comédiens ?
Guillaume Renusson : Nous savions que 3615 Monique aurait de nouveaux locaux. Nous nous sommes demandés plusieurs fois quel serait le bon format : appartement, hangar… Nous aimions l’idée de rester dans la logique de start-up des années 80 et ce côté loft. Le loft nous permettait une meilleure liberté, d’avoir un espace pour faire sentir l’évolution de la boîte. Il nous fallait un loft assez grand, un peu abîmé, en tous cas qu’on allait pouvoir défraîchir nous-mêmes, pour le faire évoluer lorsqu’ils deviennent propriétaires et, ainsi, tout refaire à l’intérieur. Nous avons travaillé trois semaines dans un loft que nous avons trouvé vers Saint-Denis. C’était un des enjeux à l’image, comment nous allions faire sentir que leur business marche et que les locaux évoluent en ce sens ?
Image : Dans les nouveaux locaux de 3615 Monique.
En termes de réalisation, j’ai l’impression que je ne me suis jamais répété. J’ai pu positionner les personnages à des endroits tout le temps différents, réussi à avoir des idées plans très variées. Je pense à Toni, par exemple, et ses rollers. Pour découvrir les locaux dans l’épisode 5, je trouvais ça intéressant qu’on le suive en roller.
Est-ce qu’il y aura une saison 3 ?
Nous y pensons. Nous discutons avec les chaînes et les producteurs. Je ne m’avance pas. […] Concernant nos idées, nous avançons notre récit en fonction de l’avancée technologique de l’époque. Nous allons rentrer dans les années 90 avec les prémices d’internet qui feront du mal au Minitel français. J’imagine que nous explorerons ces aspects-là en saison 3.
3615 Monique – saison 2, dès le 15 décembre sur OCS.