PISTE NOIRE – FRANCE 2 : DISCUSSION AUTOUR DU POLAR AVEC LE RÉALISATEUR FRED GRIVOIS

Suite à la diffusion des deux premiers épisodes de Piste Noire ce 23 janvier, le réalisateur Fred Grivois se confie sur la réalisation de Piste Noire, les difficultés de tourner en montagne, son travail aux côtés des acteurs et actrices de la série mais aussi son rapport avec la fiction française et son évolution.

Synopsis :
Dans les Alpes, la station des Clairies fête la victoire de son champion de descente, Boris Arnoux, enfant chéri du pays. La fête bat son plein lorsqu’un incendie se déclare plus bas dans la vallée, dans un campement de fortune. Une caravane brûle en enfermant dans ses flammes un saisonnier mal logé.

Cet « accident » est le point de départ d’une enquête menée par Emilie Karras une jeune gendarme de Lyon, originaire des Clairies où elle a grandi mais qu’elle a aussi quitté il y a 12 ans pour se sauver elle-même. Elle est contrainte de rester et de collaborer avec le Major Servoz, un gendarme local et désabusé. Ils vont découvrir les méandres et les faux-semblants de cette station phagocytée par un projet immobilier luxueux qui divise les gens autant qu’il dévisage la montagne.

« On ne s’approprie pas cet environnement, c’est lui qui s’approprie la réalisation »

Qu’est-ce qui vous a convaincu d’accepter la réalisation de la mini-série « Piste Noire » ?
Il y a deux choses. La première, c’est la montagne. Je suis d’origine canadienne et j’ai grandi entre Montréal et Paris donc le froid, c’est mon élément. Puis, j’aimais beaucoup le personnage principal d’Émilie et le fait qu’elle soit gay. Je trouvais ça intéressant que, pour une fois, une héroïne de prime time soit homosexuelle car ce n’est pas si fréquent. D’autant qu’on le traite très simplement.

L’action se situe dans les Alpes. Les thrillers policiers qui se déroulent dans des décors enneigés sont légions. En tant que réalisateur, de quelle manière s’approprie-t-on cet environnement pour donner vie au récit ?

On ne s’approprie pas cet environnement, c’est lui qui s’approprie la réalisation. Le fait de ne pas avoir d’horizon lorsque l’on cadre, ça pose des questions esthétiques nouvelles, on crée des choses auxquelles nous n’avons pas l’habitude. Et, en même temps, cadrer la montagne, c’est comme tourner à New-York. Le décor s’impose un peu de lui-même dans l’image, par sa structure et ses perspectives. Ne pas avoir d’horizon, c’est assez déstabilisant. Sans compter les conditions de tournage. Il fait froid et, tout le monde, n’est pas habitué. 12 heures à -10 degrés, on commence à souffrir, même pour moi qui ait grandi dans le froid.

« La neige, ça mange le son. Il n’y pas d’écho, pas de son ambiant en montagne »

Surtout, les acteurs. Car si l’équipe technique est équipée, les acteurs eux, n’ont pas forcément les costumes pour. Il y a aussi les aspects techniques comme la condensation de l’humidité dans les optiques et les difficultés d’accès de la montagne. Parfois, pour tourner certaines scènes, nous devions monter tout le matériel avec des motos-neige, créer une cantine dans la neige, etc. Ça posait de vrais problèmes d’infrastructures dont nous n’avons pas l’habitude, là également. Mais étonnement, nous n’avons pas eu de soucis lié au froid.

Il y a également quelque chose dans le travail du son, par exemple. On n’y pense pas mais la neige, ça mange le son. Il n’y pas d’écho, pas de son ambiant en montagne. Ça change des choses dans l’appréciation auditive de la fiction. Tout est blanc. Il n’y a pas vraiment d’ombre, on ne peut rien cacher. Même la nuit, la neige continue de réverbérer pas mal de lumières. Nous réfléchissons toujours à la manière dont nous allons accentuer le thriller par d’autres systèmes. Néanmoins, être dans la montagne ne change pas grand-chose. Le thriller est davantage une question de rythmique. Si tout le monde est tout le temps sous pression, ça ne fonctionne pas parce que le spectateur sature. C’est pour cela que nous avons des petites touches d’humour, ça permet d’alléger certaines situations par des sourires, et pouvoir retendre plus fort derrière.

L’utilisation des drones offre aux montagnes des vues spectaculaires…
J’utilise souvent les drones. Ce n’est pas particulièrement lié aux décors et à cette fiction. Simplement, il y a dans la montagne, un aspect vertigineux que le drone amplifie. Filmer les arbres par au-dessus, c’est augmenter la sensation de vertigineux et accentuer la sensation de hauteur.

« Je travaille l’esthétique en amont, parce qu’ensuite, sur place, je veux développer le travail avec les acteurs »

Votre réalisation est dynamique, où se mêlent parfaitement la tension et le côté intimiste de l’histoire. Un peu à l’américaine avec ses ralentis ou la façon de filmer certaines séquences comme la descente de ski ou les fêtes mondaines…

Je suis nord-américain et j’ai fait mes études aux États-Unis. L’approche à l’américaine, je n’y pense pas vraiment. Je vois pourquoi on me parle de ça mais c’est intuitif. Esthétiquement, nous allons bien au-delà – ce qui étonne certains producteurs avec qui j’ai travaillé pour la première fois – du simple champ/contre-champ, plan large, cette grammaire de la « télé de papa ». Donc, c’est une réalisation qui demande un peu une notion de risque. Je ne vous cache pas que j’ai maintenant une équipe qui est rodée à l’exercice. Désormais, nous essayons de nous amuser, tout en essayant de trouver des choses nouvelles et de dépasser une méthodologie de fabrication qui n’est plus actuelle.

Nous faisons partie d’une nouvelle génération de réalisateurs, gavés de cinéma et de séries américaines, nous nous orientons alors davantage vers ça qu’à un cinéma d’auteurs plus européen qui s’intéresse assez peu au découpage et à l’esthétique et qui reste dans le narratif et l’écriture. J’essaie de me situer à la croisée des chemins. Je travaille l’esthétique en amont, parce qu’ensuite, sur place, je veux développer le travail avec les acteurs. C’est ce qui m’intéresse le plus.

C’est ma première série pour une grosse chaîne publique. J’ai vu que ça pouvait faire stresser certaines personnes, d’avoir une approche différente. Par exemple, on m’a demandé de ne pas faire de scènes de dialogues avec des acteurs qui marchent parce que ça pouvait parasiter le spectateur. […] Très souvent, vous parlez avec des gens qui font des études de chaînes et qui n’ont pas un vrai rapport avec la fiction. Si vous avez aujourd’hui des projets plus novateurs qui se font sur des plateformes, des petites chaînes ou sur ARTE, ce n’est pas par hasard. Et ce n’est pas les mêmes ambitions. Cela dit, ça s’est très bien passé avec France Télévisions mais c’est amusant de voir que nous les brusquons un peu sans le vouloir par une certaine modernité. Mais ça viendra. Nous aussi, nous devons faire attention. Le public de France 2 n’est pas le même que 13ème rue avec qui j’ai fait « Trauma ».

« Je ne suis pas un obsessionnel du texte »

Comment avez-vous travaillé le duo Constance Labbé (Emilie) et Thibault de Montalembert (Loïc).

L’idée était que le courant passe entre eux, même si au départ, Emilie et Loïc ne s’aiment pas trop. De temps en temps, ils ont modifié leurs textes, pour la complicité. Je ne suis pas un obsessionnel du texte. Souvent, les scénarios sont très écrits, on le sent et les acteurs se le remettent en bouche. Je n’ai aucun problème à ce qu’il fasse ça et je trouve même que c’est intéressant. Tant qu’ils gardent le sens du texte, je les laisse improviser. Et ils sont très forts à ce jeu-là. Il y a beaucoup de scènes qui sont improvisées. Ce qui compte, c’est la complicité. Je veux que les acteurs s’amusent, tout le temps, même dans les scènes dites sérieuses.

[…] Sur le personnage, d’Emilie, comme je le disais, je ne voulais pas que son homosexualité soit un sujet. Si on veut être vraiment moderne, ça ne doit pas l’être. Ce qui est intéressant dans son orientation sexuelle, c’est de ne pas la traiter. Elle serait peut-être davantage une héroïne moderne par le fait que c’est une femme dans un milieu d’hommes. C’est un thème que l’on traite. Loïc représente un peu le passé et elle, l’avenir. C’est une lutte aussi vieille que le buddy-movie. C’est quelque chose qui est déjà évoqué dans L’Arme Fatale, par exemple.

« Notre force dans le polar n’est pas une nouveauté, c’est assez ancien dans le cinéma français, dans la série, et que même les américains nous reconnaissent »

C’est pour cela qu’on entend à plusieurs reprises le personnage de Loïc prononcer « Je suis trop vieux pour ces conneries » ?
Oui (rire). C’est ma réplique préférée. C’est un film que Thibault adore. Maintenant, le polar en France, c’est un peu notre spécialité et le spectateur aime ça. Mais c’est notre spécialité depuis Cluzo, Melville et compagnie. Notre force dans le polar n’est pas une nouveauté, c’est assez ancien dans le cinéma français, dans la série, et que même les américains nous reconnaissent. C’est chouette d’être dans un pays où nous sommes bons et où il y a une demande. C’est un tradition typiquement française. Et c’est ce qui se vend le mieux à l’étranger. Pour « Trauma », la série a très bien marché en Espagne et elle a même été diffusée sur Chanel Four en Angleterre, ce qui est rare. Engrenages a été diffusée dans le monde entier. Puis, le spectateur en réclame. Pourquoi bouder son plaisir ? La seule chose que nous pourrions changer, c’est de faire des séries policières avec une autre typologie de personnages. Je pense au Convoyeur de Boukhrief qui faisait ça. Nous n’avons pas la tradition du flic à l’américaine. Il est vrai que leur structure législative le permet. Le Shérif c’est autre chose que le gendarme, dans la tradition et dans l’imaginaire. Nous, nos hommes en uniformes ne sont pas très cinématographiques, pas très photogéniques. Ou bien nous avons les gangsters à la Olivier Marchal où tout le monde parle en mettant la voix au fond de la gorge en fronçant les sourcils pour être sérieux tout le temps. Personnellement, de ce que je connais de la Police et ceux avec qui je travaille, ce n’est pas ça du tout. C’est cela que nous avons essayé de travailler avec Thibault et Constance, l’humour. J’ai fait un film sur le GIGN en restant avec eux des journées entières et ça se vanne à longueur de temps. Pourtant, ils sont là pour sauver des vies. Ils ont besoin de cette soupape de secours.

Vous pouvez retrouver mon interview avec la comédienne Constance Labbé, ici.

Les épisodes de 3 et 4 de Piste Noire seront diffusés ce 30 janvier sur France 2.

1 commentaire sur “PISTE NOIRE – FRANCE 2 : DISCUSSION AUTOUR DU POLAR AVEC LE RÉALISATEUR FRED GRIVOIS

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *