AMORE MIO : INTERVIEW AVEC LE RÉALISATEUR GUILLAUME GOUIX : « Je me disais qu’il serait intéressant de créer une histoire dans laquelle une jeune femme veut vivre son deuil différemment ».

Le 1er février, l’acteur Guillaume Gouix dévoilera son premier long-métrage : Amore Mio. À cette occasion, le jeune réalisateur a accepté de répondre à quelques-unes de mes questions, sur le besoin de réaliser des films, sur l’histoire d’Amore Mio, entre deuil et road-trip réconciliateur.

Synopsis :
Lola refuse d’assister à l’enterrement de l’homme qu’elle aime. Elle convainc Margaux, sa sœur, de les emmener, elle et son fils, loin de la cérémonie. Sur la route qui les mènera vers l’Italie, elles découvrent les adultes qu’elles sont devenues et tentent de retrouver la complicité des enfants qu’elles étaient.

« Je souhaitais faire un film de sentiments comme j’en voyais gamin »

Faire un premier film, ce n’est jamais facile. D’où viennent la volonté et la nécessité de vouloir réaliser et de raconter cette histoire ?
L’idée de fabriquer du cinéma remonte à l’âge de 14-15 ans. Je tourne dans des films depuis tout jeune et c’est un média dans lequel je me sens à l’aise parce que c’est un art qui regroupe à la fois plein d’arts différents mais aussi plein de talents différents que ce soit la photographie, la musique… Que je sois acteur ou réalisateur, il y a un côté artisanal que j’aime profondément dans ce métier. Ça avait alors un sens pour moi. J’ai fait des courts-métrages puis ce premier film, mais je n’ai pas dissocié ça de mon travail d’acteur. Ensuite, de ce film, plusieurs idées sont nées. J’ai toujours aimé, en tant que spectateur, les personnages de cinéma qui disent « merde », qui ne respectent pas ce qu’on attend d’eux, qui ont de la flamboyance, de la liberté, qui se permettent des choses qu’on ne se permettrait pas dans la vie par convention, par protocole. Je trouvais que le deuil, pour en avoir vécu, était très fort à cet endroit là. Nous attendons toujours quelque chose des gens endeuillés comme s’il y avait une bonne manière d’être triste. Je me disais qu’il serait intéressant de créer une histoire dans laquelle une jeune femme veut vivre son deuil différemment, qui veut être dans la vie, vibrer, et ne pas donner ce qu’on attend d’elle mais qu’elle le fasse à sa manière. Puis, je voulais parler également des fratries, des rapports frères/sœurs. Je voulais faire un film de personnages. J’ai grandi avec ce type de films : Claire Doyon, Cassavetes, Sautet, Lumet… Je trouve qu’aujourd’hui, nous sommes davantage dans des films de société, qui ne passent que par l’humain. Moi, je souhaitais faire un film de sentiments comme j’en voyais gamin. […] C’est un film que nous avons fait sans compromis, nous avons été assez radicaux.

« Ça m’intéressait de parler des rapports que nous entretenons avec nos enfants »

Vous avez récemment été papa pour la seconde fois. Est-ce que le film traduit une crainte chez vous et est-ce pour cela que le personnage d’Alysson est maman ?

Non, ça ne traduit pas une crainte. Ce n’est pas un film psychanalytique (rires). Je n’ai jamais pensé à ça. L’enfance est du côté de la vie. C’est le pendant à tout. Lorsqu’on regarde un enfant, on se dit que tout vaut le coup. Dans le film, ce petit garçon subit le récit. Il n’est pas considéré, il est trimballé sans qu’on lui demande son avis. Ça m’intéressait de parler des rapports que nous entretenons avec nos enfants. J’ai la sensation que nous n’écoutons jamais vraiment leurs désirs. Ils vivent les choses comme nous avons décidé de les vivre nous. En règle générale. Je désirais que ce petit garçon dise à un moment : « moi aussi, j’ai mon avis sur la question ». Il se pose des questions et Lola ne lui laisse pas vivre son truc. Il a des questionnements très simples sur le manque.

Au cinéma, le deuil a été traité sous tous les angles. De quelle façon souhaitiez-vous montrer, à la fois visuellement et dans l’écriture, cette étape de la vie, à laquelle nous avons tous été confrontés ?
Visuellement, mon ambition n’était pas de montrer la mort dans le deuil mais le désir de vie qui s’en suit. Je voulais donc un film lumineux, solaire, pop, très contrasté. Nous avons essayé d’aller chercher un visuel électrique. Le début du deuil est un moment particulier car il y a la douleur que tout le monde connaît. Moi j’ai la sensation qu’il y a un truc moins politiquement correct, quelque chose de grisant. Les chocs sont tellement forts que plus rien n’a d’importance, on devient complètement sincère, on ne peut plus rien nous imposer pendant un laps de temps, comme si on oubliait les codes parce que la douleur est plus forte. C’est un état assez grisant bizarrement, j’avais envie de décrire cela.

C’est pour cela que vous avez choisi l’Italie, en particulier la Sardaigne, parce que c’est un pays lumineux ?
Oui. Elles cherchent toutes les deux le soleil. À la fois à l’extérieur mais aussi à l’intérieur. Puis, ça m’amusait qu’il y ait un fantasme que les gens ont de cet endroit et d’aller y filmer une ville très simple, portuaire, un huit à huit et non pas une épicerie touristique, une plage, où tout n’est pas si beau, où il y a des bus derrière. Je voulais montrer la Sardaigne dans un quotidien, dans un état réel et pas fantasmé.

Le récit est parsemé de fous rires entre les deux sœurs. C’était important qu’il y ait du rire dans votre film ?

Oui c’était important. J’avais envie que le film soit drôle, un peu insolent, c’est un film qui se voulait être un geste irrévérencieux. C’était même primordial qu’il y ait du rire et de la vie, surtout. Que Lola et Margaux aient envie de manger, de faire l’amour, de rire… Ce sont deux sœurs qui se retrouvent aussi comme lorsqu’elles étaient enfants, en tant qu’adultes elles ne se connaissaient pas bien… Elles prennent des bains ensemble, elles se disent « va te faire foutre » avec amour, tout ça m’amusait.

Rire, c’est continuer de vivre et montrer qu’on est toujours vivant…
Bien-sûr. C’est ce que raconte le film. Lola se débat pour ça. On sent bien, dès les premières images du film, qu’elle a déjà cette folie, cette fantaisie, dans sa vie avec son homme et qu’elle fait tout pour garder ça.

« C’était à elles de définir le cadre et non pas à nous, de diriger le film »

Amore Mio est magnifique dans sa manière simple de filmer les moments les plus émouvants, tout en intimité. Comment parvient-on à ça ?
Il y a déjà ce format 1:33 que nous avons décidé d’utiliser à l’inverse des road-trip. Dans l’imaginaire collectif, ce sont toujours des scopes, des grandes routes. Nous, il n’y a pas de paysages. Nous voulions coller au souffle des actrices et du jeune acteur. C’était ensuite un travail avec les comédiennes et le chef opérateur de les laisser se surprendre. Il n’y avait pas d’improvisation de texte mais il fallait créer un contexte où elles se sentent libre, pas jugées, qu’elles n’aient pas peur de rater, qu’elle se sentent libre de crier, de pleurer. Qu’elles laissent le présent rentrer dans le jeu. Puis, nous les suivons avec la caméra. C’était à elles de définir le cadre et non pas à nous, de diriger le film. Une fois qu’elles avaient cet espace, c’était assez jouissif pour elles. […] C’était un film ambiance troupe, je pense que ça se voit aussi à l’écran. Nous étions une petite équipe et c’était très joyeux, dans la vie, nous changions de décor tous les jours. C’était un peu le fantasme Cassevettes.

Les regards d’Alysson sont profonds, attachants, ils nous touchent. De quelle manière capte-t-on ces regards ?
Elle est fascinante comme actrice. Il y a un mélange de féminité et, en même temps, un côté mauvais garçon, Rock’n’roll. On capte ça en étant attentif à ce qu’elle fait, à son talent d’actrice. Mais autant pour Alysson que pour Élodie, qui a des envolées, des moments de sarcasme et c’était chouette de pouvoir assister à ça, de filmer ces instants.

À travers le deuil, c’est aussi une histoire de réconciliation entre deux sœurs…
L’idée était de re-rencontrer les gens. On dit souvent : « Je l’aime parce que c’est ma sœur ». Je trouve cette phrase un peu bête. Je me dis qu’on se donne des places lorsqu’on est gamin, desquelles on ne sort pas, mais les gens dont nous sommes les plus proches, nous ne les connaissons pas vraiment ou nous ne prenons pas le temps de les connaître. L’idée était ici que les sœurs apprennent à se connaître en tant qu’adultes. Va se poser la question : est-ce que j’aime cette personne en tant qu’adultes ? Puis, entre les deux actrices, il y avait beaucoup de sincérité dans ce qu’elles se donnent.

« Alysson a quelque chose d’assez rare, à la fois de féminin avec ce joli visage, et un côté animal, sauvage, que j’adore et que je trouve très cinématographique »

Parlez-nous de vos choix de casting…
Le film était écrit pour Alysson. C’est quelqu’un que j’aime profondément dans la vie. En tant qu’actrice, pour revenir ce que je disais plus haut, je trouve qu’elle a quelque chose d’assez rare, à la fois de féminin avec ce joli visage, et un côté animal, sauvage, que j’adore et que je trouve très cinématographique.
Pour Élodie, j’ai de suite pensé à elle à la fin de l’écriture. Pour ma génération de spectateurs, c’est une actrice iconique. Il y a tellement de films d’elle que j’ai aimé. Je la connaissais un peu dans la vie, nous nous entendons bien et je suis heureux de lui donner un rôle avec de l’autorité, avec du sarcasme, un peu différent. Je voulais des comédiennes au présent, qui se laissent aller à jouer, qui acceptent d’être dans un jeu non-formaté.

Vous pouvez retrouver ma critique du film, ici.

Amore Mio, le 1er février au cinéma.

1 commentaire sur “AMORE MIO : INTERVIEW AVEC LE RÉALISATEUR GUILLAUME GOUIX : « Je me disais qu’il serait intéressant de créer une histoire dans laquelle une jeune femme veut vivre son deuil différemment ».

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *