L’ABÎME : DE CORALIE BLAIN À ELSA LACAZE, LES HÉROÏNES DE SARA MORTENSEN (INTERVIEW)

Elle est une des actrices préférées des téléspectateurs, Sara Mortensen fait aujourd’hui figure de coqueluche dans la fiction française. Révélée au grand public en 2012 dans la quotidienne de France 3 « Plus Belle la Vie » grâce à son personnage de Coralie Blain (Terminator pour les intimes), elle enchaîne depuis les succès télévisuels avec Astrid et Raphaëlle ou Les Mystères de….
Dans sa nouvelle série, « L’Abîme », elle interprète Elsa Lacaze (au côté de Gil Alma et Marie Mallia), une mère de famille au passé trouble. Un rôle sur-mesure pour la comédienne qui, une fois encore, excelle dans ce registre.

Avec sincérité, Sara Mortensen revient sur les célèbres visages héroïques qu’elle a pu interpréter ces dernières années à la télévision, se confie sur son métier de comédienne, ses plus belles rencontres et sur ce nouveau rôle intime et inattendu.

Synopsis :
Elsa et Laurent Lacaze ont tout du couple modèle : très amoureux et mariés depuis vingt ans, ils sont les parents dévoués de Lucie, une adolescente pétillante. Pourtant, un matin, Elsa ne rentre pas de son jogging habituel et disparaît sans laisser de trace. Le monde de Laurent, et de sa fille, se teinte d’abord d’angoisse… Puis finit par s’écrouler lorsque la police leur apprend qu’Elsa n’est pas la personne qu’elle prétend être. Laurent doit se rendre à l’évidence : la femme dont il est amoureux est une énigme. Une énigme dont le passé ressurgit aujourd’hui.

« Je travaille toujours mes personnages, comme si j’étais elles »

Qu’est-ce qui vous a convaincu d’accepter le rôle d’Elsa Lacaze dans cette nouvelle fiction pour France 2 ?
J’ai adoré le scénario. C’est superbement écrit. Il y a un mélange des genres subtil entre le thriller, la comédie familiale et une histoire d’amour intense. D’ailleurs, c’est avant tout une histoire d’amour, plus qu’une enquête. C’est ce que je trouvais original. J’ai rappelé tout de suite pour dire que j’étais partante pour l’aventure. La seconde raison, c’est que j’avais envie de bosser avec Elephant depuis très longtemps. Ma rencontre avec François Velle, le réalisateur de la série, a aussi été déterminante. C’est un homme cultivé, intelligent, doux, à l’écoute des acteurs. C’était le combo parfait.

C’est un rôle particulièrement difficile. De quelle manière avez-vous travaillé ce personnage en amont ?
Je travaille toujours mes personnages, comme si j’étais elles. Je me suis donc imprégnée de son histoire, de ses choix. J’ai justifié chacun de ses choix de manière réfléchie mais tranchée et simple. Elsa est une personne complexe. C’est une femme qui est rattrapée par un passé et porte un lourd secret. Elle compose avec son histoire et elle la transforme, ça lui donne une force incroyable et une joie de vivre. Soit on est écroulé et on ne bouge plus, soit notre passé nous donne une force que nous pouvons transformer en une grande joie.
Avant cela, il y a un travail de réécriture auquel je tiens. Non pas parce que c’est mal écrit mais parce que le personnage est là. C’est elle qui parle, qui pense, qui vit. Nous avons fait des lectures pendant des heures, avec toute l’équipe. J’essaie de pointer du doigt ce qui pourrait être incohérent. J’aime la précision.

« Il fallait aussi qu’on donne au téléspectateur l’envie d’habiter avec cette famille »

Parlez-nous de votre famille fictive que vous avez composé avec Gil Alma et Marie Mallia…

Avec Gil, nous ne nous connaissions pas du tout. Nous nous sommes rencontrés à la lecture. Gil est un homme profondément gentil, détendu. Il met une bonne ambiance. Comme beaucoup, je l’avais vu surtout dans des séries comiques et, je ne le connaissais pas dans ce registre-là. Et il est super ! Mais j’ai suivi le réalisateur François Velle, aveuglément, lorsqu’il m’a dit qu’il serait génial. Il a de l’expérience, une empathie extraordinaire, une sensibilité et une intelligence humaine vraiment grande, donc je l’ai écouté. Notre challenge était de construire un attachement fort pour ce couple et à Elsa, parce qu’elle disparaît très vite, afin que les spectateurs aient envie qu’on la retrouve. Et donc à leur histoire d’amour très forte, pour que le public soit triste pour cet homme dont la femme disparaît. C’était un travail nécessaire pour qu’ils puissent s’identifier à eux.

Image : Marie Mallia (Lucie Lacaze), Gil Alma (Laurent Lacaze) et Sara Mortensen (Elsa Lacaze) sont les visages de cette nouvelle fiction.
Crédit photo : Fabien Malot – France 2

Il fallait aussi qu’on donne au téléspectateur l’envie d’habiter avec cette famille. Marie a tout à fait rempli son contrat. Elle joue une ado pétillante et chiante à la fois. Marie est trop mignonne. Pour la petite anecdote, elle nous a souhaité la Fête des Pères à Gil en lui écrivant « Bonne fête Papa » et, pareil avec moi, le jour de la Fête des Mères. Alors que le tournage était déjà fini (rire). C’était assez évident. C’est aussi toute l’intelligence de la productrice Gaëlle Chollet de chez Elephant, d’avoir su réunir des alchimies qui allaient bien ensemble.

Puis, nous avons habité trois semaines ensemble à Moustiers-Sainte-Marie, qui est un petit village magnifique perché sur une falaise dans les Gorges du Verdon. Nous étions hors saison et toutes les auberges étaient vides. Nous avons été accueillis dans l’une d’entre elles, par une dame qui s’appelait Hélène. Nous y sommes retournés, après le tournage. Avec elle, c’est comme si nous étions à la maison. Le soir, elle nous faisait à manger au coin du feu. Ça a créé un vrai lien avec tout le monde.

« Ce que j’aime dans mon métier, c’est de raconter des histoires »

Elsa Lacaze vient s’ajouter à la longue liste des personnages forts que vous incarnez depuis des années à la télévision. Elles font remuer des choses chez le spectateur et changer notre regard sur la société comme Coralie Blain ou Astrid. C’est tout cela qui vous plaît chez une héroïne de fiction et qui fait que vous les choisissez ?
J’ai la chance qu’on me propose des personnages forts, oui. Je ne sais pas si Coralie était une héroïne forte, en tous cas elle l’est devenue. Car à force de la jouer, c’est un dialogue qui s’installe, un jeu de ping-pong entre les auteurs et les acteurs. C’est-à-dire qu’ils nous donnent quelque chose et on le transforme. Ils voient ce que cela donne, cela leur donnent des idées et ils le transforment à leur tour, etc. Ensuite, ils ont envie à travers ce personnage-là de défendre ou de dénoncer des sujets forts comme le viol conjugal.
Avec Astrid, c’était mettre la différence en lumière. Je trouvais ça éminemment urgent, évident et passionnant. Ce que j’aime dans mon métier, c’est de raconter des histoires. Forcément, plus le rôle est important et plus nous avons la part belle dans la façon dont l’histoire est racontée. Mais que ce soit un rôle important ou un rôle secondaire, je m’investis autant. Tout le temps. Je les charge, je les construis, je les tricote avec le même plaisir.

Sur L’abîme, le sujet était important. Ça m’a touchée. Ça concerne beaucoup de gens, ne serait-ce que la disparition des personnes majeures en France. Il y en a énormément. Ce qu’on ignore, c’est que si une personne majeure retrouvée par la Police et que la disparition de ladite personne était volontaire, elle a le choix de dire qu’elle ne souhaite pas que ses proches aient de ses nouvelles et sachent la raison de son départ. Donc, il y a des gens qui n’auront jamais de nouvelles de leurs proches disparus, peuvent imaginer les pires choses, alors qu’en réalité, ce sont simplement des personnes qui ont eu envie de partir. Pour ceux qui restent, c’est difficile. De même que pour la personne qui fuit. Elle doit avoir des raisons nourries par des sentiments très intenses pour tout quitter.

Image : L’inspecteur Cédric Martineau (Christopher Bayemi) ménèra l’enquête sur la disparition d’Elsa Lacaze.
Crédit photo : Fabien Malot – France 2

Même s’il y a en apparence rien à défendre, je parviendrai toujours quelque chose à défendre. Par exemple, dans Tropiques Criminelles, à plat, il n’y a pas à défendre. Mais finalement, quand on réfléchit, il y a à incarner ces gens qui pensent tellement à eux qu’ils en ratent toute leur vie. Je trouvais intéressant de dénoncer ce racisme ordinaire qui est dans la bouche de beaucoup de gens alors que ça ne devrait pas exister.

Coralie et Astrid sont deux personnages qui ont et qui continuent de marquer la télévision française. Dans la vie d’un acteur, c’est rare de posséder deux rôles devenus cultes. Comment se sent-on vis-à-vis de ça ?
On se sent reconnaissante. Tout ce que j’ai à dire à Plus Belle la Vie, c’est merci. Ce fut une formidable aventure avec, bien entendu, des hauts et des bas, des joies et des drames. Mais c’est une vraie partie de vie. Je dis juste « merci » parce que grâce à Coralie, j’ai défendu des sujets dont on parle davantage aujourd’hui comme le viol conjugal, le consentement, la transidentité avec cette intrigue sur sa belle-fille. Que Coralie, qui a des avis souvent très tranchés, accompagne son beau-fils dans cette étape, je trouvais ça superbe. Si ces personnages ont autant marqué, c’est aussi parce qu’ils ont défendu des causes importantes.
Pour Astrid, c’est merveilleux car ça prend une tournure internationale inattendue. C’est une chance dingue pour cette série d’avoir une vie au-delà de nos frontières. C’est que de la reconnaissance. […] Nous venons de finir de tourner la saison 4 et ils sont en train de réfléchir à une cinquième saison.

« J’ai toujours peur de trahir ou de caricaturer des gens, alors je reste ultra-vigilante et concentrée »

C’est difficile pour vous, entre chaque saison, de reprendre le rôle d’Astrid ou, désormais, vous le tenez suffisamment ?
Je ne dirais pas que je tiens mes personnages parfaitement, ça serait de la prétention. Avec Astrid, je suis sur un fil. C’est un numéro d’équilibriste intense. Je ne sais jamais la manière dont elle va réagir, à chaque nouvelle situation. Je la connais de mieux en mieux mais je la laisse prendre le dessus quand je joue. Je m’évince. Néanmoins, j’ai toujours peur de trahir ou de caricaturer des gens, alors je reste ultra-vigilante et concentrée. Ça me demande un énorme travail de concentration. La seule chose qui maintenant existe et ne pouvait pas exister avant, c’est que je suis capable, entre les prises sur le plateau, de redevenir Sara, de rigoler, et de revenir à Astrid en quelques secondes lorsque le tournage reprend. Avant, je n’étais qu’Astrid et je ne parlais à personne.

Avez-vous hésité à l’époque à prendre le rôle d’Astrid ?

J’ai toujours peur avant de jouer, quel que soit le tournage. La veille de chaque tournage, je me pose mille questions : pourquoi j’ai choisi ce métier ?… Mais une fois que j’entends « Moteur, Action », il y a un truc en moi qui frétille de la tête aux pieds et j’y vais. Je n’ai pas hésité à dire « oui » pour le rôle d’Astrid. Cependant, lorsque j’ai accepté le rôle, je me suis demandé « pourquoi ? » (rire). Cette peur de caricaturer, je l’ai toujours. Car je ne veux pas m’installer, que ça devienne évident, ça doit rester un challenge. Si je prends trop de confiance, je ne serai plus crédible. Puis, je suis devenue Astrid malgré moi. Je ne suis pas un porte-étendard, mais je suis devenue une ambassadrice de la neuro-différence. Je trouve ça extraordinaire. Toutefois, plus ça avance, plus les audiences sont importantes, plus la série traverse les frontières, plus je reste vigilante et focus. Puis, il faut qu’Astrid évolue, sans que ça soit trop. C’est subtil.

Image : Sara Mortensen incarne Astrid Nielsen depuis 2019.

« L’Abîme reste un de mes meilleurs souvenirs de tournage »

Cette peur avant de réaliser un nouveau tournage, c’est un manque de confiance ?
Ce n’est pas une question de confiance en soi. Disons que c’est un peu comme une rentrée des classes. A chaque nouveau tournage, on ne connaît pas tout le monde. On découvre l’équipe, on découvre la manière de fonctionner des gens, c’est une harmonie à trouver. Et c’est au réalisateur de donner le LA, car c’est lui le capitaine du navire. Si le réalisateur est calme, joyeux, le tournage sera à cette image. Donc, on ne sait jamais à l’avance comment ça sera. Puis, il y a aussi l’alchimie entre acteurs. C’est également quelque chose d’assez magique. […] L’Abîme, pour vous donner un exemple, reste un de mes meilleurs souvenirs de tournage. Ce fut un tournage profondément humain et humainement extraordinaire. J’ai d’ailleurs retrouvé sur L’Abîme, un premier assistant réalisateur, Rodolphe Chauvin – on parle rarement des équipes techniques – avec qui j’avais déjà tourné un 6×52 à Marseille, Duo, et j’adore ce mec. Il est hyper drôle. Lui aussi doit donner le rythme sur un plateau. Il est tellement gentil et il n’y a jamais de pression avec lui. La régie était adorable, également. J’ai retrouvé une coiffeuse de Plus Belle la Vie que j’adore. C’est un travail d’équipe complet. Là, tout le monde a été au top.

Vous avez récemment tourné deux fois sous l’œil de Julien Seri, pour Astrid et Raphaëlle et Le Saut du Diable 2. Comment était votre collaboration ?

J’aime Julien. Je pourrais tourner avec lui tous les jours. Pas besoin de se parler, on se regarde, on sait. C’est devenu un ami dans la vie. Je le trouve extrêmement talentueux. Là, il vient de terminer « Je suis né à 17 ans » qui est l’histoire vraie de Thierry Beccaro. J’ai vu Julien travailler dessus, et je sais que ça va être formidable. Julien a de gros muscles, juste parce que c’est un sportif. Point barre. Il aime la discipline, la boxe thaï. Il fait du sport tous les jours. Toutefois, c’est un être humain hyper sensible, cultivé – il regarde 1 à 2 films par jour même lorsqu’il tourne. Julien Seri on l’appelle « tac-tac » parce que dès qu’il arrive, il dit : « allez hop, tac-tac, moi je suis déjà prêt les amis ». Il arrive, il n’a pas découpé, il nous regarde respirer, jouer en répète et hop, tac-tac, il place sa caméra, les lumières. C’est extraordinaire.

Image : Sara Mortensen incarnait Gabrielle Martinot dans Le Saut du Diable 2 de Julien Seri.
Crédit photo : Programme TV

Sur le Saut du Diable 2, nous avons eu peu de temps, et il a réussi à faire un truc incroyable dans des conditions pas faciles. Et surtout, on finit toujours à l’heure avec Julien. Pour nous, comédiens, c’est agréable. Nous rentrons et nous avons une vie.

« Je suis très consciente que ce métier est éphémère […] J’ai eu la chance folle de pouvoir jouer tous ces rôles »

Vous aimeriez faire davantage de cinéma ?
J’adorerais tourner pour le cinéma, mais je suis très heureuse là où je suis. Vous savez, il ne faut jamais regarder là où l’herbe est plus belle, parce que j’ai la chance de pouvoir arroser mon herbe. Je suis très consciente que ce métier est éphémère. Du jour au lendemain, tout peut s’arrêter. Comme vous le disiez tout à l’heure, j’ai eu la chance folle de pouvoir jouer tous ces rôles. Dans LArt du Crime, l’année dernière, j’ai pu jouer une danseuse du Moulin Rouge. Je me suis entraînée avec une danseuse du Moulin Rouge et me suis habillée comme elles. C’est un honneur. Je tournais en même temps sur Astrid et Raphaëlle. Je passais de l’une à l’autre. Et c’est merveilleux ! On dit souvent qu’on nous colle des étiquettes. J’ai cette chance de ne pas en avoir. J’ai un agent formidable qui s’appelle Sophie Lemaitre. C’est grâce à elle tout ça. On forme une vraie équipe. Elle sort au théâtre tous les soirs, va au cinéma voir tous les films. Elle voit tout ce qu’il est possible de voir. Et, elle parvient à se débrouiller pour avoir les derniers scénarios avant tout le monde. C’est la Sherlock Holmes du scénar. Elle lit et propose. Lorsqu’elle est convaincue qu’un rôle est pour moi, elle m’envoie le script. Il y a un vrai échange entre nous.

Les premiers épisodes de L’Abîme seront diffusés dès le 8 février prochain, sur France 2.

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