LE MARCHAND DE SABLE : UN DRAME SOCIAL ÉPROUVANT

Avec Le Marchand de sable, Steve Achiepo livre un film d’une extrême brutalité mais révèle une réalité qui gangrène notre société, le trafic des marchands de sommeil, profitant de l’immigration et de la fragilité des immigrés pour faire business.
Un long-métrage d’une puissance émotionnelle sans pareille, où Moussa Mansaly impressionne au côté d’un Benoît Magimel impitoyable.

S’endormir ou mourir

Le Marchand de sable s’inscrit dans la lignée des films sociaux français percutants et nécessaires. Après l’excellent Les Promesses de Thomas Kruithof avec Isabelle Huppert et Reda Kateb, où le problème du logement était développé d’un point de vue plus politique, Steve Achiepo s’empare de ce sujet d’un point de vue purement humain. En effet, c’est à travers le regard de Djo (Moussa Mansaly) que toute la dramaturgie du film se tisse et que le spectateur suivra le parcours de cet homme empreint de bonnes intentions, jusqu’à sa bascule dans le monde lugubre des marchands de sommeil.

Livreur de colis en banlieue parisienne, Djo vit modestement chez sa mère avec sa fille. Lorsqu’une tante, fuyant le conflit ivoirien débarque chez eux avec ses trois enfants, Djo doit rapidement leur trouver un local pour les loger. Peu à peu, pris dans un engrenage et face à la demande croissante, il devient marchand de sommeil dans l’espoir aussi, d’offrir une vie décente à sa fille.

À partir de ce dilemme, Steve Achiepo crée, peu à peu, une véritable confrontation idéologique. Au sein d’un rouage que Djo ne contrôle plus, seul un drame pourra le ramener à la raison. Car ce dernier a pleinement conscience de ses actes. C’est toute la complexité du film, qui renonce à un récit manichéen. Djo est tiraillé entre son envie sincère d’aider les autres, de sauver à la fois son « couple » et de devenir un père de famille responsable, en gagnant suffisamment d’argent afin de s’extirper de sa condition. Malheureusement, c’est sur le dos de la misère humaine qu’il va profiter d’une seconde chance.

Crédit photo : The Jokers

Dans sa narration, Steve Achiepo y ajoute trois personnages, trois protagonistes qui vont venir durcir le récit, assombrir la réalité et dévoiler l’horrible inhumanité des profiteurs de crises.

Le premier est Aurore, l’ex-femme de Djo. Travailleuse dans un centre d’accueil et d’hébergement des personnes migrantes, Aurore fait face au quotidien à une détresse que son humanité ne parvient plus à contenir. À force de promesses non-tenues, elle s’effondre. Le système broie son idéal et son désir de vouloir aider tout le monde. Un personnage sensible, à fleur de peau, lequel permet à Steve Achiepo d’accentuer l’urgence de la situation, de dénoncer le peu de moyens qui sont attribués à ces centres et l’abandon de l’État envers les associations et les services d’aides, dont les acteurs sont au bord de l’épuisement moral et psychologique, à l’image d’Aurore. Une héroïne des temps modernes qui contraste avec la violence verbale, le cynisme et la cruauté des deux marchands de sommeil – avec qui Djo va collaborer – interprétés magistralement par Mamadou Minté et Benoît Magimel.

Crédit photo : The Jokers

Sans une once de bienveillance à l’écart des immigrés, le film révèle l’horreur des marchands de sommeil. Pour eux, s’endormir dans la dignité ou mourir dehors à la nuit tombée, peu leur importe. Il s’agit de business. Ni plus, ni moins. En ça, Le Marchand de Sable bouleverse, autant qu’il nous enrage.

La caméra de Steve Achiepo sert une réalisation profondément empathique. Souvent, le cinéaste filme les visages en gros plan. Le visage de Djo, en proie au doute, au stress, à l’incertitude, le visage d’Aurore, abattue par la colère et les larmes, et les visages de Mamadou Sinté et Benoît Magimel, stoïques, hermétiques à toute empathie. Ces visages qui se succèdent reflètent une narration où les valeurs et l’humanité sont parfois bannies au rang des oubliés, pour laisser place à une bestialité d’un monde lui-même sans pitié. Jusqu’à son climax, poignant, qui revient mettre en cause notre façon de penser, nous renvoie à notre propre confort, nous invite à l’indulgence. Un uppercut brutal mais indispensable.

Conclusion

Le Marchand de Sable est un film important. Essentiel parce qu’il confronte à une réalité qu’on ne veut pas voir, qu’on ne veut pas entendre. Pourtant, ils sont là, autour de nous, à quelques pas de nos rues, dans des immeubles insalubres ou des locaux abandonnés, mais invincible à nos yeux. Parce qu’on détourne le regard. Parce qu’on ne souhaite pas affronter le désespoir de ces êtres humains, par lâcheté ou par déni. Néanmoins, Steve Apiecho n’est pas dans une position moralisatrice. Il appelle au respect, à la dignité. Il soulève un problème de société dont les politiques ne s’occupent pas, laissant la porte ouverte aux prédateurs, aux monstres, qui n’auront de cesse de profiter de la misère pour s’enrichir.

Moussa Mansaly est la révélation du film. Le rappeur offre une prestation toute en subtilité dans le rôle de ce père aimant, dont le seul objectif est de devenir un homme honnête et responsable pour son enfant. Un rôle qui pourrait être déterminant pour la suite de sa carrière…

Vous pouvez retrouver mon interview avec le réalisateur Steve Achiepo ici.

Le Marchand de Sable sortira le 15 février au cinéma.

2 commentaires sur “LE MARCHAND DE SABLE : UN DRAME SOCIAL ÉPROUVANT

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *