LYCÉE TOULOUSE LAUTREC : ENTRETIEN AVEC LA CRÉATRICE DE LA SÉRIE, FANNY RIEDBERGER

Ce lundi 9 janvier, TF1 diffusera les premiers épisodes de sa nouvelle production originale : Lycée Toulouse Lautrec. Une série drôle, émouvante et pleine d’espoir qui se déroule au Lycée Toulouse Lautrec, un établissement qui accueille des jeunes en situation de handicap et des élèves valides.

Synopsis :
Toulouse Lautrec raconte la vie d’un lycée pas comme les autres. Un lycée qui accueille des élèves en situation de handicap, comme Marie-Antoinette, une pétillante tétraplégique, ou Charlie, atteinte d’une tumeur au cerveau.

Mais aussi des élèves valides, comme Victoire, une jeune adolescente contrainte d’intégrer cet endroit hors-norme pour suivre son frère et qui va, bien que réfractaire au départ, dépasser peu à peu ses préjugés. Elle va y découvrir l’amitié, l’amour, la solidarité. Le courage et la force de tous ses camarades, mais aussi la dévotion et l’altruisme des parents et du corps enseignant. Tous ces héros du quotidien vont la bouleverser et changer sa vie à jamais.

La créatrice, réalisatrice (2 épisodes) et productrice de Lycée Toulouse Lautrec, Fanny Riedberger, revient sur l’origine du projet, sa conception et se confie sur l’écriture, la réalisation et le casting de la série.

Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet ambitieux et de son histoire, inspirée de faits réels ?
L’histoire de Victoire est inspirée de ma propre histoire. Cette jeune fille totalement réfractaire à étudier là-bas et dépasser ses propres a priori, c’est moi. J’ai étudié trois ans au Lycée Toulouse Lautrec.
Ensuite, je suis scénariste depuis très longtemps et je travaillais sur les séries des autres. Jusqu’au jour où j’ai voulu créer ma propre série. L’élément déclencheur, c’est mon fils de 11 ans qui, un jour, a croisé une personne en situation de handicap dans la rue, et qui fut très étonné. Je me suis demandée pourquoi, à son âge, il semblait si troublé. C’était mon devoir de raconter, de mettre en lumière cette histoire. […] Nous l’avons proposée à TF1. C’était un projet audacieux car nous voulions que les acteurs soient de vrais jeunes handicapés.

Le tournage de la série a eu lieu au Lycée Toulouse Lautrec, avec de vrais élèves en situation de handicap et personnels soignants. C’était important de tourner dans le véritable Lycée Toulouse Lautrec et d’avoir un casting composé de personnes handicapées pour la série ?

C’était inimaginable pour nous de faire cette série sans avoir de vraies jeunes en situation de handicap. C’était la condition sine qua non à la faisabilité de ce projet. J’ai eu la chance que le lycée me rouvre ses portes et ce n’était pas gagné. Ça nous a beaucoup aidé. Ce fut une chance exceptionnelle de pouvoir tourner là-bas et de pouvoir faire le casting sur place. […] Il y avait beaucoup d’inconnus pour le lycée car ils ne savaient pas du tout ce qu’était un tournage. C’était davantage une source de perturbation pour eux, au départ, qu’autre chose, d’autant que nous avons tourné en plein bac de français. Je leur ai fait lire ma note d’intention, ce que je souhaitais insuffler à travers ce projet, et le proviseur a été convaincu. Il a donné son feu vert.

Image : Chine Thybaud incarne Victoire, une jeune femme contrainte d’intégrer le Lycée Toulouse Lautrec.

Le casting, lui, a duré un an, avec beaucoup de call-back. C’était délicat car nous donnions de l’espoir à certains de ces jeunes, et nous avions peur de la déception derrière. Raison pour laquelle, nous avons permis à tous les élèves de participer à la série comme il le souhaitait dans le cadre de la figuration. Ensuite, tout le monde s’est mis au pas, a appris à se connaître, les comédiens, les jeunes, l’équipe technique… Nous avons vécu ensemble et c’était magique.

[…] Les comédiens sont très reconnaissants pour cette expérience. Je reçois encore des messages, comme Valérie Karsenti, qui me disent qu’il y un avant et un après. Tout le monde a été bousculé sur le tournage. C’était un tournage un peu exceptionnel, particulier. Les gens peuvent arriver avec des a priori, des craintes ou une empathie pas forcément bien placée et, très rapidement, comme c’est le cas de Victoire, le handicap ne se voit plus. Ils ont tous beaucoup appris. Ce fut une leçon pour beaucoup d’entre eux.

Le fait d’avoir des jeunes qui n’ont jamais fait de comédie et, de surcroît, en situation de handicap, est-ce que cela a donné lieu à des réécritures de scénario ou de dialogues ?
Pas du tout, aucune réécriture. Néanmoins, ils avaient un coach pour les aider. Autant les jeunes handicapés que les comédiens valides d’ailleurs. Puis, j’avais déjà passé du temps avec des enfants en situation de handicap, je connais ce monde. Donc, la crédibilité des choses et des actions, je la connaissait en amont.

La série a néanmoins suscité des vocations. Si on écoute Ness, elle ne savait pas qu’elle était comédienne et, elle a trouvé sa voie.

La première chose qui frappe, dès les premières minutes de la série, c’est l’auto-dérision des jeunes handicapés. Cela offre aussi des séquences très drôles. Ce côté lumineux dans l’écriture, il était essentiel de le conserver ?

La dramédie est une tonalité que j’affectionne particulièrement. Dans cet établissement, l’humour et l’auto-dérision sont une philosophie. Ils sont tous comme ça. Ils sont tous en train de se charrier. Et c’est révélateur de l’ambiance générale de l’établissement. D’ailleurs, lorsqu’on demande à Ness Merad, qui incarne Marie-Antoinette, si cela a été difficile pour elle d’interpréter ce personnage, elle répond que Marie-Antoinette, c’est elle. Elle ne se sent pas éloignée du personnage. […] C’était une vraie volonté de ne pas tomber dans le pathos. Ça aurait été injustifié parce que l’établissement Toulouse Lautrec n’est pas comme ça. Il y a zéro apitoiement, ce n’est pas larmoyant…
C’est un lycée où il y a une joie de vivre exceptionnelle et unique. L’idée c’était de rester fidèle à cela.

Image : De gauche à droite, Adil Dehbi (Reda) un des éléments comiques de la série, Chine Thubaud (Victoire) et Margaux Lenot (Maëlle).
Crédit photo : Le Figaro

À l’écriture, je ne me suis mis aucune barrière. J’ai écrit instinctivement. Jamais je ne me suis posée la question de savoir si je dépassais les bornes ou si l’humour était limite à cet endroit là, notamment parce qu’avais déjà fréquenté l’établissement. Ça a été mon grand confort, ne jamais me poser ce genre de questions.

Vous abordez des thèmes forts comme le harcèlement scolaire, les préjugés, mais également des choses que l’on voit et entend peu à la télévision, l’orgasme chez les personnes paraplégiques. Comment ces sujets se sont imposés à vous, à l’écriture ?
Je dis souvent que je n’ai pas fait une série sur le handicap, j’ai fait une série de lycéens. Et il se trouve que dans ce lycée, la majorité des élèves sont en situation de handicap. Donc, on traite de toutes les problématiques d’adolescents : les peines de cœur, les conflits avec les parents, les conflits amicaux, etc. Il se trouve aussi que certains sujets sont inhérents à ces enfants en situation de handicap et, l’orgasme en fait partie. Il y a aussi des enjeux de vie ou de mort avec les opérations. Je me suis simplement contentée de traiter des sujets auxquels ces adolescents sont confrontés et, il fallait rentrer dans le vif du sujet. Je ne pouvais pas juste effleurer de loin la vie d’adolescent sans rentrer dans les problématiques.

Il y a une séquence qui m’a beaucoup fait rire et ému en même temps, celle où l’un des personnages fait son coming-out et tout le monde « s’en fiche ». J’ai trouvé ça beau que ce ne soit pas un sujet car au final, la seule chose qui doit compter c’est l’amour, qu’importe le sexe…
Lui porte ce complexe depuis un moment. Il va être poussé à l’avouer. Et finalement, tout le monde s’en moque complètement. Ce n’est pas un sujet. Le terme de coming-out ne devrait même pas exister. On devrait simplement pouvoir dire « papa, maman, je suis amoureux ».

De quelle façon filme-t-on le handicap, sans tomber là aussi dans le pathos mais avec justesse et émotion ?

Ça a été une réflexion en amont. La question s’est posée de savoir de quelle manière nous allions filmer le handicap. La série est fidèle au regard des protagonistes. Nous rentrons avec les yeux de Victoire et nous voyons alors de loin un monde oppressant, un peu étrange comme elle le ressent. Au fur et à mesure, nous nous rapprochons de ces adolescents, et nous avons là, essayé de rester à leur hauteur. On filme à hauteur de fauteuil, au même titre qu’on filme les ados valides en contre-plongée, on est toujours avec eux, jamais sur eux, on ne les filme pas de haut, on est avec eux.
La grammaire de la série c’est définie ainsi, être au plus proche des protagonistes de la série. On découvre ce monde du handicap, cet établissement avec les yeux de Victoire, on fait le parcours avec elle. On peut être bousculé au début, comme elle l’est.

Puis, la caméra se rapproche de plus en plus des adolescents handicapés, sans même qu’on s’en aperçoive. On ne voit plus le handicap. Au même titre que Victoire ne voit plus le handicap. La série s’ouvre. Une fois que Victoire nous a emmenés du point A au point B, rapidement, on la « quitte » pour se glisser ensuite dans les intrigues de tous les autres héros de la série. C’est une série chorale.

Vous avez remporté le Prix de la Meilleure Série au Festival de la Fiction de La Rochelle. Qu’est-ce que vous avez ressenti à ce moment-là ?

C’était assez incroyable. Quand nous avons été sélectionnés….
C’était important pour moi d’y aller avec tout le monde. Et c’est déjà une immense victoire et fierté d’avoir pu assister au Festival de la Fiction avec les jeunes. J’avais déjà tout gagné. De les voir en photocall, c’était émouvant, c’était eux les stars. En projection, je ne m’attendais pas à un tel retour. Un moment bouleversant. Les gens étaient en larmes. J’étais stressée lors de la remise des prix parce que je n’avais pas envie que mon casting soit déçu. J’avais une énorme charge mentale et la sensation d’avoir sur les épaules tous les espoirs de ces gamins. Je me demandais, s’ils n’ont rien, vont-ils penser qu’ils ne méritent rien ? C’était assez dur. Lorsqu’on a gagné, c’était fou. De monter sur scène au côté de Ness, sur son fauteuil, c’était extrêmement émouvant.

Image : L’équipe de la série Lycée Toulouse-Lautrec sur scène, lors de la cérémonie de remise des prix
Crédit photo : Coralie Boom Coeur

Vous pensez que le public de TF1 vous suivra ?
Je ne sais pas si le public de TF1 suivra, honnêtement. J’appréhende car c’est un pari que nous avons fait tous ensemble et, j’ai une chaîne qui m’a fait confiance. J’ai envie qu’elle soit vue car c’est une série nécessaire et utile.
Et puis, qui sait, si la série fonctionne, peut-être aurons-nous la chance d’avoir une seconde saison. Je suis en train d’y réfléchir et on l’espère tous.

Avez-vous pu montrer la série au monde politique ?
Je l’ai déjà montrée au Ministère de la Santé. Pas encore à celui de l’Éducation. Après, tout ce qu’il y a de politique dans la série n’est pas poussé parce que ce n’était pas mon objectif. Il y a tout le débat sur l’inclusion et, je sais que cet établissement est remis en question… Mais oui, ça serait super que le Ministère de l’Éducation puisse le voir.

La série n’est pas politique mais vous abordez quand même dans une sous-intrigue, la fermeture de l’établissement suite à un contrôle. Vous pensez que les politiciens ne prennent pas suffisamment la mesure des problèmes de ces jeunes, à l’image du personnage du contrôleur ?

Ce que je voulais dire c’est que la série n’est pas politisée. Lorsqu’on me demande quel est le message de la série, je réponds qu’il n’y en a pas. Ce n’est pas une série moralisatrice. C’est une série de lycéens. J’ai une petite fille de 11 ans, après la projection, qui m’a supplié de lui envoyer la suite des épisodes parce qu’elle voulait voir la suite. Elle a simplement vu une bande d’amis comme Friends. C’était la pari de la série, que nos yeux s’adaptent, s’habituent et que le handicap n’existe plus. La série n’est donc pas politisée. En revanche, je traite d’un établissement que je connais, auquel je tiens beaucoup et pour lequel j’ai une grande admiration, notamment pour tout le corps enseignant et médical. Ce sont des héros du quotidiens, qui se battent chaque jour pour que le lycée reste ouvert parce que c’est un lycée public, qui coûte évidemment très cher.

Image : Le proviseur M. Feuillate, interprété par Stéphane de Groot, devra faire face à la fermeture de son lycée.

Il y a eu toute une polémique, suite aux propos d’Eric Zemmour, qui est tombée pile au moment où j’écrivais la série. Mon rôle n’est pas de prendre un parti pris, ni d’apporter une solution, mais c’est une solution. Et ce lycée est un miracle pour les parents. S’il n’y avait pas ce lycée, où ils peuvent rire, aimer, s’engueuler…, certains ados seraient actuellement dans un hôpital, à Garches, cloués sur un lit, à suivre des cours par correspondance. Parce que beaucoup d’entre eux ne pourraient pas être dans un lycée normal, même avec un auxiliaire de vie à leur côté.

Maintenir un tel lycée à flots, ce n’est pas évident et un combat de tous les jours. Je ne suis pas rentrée dans la véracité des faits. Je ne pense pas qu’on ferme un lycée à la première inspection. Mais je souhaitais avoir cette intrigue secondaire car c’est une réalité qui existe. […] Il a été souvent reproché au Lycée Toulouse Lautrec de mettre ces jeunes en vase clos et que ce soit une prison dorée et ça coûte, comme je le disais, de l’argent. Mais il faut bien comprendre que ces jeunes en situation de handicap, demandent une attention particulière et nécessite d’être entourés par de vrais professionnels. Et je ne parle pas que physiquement. C’est utopique de croire que tous ces enfants peuvent être inclus dans des établissements normaux, parce que tous ne sont pas adaptés. Le Lycée Toulouse Lautrec, lui, permet à tous ces jeunes, même avec les handicaps les plus lourds, d’avoir un semblant de vie normale. Cet établissement doit être préservé et même être multiplié comme ça devait être le cas. Nous devions, à la base, en avoir un par région. Toulouse Lautrec est le seul. Je sais que c’est un vrai sujet. Je l’ai abordé au Ministère de la Santé et je vois que c’est un sujet tendu.

C’est un sujet tendu parce qu’ils n’ont pas envie d’investir des moyens financiers dans d’autres établissements pour aider les personnes handicapées…
Bien sûr. Et après, on nous raconte que ce n’est pas le bon modèle. C’est simplement un modèle qui leur coûte trop cher.

Mon interview avec la comédienne Chine Thybaud est à retrouver ici.

Les deux premiers épisodes de Lycée Toulouse Lautrec seront diffusés dès le 9 janvier prochain, sur TF1.

5 commentaires sur “LYCÉE TOULOUSE LAUTREC : ENTRETIEN AVEC LA CRÉATRICE DE LA SÉRIE, FANNY RIEDBERGER

  1. Je suis ravie qu’une réalisatrice s’intéresse a ces enfants et ces jeunes. Mes filles ont fréquenté ce lycée en tant que valide et cela remet les pendules a l’heure. Mais gros problème gouvernement veut fermer l’hôpital Raymond Poincare de Garches qui est la providence pour les soins de ces jeunes. Tout cela pour une opération financière immobilière.
    Nicoll Ploujoux

  2. J ai été infirmière au centre de soins de ce lycée, c étaient les années les plus extraordinaires de ma carrière. A l époque, je n avais pas compris que ce lycée ne serait pas répliqué. Je suis aujourd’hui infirmière à l éducation nationale et l inclusion du handicap me reste en travers de la gorge. Merci pour cette série même si je lui reproche d être très « édulcorée » : le voyage au Maroc n est pas réaliste. Quand nous partons avec les élèves, il y avait presqu un adulte par élève et le voyage ne pouvait avoir lieu s il n y avait pas de soignant. Mais bon la série a le mérite d attirer l attention sur le handicap..

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