DIVERTIMENTO : LA MUSIQUE CLASSIQUE ADOUCIT LES MŒURS (DISCUSSION AVEC LA RÉALISATRICE MARIE-CASTILLE MENTION-SCHAAR)

Premier gros coup de cœur en ce début d’année pour le film Divertimento. La nouvelle réalisation de Marie-Castille Mention-Schaar est une œuvre cinématographique humaniste et émouvante, basée sur l’histoire vraie de Zahia Ziouani (et de sa sœur Fettouma), à l’origine de la création de l’orchestre Divertimento dont l’objectif est de sensibiliser à la musique classique, favoriser la transmission du patrimoine symphonique et encourager les pratiques musicales amateurs.
Divertimento se révèle être un film nécessaire, où les rêves et les ambitions de deux jeunes femmes vont se confronter à la violence d’un monde bourgeois et patriarcal. Mais l’ambition de transmettre la musique classique, la beauté d’un art, et de faire vivre la musique au-delà des frontières réuniront deux visions qui, de prime abord, tout oppose.

Synopsis :
À 17 ans, Zahia Ziouani rêve de devenir cheffe d’orchestre. Sa sœur jumelle, Fettouma, violoncelliste professionnelle. Bercées depuis leur plus tendre enfance par la musique symphonique classique, elles souhaitent à leur tour la rendre accessible à tous et dans tous les territoires. Alors comment peut-on accomplir ces rêves si ambitieux en 1995 quand on est une femme, d’origine algérienne et qu’on vient de Seine-Saint-Denis ? Avec détermination, passion, courage et surtout le projet incroyable de créer leur propre orchestre : Divertimento.

« Leurs origines, d’où elles viennent, ce sont des destins qui me parlent, me touchent »

Une histoire à la portée universelle

Les films mettant en scène une jeunesse isolée, souvent venue des quartiers populaires, confrontée à l’art ou souhaitant exercer un métier artistique, sont de plus en plus fréquents en France. Récemment, La Brigade de Louis-Julien Petit avec Audrey Lamy en cheffe cuisinière, Compagnons de François Favrat avec Pio Marmaï en compagnon vitrailliste, ou encore Tenor avec MB14 en futur chanteur d’opéra, séduisent par la portée universelle de leur message, de leur propos et de l’espoir qu’ils insufflent. Divertimento poursuit dans cette logique d’œuvres sociales, élégantes et optimistes, au sous-texte fort.
La réalisatrice Marie-Castille Mention-Schaar explique pourquoi elle s’est laissée convaincre pour diriger la mise en scène de Divertimento : « Le parcours de Zahia et Fettouma m’a parlé, peut-être par rapport à la personne que je suis, la carrière que j’ai eu, le côté très autodidacte et résilient. Puis, leurs origines, d’où elles viennent, ce sont des destins qui me parlent, me touchent. Et si je suis touchée, je me dit que le public peut l’être aussi. C’est la raison clé pour faire un film ». Toutefois, un scénario existait déjà, que la cinéaste a réécrit. Une condition obligatoire pour accepter de réaliser le film et raconter l’histoire qu’elle souhaitait : « Jai fait mes propres recherches sur cette histoire vraie et, effectivement, leur vie et leur destin m’intéressaient. Cependant, j’avais envie de faire comme je fais habituellement, à savoir rencontrer les personnes concernées, passer du temps avec elles et réécrire sur ce qui me semblait important de raconter. Parler d’elles et pas seulement d’une fille qui veut devenir chef-d’orchestre et de sa sœur qui aimerait devenir violoncelliste professionnelle. Il y avait des choses qui allaient bien au-delà de ça. Je l’ai compris en lisant des choses sur elles, en écoutant des interviews d’elles et des émissions faites avec elles. L’aspect transmission, d’apporter la musique dans territoire où la musique classique n’allait pas, de transmettre tout ce qu’elles ont eu la chance de connaître dès leur plus tendre enfance et l’apporter à des enfants, des gens qui sans elles n’auraient pas eu cette chance aussi de découvrir la musique classique ou la pratique d’un instrument et tout ce que ça peut changer dans votre vie. Pour moi, c’est l’ADN de Zahia, Fettouma et de Divertimento ».

« Il fallait trouver des musiques pour un public qui, peut-être, n’écoute jamais de musique classique et pourra être malgré tout touché »

La musique, les sons et une caméra

Si le film Maestro(s) de Bruno Chiche avait pu laisser certains spectateurs sur le côté en incorporant dans son récit des musiques classiques peu connues, Marie-Castille Mention-Schaar a pris soin de choisir les musiques du film Divertimento pour que le public s’y retrouve, à la fois culturellement et émotionnellement. C’est d’ailleurs une des qualités du film, son ouverture à un large public et sa capacité à nous émouvoir par la force de ses propositions musicales :

« Il y avait des évidences, comme Le Boléro de Ravel. Encore une fois, avec le désir que certains spectateurs ne se sentent pas rejetés par la musique. Il fallait trouver des musiques pour un public qui, peut-être, n’écoute jamais de musique classique et pourra être malgré tout touché. Le Boléro a justement cette magie de pouvoir toucher à peu près n’importe qui par son rythme, sa progression et son ampleur. D’autant qu’il existait des enregistrements de Sergiu Celibidache, interprété dans le film par Niels Arestrup, qui dirigeait le Boléro. Ensuite, il y avait des œuvres symboliques de l’orchestre Divertimento, comme la Bacchanale. […] J’avais aussi une liste d’œuvres que j’écoutais, toujours en me souciant du public. Il y a des œuvres que j’aime mais qui ne plairont peut-être pas à tout le monde. L’idée est que le spectateur soit tout le temps enveloppé et pris par la musique. Donc, j’ai été chercher des œuvres qui parlent aux gens. J’ai beaucoup de jeunes, à la fin du film, qui me disent que ça leur a donné envie d’écouter de la musique classique ».

« Je pense que voir ce film et entendre le son dans une salle de cinéma ne sera pas la même expérience que le voir à la télévision ou sur ordinateur »

La musique classique est un vrai challenge pour le cinéma. À la fois dans la réalisation et dans la transmission émotionnelle de la musique via un écran. Dans le film, Niels Arestrup prononce une phrase criante de vérité : « Je n’enregistre jamais mes musiques parce que ça ne conserve pas les mêmes émotions ». Marie-Castille Mention-Schaar a donc tenu à ce que toutes les musiques soient captées en live :

« Toutes les musiques sont en direct. Je voulais qu’on conserve l’énergie du direct. Il n’y a que la séquence du boléro qui a été ré-enregistrée car nous tournions en plein air ».
Concernant la réalisation, la cinéaste confie : « Cétait aux caméras de s’adapter et d’aller chercher les notes, les passages. Souvent, je guidais le chef machino ou ma cheffe op’ par rapport au rythme, des moments de la musique, pour savoir si nous allions faire un travelling, etc. Il fallait une fusion entre la caméra, l’œil du spectateur et son oreille » et conclut sur l’importance de voir le film dans les salles obscures : « Cest là que vous voyez l’impact d’une salle de cinéma. Je pense que voir ce film et entendre le son dans une salle de cinéma ne sera pas la même expérience que le voir à la télévision ou sur ordinateur. Divertimento prend toute son ampleur et sa dimension au cinéma ».

Chose étonnante et que nous voyons assez peu dans le cinéma d’aujourd’hui, c’est la place donnée aux bruits, notamment ceux du vent ou des feuilles. Un aspect capital que la réalisatrice voulait immersif pour le spectateur : « Lorsque nous sommes dans la tête et les oreilles de Zahia, nous entendons que les bruits, les sons, ne sont alors pas les mêmes pour elle que pour nous. Le bruit d’un avion, d’un métro, d’une valise ou des talons, chez les musiciens, se transforme autrement. Je désirais que le public soit projeté dans cet aspect, que pour les musiciens, la vie soit peut-être aussi la musique. La musique c’est la vie, la vie c’est la musique. Donc, tous les sons, le vent, les feuilles, le battement d’une fourchette qui bat les œufs, elle l’entend différemment de nous ».

« Depuis que j’ai vu Oulaya dans Divines, elle était dans ma liste des actrices avec qui je souhaitais travailler »

Des acteurs et des musiciens engagés

Une des autres conditions de Marie-Castille Mention-Schaar pour s’engager dans ce projet, était que tous les musiciens du film soient de véritables musiciens dans la vie : « J’ai fait un très long casting, instrument par instrument. En fonction du niveau de musique mais aussi de leur personnalité. Je leur ai fait passer des essais où je les interrogeais beaucoup afin de savoir s’ils collaient aux personnages que j’avais en tête ». Si aucun d’entre eux n’était pas comédiens/comédiennes avant de tourner dans Divertimento, il n’y avait aucun stress de leur part. D’autant qu’ils ont été parfaitement préparés en amont : « Il y avait déjà une partie d’eux qui étaient rassurés puisqu’ils sont tous musiciens. Ils n’avaient donc pas besoin de le jouer. Ensuite, je leur ai fait faire en amont un gros travail par rapport à la temporalité du film, les années 90, afin qu’ils puissent répondre spontanément et avoir les bases. Quels films auraient-ils aimé regarder en 1995 ? Qui était président ? Etc… Ils ont réalisé une liste pour savoir qui ils étaient dans le film. Une fiche personnage, en somme ».

L’héroïne du film, Zahia Ziouani, est interprétée par Oulaya Amamra. Révélation du cinéma français de ces dernières années, Oulaya livre une nouvelle performance bluffante dans ce rôle qui lui a demandé un travail assidu pendant plusieurs mois. La réalisatrice explique : « Depuis que j’ai vu Oulaya dans Divines, elle était dans ma liste des actrices avec qui je souhaitais travailler. Quand Divertimento est arrivé, je ne voulais qu’Oulaya. De plus, ce qui était intéressant, c’est qu’elle avait fait de la danse classique. Elle avait alors un rapport au rythme qui était important. Oulaya n’avait jamais fait de musique. Je lui ai conseillé d’écouter beaucoup de musiques classiques et, à Zahia, de coacher Oulaya. Durant deux mois, elles ont travaillé sans relâche. Ce n’est pas que de la gestuelle, mais c’était aussi de transférer à Oulaya tout ce qu’un chef-d’orchestre représente en termes d’énergie, sur la manière dont on dirige une œuvre. Qu’elle puisse le ressentir et que ça devienne naturel ».

Image – De gauche à droite : Oulaya Amamra, Zahia Ziouani, Lina El Arbi et Fettouma Ziouani.

De son côté, Lina El Arabi incarne la sœur de Zahia, Fettouma, qui n’a qu’un seul rêve : devenir violoncelliste. Et un élément a été déterminant dans le choix de Marie-Castille Mention-Schaar : « Pour Lina, il y avait quelques comédiennes que j’avais identifiées. J’ai appris que Lina jouait du violon et ça, c’était important pour la crédibilité dont je parlais plus tôt. Même si le violon et le violoncelle sont très différents, Lina avait une base en solfège. J’ai demandé à la vraie Fettouma d’apprendre le violoncelle à Lina ».

Divertimento sortira le 25 janvier prochain.

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